Véronique Ovaldé avait créé de toutes pièces l'univers fantastique de Ce que je sais de Vera Candida publié en août 2009, Grand prix des lectrices de Elle en mai suivant. Un endroit situé dans un nulle part et néanmoins familier, en Amérique latine, baptisé Villanueva, où elle est revenue installer les personnages de son dernier roman. Avec la même propension pour l'insolite.
Adepte des très longues phrases qui peuvent se déployer sur une demi-page, et des digressions incessantes (elle peut ouvrir des parenthèses à l'intérieur d'autres parenthèses) l'écriture de Véronique est ornementée, luxuriante, panoramique, zoomant et dézoomant chaque plan sans relâche.
Elle a une façon toute personnelle de juxtaposer des mots savants ou des envolées lyriques à proximité d'expressions colorées ou populaires, bâtissant des oxymores en cascades. Un désordre sédimenté, des tragédies minuscules, voilà quelques ingrédients pour alimenter une lecture savoureuse.
Les références sont précises, exactes, vérifiables. Premier chapitre, deuxième paragraphe, l'allusion à un livre sur Valerie Jean Solanas, née le 9 avril 1936 dans le New Jersey, décédée le 26 avril 1988 à San Francisco, n'est pas fortuite. Cette femme était une féministe américaine notoire, connu pour son manifeste, et pour avoir tenté de tuer Andy Warhol.
Une immense recherche se combine à une extrême simplicité. A l'instar de ces palaces de marbre nu exhibant une orchidée orpheline dans un vase au long col élancé. L'écriture en devient en quelque sorte luxueuse. On peut affirmer qu'il existe désormais un style Ovaldé, surréaliste, composé d'élégantes associations d'images oniriques qu'un détail saugrenu fait promptement revenir à la réalité.
Exemple (p.24) : Quand il était gamin il voulait devenir professeur ou avocat ou ethnologue. Là d'où il vient, au village, personne ne sait ce que signifie le mot "ethnologue", alors il fanfaronnait en se croyant supérieur au reste du monde. Et finalement il est devenu flic. Ça tout le monde sait ce que ça veut dire.
Avec aussi ce qu'il faut d'humour pour que le lecteur ressente un agréable picotement. Comme, p. 180, avec cette voiture énorme (ridiculement disproportionnée) à la suspension surélevée pour parer à la montée des eaux et toiser vos contemporains qui se noieront.
Des vies d'oiseaux commence comme un roman policier. Véronique livre avec naturel toute l'histoire au fil des trente premières pages. Le lieutenant Taïbo n'est pas là pour démêler l'intrigue. Et pourtant le lecteur n'aura pas forcément saisi les indices qui lui sont offerts. Je lui conseille d'ailleurs de relire les premiers chapitres une fois le livre achevé.
On retrouve, comme dans le précédent ouvrage, des caractères féminins volontaires, animés par la quête d'un idéal, lequel n'est atteignable qu'avec le secours d'un homme. Qu'il s'agisse de Madame Izarra, Vida pour les intimes, ou de sa fille Paloma. Des noms romantiques par excellence si l'on songe à la boisson citée par Hemingway dans son premier roman, Le soleil se lève aussi.
Ou si l'on sait que les Basques émigrés en Amérique du Sud avaient débarqué avec des bouteilles d'Izarra, pour la savourer avec nostalgie en se souvenant que le mot veut dire étoile dans leur langue. Quant à Paloma personne n'ignore qu'il signifie colombe. Un nom de volatile pour des vies d'oiseaux.
Paloma et Adolfo sont d'infatigables coucous (p.127). Le bel Adolfo, l'étrange coucou que c'était (p.133). C'est dit et redit. Mais cela reste à décrypter. Les deux jeunes gens ne font pas que squatter des villas en l'absence de leurs propriétaires. Ils ont adopté le comportement des gamins qui font coucou en jouant à cache-cache. Et on ne peut pas s'appeler colombe sans devenir un vecteur de paix, à plus ou moins long terme.
Vida est une sorte de pigeon voyageur aimanté vers son village natal. Elle est aussi peu à sa place sur la colline Dollars que le bébé cygne au milieu de la couvée de petits canards. Son mari, Gustavo, a un comportement de coq qui ne cesse de faire penser à celui de Monsieur Arpel, le riche parvenu, adepte de modernité, qui s'est fait construire une villa somptueuse, mais totalement inadaptée à la vie de famille.
Le petit miracle c'est que Véronique Ovaldé nous embarque dans un imaginaire où nous avons notre place. J'entendais le crachotis constant d'un poisson-fontaine en bruit de fond. Je n'ai pas remis la main sur les photos que j'avais prises de la « scène du poisson » du film mon Oncle, réalisé en 1958 par Jacques Tati, et choisi par Christophe Mallemouche pour l'édition 2000 du Festival international des jardins de Chaumont-sur-Loire, mais j'ai trouvé un court extrait qui montre la reconstitution en studio de la maison du film, conçue initialement par le cinéaste en collaboration avec le décorateur Jacques Lagrange. Je n'ai pas pu résister à vous faire partager ce souvenir :
Villa arpel par domeauperes
On ne fait pas des enfants pour soi. Un jour ou l'autre ils prennent leur envol. Ce moment, Véronique Ovaldé nous le fait vivre du point de vue de la jeune fille (p. 180) qui vient de décider de ne pas retourner chez ses parents :
... parce qu'on est le matin très tôt encore, parce que l'automne est encore doux et que le soleil fait rougoeoyer les immeubles du front de mer, parce que les études de droit ne la passionnent pas et ne la passionneront jamais, parce qu'elle a vingt et un ans, qu'une partie d'elle-même croit encore qu'elle est immortelle, et qu'une autre lui dit impatiemment que le temps presse, parce qu'elle a une folle envie de déposer sa confiance dans les paumes d'Adolfo alors qu'elle le connait si peu mais que le peu qu'elle sait de lui la bouleverse et lui donne l'illusion d'être vivante.La mère semble avoir des certitudes moins inébranlables (p. 126). Comment savoir si ce qui compte tout à coup tant pour vous compte tout autant pour l'autre ?
Véronique Ovaldé retourne le dicton populaire : si jeunesse savait, si vieillesse pouvait. La fille montre le chemin à la mère pour se défaire de ses entraves et conquérir la liberté d'exister. Un beau roman à mettre entre toutes les mains, annoncé déjà en première sélection du Goncourt 2011.
Véronique Ovaldé, Des vies d'oiseaux, éditions de l'Olivier, aout 2011
2 commentaires:
parfaitement d'accord avec toi d'un bout à l'autre de ton article. j'ai retrouvé beaucoup des autres livres de V.Ovaldé dans ce roman, mais en même temps, il est différent. Comme ses personnages, je trouve que l'écrivain prend son envol... (jeu de mot trop facile, il fallait que je le fasse^^)
en attendant, j'ai aussi pensé à la maison dans le film Mon Oncle de Tati en lisant la description de la maison dans Des Vies d'Oiseaux.
j'ai beaucoup aimé tes interprétations sur les drôles d'oiseaux qu'incarnent les personnages. j'en ai d'autres de mon côté et je trouve ça fascinant d'avoir des points de vue différents : pour moi, cela signifie que Des Vies d'Oiseaux laisse de la place au lecteur, que tout un chacun peut réinventer le livre en en ayant sa lecture. Encore une preuve du talent de la romancière, quoi.
merci Constance. Je peux avouer maintenant que je me sentais un peu ridicule avec ma référence à cette maison. Mais comme je privilégie toujours la sincérité je ne me suis pas censurée.
Par contre je n'ai pas dévidé toutes les métaphores que m'inspiraient le livre. Y a des limites ... et tu as raison le livre laisse (et doit encore laisser) de la place au lecteur.
Enregistrer un commentaire