Petites dents, grands crocsest un morceau de comptine que je ne connaissais pas. Et si la plupart de ces ritournelles sont amusantes j’ai immédiatement trouvé celle-ci glaçante. Il faut dire que si on a lu la quatrième de couverture on ne s’attend pas à ce que Emilie Guillaumin nous raconte un conte de fées dans son troisième roman.
Sarah Barry, épouse et mère en apparence comblée, a quitté les RH d’une grande entreprise pour s’accorder une année d’écriture. Mais alors qu’elle dispose enfin du temps nécessaire, le piège de la domesticité semble se refermer sur elle. Cela commence par une fatigue inhabituelle, des chutes de cheveux, et puis il y a ces maux de tête lancinants. Quand il n’est pas en voyage d’affaires, son mari la couve, la chahute, la questionne. Entraînant leur fils dans ce manège qui ne tourne plus très rond. À moins que ce ne soit elle qui fantasme ?
L’éditeur a jouté un commentaire dans lequel je repère les mots « noire, vampire, regard sans concession sur le couple et la maternité ». Si j’ajoute que l’auteure a glissé à deux reprises dans le roman que le mariage peut être le siège de toutes les haines vous devinerez combien cette lecture fera frissonner.
Le foyer qui nous est décrit est un lieu où tout le monde se consumerait. Si Sarah n’est pas folle, les éléments sont là pour qu’elle le devienne même si la culpabilité de chaque personnage n’est pas établie. Disons qu’un faisceau d’indices nous fait craindre le pire, y compris de la part de Sarah qui apparaît autant victime que condamnable. Personne ne semble blanc comme neige.
Se déroulent en arrière-fond des attaques informatiques qui permettent au mari de développer son entreprise. Elles correspondent à une préoccupation économique contemporaine et la métaphore du virus amplifie le contexte anxiogène qui est alimenté de multiples façons comme le brasier d’un incendie de forêt par la moindre épine de pin. Les mots grincent et l’angoisse monte d’un cran de chapitre en chapitre à tel point que j’ai cru avoir entre les mains un roman policier.
La jeune femme rêve d’écrire un roman, ambition qui n’est pas si originale que ça, mais qui offre à l’auteure l’occasion de nous livrer sa réflexion sur les difficultés à écrire … tout en semant le doute sur l’existence d’une raison exogène. Sarah croit avoir pris la bonne décision, en sollicitant une année sabbatique pour se donner le temps de mener son projet, pile au moment où sa vie se détraque. Peut-on y voir une relation de cause à effet ou un pur hasard ?
Sarah est un personnage complexe envers lequel le lecteur a du mal à se positionner. Le récit étant écrit de son point de vue on ne peut qu’y adhérer, mais, curieusement on a du mal à apprécier si on peut la croire. Quand elle parle du travail qu’elle vient de quitter elle se présente comme ayant été une directrice des ressources humaines exceptionnelle en faisant intervenir un ancien employé dans la conversation. Difficile pour nous d’imaginer qu’elle a été "cette femme là" (p. 143) alors qu’on assiste à sa dégringolade. A fortiori de réprimer l’envie de lui souffler de se secouer et de reprendre les choses en main.
L’écriture est noire, choquante, violente, très imagée. J’ai rarement perçu autant de sensations et d’odeurs au fil des lignes, jusqu’à en avoir moi-même le tournis, me faisant reposer le livre pour quelques heures pour laisser retomber la pression … avant de le reprendre parce que, c’était plus fort que moi, j’étais prête à accompagner Sarah jusqu’au bout de son enfer, quel qu’il soit.
La musique de Petites dents, grands crocs devenait obsédante et ce n’est qu’à la toute fin que j’en ai compris la véritable signification.
Après des études de lettres à la Sorbonne et de criminologie à New York, Émilie Guillaumin a passé deux ans au sein de l’armée de terre française, aventure dont elle a tiré Féminine, puis L’Embuscade, qui a reçu un très bel accueil de la critique et du public.
Sarah est un personnage complexe envers lequel le lecteur a du mal à se positionner. Le récit étant écrit de son point de vue on ne peut qu’y adhérer, mais, curieusement on a du mal à apprécier si on peut la croire. Quand elle parle du travail qu’elle vient de quitter elle se présente comme ayant été une directrice des ressources humaines exceptionnelle en faisant intervenir un ancien employé dans la conversation. Difficile pour nous d’imaginer qu’elle a été "cette femme là" (p. 143) alors qu’on assiste à sa dégringolade. A fortiori de réprimer l’envie de lui souffler de se secouer et de reprendre les choses en main.
L’écriture est noire, choquante, violente, très imagée. J’ai rarement perçu autant de sensations et d’odeurs au fil des lignes, jusqu’à en avoir moi-même le tournis, me faisant reposer le livre pour quelques heures pour laisser retomber la pression … avant de le reprendre parce que, c’était plus fort que moi, j’étais prête à accompagner Sarah jusqu’au bout de son enfer, quel qu’il soit.
La musique de Petites dents, grands crocs devenait obsédante et ce n’est qu’à la toute fin que j’en ai compris la véritable signification.
Après des études de lettres à la Sorbonne et de criminologie à New York, Émilie Guillaumin a passé deux ans au sein de l’armée de terre française, aventure dont elle a tiré Féminine, puis L’Embuscade, qui a reçu un très bel accueil de la critique et du public.
Petites dents, grands crocs de Émilie Guillaumin, Harper Collins "Traversées", en librairie depuis le 4 janvier 2023
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