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lundi 22 août 2011

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan

(dernière mise à jour 7 sept 2011)
L'an dernier c'était Geneviève Brisac qui m'avait bouleversée avec Une année avec mon père. Cette rentrée littéraire est fournie elle aussi de livres écrits sur ou autour de la perte d'un proche. David Foenkinos évoque le décès de son grand-père. Charles Berling celui de sa mère. Delphine de Vigan consacre un livre à la mémoire de la sienne. Et Jean-Philippe Blondel à tout un pan de sa famille.

Chacun a été accompagné par une chanson. Osez Joséphine de Bashung pour Delphine qui lui emprunte le titre de son livre. Rich de Lloyd Cole pour Jean-Philippe.

Tous deux écrivent cependant dans un style et une forme radicalement différents. La première a pris la plume presque à chaud alors que le second a laissé s'écouler une vingtaine d'années. Elle a fouillé la réalité. Il a cherché à la fuir. Elle a mené une enquête. Il a laissé affleurer les souvenirs. Elle se tourne vers la nuit. Il scrute les levers de soleil.

L'un comme l'autre ne sont pas écrivains de métier. Ils ont commencé à écrire alors qu'ils exerçaient une profession exigeante, en termes d'horaires ou d'implication. Quand on a la discipline de démarrer sa journée à 5 heures du matin devant un clavier cela augure forcément qu'un jour ou l'autre on cèdera à l'autobiographie. Delphine de Vigan avait déjà beaucoup livré d'elle-même dans ses précédents romans. Mais l'anorexie et le harcèlement au travail ne sont que de faibles maux comparativement à la perte d'un proche, même si on sait que la mort est inéluctable de la vie.

De son coté Jean-Philippe Blondel nous avait offert une joyeuse récréation en nous racontant ses heures passées dans la classe G 229 où il officie en qualité de professeur d'anglais.

La chronique d'aujourd'hui devait se focaliser sur ces deux auteurs que j'ai lus dans un même souffle mais par crainte de "faire trop long" je n'en publierai aujourd'hui que la première partie.

Le livre de Delphine de Vigan surprendra tous les lecteurs. C'est plus un journal qu'un roman. Il me semble que sa forme n'est pas complètement aboutie mais c'est cela qui, paradoxalement, participe à son intérêt. Elle a déjà reçu le Prix Roman Fnac 2011 ! Et elle est annoncée en première sélection du Goncourt 2011.

En 2008 c’est elle qui découvre sa mère, Lucile, quelques jours après son décès à l’âge de soixante et un an. Outre la tristesse et le désarroi, elle éprouve surtout le sentiment d’être victime d’un abandon. Peut-être un cocktail de culpabilité (les enfants se sentent toujours responsables des souffrances de leurs parents ou du moins ils craignent d’y être pour quelque chose). Alors à la fois pour tenter de comprendre et d’admettre, Delphine se met à fouiller la vie de sa mère.

Elle ne sait pas encore au juste ce qu’elle cherche, ne pouvant cette fois maitriser la trajectoire de ses personnages, dont elle ne connait que la fin de l’histoire. Suicidée, en quelque sorte, estimera le petit-fils. Foutue en l’air, écrira-t-elle, et avec de bonnes raisons d’en arriver là (p.16). Et c’est là le sujet. Non pas le pourquoi de cette fin mais le comment de ce temps étiré à l’extrême, jusqu’à ce qu’il soit devenu impossible de poursuivre.

Courageusement, là où d’autres auraient esquivé les images peu glorieuses ou les auraient modifiées (Personne n’y aurait trouvé à redire puisque le livre affiche son appartenance au genre du roman) Delphine de Vigan va creuser franchement malgré une souffrance palpable. Quand on cherche on trouve, parfois plus qu’on ne souhaite. Et c’est toute la famille qui trinque.

La vérité apparait par à coups. Car le lecteur ne peut s’empêcher de penser que c’est pour de vrai, en quelque sorte … même si nous avons tous pleinement conscience de glisser dans un sujet galvaudé qui flirte entre la fiction et la réalité. Le voyage conduira l’auteur très loin sur le terrain miné de sa propre enfance, et nous avec, assistant à son dédoublement entre la femme qu’elle est, la fille qu’elle fut, et la romancière qu’elle demeure.

La façon qu’a l’auteur de désigner Lucile par son prénom, comme elle parlerait d’une amie ou d’une sœur la met à distance. Essayez de penser à votre père ou à votre mère ainsi. Cela change tout.

Autant elle extériorise la relation, autant le lecteur fait le chemin inverse. Il entre dans cette famille si particulière, du moins peut-on l’espérer, où personne n’est à sa place. Ou l’on vouvoie ses enfants tout en pratiquant le naturisme. Cela trouble. Et moi par-dessus tout parce que j’ai enregistré des concordances de temps, d’espace et de nom avec cette famille joyeuse et dévastée.

Delphine de Vigan savait sa mère maniaco-dépressive. Une maladie dont on ne guérit pas encore et sur laquelle quelques livres-témoignages permettent à peine à lever le voile. Elle cite d’ailleurs l’Intranquille de Gérard Garouste (p.113). On pense aussi à Personne de Gwenaëlle Aubry, publié la même année au Mercure de France, et couronné par le prix Femina.

Lucile avait bien d’autre raisons de craquer que le syndrome bi-polaire. Enfant modèle, elle posait pour des magazines. On sait les ravages que l’idéalisation peut provoquer chez un enfant en pensant au superbe film d'Eva Ionesco My little princess. Tout le monde ne sort pas indemne de la surexposition. Lucile fut un enfant de total mystère selon sa mère, Liane, dont le prénom est tout un programme. Quant à ce qu’elle fut pour son père …

Delphine de Vigan ne s’arrête pas à cette vérité là. Elle exhibe la vitalité de Lucile, son humour, son aptitude à la fantaisie, son énergie, non pas celle des phases maniaques mais la force qu’elle a mobilisée pour changer de métier et affronter le cancer.

Elle explore l’entièreté du lexique familial pour se délivrer des fausses images d’une mythologie étouffante, rêvant déjà, et nous avec, au livre qu’elle écrira après, lorsqu’elle sera délivrée de celui-ci (p.204) et qu’elle aura cessé d’avoir peur.

Jean-Philippe Blondel a fait le chemin inverse, publiant presque une dizaine de livres avant Et rester vivant, pour arriver à semblable conclusion en espérant que, désormais, plus aucun de ses livres ne sera un hommage. La seconde partie de cette chronique sera consacrée à son livre. Elle sera très prochainement mise en ligne ... et la voici ...

Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan, roman aux éditions Jean-Claude Lattès, en librairie depuis le 17 août.
Et rester vivant de Jean-Philippe Blondel, roman publié chez Buchet-Chastel, en librairie le 1er septembre 2011.


Précédent livre de Delphine de Vigan, les Heures souterraines, également chez JC Lattès, 2009

5 commentaires:

Sophielit a dit…

Beau billet...
Le Brisac m'avait secouée également, vraiment secouée.
J'attends ton avis sur le Blondel avant de me décider à le demander...

Anonyme a dit…

J'attends avec impatience ton avis sur le Blondel!

Marie-Claire Poirier a dit…

@ Sophie, tout à fait d'accord pour le Brisac qui arrivait juste au moment où mon papa allait très très mal.
@ à vous deux : La chronique sur le Blondel est programmée pour le 1er septembre à la demande de l'éditeur pour respecter la date de sortie en librairie.

hélène a dit…

je suis à la page 215 ce "rien ne s'oppose à la nuit". C'est le troisième livre de Delphine de Vigan que je lis après "No et Moi" et "les heures souterraines" que j'ai beaucoup appréciés. Là je trouve que l'auteur a franchi une marche de plus, on est dans la littérature et son écriture est remarquable de pudeur tout en assumant totalement ses dires. Je pense que ce livre marque véritablement un tournant pour elle.

Marie-Claire Poirier a dit…

Les heures souterraines étaient déjà en lice pour le Goncourt l'an dernier mais pour de nombreuses raisons ce livre va effectivement faire date.

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