J'avais reçu les Pièges du crépuscule ce mois-ci et je me devais de l'achever pour envoyer au magazine ELLE un avis circonstancié sur ce livre concourant dans la catégorie "roman policier". Je ne suis pas pressée de publier mon avis sur le blog : il y a mieux à dire avant.
Je m'essoufflais franchement quand ce Journal échut entre mes mains. C'est un peu l'histoire toute simple d'un été où il n'y eut pas de grands mots ni d'évènements qui font les romans spectaculaires, mais une vie simple de trois êtres sous un ciel changeant. Beaucoup d'orages et d'éclaircies. Ce résumé, que j'emprunte directement à l'auteur (p.11) donne le ton des 150 pages qui se savourent paisiblement.
22 h 40. L'estuaire prend une teinte foncée qui coule, se divise et multiplie les reflets et les courants ... Des bleus et des mauves naissent en bandes parallèles dans l'estuaire. L'apaisement gagne la baie; l'attente et le calme se forment et nous touchent tous trois autour de la table. une tache d'huile d'olive s'étend sur la nappe en papier gaufré. Le silence s'installe entre nous. dans cette torpeur, le léchouillage des vaguelettes qui approchent signale que la marée va bientôt être au plein. Un saladier ressemble à une vasque romaine. Les flammes des bougies font vaciller les ombres entrecroisées des carafes et des verres à pied sur la nappe. (p.14)
L'auteur ose emprunter un mot du vocabulaire familier (léchouillage). Il ne craint pas les répétitions. Il n'a pas cherché un synonyme pour éviter les redites (estuaire, nappe). Comme là aussi où l'exquise broderie bleue d'une de ses veines (...) rejoint quelques lignes plus bas la broderie froissée d'un chemisier.(p.39)
J'y ai appris aussi des mots que j'ignorais : les roses trémières portent des parfums anthumes et posthumes, et le linge sale, sous la toiture carrée de la cuisine, se change en linge propre par miracle. (p.99)
Il en résulte une indéfinissable sensation : fraicheur d'un texte jeté "naturellement" et pourtant élaboré. Qui se lit comme on regarde un feu de cheminée qui réinvente inlassablement le spectacle. Sauf qu'ici ce sont les vagues qui ravivent les souvenirs.
Fervent admirateur de Proust, directeur de collection au Mercure de France, journaliste au Point, mais surtout écrivain, Jacques-Pierre Amette a reçu le Prix Goncourt en 2003 pour "la Maitresse de Brecht". Le Journal de ce normand est une ode à la Bretagne, comparable à un poème en prose, s'approchant parfois de la puissance des Contemplations de Victor Hugo.
En effet, quand la couleuvre froide de la tristesse se glisse en lui, l'auteur laisse la nostalgie déborder (p.108) et son âme prend des accents slaves, obéissant à ce besoin qu'il a de famille russe qui rit, pleure, se souvient, s'étreint, se console, se déchire, fume le cigare, parle de Moscou ... Il écoute les vagues lentes déferler puis s'éloigner ... (p.139)
Sans jamais s'égarer, il nous invite au plus près de sa rêverie qui n'est pas si solitaire qu'il y parait. Il se livre au délicat exercice de la confidence avec retenue et pudeur sur le ton du bavardage. La rentrée littéraire a charié une énorme cargaison de quelques 650 ouvrages (et parmi eux le dernier de l'écrivain-ami qui lui rend visite qui se trouve être Olivier Rolin) sur lesquels se jettent les lecteurs comme s'il s'agissait d'une denrée rare. Cela devient insupportable d'entendre que la durée de vie d'un livre n'excède pas deux mois sur les tables des libraires. Heureusement que les bibliothèques les conservent plus longtemps, osant les brandir sur des présentoirs affichant les "coups de coeur".
Ce Journal est l'un de ceux-là. Et le lire c'est prolonger l'été encore un peu.
Journal météorologique », de Jacques-Pierre Amette, Éditions des Équateurs, 2009
Je m'essoufflais franchement quand ce Journal échut entre mes mains. C'est un peu l'histoire toute simple d'un été où il n'y eut pas de grands mots ni d'évènements qui font les romans spectaculaires, mais une vie simple de trois êtres sous un ciel changeant. Beaucoup d'orages et d'éclaircies. Ce résumé, que j'emprunte directement à l'auteur (p.11) donne le ton des 150 pages qui se savourent paisiblement.
22 h 40. L'estuaire prend une teinte foncée qui coule, se divise et multiplie les reflets et les courants ... Des bleus et des mauves naissent en bandes parallèles dans l'estuaire. L'apaisement gagne la baie; l'attente et le calme se forment et nous touchent tous trois autour de la table. une tache d'huile d'olive s'étend sur la nappe en papier gaufré. Le silence s'installe entre nous. dans cette torpeur, le léchouillage des vaguelettes qui approchent signale que la marée va bientôt être au plein. Un saladier ressemble à une vasque romaine. Les flammes des bougies font vaciller les ombres entrecroisées des carafes et des verres à pied sur la nappe. (p.14)
L'auteur ose emprunter un mot du vocabulaire familier (léchouillage). Il ne craint pas les répétitions. Il n'a pas cherché un synonyme pour éviter les redites (estuaire, nappe). Comme là aussi où l'exquise broderie bleue d'une de ses veines (...) rejoint quelques lignes plus bas la broderie froissée d'un chemisier.(p.39)
J'y ai appris aussi des mots que j'ignorais : les roses trémières portent des parfums anthumes et posthumes, et le linge sale, sous la toiture carrée de la cuisine, se change en linge propre par miracle. (p.99)
Il en résulte une indéfinissable sensation : fraicheur d'un texte jeté "naturellement" et pourtant élaboré. Qui se lit comme on regarde un feu de cheminée qui réinvente inlassablement le spectacle. Sauf qu'ici ce sont les vagues qui ravivent les souvenirs.
Fervent admirateur de Proust, directeur de collection au Mercure de France, journaliste au Point, mais surtout écrivain, Jacques-Pierre Amette a reçu le Prix Goncourt en 2003 pour "la Maitresse de Brecht". Le Journal de ce normand est une ode à la Bretagne, comparable à un poème en prose, s'approchant parfois de la puissance des Contemplations de Victor Hugo.
En effet, quand la couleuvre froide de la tristesse se glisse en lui, l'auteur laisse la nostalgie déborder (p.108) et son âme prend des accents slaves, obéissant à ce besoin qu'il a de famille russe qui rit, pleure, se souvient, s'étreint, se console, se déchire, fume le cigare, parle de Moscou ... Il écoute les vagues lentes déferler puis s'éloigner ... (p.139)
Sans jamais s'égarer, il nous invite au plus près de sa rêverie qui n'est pas si solitaire qu'il y parait. Il se livre au délicat exercice de la confidence avec retenue et pudeur sur le ton du bavardage. La rentrée littéraire a charié une énorme cargaison de quelques 650 ouvrages (et parmi eux le dernier de l'écrivain-ami qui lui rend visite qui se trouve être Olivier Rolin) sur lesquels se jettent les lecteurs comme s'il s'agissait d'une denrée rare. Cela devient insupportable d'entendre que la durée de vie d'un livre n'excède pas deux mois sur les tables des libraires. Heureusement que les bibliothèques les conservent plus longtemps, osant les brandir sur des présentoirs affichant les "coups de coeur".
Ce Journal est l'un de ceux-là. Et le lire c'est prolonger l'été encore un peu.
Journal météorologique », de Jacques-Pierre Amette, Éditions des Équateurs, 2009
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