Il y eut les Beatles. Et puis U 2. Et ce soir la foule se précipitait à Bercy pour assister au concert de Coldplay. Même folie disait-on ... alors qu'à Châtenay c'était
Stromae qui drainait les spectateurs. Je suis bien maligne de fanfaronner maintenant mais il y a quelques heures je ne connaissais pas du tout ce pourtant charmant jeune homme.
Le nouveau maitre de l'eclectro s'est fait un nom sur le web avec ses "leçons", consistant à décortiquer sa manière de composer ses musiques. Il a été propulsé numéro un à vitesse supersonique, remportant une Victoire de la musique en 2011 pour son premier album. Sur scène, c'est une vraie bombe, et son spectacle est un show à l'américaine.
On me prévient que le son était d'enfer aux balances et que là, il n'y a pas à tergiverser, il faudra se mettre les bouchons dans les oreilles pour protéger nos tympans. Parait tout de même que "çà s'écoute fort" ... Dans la fosse le public est jeune, très jeune et les mamans descendent des gradins pour vérifier les oreilles de leur progéniture. Je me demande si c'est pour cela que les bouchons sont orange vif ...
De gros appareils de projection et d'énormes claviers électroniques occupent la scène qui prend des allures de salle de muscu alors qu'une brume épaisse se répand dans l'atmosphère. C'est à peine si on devine la caricature d'un visage souriant sur le couvercle des ordi. Une allusion picturale à l'injonction "
cheese" que font tous les photographes et qui a inspiré à Stromae le titre de son album.
Car dans la vie, il est aussi tendre qu'une crème, arrivant au théâtre tôt le matin avec un sac de croissants, simplement pour faire plaisir à l'équipe, et offrant le premier quart d'heure de la soirée à
Yoshi Masuda qui est l'un de ses deux musiciens complices. Ce garçon est élégant de corps et de cœur, c'est moi qui vous le dit !
Yoshi interprètera quatre titres en s'accompagnant avec une guitare électrique qui tranche avec la sophistication que l'on aura bientôt sous les yeux. L'homme au chapeau joue les beaux gosses romantiques
(c'est ainsi qu'il se présente lui-même) dédiant une chanson à une certaine Gwendoline, qui pourrait être l'amour de sa vie, s'essayant à l'humour et cherchant à extérioriser l'énergie du public.
Bienvenue chez moi, la chanson est de circonstance pour démarrer le set. Stromae arrive en courant, se sauve aussi vite, revient avec un premier paquet qui n'est autre que Yoshi qu'il dresse tel une statue au pied d'un synthétiseur.
Le voilà déjà reparti aussi sec pour ramener cette fois Simon le Saint qu'il pose de la même manière devant un autre appareil. Il scrute les spectateurs dans les yeux, et arpente la scène où le décor, noir et blanc, reconstitue les murs d'un appartement.
Il a gardé l’habitude de l’uniforme de ses années de pensionnat. Il noue le nœud papillon pour « aller travailler » comme il dit, mais pantalon et pull en V sont tout de même rose vif. On est loin de la panoplie traditionnelle du hip hop (casquette-jogging) mais, comme toujours quand on se place en marge de la mode, on devient soi-même une icône.
Des lumières jaunes inondent le plateau pour une chanson à la gloire des vacances, teintée de pessimisme. Cela me stresse que quelque chose vienne gâcher "mon"
Summertime. Le chanteur ironise sur ces vacances chèrement payées dans des pays où les habitants crèvent de faim tandis que où le touriste n'ambitionne que de rôtir au soleil sans songer au cancer de la peau.
Il ne craint pas d'aborder les sentiments. Avec
Te Quiero on passe de l'amour à la mort, du bonheur à la catastrophe. Stromae prend des postures de toréador et fait mine de se trancher la gorge en chantant qu'il l'aime à mort, mais que pour la vie, on se dira oui, pour la vie, pour la mort ... et tant pis si viennent ensuite les insultes, les coups, et que le juge à la fin s'en mêlera. Une écoute attentive pourrait déceler des accents du grand Jacques. Une version dance-floor de
Ne me quitte pas.
Je ne vois pas les doigts levés, qu'est-ce qui se passe interroge le jeune homme. La fosse entière dresse index et majeur symbolisant un signe de paix, à moins que ce ne soit le V de violence. Une interrogation qui résume bien le paradoxe de la prestation du chanteur. Une voix haut perchée qui semble roucouler une romance alors qu'il avoue qu'il est traité de pessimiste avec des mots à se suicider.
Peace or violence ?
C'est une chance de l’entendre en français. Contrairement à l’océan de bruit anglosaxon on n’aura pas l’excuse de ne pas comprendre les paroles.
Dodo est une comptine amère qui aborde de front les violences conjugales, la pédophilie. Père et mère en prennent pour leur grade. Et si par hasard vous n'écoutez pas le texte, regardez les images qui sont projetées en ombre chinoise, et qui sont très clairement explicites.
Derrière une musique entrainante se cachent des paroles profondes. Toujours en mouvement, très créatif, généreux, inventif, irradiant son flow est incisif. Le jeune homme poursuit avec
Silence dans un vacarme assourdissant. Et nous on ressent les vibrations des infra-basses à nous en décoller les os. Une lumière blanche éblouit la fosse qui est comme brûlée par une explosion atomique.
Le temps de rouvrir les yeux pour s'apercevoir qu'il a disparu. Il est déjà de retour, en costume, pour saluer à l'indienne, col relevé comme Gandhi aurait pu le faire ...
House'llelujah crie le public en chœur. La réverb est à fond.
Il lève les bras au ciel, et nous aussi. Il y a indéniablement un coté
Footloose chez ce garçon si bien élevé.
La religion n'est pas son opium. Il se soule de musique. Stromae prend un bol de musique comme d'autres un bol d'air. Tout le lexique de la toxicomanie est passé en revue :
ma clope, mon chit, ma dose, ma weed, ma coke, mon speed, mon crak, ...
dose, micro, over-prose jusqu'à ce qu'ils soient mes rêves ... Et notre cœur pulse la chamade.
Nourri de hip-hop et d’électro, fan de batterie et de percussions, Stromae cumule toutes les fonctions : compositeur, parolier, producteur, à domicile, et avec de modestes moyens. Le web lui a offert un terrain d’expérimentation gratuit où il s'est lancé en jouant le rôle d’un professeur de musique. Et çà a marché du feu de Dieu ! La numéro 8 est la plus connue des fameuses
Leçons de Stromae. Le chanteur fait mine d'être surpris qu'on la connaisse. Nous ne sommes pas nés de la dernière pluie. C'est le célébrissime
Alors on danse qui a propulsé le maestro du rythme et de la rime au sommet des charts internationaux en quelques semaines, début 2010.
Il s’inspire de la House de Chicago des années 80, de la technotronic et de la house underground qu’on entendait en Belgique dans les années 90, mouvements qui ont donné ce qu’on désigne par la vague new beat, mais ce que Stomae nous fait entendre c’est une version nettement plus dansante.
Quand y en a plus, y en a encore. l'ambiance devient psychédélique. Le public est déchainé, bras en l'air. On nous dirait qu'un vaisseau spatial s'apprête à atterrir qu'on le croirait. Nous sommes à la veille d'un remake qui pourrait s'intituler
l'Etrange Noël de Stromae.
De père rwandais et de mère belge il dit sincèrement avoir peu connu le pays de son père. Il dit aussi avoir davantage souffert de l'absence de celui-ci que du génocide, à l'inverse d'un autre chanteur comme Corneille. Il nous interpelle en flamand, souhaitant manifestement rétablir quelques vérités. Il n'y a aucun problème de communauté dans mon pays. Le public bourdonne. Le chanteur insiste qu'après 454 jours de vide juridique un gouvernement vient d'être constitué. Son argumentation est imparable : le surréalisme vient de chez nous ! Quelle autre preuve avancer ?
Aucune provocation dans sa conversation quand il annonce un remix d'une chanson d'Arno,
Putain, putain :