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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mercredi 30 novembre 2022

Avec toutes mes sympathies d’Olivia de Lamberterie

Le livre a été publié en 2018, déjà 4 ans, et la parution du premier roman d’Olivia de Lamberterie m’a donné envie de lire celui-ci, plus pour appréhender son style que animée par une curiosité, laquelle aurait été plutôt malsaine.

C’est en raison du sujet que je n’avais d’ailleurs pas lu cet ouvrage dont je savais qu’il avait été écrit pour exorciser la mort de son frère, décédé par suicide, le mot est posé p. 21, et répondre en quelque sorte à l’injonction qu’il lui faisait régulièrement d’écrire.

Le pas était difficile à franchir. On la comprend. Il n’est jamais simple d’être, comme on dit, juge et partie, et sa position de critique littéraire ne lui simplifie pas les choses. Elle est en effet responsable des pages livres du magazine ELLE, et elle intervient régulièrement à TéléMatin.

C'est la dernière photo qu'elle reçut de son frère qui figure sur la couverture. Quant au titre, Avec toutes mes sympathies, il semble décalé. Jusqu’à ce qu’on apprenne que le mot sympathie est, au Québec où vivait son frère, l’équivalent du terme de condoléances (étymologiquement "avec vous dans la douleur") qu’on emploie en France.

Le récit n’est pas rigoureusement chronologique. Il fait des va-et-vient entre le passé et la période des funérailles, octobre 2015, juste avant les attentats qui ont alors marqué l'actualité. L’auteure exprime toute la palette de sentiments que l’acte de son frère a provoqué, tout en rétablissant le parcours chaotique de sa maladie psychique, laquelle a été sans doute mal diagnostiquée, mais pouvait-il en être autrement ?

Ce livre aura sans doute participé, à sa façon, à la difficile épreuve du deuil et lui aura permis d’éclairer la personnalité attachante de son frère. A cet égard il pourra aider d’autres personnes.

Il est aussi une fenêtre ouverte sur tout ce qui anime l’auteure, et préfigure sans doute son "vrai" premier roman, que je lirai bientôt. Elle nous parle de son métier, et on sent combien elle l'aime puisqu'elle confie que Lire répare les vivants et réveille les morts (p. 17).
Les mots des autres m’ont nourrie, portée, infusé leur énergie et leurs émotions. Jusqu’à la mort de mon frère, le 14 octobre 2015 à Montréal, je ne voyais pas la nécessité d’écrire. Le suicide d’Alex m’a transpercée de chagrin, m’a mise aussi dans une colère folle. Parce qu’un suicide, c’est la double peine, la violence de la disparition génère un silence gêné qui prend toute la place, empêchant même de se souvenir des jours heureux.
Elle interroge bien entendu sur les motivations à écrire pour finalement revenir aux propos de Françoise Sagan qui disait : On n’a pas envie d’écrire. On écrit.

Elle ne fait pas mystère de ses amitiés avec des écrivains, citant parfois un auteur, dont elle est ou non amie d’ailleurs, et bien sûr de sa famille car Olivia ne se limite pas à son frère, c’est toute la (les) cellules familiales qui sont autopsiées. Ainsi elle dit de sa mère qu’elle parle souvent en italiques (p. 49).

De multiples passages sont savoureux. Son style conjugue sensibilité, force et humour. A propos de l'emploi erroné du mot "sympathie" par les français elle rapporte le malaise provoqué par Françoise Sagan -encore elle- dédicaçant Bonjour Tristesse aux américains "With all my sympathie". Elle évoque avec à propos des livres, des anecdotes, des citations et des faits qui sont plus ou moins notoires.

Comme la propension à se suicider était plus forte chez les écrivains en citant Hemingway (p. 59). Et plus loin Sylvia Plath, Romain Gary. On pourrait dresser une liste très longue, avec Jean-Louis Bory, Gilles Deleuze, Henry de Montherlant, Primo Levi, Henrich Von Kleist, Stefan Zweig et bien sûr Virginia Woolf. Elle s'interroge sur cette "fatalité" qui n'est peut-être que la conséquence d'un excès de lucidité.

Et lorsqu'elle écrit (p. 69) Rien ne s’oppose plus à cette nuit, j'y vois une allusion directe au titre du roman de Delphine de Vigan.

Ce qui m'a le plus touché ce sont probablement les superbes mots d'Alex dans sa lettre d'adieu : Ce n’est pas de votre faute et vous ne pouvez pas deviner (…). Je suis désolé mais pour moi c’est mieux. (…) Merci de m’avoir aimé. Ça m’a fait vivre (p. 204).

Avec toutes mes sympathies d’Olivia de Lamberterie, Stock, en librairie depuis le 22 août 2018
Prix Renaudot Essai 2018

mardi 29 novembre 2022

Encore un coup de coeur pour un vin alsacien, le Pinot Gris 2020 W

J'ai, à la suite d'une master-class organisée par les Vins d'Alsace, proposé quelques associations sortant des sentiers battus. Il m'aurait été impossible de tout goûter et je me suis limitée. J'ai assez vite établi un choix en me fiant à ma première impression (puisque c'est toujours la meilleure comme le disait Talleyrand).

Néanmoins, il y avait à la table voisine du second vin choisi, une jeune femme qui s'exprimait avec tant de fougue que j'ai retenu son Alsace Pinot Gris 2020.
J'aurais pu le proposer avec une côte de boeuf mais j'ai préféré rester sur mon choix avec l'AOC Alsace Pinot Gris 2020 de Jean Siegler.

Le Domaine Weinzaepfel produit des vins qui sont le résultat d'un travail passionné et rigoureux :
- Assemblage des vignes de 30-50 ans exprimant le fruité de la jeunesse et l’âme du terroir.
- Sélection des raisins tout au long de l’année : taille, suppression des doublons, vendange en vert, tri sur table dans la parcelle pendant les vendanges.
- Vendanges effectuées manuellement pour le respect de la qualité du raisin.
- Conduite du vignoble de façon la plus responsable possible: engrais verts, peu de passage de tracteur, etc…

Les vignes ont obtenu la Certification Haute Valeur Environnementale de niveau 3 et sont en conversion vers l’agriculture biologique depuis 2019.
Ce Pinot Gris 2020 W (W pour Weinzaepfel) est un vin sec de gastronomie, gras et envoûtant qui arbore une belle robe jaune très claire, agrémentée de légers reflets or. Après un registre de fraîcheur et de gourmandise au premier nez, un bouquet intense laisse apparaître des fleurs et des notes de noisettes. Il se distingue ensuite par ses saveurs fumées, complétée par la pêche blanche.

Une matière soyeuse, pleine de douceur, est appuyée par une pointe d’acidité. Le vin surprend ensuite par sa richesse, sa finesse et sa sensation de salinité en finale. Ample et puissant en bouche, c’est tout en délicatesse que s’expriment des notes fumées.

Il a réellement sublimé des rostis de pommes de terre au saumon comme il m'est si souvent arrivé de m'en régaler en Alsace.

Apprenant qu'il était parfait avec un lard rôti croustillant à la truffe noire, mais n'ayant pas exactement ces produits sous la main, je l'ai servi un autre jour avec du boudin blanc à la truffe noire et une purée d'épinards à la crème, en préfiguration d'un repas de fête.
Une autre association, présentée il y a quelques jours, qui peut sembler surprenante et qui pourtant fonctionne très bien, en raison de sa palette aromatique, l'AOC Alsace 2021 "Les vignes du Prêcheur" du Domaine Weinbach avec des huîtres d'Oléron.
Renseignements utiles :
3 rue de la Chapelle - 68360 Soultz-Haut-Rhin
06 86 65 36 18

26, rue des merles - 68630 Mittelwihr

Domaine Weinbach, 25 route du Vin - 68240 Kaysersberg
03 89 47 13 21

CIVA : Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace
12 avenue de la Foire-Aux-Vins - BP 11217 - 68012 Colmar Cedex
03 89 20 16 20

lundi 28 novembre 2022

Les liens sacrés du mariage de Franck Courtès

Je n'avais pas lu de nouvelles depuis un moment alors que c'est un genre que j'apprécie énormément.
"On peut s'aimer, s'en faire une fête, s'en vanter, l'afficher, croire qu'on a découvert le secret du bonheur, un jour les rouages se grippent." Les quatorze histoires qui composent ce recueil forment autant d'épisodes liés par deux thèmes communs : l'insoluble question du bonheur dans l'amour et le crépuscule de la passion. Dans cette anthologie du couple contemporain, des hommes et des femmes se débattent avec des sentiments trop grands pour eux. Inattendu, quiproquos et humour s'invitent dans le ballet qui se joue entre ces êtres qui s'attirent, s'affrontent, se blessent et se reconstruisent.
Franck Courtès est décidément un grand auteur. Son (ancien) métier de photographe doit y être pour quelque chose dans le regard qu'il nous convie à poser sur les personnages dans la peau desquels il se glisse avec semble-t-il une grande aisance : homme, femme, jeune, vieux, citadin, rural.

Ce sont à de minuscules détails qu’on situe la période à laquelle se déroule chaque nouvelle car il varie les époques aussi.

Je me demande à qui créditer la photo de couverture qui évoque les années 50 (est-ce lui qui l'a prise ? Je n'ai vu nulle part mention de nom) et qui résume bien l'ouvrage. Une chose est sûre. Le couple parfait n’existe pas. Quand l'un regarde dans une direction, l'autre est absorbé par d'autres pensées.

Si l'amour n'est pas éternel, les regrets pourraient être plus solides.

L'auteur aborde une multitude de thèmes, parmi lesquels on sent un questionnement autour de l’esclavage domestique et des rapports de dépendance, quels qu'ils soient. Souvent les doutes glissent vers la paranoïa, à moins que ne s'infiltre un je ne sais quoi de surnaturel, ou de fantastique. Parfois même on est carrément projeté dans l’enquête policière.

Le rythme est agile. On entendrait presque le déclencheur de l'appareil photo car les images s'enchainement très vite. Si bien qu'à exception de la deuxième, plus longue, le lecteur est toujours surpris que la fin arrive si vite. Surtout pour la première, la demande en mariage. Franck Courtès a le sens de la chute. Et des chutes, on en aura beaucoup, ce qui est le signe d’une nouvelle réussie.

A propos de cette deuxième, qui est peut-être la plus fictionnelle, il y propose de lire entre les images (comme un écrivain dirait entre les lignes) et rend hommage à ces p’tits trucs jolis à la fin des pellicules que nous fûmes nombreux, lui aussi sûrement, à faire quand on n'était pas encore arrivé au numérique. Une photo peut vous percer le coeur plus qu’un mot. Il a raison de le souligner.

Pourtant il se moque lui-même de son métier : Ecrire, c’est un métier où on voit pas l’effort, surtout au niveau des vêtements (p. 64). Et quand il écrit que dans la plume du vieux journaliste se logeait celle, précise et imagée, d’un véritable écrivain (p. 98) pour décrire un de ses personnages, on a envie de lui retourner le compliment.

C'est un vrai écrivain et on se régale de ses livres, de celui-là comme des autres.

Le propre du genre d'un recueil de nouvelles c'est de sauter du coq à l'âne et ma chronique est forcément décousue. J’ai appris que trinquer avec de l’eau porterait malheur (p. 70). Un peu plus loin j'ai repensé avec nostalgie à ma grand-mère qui me faisait des chaussettes de grosse laine pour, me disait-elle, avoir encore le sentiment d'être utile. Dieu qu'elle l'était, elle n'avait pas besoin de se fatiguer à tricoter. Et pourtant je les porte encore, quarante ans plus tard. Ça rend songeuse …

Alors oui, Franck Courtès a bien raison de pointer que c’est une chose qui n’existait pas dans le temps, cette impression d’être inutile que les vieux ont aujourd’hui (…). Ils étaient certes fatigués du monde, oui, mais pas étrangers au monde comme ils le ressentent face au tout digital.

Il y a beaucoup à méditer dans Les liens sacrés du mariage. Par exemple que la violence est un échec (p. 96). Les deux dernières sont plus mélancoliques. Mais n'allez pas vous imaginer que rien ne va plus dans ce bas monde. Il est souvent très drôle. Et le fait de situer de nombreuses histoires dans un cadre campagnard apporte de la douceur.

Apprenons la leçon de l'une d'elle : l’amour c’est des chemins dont on n’a pas idée (comme celui de retenir quelqu’un en le laissant libre, on le sait depuis longtemps mais le traitement est ici plutôt original)

Les liens sacrés du mariage de Franck Courtès, Gallimard, en librairie depuis le 10 mars 2022

dimanche 27 novembre 2022

Osons un vin d'Alsace avec une côte de boeuf

Je poursuis les associations avec les vins d'Alsace en cherchant quelque chose pour accompagner une côte de boeuf sans pour autant m'orienter tout de suite et par sécurité sur un Pinot noir.

J'avais été séduite par le Gewurztraminer de Jean Siegler au cours de la master-class que j'ai relatée il y a quelques jours. Moelleux, corsé et charpenté, le Gewurztraminer développe une grande richesse d’arômes idéale pour l’apéritif, les cuisines exotiques, tous les plats et fromages relevés ainsi que les desserts.

Leur Gewürztraminer Vendanges Tardives est élaboré à partir de raisins botrytisés (présentant de la pourriture noble), récoltés généralement entre fin octobre et mi novembre. Ce vin de grande garde est charpenté, très fruité, avec une grande ampleur en bouche. Il m'avait conquise, en toute modération, cela va de soi.

Je me suis donc spontanément dirigée vers la table de dégustation du Clos des Terres Brunes.

Depuis 1784 ce domaine familial au coeur de la route des vins d'Alsace, à Mittelwihr, transmet de père en fils la même passion d'élever et vinifier des vins raffinés et racés, de grande qualité. Il est aujourd'hui dirigé par Stève Siegler.

L'AOC Alsace Pinot Gris 2020 qui y était proposé m'a convaincue immédiatement. Il est charpenté, rond et long en bouche. Excellent avec le foie gras, les rôtis et donc une côte de boeuf. Aussi bien à sa sortie du four que le lendemain, froid, avec des légumes en salade.
Une autre association, présentée il y a quelques jours, qui peut sembler surprenante et qui pourtant fonctionne très bien, en raison de sa palette aromatique, l'AOC Alsace 2021 "Les vignes du Prêcheur" du Domaine Weinbach avec des huîtres d'Oléron.
Renseignements utiles :
26, rue des merles - 68630 Mittelwihr

Domaine Weinbach, 25 route du Vin - 68240 Kaysersberg
03 89 47 13 21

CIVA : Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace
12 avenue de la Foire-Aux-Vins - BP 11217 - 68012 Colmar Cedex
03 89 20 16 20

samedi 26 novembre 2022

Récitatif de Toni Morrison

Je ne me serais sans doute pas arrêtée sur ce titre s'il n'appartenait pas à la sélection du Prix des Lecteurs d’Antony 2023 qui a été dévoilée ce matin à la médiathèque de la ville (et dans laquelle je suis heureuse de voir figurer 5 premiers romans, dont l'excellente Petite menteuse de Pascale Robert-Diard que j'ai lu cet été).

Récitatif est une nouvelle inédite de Toni Morrison, auteure afro-américaine multirécompensée, Prix Nobel de Littérature.
Twyla et Roberta ont huit ans lorsqu’elles se rencontrent au foyer de St-Bonaventure. L’une est noire; l’autre est blanche. (Mais laquelle est laquelle? Nous ne le saurons jamais…) Quatre mois durant, les deux fil- lettes resteront inséparables, avant que la vie ne les éloigne. Des années plus tard, elles vont se recroiser brièvement, à plusieurs reprises, chaque fois dans des circonstances très différentes. Des retrouvailles souvent malaisées, jetant une lumière trouble sur un épisode de leur enfance, une scène en apparence anodine mais dont le souvenir ne les a jamais quittées – si tant est que ce souvenir soit fidèle à ce qui s’est réellement passé ce jour-là…
Suivie d’une magnifique postface signée Zadie Smith, cette nouvelle de 1983 (et publiée cette année-là aux USA), donc qui ne date pas d'aujourd'hui, est demeurée jusqu’à ce jour inédite en France, ce qui justifie sa place dans la sélection dont une des règles est d'avoir été publié dans le courant d l'année 2022.

C'est la seule qu’ait jamais écrite Toni Morrison. Tous les grands thèmes qui traversent son œuvre sont là – la question raciale, l’identité, la violence, la place des femmes dans l’histoire et dans la société, les pièges et les sortilèges de la mémoire… En une poignée de pages bouleversantes, aussi limpides que vertigineuses, Récitatif nous offre la quintessence d’une des voix les plus inoubliables de la littérature américaine contemporaine.

Qui est la noire, qui la blanche ? On ne le saura pas, malgré les indices, souvent contradictoires et très formatés, qui sont pour la plupart des idées reçues, que l'auteure nous donne au fil des pages et qui à chaque fois induisent un point de vue. Car rien n'est laissé au hasard. Mais est-ce capital de trouver la réponse à l'énigme puisqu'il est établi que l'égalité est de règle ?

Le texte a été conçu comme "l'expérience d(ôter tous les codes raciaux d'un récit concernant deux personnages de races différentes pour qui l'identité raciale est cruciale" nous dit Toni Morrison.

L'essentiel est que le lecteur ait honte de la manière dont sont traités ceux qui sont impuissants.. Pour affirmer leur identité les deux protagonistes n'ont d'autre voie que de reléguer les moins bien loties qu'elles mêmes, comme le personnage handicapée de Maggie.

Récitatif de Toni Morrison, Traduit de l’anglais (États-Unis) par Christine Laferrière, Postface de Zadie Smith, Christian Bourgois éditeur, sortie le 17 août 2022
Sélectionné dans le cadre du Prix des Lecteurs d’Antony 2023

vendredi 25 novembre 2022

Que servir avec des huîtres ?

Les fêtes de fin d'année s'annoncent le mois prochain et vous allez sans doute vous poser la question du choix du vin avec un plateau d'huîtres.

Evidemment vous pouvez, surtout si vous êtes dans la région d'Oléron ou de Marennes, opter pour un vin local, comme le Péchapié. Un vin blanc sec, léger et rafraichissant, biologique d’assemblage, réunissant les caractéristiques des deux cépages Sauvignon et Colombard, proposé par l'exploitation Favre, à Saint-Pierre-d'Oléron.

Il y a quelques mois je l'avais recommandé pour accompagner des huîtres au barbecue, que j'aime particulièrement faire en été. Cette fois-ci, étant allée à une dégustation de vins d'Alsace c'est un cépage de cette région que j'ai voulu associer.



J'aurais pu me tourner vers un Riesling, en élisant un profil minéral, ou bien sûr aussi un Sylvaner très sec. Ce sont des options assez traditionnelles alors que je voulais m'orienter vers davantage d'audace et aussi de gourmandise.

J'avais immédiatement eu un a priori positif pour servir avec les huîtres, l'AOC Alsace 2021 "Les vignes du Prêcheur" du Domaine Weinbach et l'association se révéla à la hauteur de mon souhait.
Les Vignes du Prêcheur est une cuvée issue de vignes plantées en contrebas du Grand Cru Kaefferkopf, sur des sols sablo-argileux, et en conversion biodynamie.

Ce vin est le résultat d’un assemblage de cinq cépages alsaciens issus du même terroir où le Riesling est majoritaire à 40 %, Auxerrois à 30 %, Pinot gris 20 %, Sylvaner 5 % et Muscat 5 %. 

La bouche se montre à la fois ample et légère avec une grande générosité, le tout sur une trame acidulée, ample au départ, avec des arômes séduisants de fleurs blanches, des notes de pêche et d'abricot puis, très vite, de melon d'eau et de concombre, avant une finale vive sur une pointe saline.

Ce sont ces aspects qui m’ont instantanément persuadée que l’association avec les huîtres pouvait être heureuse. Et je ne me suis pas trompée.


La taille est courte pour préserver de faibles rendements. Les vendanges sont manuelles. Le pressurage est doux et lent en grappes entières, en pressoirs pneumatiques, avec une fermentation par levures indigènes en vieux foudres en chêne où l’élevage se poursuit pendant huit mois.

L'étiquette est classique, évoquant l'authenticité et l'ancien temps alors que la tendance serait plutôt à la modernité mais je trouve qu'elle correspond parfaitement à ce vin sec et aromatique qui conviendra aussi avec une volaille en sauce ou un risotto aux champignons Pourvu qu’on le serve aux alentours de 10-12°C.


La présence, quoique subtile, de muscat, permet de le servir aussi avec les petits gâteaux de Noël spécifiques de la période de Noël en Alsace.

Il faut s’arrêter sur ce Domaine Weinbach, étymologiquement "ruisseau du vin", du nom du petit cours d’eau qui le traverseFondé en 1612 par les Moines Capucins et vendu comme bien national à la Révolution Française, il a été acheté en 1898 par les frères Faller.

Le décès, en 1979, de Théo Faller, grande figure du vignoble alsacien, a placé ses filles, Colette et Catherine, devant le défi d’être parmi les premières femmes en France à la tête d’un domaine viticole de renom, reconnu pour élever des vins caractérisé par leur précision et leur majestuosité, d'autant plus que les cuvées présentent des doses de soufre réduites sur chaque millésime.

De fait, dès 1998, le Domaine a fait des essais sur certaines parcelles en biodynamie, et en 2005 ce sont les 28 hectares qui ont été convertis, certifiés Ecocert et Demeter. Aujourd’hui épaulée par ses fils Eddy (que j'ai eu la chance de rencontrer à Paris) et Théo, Catherine Faller est reconnue comme étant une grande dame des vins d’Alsace et réputée pour ne jamais cesser d’amener ses terroirs toujours plus haut.

La meilleure preuve m'en fut donnée par l'AOC Alsace 2021 dit "MVO" composé de deux tiers de Gewurtraminer et d'un tiers de Pinot gris, dont l'étiquette obéit davantage aux nouveaux codes en vigueur (comme quoi ce Domaine n'a pas fini de surprendre). J'ai été séduite par cet assemblage au cours de la dégustation qui avait suivi la master-class mais j'ai voulu me limiter tout en pensant que j'y reviendrai peut-être un autre jour.
Renseignements utiles :
Domaine Weinbach, 25 route du Vin - 68240 Kaysersberg
03 89 47 13 21

CIVA : Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace
12 avenue de la Foire-Aux-Vins - BP 11217 - 68012 Colmar Cedex
03 89 20 16 20

jeudi 24 novembre 2022

Le Moulin de Pont Rû, lieu d'accueil et de reconstruction de femmes victimes de violences

J'ai aujourd'hui passé une journée dans un lieu étonnant, à bien des titres. Avec les responsables d'une association innovante, dynamique et à l’écoute... dont certains sont photographiés ci-dessous, mais il faut avoir à l'esprit qu'ils sont 19 salariés, 20 prestataires et 70 partenaires à oeuvrer dans le même sens.

L’association le Moulin de Pont Rû est installée depuis 2018 dans un ancien moulin du XVIII°, qui fut aussi une briqueterie et un bureau d'architectes, au cœur du Vexin, à une heure de bus de la gare RER de Cergy-le-Haut, sur un territoire francilien aux enjeux multiples pour une cause noble et riche en engagement dans l’accompagnement temporaire des femmes victimes de violences et de leurs enfants.

Il ne faut pas oublier que les chiffres sont épouvantables, ce qui justifie, comme le rappelait Xavier Delarue, Préfet à l’Egalité des Chances, que la lutte contre ce fléau soit une des priorités du quinquennat. Une Journée Internationale de lutte contre les violences faites aux femmes a lieu pour mettre en lumière des actions comme celles de cette association.f

Si plusieurs femmes acceptaient de témoigner en nous offrant des sourires radieux, j'ai préféré, pour des raisons évidentes de sécurité, flouter le visage de la seule qui apparait sur le cliché qui se trouve en tête de l'article.

Le travail est immense et ardu. Les résultats semblent très encourageants. Même si ce ne sont pas moins de 50 000 places qu'il faudrait pour accueillir toutes les femmes concernées par ce fléau. Les statistiques le disent : environ 4 femmes victimes de violences sur 10 ne se voient proposer aucune solution quand elles demandent un hébergement ;

S.eules 12% environ des demandes d'hébergement effectuées par des femmes victimes de violences aboutissent à une orientation sur une place adaptée à leur parcours spécifique. Entre 20 000 et 30 000 femmes auraient aujourd'hui besoin d'un logement pour sortir des violences. Et il faut avoir à l'esprit que si la mise à l'abri est essentielle il ne faut pas oublier la reconstruction.
Comme rien ne serait possible sans l'investissement de personnes, je citerai d'abord les fondateurs Alan Caillaud et Nathalie Guillaume (portant un grand foulard à motifs), ainsi que Garance Couturier (veste rouge) qui est la responsable des séjours de ressourcement.
Sans oublier Guila Clara Kessous, artiste de l'UNESCO pour la paix et aujourd'hui Maîtresse de cérémonie (veste noire). Mais encore une fois chaque intervenant mériterait d'être cité, bien que je pense qu'il préfère rester dans une certaine pénombre.

Le domaine a été acheté en 1984 par la fondatrice avec le père de ses enfants et ils ont ensemble accompli un gros travail de rénovation. Les enfants ont grandi. Des évènements heureux et graves se sont succédés. Des années plus tard, cet endroit se transforme et rassemble une équipe bienveillante et formée pour accueillir des femmes victimes de violences afin que leurs difficultés ne soient plus une entrave mais une force.

500 bénévoles sont passés ici depuis 2018 en chantier d'insertion. Chaque salarié a été bénévole avant de devenir permanent. Garance n'échappe pas à ce qui pourrait être une règle. Elle nous a expliqué que l'emploi du temps des femmes dont elle s'occupe s'organise en plusieurs temps. Les matins sont consacrés à l'apprentissage de la gestion des émotions par la relaxation, et des activités de bien-être.

Les après-midis à des ateliers artistiques ou sportifs et au retour à une alimentation saine. L'environnement est propice au ressourcement et à l’expérimentation d’activités hors-normes : boxe, équithérapie, canoë, sauna et bien d’autres encore.

Les soirées s'organisent autour d'un thème. Il y en a notamment une consacrée à un spectacle où les artistes sont les femmes elles-mêmes. Elle conduira en 2023 8 séjours de femmes seules et deux avec enfants.

Cela peut sembler peu et c'est déjà beaucoup car l'association mène beaucoup d'autres actions. Cependant,  comme l'a souligné Alan Caillaud, il existe des rencontres providentielles. Une maison voisine sera prochainement mise à disposition à titre gracieux pour une durée de 15 ans. Le projet est en cours de finalisation (avec le concours de multiples associations, fondations, mécènes et partenaires publics et privés) et permettra bientôt une cinquantaine d'accueil supplémentaires qui pourront s'étaler sur 6 mois.

mardi 22 novembre 2022

Ma Vie en aparté

Bérengère Dautun est une très grande interprète et elle le prouve encore avec rôle écrit et mis en scène pour elle par Gil Galliot.
Edwige, professeure de théâtre dirige une jeune actrice dans Phèdre. On s’aperçoit rapidement que Phèdre a eu une implication dans la vie privée d’Edwige. Un secret dont elle sera obligée de se délivrer. Dans un jeu de miroir permanent — hanté par un souvenir douloureux — les deux actrices naviguent entre le Réel et son Double…
Le texte de Ma Vie en aparté est très riche. On a régulièrement envie de dire "stop" le temps d'en méditer les paroles. Et, bonne nouvelle, il va prochainement être disponible m'a dit Bérengère à l'issue de la représentation.

C'est autant un texte qu'on a envie d'entendre que de lire. Surtout quand on connait bien la comédienne dont le roman Christian Cabrol, mon amour apportait déjà beaucoup de réflexions sur le théâtre.

Il y a dans ce spectacle tous les ingrédients qu'on aime trouver : l'humour (Elle n’est plus toute jeune mais elle a encore beaucoup d’énergie pour son âge), les indices biographiques (Je fais chaque jour ma barre au sol), les réflexions existentielles (L’alexandrin nous oblige à l’humilité) ou philosophiques (Le refus est la source de tous les possibles).

C'est une ode au théâtre, la célébration du spectacle vivant, dans ce qu'il a de plus pur, le jeu des comédiens, sans décor, sans presque d'accessoires, mais avec une bande son et des éclairages conçus pour mettre en relief et en valeur deux belles personnes.

Berengère est accompagnée d'une jeune actrice dont on va entendre parler tant elle joue avec justesse, Clara Symchowicz. Il est vrai qu'elle est à bonne école avec une telle professeure.

Bérengère est capable d'humour mais elle est avant tout une grande tragédienne. Ses mains reflètent des émotions d'une manière qui m'impressionne et me touche.
Dans un va-et-vient constant entre l’être et le paraître, l'auteur interroge sur la vieillesse, sur la mort, sur la peur, d'une telle façon qu'on oublie souvent que nous sommes au théâtre, tant la "vraie" vie en est proche. Ce doit être cela, l'art … Et je retiens cette pirouette que je pourrais reprendre à mon compte : Je n’ai pas eu un trou, j’ai marqué un temps.
Ma Vie en aparté
Texte et mise en scène de Gil Galliot
Bande-son de Pascal Lafa
Lumières de Gil Galliot et Alfred Lev
Avec Bérengère Dautun et Clara Symchowicz.
Au Studio Hébertot
78 bis Boulevard des Batignolles
75017 Paris 
Le lundi à 19 heures, le dimanche à 17 heures

lundi 21 novembre 2022

Master class autour des Vins d’Alsace

Je connais plutôt bien l’univers des Vins d’Alsace, pour avoir assisté à plusieurs master-class et parce que j’ai vécu plusieurs années dans cette région que j’affectionne.

J’ai été invitée aujourd’hui à suivre une master-class, réservée aux professionnels, qui avait lieu à Ground Control (81 rue du Charolais à Paris) sous la forme d’une dégustation commentée de 6 vins autour de la question : La fraîcheur, juste une question de température ? coanimée par Gabriel Lepousez, docteur en neurosciences et chercheur à l’institut Pasteur et Thierry Fritsh, œnologue et conférencier au Conseil Interprofessionnel des Vins d’Alsace - CIVA.

Nous avons été accueilli par un des responsables du CIVA qui nous a fait remarquer qu'un véritable vent de fraîcheur s'observait dans les vignes et les caves, dans la dynamique commerciale, et même jusqu'aux étiquettes (auxquelles je serai attentive dans la seconde partie de l'après-midi au moment de la dégustation libre aux tables de 16 producteurs alsaciens, en toute modération cela va de soi).

Il annonça une nouvelle campagne de communication qui devrait témoigner de l'importance de cet axe. Enfin il a confirmé l'organisation du deuxième Salon Millésimes Alsace – DigiTasting® les 27-28 février et 1er mars prochains, réitérant ainsi la formidable expérience imaginée parce que le COVID privait les producteurs des rencontres avec les amateurs et leurs clientèles. (pour lire les comptes-rendus des dégustations digitales 2021 suivre ici).

Aucun autre territoire n’offre une telle diversité de sols, au-delà de la douzaine, à tel point qu'il serait impossible de dessiner une carte géologique, si bien que le même cépage donnera des arômes différents à quelques kilomètres de distance. C’est donc peu dire combien les vins d’Alsace peuvent être riches de belles surprises. Thierry Frisch a souligné combien la région faisait référence en terme de vin blanc étant donné l'ampleur de sa gamme.

En terme de cépages, leur nombre a été réduit depuis le Moyen-Age où ils étaient une quarantaine. Mais à la différence des autres régions françaises, l’Alsace demeure riche en variétés. On en compte 7 principaux :
  1. le Riesling, de couleur verte et de robe pâle. Il développe en bouche une petite note fruitée et florale.
  2. le Pinot Blanc reconnaissable à sa robe jaune pâle. Il laisse une note fruitée en bouche sans pour autant aller dans l’excès grâce à sa douce acidité.
  3. le Pinot noird’un rouge très soutenu. Il est fruité et léger avec une note plus prononcée lorsqu’il est vieux.
  4. le Pinot Gris, jaune doré., apprécié pour ses notes assez fumées et sa noblesse.
  5. le Sylvaner, à la robe claire aux reflets verts. Il est assez léger et offre une fraîcheur très appréciable. 
  6. le Muscat, jaune clair, qui reste un vin puissant avec quelques douces notes florales. 
  7. le Gewurztraminer, jaune léger avec des reflets dorés. Gras et corsé, il procure un résultat explosif en bouche avec un arôme original.
Selon Gabriel Lepouzez, la fraîcheur fait référence à des sensations à la fois olfactives, gustatives et tactiles. Ce terme est, au même titre que minéralité, un descripteurs hybride et multi-sensoriel qui peut porter à confusion. Cette Master-class nous invite à préciser notre définition et la perception de la fraîcheur à travers différents profils de vin proposés presque à l’aveugle puisque si le nom nous était communiqué, nous n’avions ni la bouteille ni l’étiquette à disposition. Or on sait combien ces éléments induisent le jugement, ce qui se confirmera plus tard au cours de la journée : côté étiquetage, les vins d’Alsace ont fait des progrès de modernité énormes.

L’ordre de dégustation des 6 vins retenus était imposé, quoi qu’il ne fut pas rigoureusement impossible d’inverser l’un avec l’autre. Il allait de soi que le Crémant serait proposé en fin de dégustation plutôt qu’au début. De même, de toute évidence pour un Vendanges tardives.
Pour commencer, deux AOC Alsace Grand cru Riesling 2018 :

dimanche 20 novembre 2022

Deux mains, la liberté

Il y a eu une certaine pression (amicale, je dois le reconnaitre) pour que je vienne voir Deux mains la liberté au Studio Hébertot qui est, je le précise tout de suite, un excellent spectacle, formidablement bien interprété.  

J’en ai donc vite parlé autour de moi sans me douter que j’allais essuyer une pluie de quasi reproches : mais comment donc, tu ne connaissais pas cette histoire ? ! Tu n’as pas lu le livre de Joseph Kessel, Les mains du miracle (Gallimard, 1960, réédité en Foliio en avril 2013) ?

Les mieux informés invoquaient l’ouvrage de l’historien François Kersaudy dans le livre approfondi qu'il a consacré à l'affaire en 2021. Cette histoire est connue de tout le monde. La meilleure preuve est que ce soi-disant médecin (il était masseur) Felix Kersten, a été cité à 7 reprises pour le Prix Nobel de la paix et ne l’a jamais eu.

Je me suis donc plongée dans de (petites) recherches historiques afin de comparer ma prise de notes à ce que je pouvais glaner comme informations. Il est vrai que les faits sont abondamment documentés et on peut dire que grosso modo Antoine Nouel a respecté la vérité historique.

Ce qu’il faut savoir : Himmler, avec l'aide de Reinhard Heydrich, son adjoint direct de 1931 à juin 1942, porte la responsabilité la plus lourde dans la liquidation de l'opposition en Allemagne nazie et dans le régime de terreur qui a régné dans les pays occupés ; les camps de concentration et d'extermination dépendaient directement de son autorité et il a eu la charge de mettre en œuvre la Shoah. En fuite après la capitulation allemande, il est arrêté par les troupes britanniques, mais parvint à se suicider à l'aide d'une capsule de cyanure au moment même où son identité est découverte, échappant ainsi à la justice.

Felix Kersten, né en 1898 à Tartu (gouvernement de Livonie) et mort en 1960 à Hamm (Allemagne), est un masseur, médecin en thérapie manuelle, qui a soigné des membres de la famille royale des Pays-Bas, ainsi que le chef des SS, Heinrich Himmler. En utilisant son influence auprès de lui il a, entre autres, obtenu la libération de milliers de prisonniers détenus dans des camps de concentration. On estime à 100000 personnes de diverses nationalités, dont environ 60 000 Juifs le nombre de personnes sauvées au péril de sa vie.

Il n’empêche que la personnalité de cet homme de science est pour le moins ambigüe d’autant qu’il a tiré des avantages personnels à l’amitié qu’il a nouée avec Himmler. Sur le plan éthique, on peut s’interroger sur ses motivations puisqu’il n’a pas d’emblée exprimé de quelle manière il attendait rémunération pour ses services. On peut aussi estimer que s’il n’avait pas été guéri de ses souffrances, Himmler n’aurait peut-être pas pu (d’ailleurs le personnage le dit dans le spectacle) travailler aussi bien et avec autant d’efficacité et que donc il y aurait eu moins de victimes. Bref, quoi qu’il en soit, je ne vais pas m'appesantir et ne veux pas refaire l’histoire avec un grand H puisque derrière cette majuscule tout est complexe et tortueux. Je ne veux juger que l’aspect artistique.

Encore une fois, ce spectacle est excellent parce qu’il tient le public en haleine, parce qu’il est fondé sur des faits réels (quoique connus de ceux qui s'intéressent à cette période), ce qui donne à cette trame narrative qui demeure effectivement étonnante et qui a priori pourrait passer comme une affabulation, une cohérence et une crédibilité tout à fait honorables.

J’ajouterai que la création s’inscrit dans une vraie histoire d’amitié. Les trois interprètes se connaissent de longue date. Ils travaillent souvent sur des doublages son. 
C’est le comédien Philippe Bozo (qui interprète Himmler) qui signe la bande-son. Le fait d’avoir choisi une musique assez rythmée, qui évoque les films d’aventure américains, pour accompagner l’entrée du public et de la faire suivre par l’annonce de la libération des prisonnières du camp de Ravensbrück (qui sera attribuée à l’influence de Kersten) est tout à fait judicieux parce qu’on installe un certain côté positif qui correspond à l’esprit que le metteur en scène a sans doute voulu transmettre.

L’image du train, des rails, l’entrée (ultra connue) de Auschwtiz, reconnaissable à l’inscription Arbeit macht frei (qui figurait aussi à Dachau, Gross-Roben et Sachsenhausen) met le spectateur en condition … même s’il ne s’agit pas de Ravensbrück dont l’entrée était différente. J’ignore à quoi correspond le bruit de cloches. Disons qu’il annonce l’entrée des personnages.

Ensuite, la mise en scène est sobre. Les rencontres entre le médecin et son patient peu ordinaire se succèdent avec quelques brefs entretiens avec le secrétaire particulier d’Himmler, dont on a raison de souligner son rôle actif dans le sauvetage des prisonniers. Malheureusement la justice ne lui en saura aucun gré puisque Kersten ne réussira pas à lui éviter la pendaison.

Le jeu des comédiens est intéressant. Les rôles ne sont pas faciles à endosser et aucun ne verse dans la caricature. Même le personnage d’Himmler est très proche de la réalité, notamment au niveau physique, avec sa coupe de cheveu si particulière et ses lunettes rondes. Bien entendu les costumes sont eux aussi irréprochables. En tout cas chacun est crédible et c’est l’essentiel. Le soir de ma venue c'était Éric Aubrahn qui interprétait Brandt mais je suis certaine que Franck Lorrain (que j'ai déjà vu sur scène) est tout autant excellent.

Quelques notes d’humour ponctuent aussi des répliques qui contribuent à alléger un spectacle qui aurait pu être insoutenable étant donné le sujet. Ainsi doit-on d’entendre que les Anglais c’est pas pour rien que Dieu les a mis sur une île.

Je n’ai pas été dérangée par l’aspect exagérement « sympathique » de Himmler, à chaque fois qu’il consentait à des libérations. Le fait qu’il ne veuille pas les accorder toutes mais que son aide de camp majore le nombre fait sourire sans arrière-pensée car on sait bien -à ce moment là- que nous sommes au théâtre. On sait que la réalité fut autrement plus horrible mais on peut la mettre de côté un instant. Si on accepte cette position, on peut alors apprécier les subtilités de jeu et c’est ce pour quoi on est venu. Ou alors, lisons un compte-rendu historique.

Je n’ai pas davantage été choquée par les qualificatifs pompeux du nazi traitant son bienfaiteur de magicien, génie, et même de Boudha magique. L’entendre parler d’amitié sans être contredit est plus malaisant. Et plus tard lorsque s’adressant au public il demande Et vous qu’est-ce que vous feriez à ma place ? … On réfléchit à la question. Aurions-nous trouvé une solution pour que toute cette horreur s’arrête ? Sans doute non, sinon la catastrophe actuelle (de la guerre d’Ukraine) n’aurait pas commencé. Et c’est là aussi que le spectacle résonne dans l’actualité.

Nous sommes sans doute un instant perdus dans nos pensées quand Antoine Nouel regarde ses deux mains et nous parle de liberté alors que le rideau est tiré. On pense à la sublime affiche du spectacle. On croit la représentation terminée et on applaudit. Mais il reste des moments à partager.

L’emploi du Chant des partisans alors que s’égrène la liste de ceux qui survivront est riche d’émotion. Surtout si on sait que la musique a été composée en 1941 par Anna Marly pour devenir l’hymne de la Résistance pendant l’occupation nazie. Deux ans plus tard, ce sont Joseph Kessel et son neveu Maurice Druon qui écrivirent les paroles. La mélodie, sifflée, devint l’indicatif d’une émission de la France libre diffusée par la BBC. Les jeux de lumière sont eux aussi très réussis.

Le public sera convaincu par le propos autant que par l’interprétation. Il n’y a pas à hésiter à qualifier ce spectacle de nécessaire. Et je suis heureuse de pouvoir d’ores et déjà annoncer sa reprise au Théâtre Lepic à partir du 13 décembre.
Deux mains, la liberté
De Antoine Nouel avec la participation de Frank Baugin
Mis en scène par Antoine Nouel
Avec Antoine Nouel, Philippe Bozo et Franck Lorrain en alternance avec Éric Aubrahn
Lumière : Denis Schlepp
Son et images : Philippe Bozo
Au Studio Hébertot depuis le 1er septembre au
78 bis Boulevard des Batignolles - 75017 Paris 
Du jeudi au samedi à 21 heures
Le dimanche à 14 h 30

vendredi 11 novembre 2022

La fille de Deauville de Vanessa Schneider

Nous ne nous souvenons sans doute pas combien les années 80 furent angoissantes et ponctuées d'actions terroristes plutôt "radicales". Comme si les attentats des années 2015 avaient tout effacé. Je reconnais qu'en terme de nombre de victimes ils furent terribles. Il n'empêche que Vanessa Schneider nous rappelle que la lutte armée a été une voie choisie pour secouer le capitalisme et les classes dirigeantes qui l’incarnent.

Si elle intitule son roman La fille de Deauville c'est sans doute pour partie pour pointer que les femmes ont pris part à ces mouvements qui jusque là étaient plutôt le domaine réservé des hommes. Mais, bien entendu l’auteure analysera aussi finement la psychologie des trois autres leaders du groupe. 

Ils ne sont pas nombreux mais la lutte armée dans laquelle ils se sont engagés met le pays à feu et à sang. Le nom de leur groupe annonce la couleur : Action directe, dite AD. Ils savent tout faire : braquages, attentats à la bombe, et bientôt assassinat. Les terroristes frappent et disparaissent aussitôt en revendiquant leur acte et en programmant déjà le suivant.

Je me souviens de leurs photos placardées partout et de l'énormité des récompenses promises par la Police à qui fournirait des renseignements sérieux. Je me rappelle de leur arrestation en 1987 d'autant plus que je connaissais la région du Loiret où le quatuor s'était planqué.

Joëlle Aubron était l'une des deux femmes. Elle a été condamnée à la réclusion criminelle à perpétuité, assortie d'une période de sûreté de dix-huit ans. Après avoir été opérée d'une tumeur au cerveau, elle est libérée le 16 juin 2004 et sa peine est suspendue (par la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades). Je me rappelle aussi de l'annonce de sa mort des suites de ce cancer, le 1er mars 2006, à l'âge de quarante-six ans.

A signaler Nathalie Ménigon, la seconde femme du groupe, a elle aussi été condamnée à la même peine. Elle a été libérée en août 2008 après plus de 20 ans de prison. Elle souffre des séquelles d'une hémiplégie causée par deux accidents vasculaires cérébraux ayant eu lieu durant sa détention.

Outre l'intérêt historique de ce livre qui reprend avec minutie la chronologie de ces années noires, La fille de Deauville est aussi un roman qui éclaire le parcours d'une jeune femme qui n'est pas née dans des classes sociales défavorisées mais qui deviendra une meurtrière déterminée, notamment celle de Georges Besse, le grand patron de Renault, estimé de tous.

Vanessa Schneider réussit à nous faire comprendre comment cette jeune fille à l'air sage va basculer, malgré tout l'amour de ses parents, dans une folie révolutionnaire dont elle nous donne les clés. On a beau connaitre l'issue, on est happé par cette reconstitution, qui ne prétend pas à l'exactitude au mot près puisque le policier-enquêteur est intentionnellement un personnage de fiction.

Cet homme, italien d'origine, est lui aussi régulièrement animé par des envies de violence (p. 142) qui auraient pu l’amener à dépasser les limites s'il ne s'était pas trouvé en quelque sorte du "bon côté" de l’ordre public. Ce contexte apporte une force supplémentaire au roman et si Vanessa Schneider était une romancière habituelle du genre policier on verrait facilement "son" Luigi Pareno en héros récurent dans un autre opus.

La traque est bien rendue autant du côté des terroristes que des policiers qui, à cette époque, ne disposaient sans doute pas de l'arsenal de moyens qu'ils ont aujourd'hui. On comprend le rôle fondamental des indics, des façons de procéder de la police, sans pour autant révéler des secrets. Luigi Pareno, solitaire et douloureux, méthodique et taciturne, y consacre toute son énergie, sa rage et ses obsessions.

Cette jeune femme à l’air bon chic bon genre, découverte pour la première fois à Deauville, d'où son nom de code, occupe particulièrement ses pensées. Pareno l’observe à distance, des rues de Paris à la cellule de Fleury-Mérogis où elle est un temps incarcérée (mais libérée par grâce présidentielle par François Mitterand après son élection), d’une planque en Belgique au Loiret enneigé où elle se cache avec ses compagnons Jean-Marc Rouillan, Nathalie Ménigon et Georges Cipriani.

Ses sentiments à son égard semblent ambivalents, entre haine et curiosité. Son métier a un impact important sur la vie affective du policier et cet aspect est un autre des points forts de son livre. Il a très peu d’expérience des choses de l’amour mais on découvre un homme sincère, cherchant à bien faire dans la relation qu'il tente de nouer avec une enseignante, Chantal, elle aussi meurtrie, même s’il n’y parvient pas toujours.

Même si l'auteure n'accorde pas de vraies circonstances atténuantes à la meurtrière, elle nous permet de comprendre son mode de pensée en lui attribuant des réflexions (que l’on repère à la typographie en italiques) conférant ainsi une certaine humanité, en particulier lorsqu'elle s'adresse à ses parents ( p. 207).

Ironie du sort, elle profite de son premier séjour en prison pour passer le bac qu'elle n'avait jamais réussi et entamer des études de philosophie. Elle ne se plaindra de rien à sa sortie. Le roman de Vanessa Schneider appuie sur ses failles mais aussi ses forces, une sorte de courage, à moins que ce soit de l’inconscience. Elle n'en fait jamais un portrait complaisant, la montrant ratant la confiture la plus simple. Mais elle nous dépeint aussi une Joëlle qui a le sentiment de vivre une aventure exaltante. Honnêtement, il y a de quoi.

Plonger dans la lutte armée n’est ni une promenade de santé, ni un barbecue improvisé sur une plage landaise. (…) peu de gens sont intrinsèquement aptes à se lancer dans une guerre. Engager aussi son intégrité physique, son corps, son sang, sa peau et sa sueur nécessite d’abord d’être prêt politiquement, de n’avoir aucun doute sur la justesse de la cause (p. 60)

Vanessa Schneider a un regard de journaliste et apporte un éclairage sur cette période qu’elle nous permet de mieux comprendre. Elle a d'amères paroles pour qualifier la façon déplorable dont les médias traitent l’assassinat de Georges Besse, notamment la tenue clownesque d’un journaliste du JT (p. 218). Elle explique aussi pourquoi le capitalisme était à ce point devenu la bête noire des terroristes. En particulier en raison des licenciements et des fermetures d’usine. Par comparaison, le mouvement des gilets jaunes semble très modéré.

La fille de Deauville de Vanessa Schneider, Grasset, en librairie depuis le 9 mars 2022

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