C’est toujours un peu bizarre de lire, un an après sa sortie, un immense succès de librairie et d’estime comme le fut Son odeur après la pluie. On est allégé de la pression de la découverte mais on s’interroge tout de même sur la puissance éventuelle de son ressenti. Aura-t-on le même avis que "tout" le monde ?
Je ne vais pas faire durer le suspense. La réponse est oui. Surtout pour les qualités littéraires de ce premier livre, qui se dévore comme un roman, malgré l’évidente part autobiographique.
Et pourtant ce n’était pas gagné d’avance parce que, tout en respectant les quatre pattes, je n’ai jamais souhaité en acquérir un. Il m’est déjà difficile de trouver une bonne âme pour prendre soin de mes plantes pendant mes absences, alors imaginez la responsabilité s’il s’agissait d’un animal !
Et puis je pense que le lien a été endommagé irrémédiablement quand, enfant, j’ai bondi de joie alors que mon père ramenait un chiot blotti dans son blouson de cuir à la maison et que maman se l’ait approprié. J’ai perdu le combat par KO ce jour-là. Je n’ai presque pas conservé de souvenir de cette chienne qui était pourtant adorable. Nous n’avons sans doute jamais créé de relations et je me sens être tout le contraire de Cédric Sapin-Dufour.
Tout comme je suis loin de les leçons de de François Schuiten qui, avec le magnifique roman graphique Jim, composé de 126 pages, uniquement en noir et blanc, dédiée un superbe hommage à tous ceux qui ont perdu un chien (chez Rue de Sèvres).
J’avais, pour toutes ces raisons, des doutes à me laisser convaincre par ce que j’avais deviné être un amour passionnel entre un homme et son chien. C’était sans compter l’immensité de la qualité d’écriture de l’auteur que j’aurais juré être maître de conférence de littérature avant de comprendre qu’il était professeur de sports (ce qui n’est pas du tout une discipline mineure, évidemment). J’ai appris dans ce roman d’une grande richesse lexicale énormément de termes dont j’ignorais l’existence. Cet homme a le goût des mots justes pour analyser les relations, qu’elles soient entretenues avec des animaux ou des humains.
Puisqu’il faut parler vrai on saura comment il a donné à son bouvier le nom, puisqu’il n’est pas question de prénom pour un animal (p. 50) d’Ubac sans nous faire d’explication de texte ni psychologiser à propos du choix du versant ombragé de la montagne.
Tout propriétaire de chien fait preuve "d’audace d’aimer" (p. 25) puisque son bonheur est tributaire d’une date de péremption non négociable avec la chronobiologie. Le lecteur est mis en garde contre l’utopie : on a beau l’aimer d’un sentiment imarcescible, l’animal est loin d’être éternel (p. 23), autrement dit si notre sentiment ne fanera pas, le chien est mortel, et son espérance de vie est réduite car il paraît que « rares sont les bouviers à deux chiffres ». Dépasser l’âge de 13 ans fut donc un record pour le sien. Piètre succès néanmoins et les larmes seront au rendez-vous page 237 lorsqu’il faudra bien se résoudre à aborder la phase terminale. Mais avant, vous aurez traversé de très belles pages. A commencer par le prologue de Jean-Paul Dubois qui est superbe.
Cédric Sapin-Dufour évite brillamment deux écueils. Celui d’un excès de sentimentalisme qu’on aurait pu craindre avec le titre. Son odeur après la pluie apparaît très tôt (p. 54) et ce n’est pas le souvenir persistant d’un animal décédé. Et celui de la bêtification. Aucune scène n’est puérile. Rien n’est médiocre pour tenter de nous faire comprendre ce qu’est l’amour des chiens, improbable affinité qui dépasse et relie tous les incompatibles de cette terre (p. 108). Il sait faire preuve d’humour en se moquant de lui-même : j’ignore pourquoi nous nous évertuons à parler aux chiens. Sans doute chacun de nous rêve-t-il en secret d’être le premier homme sur terre à qui le sien répondra (p. 73), et même de son chien dont il décrit la volonté de sauver d’un accident un gastéropode qui voulait traverser la route (p. 118).
Il ne nous épargne pas les mésaventures médicales qui touchent les animaux dont la vie est loin d’être une promenade facile. J’ignorais la dangerosité des tiques, sans doute surtout pour ceux qui ont le poil long et qui vivent quasi exclusivement en pleine nature.
Comme il a raison de rendre un vibrant hommage à ces professionnels spécialistes de tout, faisant chacun ce qu’une cohorte de dix médecins peinerait à honorer, au milieu de patients infoutus de dire où ils ont mal (p. 163).
S’il forme avec Ubac ce qu’il désigne lui-même par le terme de dyade (p. 137) son amour pour ses chiens (car il en a plusieurs en même temps) n’est pas exclusif et c’est aussi ce qui est beau. Il est partagé avec sa compagne, Mathilde, qu’il associe à leur histoire et qui a toute sa place.
Cédric Sapin-Dufour se révèle être un homme de convictions et de tempérament, tout autant que de bienveillance. On rage d’ailleurs de comprendre qu’il s’est fait virer de son habitat par des propriétaires détestant probablement les chiens. Il ne s’étend pas sur le sujet mais ce qui nous est confié est une vraie honte.
J’encourage les éventuels réticents à lire ce roman pour comprendre ce que peut être un essentiel inutile (p. 35). Je ne raconterai pas l’histoire mais je voudrais citer une des très belles phrases du livre, qui n’est pas la dernière : je n’avais pas tout à fait fini de t’aimer (p. 239).
Son odeur après la pluie de Cédric Sapin-Dufour, collection La Bleue, Stock, en librairie depuis le 29 mars 2023
Prix littéraire 30 Millions d'Amis (communément appelé le Goncourt des animaux).
Prix de la Centrale Canine et Prix Terre de France 2023
Prix du meilleur auteur de l'année aux Trophées de l'édition organisés le 25 mars 2024 par le magazine Livres Hehdo
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