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dimanche 28 juillet 2024

L’écriture est une île de Lorraine Fouchet

Je n’avais pas lu de roman de Lorraine depuis un moment quand la couverture de L’écriture est une île m’a sauté aux yeux au retour de la mienne d’île, différente de la sienne, puisque je sillonne Oléron quand elle arpente Groix.

Je crois qu’il en est des îles comme des livres. Elles ont en commun de nous isoler du monde pour nous permettre de nous retrouver et peu importe celle de notre coeur.

Mes yeux ont évidemment retrouvé leurs marques dans ce roman, à l’instar du marin qui rentre au port. Le style de Lorraine Fouchet est à la fois particulier et simple. Les mots coulent naturellement et de chapitre en chapitre c’est une forme d’apaisement qui diffuse en nous. Pourtant il y a des tempêtes, des retournements de situation, un peu comme ce qui se passe dans la vraie vie. C'est peut-être parce que l’auteure n’a jamais abandonné la part d’elle-même qui l’avait conduite à exercer d’abord le métier de médecin que ses ouvrages ont quelque chose de l'ordre du "Feel Good" bien que je trouve qu'ils n'appartiennent pas vraiment à cette catégorie.

Je ne classerais pas ce roman parmi ces livres là parce que, selon moi, un livre de ce genre prend le lecteur par la main et lui fait suivre un trajet semé d’embûches qui progressivement vont s’aplanir. Ici, tous les protagonistes vont alternativement rencontrer des soucis et devoir résoudre des difficultés. On n’est pas dans la foulée d’un seul personnage. Il n’est pas question de s’identifier mais, comme toujours, cette auteure s’y entend pour provoquer l’empathie à l’égard de ses personnages. Mais, attention, je ne dirai jamais qu’elle nous donne des leçons. Toujours est-il qu’on se sent mieux en sa compagnie. J’ai lu quelque part qu’elle rassemblait 80 000 lecteurs, ce qui ne m'étonne pas, et j’apprécie ma chance de la connaître personnellement.
Il paraît que toutes les histoires ont déjà été racontées. Alix refuse d’y croire. Elle est romancière et, pour son métier, elle a renoncé au reste. Un jour, elle accepte de partager sa passion lors d’un atelier d’écriture sur l’île de Groix. Si chacun des six participants pensait savoir pourquoi il se lançait dans l’aventure, celle-ci se révèle pleine de surprises. Ensemble, ils vont découvrir que le soleil peut se coucher à l’est, qu’une voix muselée une vie entière sait encore chanter, que l’amour vaut la peine d’être gueulé ou acclamé sur scène, et qu’il n’y a pas d’âge pour pardonner et recommencer. Réunis autour des mots qui les bouleversent, qui les habitent, qui les hantent ou qui les émeuvent, ils vont apprendre qu’écrire, c’est aussi écouter.
On retrouve dans ce roman quelques ingrédients désormais incontournables comme le champagne, dont, à l'inverse d'Amélie Nothomb qui change régulièrement de marque, est toujours un Mercier (p. 216) et qui connaît Lorraine sourira à cette évocation. Elle fera de nouveau intervenir le verrier de Groix, Damien Vanoni, qui depuis quelques romans, créé un objet particulier en lien avec l'intrigue. Cette fois ce sera une plume enfermant un peu du sable de la plage et quelques mots.

La fidélité la caractérise et ce n'est pas un hasard si elle fait par deux fois référence à un certain Grégoire qui ne peut être que Delacourt. Et puis on retrouve une bibliographie, la playlist des morceaux cités, quelques recettes alors qu’elle n’est pas cuisinière mais si fine gourmet et ses meilleures adresses de l’île dont elle est devenue l’ambassadrice d’  honneur. Mon Pote (son adorable chien) passe en un éclair (p. 239). Les lecteurs familiers apprécieront.

J'ai trouvé qu'elle faisait preuve d'astuce en se mettant soi-même sur la scène en endossant le costume de l’écrivaine, sans pour autant jouer la carte de l’autobiographie, si ce n’est qu’elle s’est évidemment inspiré de son expérience récente en tant qu’animatrice d’un atelier d’écriture. Et ce livre contient, mine de rien, tous les (bons) conseils pour écrire, sans pour autant donner de leçon. Il est donc très agréable à lire.

Elle nous offre de jolies réflexions sur la maternité. Et il est vrai que les mères ne sont pas libres, elles s’enchaînèrent à vie par amour (p. 153). Elle en parle avec humilité. Et sans dévoiler l’intrigue, je dois dire qu’elle ne donne pas le beau rôle à son personnage principal. Encore bravo.

Elle y déploie une psychologie très profonde. Un livre qu’on lit est un tapis volant qui transporte, un gros pull qui réchauffe, une épopée dans laquelle sauter à pieds joints et à coeur battant, les yeux écarquillés. Mais lorsqu’on l’écrit, c’est un grand huit dont on ne revient pas indemne. (…). Ecrire ce n’est pas une thérapie, mais ça ébranle les fondements (p. 58). Le personnage d’Alix a raison de pointer la différence entre lire et écrire même si ces deux actions remuent.

Pour appuyer son argumentation sur la nécessité de tailler et élaguer son texte, elle a recours au sketch des oranges de Fernand Raynaud (dont elle a censuré la chute) et j'ai adoré le retrouver (p. 96).

On ne se doute pas combien le Brexit a modifié beaucoup de choses. Je ne suis pas étonnée qu'il ait été fatal à l’activité de brocanteuse d’un duo d’anglaises mère-fille (p. 41). Elle a l’art de distiller des éléments historiques, culturels, des allusions gourmandes. Je l’envie d’avoir pu visiter la maison-musée de Gainsbourg, rue de Verneuil (p. 152).

Le livre aurait pu s’arrêter p. 243 mais Lorraine prolonge, afin de ne pas laisser la curiosité des lecteurs en panne sur une fin ouverte. Et même, à la toute fin, elle lève tous les voiles. Plusieurs histoires d’amour et d’amitié (disons d’affection) s’entrecroisent habilement et sans aucune mièvrerie, nous faisant juste regretter de n'avoir pas fait partie des happy few de cet atelier.

A force d’entendre son refrain Et … et … et … racontez ! on a autant envie de s’y mettre que de programmer un séjour sur Groix.

L’écriture est une île de Lorraine Fouchet, éditions Héloïse d’Ormesson, en librairie depuis le 4 avril 2024

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