Les paroles de Gérard Garouste sont reprises sur la quatrième de couverture. Personne d'autre que lui n'aurait d'ailleurs pu le dire :
" Je suis le fils d'un salopard qui m'aimait. Mon père était un marchand de meubles qui récupéra les biens des Juifs déportés. Mot par mot, il m'a fallu démonter cette grande duperie que fut mon éducation. À vingt-huit ans, j'ai connu une première crise de délire, puis d'autres. Je fais des séjours réguliers en hôpital psychiatrique. Pas sûr que tout cela ait un rapport, mais l'enfance et la folie sont à mes trousses. Longtemps je n'ai été qu'une somme de questions. Aujourd'hui, j'ai soixante-trois ans, je ne suis pas un sage, je ne suis pas guéri, je suis peintre. Et je crois pouvoir transmettre ce que j'ai compris. "
Rien ne l'arrête et c'est avec beaucoup d'honnêteté qu'il va dérouler le fil de sa vie, aidé, pour l'écriture par Judith Perrignon, ancienne journaliste de Libération, ayant l’habitude du travail d’enquête et connaissant déjà le monde de la peinture pour s'être attelée à une biographie des frères Van Gogh.
Le bandeau, un peu effrayant, ne m'aurait pas encouragée à l'ouvrir. C'est le second livre de la catégorie "essai" que je "dois" lire pour le Prix des lectrices de ELLE et je ne regrette pas de ne pas m'être dérobée parce que, une fois le pas franchi, j'ai tourné les pages sans faiblir.
S'agissant d'un travail collectif, on ne sait auquel des auteurs on doit tel ou tel morceau et c'est un peu gênant dans le cadre du Prix. Mon intime conviction est que le travail est somme toute équilibré entre les deux protagonistes parce que la construction semble trop honnête pour avoir été romancée. Pourtant le livre se situe entre malgré tout à la frontière de l'autobiographie.
Son père est violent, carrément psychopathe, imaginant le monde à sa manière et capable de furies lorsque les évènements lui résistent. L'antisémitisme dont il fait preuve est teinté d'admiration et son ressentiment est un effet de la peur.
Gérard Garouste est un personnage attachant. En tant qu'enfant et ensuite comme adulte, malgré les crises qu'il relate avec lucidité. S'il n'avouait pas sa folie lui-même on ne lui collerait pas cette étiquette tant le récit est limpide et sensé. Il semble se tenir avec prudence à l'écart du monde de la nuit, qu'il sent totalement déjanté. Il a des amis célèbres, comme Jean-Michel Ribes ou Patrick Modiano, mais les sentiments qui les unissent remontent au temps de la pension. On ne sent jamais de relation factice avec cet homme. Il est ancré dans une solide ruralité, construite par des vacances passées en Bourgogne, chez un couple étonnant qui accueillait des enfants de l'Assistance publique.
Son père est violent, carrément psychopathe, imaginant le monde à sa manière et capable de furies lorsque les évènements lui résistent. L'antisémitisme dont il fait preuve est teinté d'admiration et son ressentiment est un effet de la peur.
Gérard Garouste est un personnage attachant. En tant qu'enfant et ensuite comme adulte, malgré les crises qu'il relate avec lucidité. S'il n'avouait pas sa folie lui-même on ne lui collerait pas cette étiquette tant le récit est limpide et sensé. Il semble se tenir avec prudence à l'écart du monde de la nuit, qu'il sent totalement déjanté. Il a des amis célèbres, comme Jean-Michel Ribes ou Patrick Modiano, mais les sentiments qui les unissent remontent au temps de la pension. On ne sent jamais de relation factice avec cet homme. Il est ancré dans une solide ruralité, construite par des vacances passées en Bourgogne, chez un couple étonnant qui accueillait des enfants de l'Assistance publique.
C'est encore à l'école qu'il fait la connaissance avec Elisabeth, qui deviendra sa femme et à qui il rend hommage. J'ai quand même regretté qu'il ne s'attarde pas davantage sur ses talents à elle. Il faut quasiment deviner qu'il la présente à Fabrice Emaer pour aménager et décorer le restaurant-club Le Privilège installé au sein du Palace, la boîte de nuit la plus courue de Paris. Nous sommes début 1980. Élisabeth Garouste s'associe à l'italien Mattia Bonetti. Elle deviendra très vite un architecte d'intérieur de renom en se spécialisant dans le mobilier "baroque et barbare". En 1985 elle expose à la galerie parisienne Neotu. Deux ans plus tard c'est elle qui recompose le salon de couture de Christian Lacroix. Elle travaille en 1990 pour Nina Ricci, Daum, David Gill, et la ligne Roset. C'est encore elle qui a conçu ce Cabinet extraordinaire en fer forgé et terre cuite émaillée, plaque de verre, appelé « L’Enfer » et réalisé en seulement quelques exemplaires en 1997. C'est un des meubles illustrant les diverses symboliques de la couleur rouge de l'exposition Aussi rouge que possible au musée des Arts décoratifs que j'ai largement relaté en août dernier.
L'enfer, c'est aussi le quotidien de Gérard quand les secrets de famille l'étouffent. L'antisémitisme de son père et son enrichissement malhonnête ont beau être de notoriété publique c'est Gérard qui endosse la culpabilité. Jusqu'à la démence, ruinant ses pulsions créatrices car, il l'explique très bien, c'est un raccourci romantique de croire que la folie puisse alimenter une énergie créatrice. La folie met au contraire l'artiste à distance et il n'y a guère que la réalisation de plusieurs ensembles de panneaux décoratifs pour le Palace qui lui permettent d'assurer le quotidien.
Il lui faudra des années avant de se libérer du poids des remords qui le font glisser dans la dépression. La colère de sa femme, le menaçant de le quitter, l'amène à se surpasser. Il la sent à bout et la peur l'emporte alors sur la dépression. Il devient prolixe. Il est remarqué par Léo Castelli, un galeriste new-yorkais qui l'impose au monde entier. Son évocation est prétexte à nous livrer ses réflexions sur le marché de l'art au XX°siècle. Garouste, qui est aussi sculpteur et graveur, aurait peint 600 tableaux, signés, non datés, avec beaucoup de repentir. C'est le joli nom que l'on donne aux "corrections" faites par le peintre sur la toile inachevée.
Selon son analyse Van Gogh aurait laissé des oeuvres encore plus puissantes s'il avait vécu plus longtemps (et sain d'esprit). Et Vélasquez et Picasso, qui ont tant travaillé, n'ont jamais eu besoin du désespoir pour trouver l'inspiration.
Il livre ses réflexions sur le monde de l'art, décrit le choc que l'exposition de la collection d'art brut de Dubuffet a représenté pour lui, s'estime avoir été influencé par Marcel Duchamp qui jugeait la peinture passéiste. Il développe aussi une intéressante théorie des "classiques et des indiens". Les seconds sont des intuitifs, insoumis et créatifs, souvent au bord du gouffre. C'est bien entendu dans cette catégorie qu'il se place mais il voudrait s'autoriser davantage de légèreté. C'est un homme qui a réfléchit sur lui-même en se tournant vers les autres. Il affirme que les livres lui ont "nettoyé" la tête. Il a voulu apprendre l'hébreu pour étudier les textes fondateurs. Il s'exerce à la pratique du doute positif. Espérons que ce livre en forme d'aveu lui procurera un peu de quiétude et guettons ses futures toiles.
Résultant d'une année de rencontres, de confidences et de recherches documentaires cette biographie (annoncée comme "la" première) ne nous dit pas tout. Elle a l'immense mérite de nous faire comprendre la personnalité d'un des peintres les plus marquants de notre époque. Et c'est déjà beaucoup. Elle donnera aussi l'envie à ceux qui veulent toujours aller plus loin de se plonger dans le Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa (chez Christian Bourgois, 1999).
L'Intranquille
Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou, de Gérard Garouste, avec Judith Perrignon.
L'iconoclaste, 200 pages
Il lui faudra des années avant de se libérer du poids des remords qui le font glisser dans la dépression. La colère de sa femme, le menaçant de le quitter, l'amène à se surpasser. Il la sent à bout et la peur l'emporte alors sur la dépression. Il devient prolixe. Il est remarqué par Léo Castelli, un galeriste new-yorkais qui l'impose au monde entier. Son évocation est prétexte à nous livrer ses réflexions sur le marché de l'art au XX°siècle. Garouste, qui est aussi sculpteur et graveur, aurait peint 600 tableaux, signés, non datés, avec beaucoup de repentir. C'est le joli nom que l'on donne aux "corrections" faites par le peintre sur la toile inachevée.
Selon son analyse Van Gogh aurait laissé des oeuvres encore plus puissantes s'il avait vécu plus longtemps (et sain d'esprit). Et Vélasquez et Picasso, qui ont tant travaillé, n'ont jamais eu besoin du désespoir pour trouver l'inspiration.
Il livre ses réflexions sur le monde de l'art, décrit le choc que l'exposition de la collection d'art brut de Dubuffet a représenté pour lui, s'estime avoir été influencé par Marcel Duchamp qui jugeait la peinture passéiste. Il développe aussi une intéressante théorie des "classiques et des indiens". Les seconds sont des intuitifs, insoumis et créatifs, souvent au bord du gouffre. C'est bien entendu dans cette catégorie qu'il se place mais il voudrait s'autoriser davantage de légèreté. C'est un homme qui a réfléchit sur lui-même en se tournant vers les autres. Il affirme que les livres lui ont "nettoyé" la tête. Il a voulu apprendre l'hébreu pour étudier les textes fondateurs. Il s'exerce à la pratique du doute positif. Espérons que ce livre en forme d'aveu lui procurera un peu de quiétude et guettons ses futures toiles.
Résultant d'une année de rencontres, de confidences et de recherches documentaires cette biographie (annoncée comme "la" première) ne nous dit pas tout. Elle a l'immense mérite de nous faire comprendre la personnalité d'un des peintres les plus marquants de notre époque. Et c'est déjà beaucoup. Elle donnera aussi l'envie à ceux qui veulent toujours aller plus loin de se plonger dans le Livre de l'intranquillité de Fernando Pessoa (chez Christian Bourgois, 1999).
L'Intranquille
Autoportrait d'un fils, d'un peintre, d'un fou, de Gérard Garouste, avec Judith Perrignon.
L'iconoclaste, 200 pages
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