Je ne peux pas prétendre avoir fait une découverte en visitant L’atelier des Lumières puisque l’endroit existe depuis déjà 6 années à Paris mais j’avais à coeur d’en parler car c’est une expérience à faire, d’autant qu’en proposant au spectateur trois films successifs (avec un billet unique), celui-ci fera une triple découverte, à chaque fois dans une atmosphère différente.
Il en existe aujourd’hui 9 de par le monde, dont 3 en France (avec une programmation différente) et je ne parlerai ici que du premier dont je donnerai l’histoire du bâtiment et de sa transformation en toute fin d’article afin de ne pas en ralentir la lecture.
L’enchaînement est permanent. Un compteur indique l’horaire au-dessus de la porte. On peut donc, au choix, attendre dans le hall le début de la projection suivante ou entrer et les suivre en boucle dans l’ordre dans lequel elles se présentent. En tout cas, comptez bien une heure trente pour tout découvrir tranquillement.
Le système de projection est proche de la magie. C’est assez envoûtant de se trouver au coeur des pyramides de l’Egypte antique ou dans le grand salon d’un collectionneur de peintures impressionnistes. Nous sommes dans une quasi pénombre, si bien qu’on oublie le cadre initial qui, par moments, se laisse deviner, en particulier quand on s’approche d’un mur latéral, encore percé d’une immense porte double ou du mur du fond sur lequel s’appuie un four de briques, ou qu’on monte l’escalier sous lequel sont stockés des bidons. Et puis il y a quelques anciennes bobines de câbles, celles qui font fureur comme table d’appoint et qui là, servent de sièges.
Le public est extrêmement attentif, ne mitraillant pas les projections avec leur portable (à l’inverse de ce qu’on constate en général dans les musées). On oublie les structures métalliques qui, par contre, apparaîtront nettement sur les photos.
L’absence de commentaires rend le moment très agréable, à l’opposé de la leçon. On profite des images sans chercher à mémoriser des données historiques ou artistiques. On apprécie la beauté à l’état pur et on accueille des sensations, visuelles et auditives car les play-lists sont partie prenante de la performance (et accessibles ensuite par Internet).
On commence par déambuler. C’est logique, on voudrait ne manquer aucune image. Certains continuent à marcher, allant au devant des nouvelles projections. D’autres ont pris le parti d’observer depuis un endroit particulier. Il sera impossible de tout voir et cette option est assez satisfaisante une fois que nos yeux se sont adaptés à l’endroit. Il faut un peu de prudence car le sol est parfois un peu irrégulier et la transformation du paysage intègre celle du sol qui parfois tournoie, provoquant la sensation que nos pieds avancent sur une surface instable alors que les murs deviennent des parois coulissantes.
Le programme actuel satisfera les amateurs de géographie et d’histoire, d’art et de peinture, de nature comme de science-fiction. Autrement dit un très large public, de surcroît international puisqu’il n’est pas nécessaire de traduire des informations.
Si on suit l’ordre hiérarchique on enchaînera L’Égypte des pharaons puis Les Orientalistes et enfin Foreign Nature :
1- L’Égypte des pharaons
Cette partie est tout à fait complémentaire de l’exposition que j’avais vue en février dernier à Montparnasse. Chaque panneau reçoit une image différente, dont certaines sont sobrement légendées, de manière à donner des points de repère. Il y a davantage de détails qui s’affichent dans la citerne.
La musique s’enchaîne sans mention particulière et ce n’est qu’à la toute fin que la liste nous est donnée. J’ai apprécié les choix, souvent judicieux comme par exemple l’association de l’air d’opéra de l’acte IV, scène 2 de Aïda pour accompagner les profils d’Akhenaton et de Néfertiti en gros plan. Plus tard Stairway to Heaven de Led Zeppelin renforce une étonnante sensation de tournoyer.
L’alternance est réussie entre plans pris en extérieur et en intérieur, vues larges et plans rapprochés. Les peintures semblent être réalisées sous nos yeux. On redécouvre l’Égypte des pharaons à travers les chefs-d'œuvre de cette civilisation mythique qui s’étend sur trois millénaires et qui continue à fasciner toutes les générations.
Le spectacle commence par des grains de sable soulevés par le vent laissant apparaître les vestiges de l’Égypte antique tels qu’ils sont apparus aux scientifiques français lors de la Campagne d’Égypte de 1798 à 1801, et que le peintre David Roberts dessina. Les forces sacrées des dieux s’affrontent et se révèlent sur les murs jusqu’à l’apparition des premiers hommes sur terre.
Le voyage se poursuit le long du Nil, fleuve sacré et source de la vie. Il est assez fabuleux de voir nager les poissons sous nos pieds. La vie quotidienne de l’Égypte ancienne se dévoile grâce à de magnifiques bas-reliefs, peintures et papyrus anciens.
Gigantesques chantiers et prodiges de l’architecture antique, les pyramides se construiront littéralement sous vos yeux : un à un, les blocs colossaux s’empilent et érigent les tombeaux des rois éternels, gardé par le Sphinx majestueux.
Les sculptures monumentales des souveraines et souverains dont les noms résonnent dans l’histoire surplombent ensuite l’espace : Khéphren, Hatshepsout, Thoutmosis III, Akhénaton et Néfertiti… Les bras du Nil irriguent ensuite l’espace d’or en fusion, chair des dieux, qui coule le long des murs, forgeant les incroyables bijoux des rois et reines égyptiens.
Depuis Louxor jusqu’à Abou Simbel, les temples sont des centres culturels, spirituels, économiques et politiques, où la vie et la mort sont fêtées lors de grandes processions. S’ouvre ensuite la Vallée des rois, qui abrite le fameux tombeau de Toutânkhamon.
La Vallée des reines renferme elle aussi de pures merveilles, comme le tombeau de Néfertari, qui se révèle sur les murs dans des couleurs éclatantes.
Le cycle de la vie arrive à sa fin et vous êtes conduit dans l’au-delà. Le voyage s’achève, n’ayant dévoilé qu’une infime partie de cette fascinante Égypte antique, dont il reste encore tant de mystères à explorer.
2- Les Orientalistes
J’ai suivi cette exposition (mis le terme de spectacle conviendrait mieux) depuis la passerelle. Elle débute avec le déploiement d’un tapis sur le sol tandis que les murs se transforment en kaléidoscope géant et que je me croirais être un derviche tourneur si je n’étais pas confortablement assise dans une chaise-fauteuil.
L’alliance entre l’image et la musique est encore une fois parfaite. La musique de Women de Nina Cheny convient tout à fait à la projection d’immenses nus. Est-on au musée, au cinéma, en voyage ?
Au XIX° siècle, les portes de l’Orient s’étaient ouvertes pour les peintres occidentaux attirés par les mystères des terres lointaines. Éblouis par la lumière du grand Sud qui révèle les reliefs des paysages arides et les couleurs des architectures aux motifs spectaculaires, Delacroix, Gérôme, Ingres et d’autres noms majeurs de l’expression européenne, invitent à une véritable expédition picturale vers un nouveau monde exotique et envoûtant de l’Orient rêvé qui leur vaudra le nom de peintres orientalistes.
Ce sont les carnets de voyage de Delacroix qui ouvrent le récit, nous plongeant au cœur d’un itinéraire foisonnant de jeux d’ombres et de lumière, de parfums d’épices, rythmé par les sonorités des instruments orientaux et d’instants inédits croqués sur le vif. C’est ensuite d’autres grands noms, Constant, Frère, Vernet, Gérôme, Guillaumet, Belly, Richter, Dinet entre autres, qui planteront les décors d’un ailleurs inspirant qu’ils souhaiteront merveilleux et luxueux. Ils inviteront à serpenter dans les ruelles des cités orientales et des souks, à s’immiscer dans les intérieurs à l’abri du soleil, à entrer dans la danse de l’âme orientale, et à se promener dans les patios des palais somptueux.
Accompagnez les artistes sur leurs pérégrinations et vivez l’éprouvante traversée d’un désert impitoyable en faisant une halte dans les oasis. Partez à la rencontre des animaux sauvages, dont la chasse est un sujet accrocheur pour ces peintres orientalistes. Enfin, les moucharabieh permettent d’entrevoir l’univers mystérieux des harems. Cet univers sensuel et fantasmé est resté inaccessible aux peintres orientalistes, qui en ont donc imaginé les représentations.
Les vapeurs du hammam dévoilent les baigneuses aux courbes irréelles et finalement le rideau se lève sur La Grande Odalisque d’Ingres, chef-d'œuvre de l’orientalisme onirique et idéalisé. Le rêve s’achève au cœur des salons parisiens du XIX° siècle, sur les murs desquels sont accrochés tous ces tableaux.
3- Foreign Nature
D’une cathédrale végétale en mutation aux pulsations d’un cœur hybride à la fois organique et machine, ces mondes présentent des formes familières qui font pourtant partie de notre existence ou qui ont influencé nos fantasmes et nos rêves. La musique de Ben Lukas Boysen, spécialement conçue pour le spectacle, nous accompagne dans ce voyage, ajoutant à ces vues extraordinaires une touche à la fois passionnante et spirituelle.
Pour suivre ce dernier volet, il faut rejoindre le studio où tout le monde prend place sur une des chaises qui sont toutes orientées à l’identique. Cette fois nous sommes uniquement face à des images de synthèse qui se déroulent sur quatre murs, donc à 360°.
Le doute a changé de domaine. On ne sait pas si les images évoquent le monde minéral, végétal ou aquatique, qui se reflètent sur le sol et qui sont accompagnées par une bande-son créée spécialement. Une chose est néanmoins sûre : on est dans le contemplatif, transporté dans un ailleurs qui s’inscrit dans la science-fiction.
Julius Horsthuis définit son style artistique comparable au travail d’un photographe, d’un chef opérateur ou d’un documentariste. Il a utilisé des fractales générées par ordinateur pour façonner un univers où les mathématiques et l’art fusionnent de manière transparente, où le profane et le spirituel s’harmonisent, et où les distinctions entre l’organique et l’artificiel, le macro et le micro se fondent dans un univers insolite et jamais vu.
D’une cathédrale végétale en mutation aux pulsations d’un cœur hybride à la fois organique et machine, ces mondes présentent des formes familières qui font pourtant partie de notre existence ou qui ont influencé nos fantasmes et nos rêves. La musique de Ben Lukas Boysen, spécialement conçue pour le spectacle, nous accompagne dans ce voyage, ajoutant à ces vues extraordinaires une touche à la fois passionnante et spirituelle.
L’Atelier des Lumières 38 rue Saint-Maur 75011 Paris
Production : Culturespaces Studio ® / Direction artistique : Virginie Martin / Conception et réalisation : Cutback / Supervision musicale et mixage : Start Rec pour L’Égypte des pharaons et Les Orientalistes.
Production : Culturespaces Studio ® | Conception et animation : Julius Horsthuis | Musique : Ben Lukas Boysen pour Foreign Nature.
Ces trois expositions sont visibles depuis le 9 février 2024 et jusqu’au 5 janvier 2025.
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L’Atelier des Lumières est un centre d’art numérique qui a été créé dans une ancienne fonderie datant de 1835 par Culturespaces en 2018 pour y présenter des expositions digitales, immersives et contemporaines.
Il s’agissait de La fonderie du Chemin-Vert qui fut créée en 1835 par les frères Plichon, Jacques François Alexandre (46 ans) et Hilaire Pierre, issus d’une famille de laboureurs, devenus fondeurs pour répondre aux besoins de la marine et du chemin de fer pour des pièces en fonte de grande qualité. L’usine occupe alors un terrain de 3 126 m2 et emploie 60 personnes. Elle produisait des moulages de toutes pièces en fonte de fer sur plans et sur modèles jusqu’à 10 000 kg. Les pièces fabriquées étaient ensuite utilisées pour la marine de guerre, les locomotives, les moteurs à explosion et à diesel.
Le 21 février 1859, Jacques François Alexandre transmet la fonderie à ses deux fils Jean et Edouard. Ils s’associent sous la raison sociale Plichon Frères. Quatre générations de Plichon se succèdent ensuite et pendant une centaine d’années, l’affaire est prospère et pendant 65 ans, la fonderie abritera une entreprise spécialisée dans la fabrication et la vente de machines-outils (Martin). La grande halle sert alors d’espace d’exposition pour ces dernières.
En 1929, la crise internationale précipite la fin de l’affaire, déjà très concurrencée par la soudure, la forge et les premières matières plastiques. En 2000, l’entreprise déménage.
En 2013 Bruno Monnier, Président de Culturespaces, découvre l’ancienne fonderie inoccupée et a l’idée de créer à Paris un centre d’art numérique. La famille Martin, séduite par ce projet, accepte de lui louer la grande halle et ses annexes. D’importants travaux (toiture, isolation…) sont nécessaires avant que l’Atelier des Lumières ouvre ses portes au public le 13 avril 2018.
L’espace fait plus de 10 mètres de haut, couvre 3 300 m², où sont installés 140 vidéoprojecteurs et une sonorisation spatialisée. Il accueille 1 400 000 visiteurs par an.
La Halle occupe un espace de 1 500 m². Au centre se dresse la Citerne qui offre un point de vue différent sur les œuvres. Elles y sont présentées dans leur intégralité en présence de commentaires et de l’indication du musée dans lequel elles se trouvent.
On peut aussi entrer dans la Tour des Miroirs qui, à la façon d'un kaléidoscope géant, invite à admirer le reflet des œuvres dans des dizaines de miroirs qui les reproduisent à l’infini.
Avec son espace insonorisé de 160 m², le Studio est dédié à la création contemporaine. Enfin il existe un
espace pédagogique qui permet d'en apprendre davantage sur les artistes mis à l'honneur à l'Atelier.
Avec son espace insonorisé de 160 m², le Studio est dédié à la création contemporaine. Enfin il existe un
espace pédagogique qui permet d'en apprendre davantage sur les artistes mis à l'honneur à l'Atelier.
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