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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 19 décembre 2024

Fantastique histoire d'amour de Sophie Divry

Sophie Divry est déjà plusieurs fois primée. Elle a reçu la mention spéciale du Prix Wepler pour La Condition pavillonnaire et le prix de la Page 111 pour Trois fois la fin du monde.

Elle a publié il y a presque un an Fantastique Histoire d’amour, qui est son septième roman, récompensé  par le Prix Roman France Télévisions, le Prix du Livre France Bleu et le prix Page des Libraires 2024 … et malgré tout je n'avais encore rien lu de cette auteure.
Bastien, inspecteur du travail à Lyon, vaguement catholique et passablement alcoolique, est amené à enquêter sur un accident : un ouvrier employé dans une usine de traitement des déchets est mort broyé dans une compacteuse.
Maïa, journaliste scientifique, orpheline et fière, qui a érigé son indépendance en muraille, se rend au Cern, le prestigieux centre de recherche nucléaire à Genève, pour écrire un article sur le cristal scintillateur, un nouveau matériau dont les propriétés déconcertent ses inventeurs.
Bastien apprend que l’accident est en réalité un homicide. Maïa, elle, découvre que l’expérience a mal tourné. Sa tante, physicienne dans la grande institution suisse, lui demande de l’aider à se débarrasser de ce cristal devenu toxique.
Arrivée page 164 -et il en reste beaucoup avant d'atteindre la 506)- je me suis demandé comment Sophie Divry allait se dépatouiller de son intrigue. Tout était clair comme du cristal de roche. Par contre, d’habitude, quand je devine ce qui va arriver, je suis agacée que l’auteur n’ait pas mieux masqué les choses. Mais là on ne perd pas son appétit et on prend nos hypothèses pour ce qu’elles sont et pas comme des certitudes. Il n'est pas exagéré de qualifier cette lecture de palpitante, même si le roman aurait gagné à être un peu resserré. Et si, a contrario, certaines voies ont été prématurément abandonnées.

Il faut donc s'armer de patience et aller au rythme imposé par l'alternance entre les personnages. Heureusement le style de Sophie Divry est souvent onirique. Par exemple la physicienne manifeste un rictus de douleur. Comme une aile d’oiseau qui se serait cognée à une vitre (p. 158). Plus loin Maïa sentit dans son corps un mouvement de bascule, comme si on larguait les amarres (p. 241). 

Un peu à l'instar de Mailys de Kerangal dans Réparer les vivants, les références ornithologiques sont nombreuses, placées à bon escient mais on restera malgré tout sur notre faim …

Les personnages sont peu ordinaires et c'est ce qui participe au plaisir de la lecture. On rencontre rarement un homme (Bastien) atteint d'une mélancolie isabellienne, focalisé sur les femmes exceptionnelles. Ni une femme (Maïa) atteinte de disparitionnite aigüe. Le syndrome d'avoir les mains trouées est moins traité en littérature que son opposé celui de Diogène (tout conserver), admirablement traité par Christophe Perruchas dans revenir fils. Il est juste que les objets ne sont pas que des objets, choses inertes remplissant une fonction. Nous vivons une part de notre existence avec eux, nous nous y attachons, et quand nous les perdons, nous avons l'impression de perdre également une part de nous (p. 109).

On s'interrogera d'ailleurs jusqu'au bout sur l'origine de ce trouble, hormis sur son utilité pour faire progresser l'intrigue. Quoique Maïa ne soit pas toujours responsable des pertes (notamment p. 486 et l'effet est plutôt comique).

Le prénom de l'héroïne est sans doute signifiant, évoquant pour moi la maïeutique qui est l'art de faire accoucher les esprits de leurs connaissances, ce qui est le propre de son métier de journaliste.

Bastien nous confie que l'abbaye Saint Martin d’Ainey, en plein coeur de Lyon, une ville que connait bien Sophie car elle y habite, serait dotée d'un pouvoir de désorientation (p. 66). Sans doute au sens propre mais il aurait été passionnant de creuser cette piste. A lire un roman qui navigue entre comédie romantique et thriller, il ne faudra pas s'étonner que le lecteur échafaude des pistes, et pose un regard critique sur le scénario.

Les autres protagonistes ne sont pas moins surprenants, à commencer par cette Victoire, chercheuse au CERN de Genève qui est une vraie caricature, lointaine cousine de Mamie Luger ou de la Mémé Cornemuse de Nadine Monfils, à ceci près qu'elle n'a pas de flingue.

Le centre de recherche suisse existe bel et bien tout comme le boson qui est une particule donnant leur masse à toutes les autres particules de notre univers. Autrement dit sans le boson de Higgs, les particules ne se rencontreraient jamais, elles ne pourraient pas créer des protons et neutrons, qui, combinés aux électrons, forment la matière, ce qui fait dire à Victoire : Au-delà du boson, ce qu’on fait ici, c’est poser cette question fondamentale : pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien ? (p. 49)

La comparaison qu'elle établit (p. 417) entre les atomes et les groupes d’êtres humains est plutôt pertinente. Après un temps d’entente, ça explose. L'aspect scientifique du roman n'est pas négligeable et je n'ai pas de doute sur la véracité des affirmations. On est quand même vite dépassé entre la différence entre cristal et scintillateur mais là n'est pas le plus important car il ne faut pas oublier que nous sommes dans un récit fictionnel où le fantastique a toute sa place.

La présence de la statue de Frankenstein est du coup elle aussi pertinente. Elle m'a fait penser au film d'Antoine Russbach Ceux qui travaillent, qui a d'ailleurs un lien avec la profession de Bastien, inspecteur du travail.

J'ai apprécié d'apprendre l’origine de la conception du Rubik's Cube, un casse-tête inventé par Ernő Rubik en 1974, et qui atteint une popularité mondiale, quasi maladive, au cours des années 1980, et à laquelle je n'ai pas échappé. Rubik était un architecte intéressé au départ par le mécanisme de rotation sur trois plans. Quand il a colorié les dix faces il a eu besoin d’un mois entier pour résoudre le problème. Il a bien cru ne jamais y arriver … il n’était pas mathématicien (p.154.

Maïa utilise cet objet (et la poésie) à la manière d'une balle anti-stress et l'idée est intéressante. D'autant que ce casse-tête fut assez obsessionnel pour ceux qui ne parvenaient pas à le résoudre. Le roman présente à ce sujet une réflexion assez fine sur les addictions de tous genres, pas seulement l'alcool, face auxquelles nous ne sommes pas tous égaux. Egalement sur le vieillissement, son acceptation ou son refus, et sur son corollaire qui est la mort.

A cet égard le conseil médical de ne pas dire je vais essayer mais je vais le faire (p. 172) est une bonne recommandation.

Et si la vie était un rubicube dont on cherche à ordonner les faces comme certains imaginent dans la réalisation de leurs rêves un alignement des planètes ?

Ce que je vois dans ma boule … c'est une prochaine adaptation du roman en un scénario pour grand écran. L'avenir me donnera-t-il raison ?

Fantastique histoire d'amour de Sophie Divry, Seuil, en librairie depuis le 5 janvier 2024

mercredi 18 décembre 2024

Un concert de Konstantin Scherbakov pour fêter les 40 ans de l’AAMA

Un concert avec grand orchestre, c’est toujours impressionnant mais j’apprécie beaucoup un moment plus intime, avec un soliste, comme ce fut le cas ce soir avec l’artiste de renommée internationale Konstantin Scherbakov (bien connu des Antoniens mélomanes qui ont déjà eu l’occasion de l’entendre).

Il est arrivé depuis la Suisse où il réside pour une soirée particulière à 20 h 30, le 18 décembre, pour interpréter Mozart au piano dans un concert de 1 heure 20, ce qui a permis aux enfants de ne pas veiller très tard, et aux parisiens de rentrer à une heure raisonnable par le RER tout proche (station Antony-Centre).

Le concert était organisé par l’Association des Amis de la Musique d'Antony (AAMA) qui fête ses quarante ans cette année et qui a particulièrement pensé aux jeunes en leur accordant le bénéfice de la gratuité jusqu’à 18 ans, ce qui témoigne de l’engagement de l’organisateur en faveur de la musique classique.

Intitulé “Une Nuit avec Mozart“ le concert a eu lieu au Théâtre Firmin Gémier/ Patrick Devedjian d’Antony. Si je connais bien cette salle pour y avoir vu des spectacles de théâtre ou de cirque je n’avais pas encore eu l’occasion d’en apprécier l’acoustique en situation de concert et elle a satisfait les exigences de chacun.

Né en 1963, Konstantin Scherbakov a été lauréat de nombreux concours internationaux. En 2001, il a reçu le Cannes Classical Award et le Prix des critiques de disques allemands. Il a donné des concerts dans toute l’Europe et participé à de grands festivals. Il se distingue par un riche répertoire, a enregistré plusieurs émissions de radio et de télévision ainsi qu’une vingtaine d’albums. Ce pianiste est aussi pédagogue et enseigne au Conservatoire supérieur de Winterthur/Zürich. C’était une grande chance de profiter de sa venue en région parisienne (il jouera le lendemain dans ce même lieu un concert avec orchestre sur un programme Bach/Chopin qui affiche complet) en quelque sorte en avant-première et dans une certaine intimité.

Karina Abramian, Présidente de l’association, a rappelé le programme, composé de pièces de Mozart (1756-1791) qui est considéré -et quiconque l’écoute comprend pourquoi- comme étant l’un des plus grands compositeurs de l’histoire de la musique européenne. Cet homme, acharné de travail, emporté trop tôt par la maladie, à seulement 35 ans, a pu composer notamment 18 sonates et une vingtaine d’opéras. 

Cet immense virtuose, au piano comme au violon, a porté à un point de perfection le concerto, la symphonie, la sonate et l’opéra. Il va de soi qu’il faut faire preuve d’excellentes qualités pianistiques pour l’interpréter avec grâce, ce que réussit parfaitement Konstantin Scherbakov, réputé pour son jeu inspiré et ses capacités d’évocation.

Il nous a fait entendre la Fantaisie en do mineur KV 475 puis la Sonate en do mineur numéro 14 KV 457, moins souvent jouée, mais qui complète en quelque sorte la première. Après un court entracte il a poursuivi avec la Fantaisie en ré mineur KV 397 et la Sonate en la majeur, puis la transcription de Liszt sur deux thèmes des Noces de Figaro.

La conception musicale du premier morceau -qui est peut-être la sonate la plus connue de Mozart- est tout à fait audacieuse avec de multiples changements de tempo qui installent une forte intensité de l’expression. L’aisance au clavier du soliste et son sens de l’énergie rythmique ont ici eu l’occasion de se révéler pleinement.

Jouant sans partition, il est habité par chaque note et on remarque vite que les critiques musicaux ont raison de le considérer comme le pianiste de l’équilibre et de la gravité. La Sonate en la majeur est célèbre pour sa troisième partie (Rondo alla Turca) dite Marche turque.

Depuis mon siège je ne voyais pas ses mains sur le clavier du Steinway mais, à ses mouvements d’épaule je me rendais compte qu’il les suspendait régulièrement (parfois jusqu’à trois secondes) très en dessus des notes afin, peut-être de jouer avec le plus de retenue possible. Ses sourcils en tout cas étaient fort expressifs et j’ai souvent eu le sentiment d’assister à une conversation avec l’instrument.

Point n’était besoin d’être spécialiste pour noter les énormes écarts de vitesse dans le jeu et par la même de mesurer la difficulté des oeuvres. Je me suis interrogée sur ce que Mozart avait cherché à provoquer chez l’auditeur et si nous ressentons autre chose, du fait de notre mode de vie qui nous a entrainé vers toutes sortes de musiques. On m’a dit qu’à trois ans il disait : chercher sur le piano les notes qui s’aiment.

Il a choisi pour terminer la fantaisie de Franz Liszt parce qu’elle a connu son âge d’or quand la renommée de l’artiste en a fait un grand succès au XIX° siècle. Il faut lui reconnaître d’avoir inventé le récital de piano, disant avec fierté : le concert, c’est moi. Une assertion qui témoigne combien le talent du compositeur ne serait rien sans celui de l’interprète.
Le soliste est revenu après les saluts avec un morceau d’un autre compositeur, extrait de Casse-noisette de Tchaikowski qui du fait qu’il faut croiser régulièrement les mains, confirmait son incroyable dextérité … en plus de terminer sur des notes joyeuses.

C’était un bonheur immense d’entendre ce soir ce grand pianiste, le seul au monde à posséder à son répertoire, outre l’intégralité des sonates pour piano de Beethoven, toutes les transcriptions symphoniques Litz-Beethoven, et je crois également toutes les oeuvres de Rachmaninov et de Leopold Godowsky, lequel fut un des pianistes les plus recherchés au monde … à son époque car l’immense dextérité de Konstantin Scherbakov lui vaut d’être sollicité par les plus grands festivals, c’est dire notre chance ce soir d’avoir pu l’entendre.
Renseignements complémentaires à propos de l’association auprès de Karina Abramian, Présidente de l"AAMA" : 14 cours Pierre Fresnay 92160 Antony - 06 87 56 64 15 - musikkarina@gmail.com

mardi 17 décembre 2024

Les roses fauves de Carole Martinez

J’avais envie de lire Les roses fauves parce que j’apprécie le style de Carole Martinez mais je n’avais pas encore concrétisé l’intention. Avoir entendu l’auteure en lire de larges extraits à l’occasion du Salon du Livre Merveilleux de Châtenay-Malabry a précipité ma lecture.

Je vous souhaite d’avoir, vous aussi, un jour l’occasion de vivre un moment d’une telle magie. Certes, la présence de Karine Herrou Gonzalez, danseuse de flamenco, et du guitariste Cristóbal Corbel, a largement contribué à créer l’atmosphère adéquate. Ce n'est pas un hasard si une voix flamenca chante sur le chemin (p. 89).

Je salue le travail de ce trio qui mériterait totalement d'être à l'affiche d'une petite salle parisienne. D'abord parce que l'auteure a été comédienne et interprète donc admirablement les dialogues de son livre, écrit dans une forme de prolongement de l'immense succès de son premier ouvrage, Le coeur cousu, publié en février 2007, mais dont la lecture peut tout à fait être indépendante.

On apprend d’ailleurs dans celui-ci que le titre de son premier roman fut une idée de son éditeur, et sans aucun rapport avec la tradition dont il va être question dans Les roses fauves (p. 52).

Elle rencontre Lola à l’occasion d’une résidence d’écriture, dans un petit village breton. Elle vit seule au-dessus du bureau de poste où elle travaille, et se dit comblée par son jardin. Dans son portefeuille, on ne trouve que des photos de ses fleurs.

Son héritage est composé d’une boiterie qui l’a longtemps tenue à l’écart, d’une armoire de noces bretonnes ornée de roses de bois sculptés et de cinq cœursbrodés par des femmes de sa lignée espagnole, quand elles ont senti la mort venir et gonflés de bouts de papier sur lesquels étaient écrits leurs secrets. Une coutume andalouse veut qu’on se les transmette de mère en fille aînée, toutes prénommées Dolorès, sans jamais les découdre ni en lire les papiers qu’ils emprisonnent … à moins que l’un d’entre eux ne se rompe sans aide extérieure. Je suis la gardienne d’une histoire que j’ignore et qui ne m’appartient pas. L’origine de la douleur s’est perdue (…), et trouve sa réponse, peut-être, dans le coeur déchiré (p. 70).

La construction adoptée par Carole Martinez alterne les réflexions intérieures de l’auteure sur le processus créatif, les dialogues avec Lola la postière, détentrice des cœurs et la retranscription de leur contenu, autorisant une dimension surréaliste proche du conte pour répondre à la question de savoir si nous sommes écrits par ceux qui nous ont précédés.

Je crois aux histoires de famille, à leur capacité à nous hanter (p. 55). Le lecteur hésite néanmoins à prendre cette fable pour argent comptant mais l’auteure a tout de suite justifié sa position : Un roman n’est pas une mensonge puisqu’il ne se présente pas comme la vérité, même s’il s’en donne les apparences (p. 67). Elle insiste même : Contrairement à Lola je ne pense pas qu’il y ait une frontière nette entre la réalité et la fiction. Le roman surtout nous entraine sur des territoires flous, il occupe les lisières (p. 97).

Boiter fut longtemps interprété dans les campagnes comme un signe de pacte diabolique. Un vieil homme considère que les boiteuses ont un pied en enfer et, au moindre faux pas, elles entraînent les gens dans le malheur. C’est de passer le seuil trop souvent entre la vie et la mort qui leur donne cette démarche. Elles savent faire ça. Revenir chez les vivants pour les faire chier (p. 306). Et le fait que Lola se soit quasiment métamorphosée en une très belle femme renforce l’animosité.

On comprendra au fil des pages que Lola est au carrefour de son histoire familiale et de celle du village, au carrefour des vivants et des morts, là où s’épanouissent les roses fauves et les douleurs anciennes, là où ces fleurs se gorgent de sang et de désir (p. 320).

C’est devenu obsessionnel pour l’auteure qui ne demande même pas à Nelly comment ces roses ont pu sortir de mon roman et arriver chez elle (…) cette terreur que j’éprouve face à quelques roses en bouquet (p 304). On comprend que le passé opère des résurgences. On croit que tout s’oublie mais “des rhizomes ont creusé l’inconscient collectif “(p. 320). Ces phénomènes sont d‘autant plus naturels pour Carole Martinez que sa grand-mère l’a élevée dans un monde magique (p. 321).

Née en 1966 en Moselle, Carole Martinez est devenue professeur de français après des études de lettres. Elle a enseigné en France, en Espagne et en Irlande. En 2005, elle a profité d’un congé parental pour se lancer dans l’écriture, inspirée par les contes que lui racontait sa grand-mère.

Son premier roman, Le coeur cousu (2007) situe l’action dans un village andalou imaginaire et suit les aventures de Frasquita, une couturière aux pouvoirs magiques. Ce livre reçoit de nombreux prix, dont le Prix Renaudot des lycéens et le Prix Ulysse.

En 2011, elle publie Du domaine des murmures, une histoire se déroulant au XII° siècle, qui lui vaut le Prix Goncourt des lycéens et qui fut brillamment adapté au théâtre cette année. La Terre qui penche (2015) sera lui aussi autant imprégné de réalisme que de fantastique. Après Les roses fauves, son dernier ouvrage, Dors ton sommeil de brute (2024), sera sélectionné pour plusieurs prix.

Elle est également scénariste pour le cinéma et la télévision, et écrit des pièces radiophoniques pour France Culture. Son style d’écriture, marqué par une grande sensibilité et une imagination fertile, aborde des thèmes universels tels que l’amour, la quête d’identité et les relations familiales. 
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Les roses fauves de Carole Martinez, Gallimard, 20 août 2020
Sorti depuis en édition Poche

lundi 16 décembre 2024

Mon inséparable de Anne-Sophie Bailly

Les inséparables sont de petits oiseaux de la famille des perroquets dont l’habitat naturel est situé dans le sud de l’Afrique et à Madagascar. Leur surnom tient au fait que les oiseaux de ce genre demeurent généralement en couples extrêmement liés. Selon une croyance répandue, si l'un des deux meurt, l'autre se laisse mourir. En réalité, l'inséparable peut vivre seul, mais c'est un animal grégaire : il aime avant tout vivre en collectivité. 

C’est tout à fait ce que démontre Mon inséparable dont le titre fait surtout référence à la relation nouée par Mona (Laure Calamy), maman solo, avec son fils Joël (Charles Peccia Galletto). Les parents d’Océane (Julie Frogeront un comportement assez semblable d’ailleurs bien qu’ils soient mariés. Elle est fusionnelle avec son fils, au point de n’avoir plus de vie personnelle. Persuadée d'agir pour son bien, elle le chouchoute comme elle prend soin de leurs oiseaux dont la cage est un clin d’œil manifeste.
Mona vit avec son fils trentenaire, Joël, qui est "en retard". Il travaille dans un établissement spécialisé, un ESAT, et aime passionnément sa collègue Océane, elle aussi en situation de handicap. Alors que Mona ignore tout de cette relation, elle apprend qu’Océane est enceinte. La relation entre mère et fils vacille.
Anne-Sophie Bailly, dont c’est le premier long-métrage, aborde plusieurs sujets délicats : d’abord, les handicapés ont-ils accès au travail ? La réponse est oui, bien que ce soit dans des conditions particulières au sein d’ESAT. Ensuite, sont-ils "autorisés" à avoir une vie amoureuse ? Sans doute pas vraiment car ils sont contraints de se voir à la sauvette, à l’instar de couples illégitimes et le parallèle entre le fils et la mère est parlant. Il est cependant moins compliqué pour elle d’avoir recours à une chambre d’hôtel que pour lui.

On monte d’un cran dans l’interrogation. Ont-ils le droit de fonder une famille ? Etant donné qu’il est impossible de répondre par la négative, l’entourage et l’institution rusent, par exemple en favorisant des dispositifs contraceptifs quasi infaillibles comme les implants. Le film montre parfaitement qu’un couple composé de deux personnes porteuses de handicap peut connaître l’amour, avec des sentiments profonds et avoir un vrai désir d’enfant, tout en ayant les mêmes incertitudes que tout un chacun et les mêmes réponses totalement adéquates. Que feriez-vous si votre bébé pleure ? Je le prendrai dans mes bras répond spontanément Océane, ajoutant c’est pas ce qu’il faut faire ?

Classé dans la catégorie Drame, je trouve qu’en fait il s’agit plus d’une comédie sociale. Certes, la situation est grave, et elle est traitée avec sérieux, mais le film offre beaucoup de moments heureux et contient un potentiel comique, sans doute à l’instar de la vraie vie où tout n’est jamais ni totalement gris ni tout à fait rose.

La confrontation avec le père biologique de Joël montre bien qu’on peut être considéré comme normal et avoir eu un comportement inacceptable. On pourrait à ce moment là basculer dans le glauque ou le vaudeville et la réalisatrice parvient à suggérer sans faire de procès à charge.

Ce film est très réussi en ce sens qu’il traite en parallèle de l’émancipation du fils par rapport à la mère comme de celle de la mère par rapport au fils (et à sa mère qui décède au même moment) sachant que le soin crée toujours une co-dépendance entre le soignant et le soigné. Chacun va être amené à grandir et le scénario montre d’ailleurs que Joël est davantage prêt à s’émanciper de sa mère qu’elle de lui …
Le personnage de Mona est complexe. Son prénom signifie "seule"... et après des années de sacrifice (consenti) elle arrive à un âge délicat, ressent un certain vieillissement et l'urgence de penser à elle. Sa rencontre avec Frank (Geert Van Rampelberg) n'est pas un coup de tête mais elle a du mal à exprimer les sentiments qui la traversent. Elle s'exprime avec dureté et la culpabilité sous-jacente devient un ressort de jeu.

Elle va exploser face à cet homme qui n'a pas compris la situation. Elle est touchante, les pieds nus, sous la pluie, épuisée et tournant le dos à son amant, simplement vêtue de la ceste de son fils. La scène montre à la fois une femme démunie, révoltée, et dont la colère prête malgré tout à sourire.
Les comédiens sont formidables de justesse, à commencer par la très naturelle Julie Froger (ci-dessus), ce qui témoigne, si c'était nécessaire, qu'on peut être handicapé et acteur, comme l'avait si remarquablement démontré la troupe d'Hamlet dirigée par Chela de Ferrari qui s'illustra dans le festival Imago. On peut aussi penser à Gabriel Donzelli qui m'a époustouflée dans le naturel (et le talent) qu'il manifeste pour parler de ses handicaps dans un one-man show prodigieux.

Si Charles est acteur et aime jouer, avec sa façon de parler et de voir le monde qui lui est propre, par contre Julie n’est pas actrice mais elle a aimé cette expérience, et a eu à coeur de défendre cette possibilité d'être en couple. Charles comme Julie ont des points communs avec leurs personnages, mais ne sont pas leurs personnages.

Charles n’a pas les mêmes obsessions ni les mêmes endroits d’incompréhension que Joël : c’est un acteur, en situation de handicap. Les handicaps de Joël et Océane sont peu visibles, ce qui rajoute à leur mystère : c’est par un trouble de l’élocution, une démarche, un regard qu’on le devine. Et la direction d’acteurs est très fine. Le film évite miraculeusement le misérabilisme et le voyeurisme. Il est davantage charnel et mystérieux avec une part de non-dit. 
Charles Peccia Galletto (ci-dessus) est pressenti pour être nominé comme révélation masculine à la prochaine cérémonie des César. A suivre donc. A commencer par l'annonce officielle des nominations le 29 janvier 2025.

Anne-Sophie Bailly est née et a grandi en Franche-Comté. Elle n’est pas du "sérail" mais a travaillé comme comédienne, après des études de théâtre et de sciences politiques avant de passer in extremis le concours de la Fémis à 27 ans, ce qui est l’âge limite. Elle y a réalisé plusieurs courts-métrages naviguant entre le documentaire et la fiction.Elle vient d’une famille de soignants, et la représentation des gestes du soin guide habite tout son désir de cinéma autour des thématiques du soin, de la maternité, la filiation, la transmission. Son court-métrage de fin d'études, La Ventrière (2021) en témoigne. Il a été sélectionné dans plus de quarante festivals à travers le monde et a remporté une dizaine de prix. Elle est aussi scénariste pour d’autres réalisateurs. Mon inséparable est, je le rappelle, son premier long-métrage.

La genèse de ce film vient d’une rencontre qu’elle a faite dans une maison de retraite où travaillait sa mère, avec une femme de 60 ans dont la mère avait 80 ans et qui avaient toujours vécu ensemble parce que la fille, Yolande, avait un handicap qu’on définirait comme un retard intellectuel, et quand la mère était devenue dépendante, sa fille l’avait suivie "par obligation" en maison de retraite.

Il y aurait environ 10 % (entre 6 et 13% en fonction de la définition sur laquelle on s’appuie) de personnes handicapées dans la population française, ce qui est énorme. Ceux qui fondent une famille vivent en général à proximité de leur famille, dans un appartement qu’ils louent comme n’importe qui. De toute façon, les foyers n’accueillent pas de famille. Et cette question n’est pas pensée parce qu’on est sur un tabou eugéniste. A fortiori sur la question des droits de l’enfant à venir. 

La fin est ouverte, il ne pouvait pas en être autrement. Nous ne saurons pas si Joël et Océane réussiront à devenir de "bons" parents mais si les familles dites "normales" n’étaient jamais dysfonctionnelles on le saurait, non ?

Mon inséparable de Anne-Sophie Bailly
Avec Laure Calamy, Charles Peccia Galletto, Julie Froger, Geert Van Rampelberg …
Sortie en France le 25 décembre 2024
Première mondiale au Festival de Venice 2024
Photos © Lucas Charrier 

dimanche 15 décembre 2024

Célèbre de Maud Ventura

Trois ans après le succès de Mon mari, son premier roman, Maud Ventura, fait le portrait d'une chanteuse qui s'est autoprogrammée pour acquérir la célébrité, dans un roman intitulé Célèbre, qu'elle dédie … à son mari.
La célébrité est ma vie. Est-ce que j'étais préparée à un tel succès ? Bien sûr que oui.
Cléo grandit dans une famille dont elle déplore la banalité. Dès l'enfance, elle n'a qu'une obsession : devenir célèbre. Au fil des années, Cléo saute tous les obstacles qui s'imposent à elle, arrachant chaque victoire à pleines dents, s'entaillant la cuisse à chaque échec.
À la surprise de tous, sauf d'elle-même, Cléo devient une star mondiale, accumulant les millions de dollars, les villas à Los Angeles et les récompenses.
Ce second roman aborde un thème qui avait déjà été traité par Olivier Bourdeaut dans Florida. J’attendais donc que le sujet soit abordé sous un autre angle. 

On découvre Cléo Louvent épuisée et retirée du monde dans une île déserte (un séjour qui coûte malgré tout une fortune) quelque part dans l’hémisphère sud. Elle fait allusion à des cicatrices qui zèbrent son corps et du coup attire notre sympathie quand elle confie qu’il y a un prix à payer pour la célébrité et il se paie chaque jour (p. 23). On se doute qu’il ne s’agit pas d’argent. Mais on ne se doute pas à quel point elle va payer cher, non pas vraiment sa célébrité, mais le comportement qui lui est associé.

Pourrez-vous néanmoins la croire puisqu’elle prévient qu’elle a romancé sa vie (…), fabriqué de faux souvenirs (…) il suffit de raconter un même évènement plusieurs fois. Au bout de la troisième ou de la quatrième occurrence, le passé commence à se recomposer (p. 31) et on comprend qu’elle a réécrit sa vie.

On se sent un peu mené en bateau car un peu plus loin elle nuance : A strictement parler, ma célébrité n’est pas un mensonge, ce n’est pas encore vrai. J’anticipe (p. 92).

On la découvre très vite plutôt dédaigneuse à l’égard de son entourage, voleuse, envieuse, déjà aigrie mais on remarque aussi qu’elle n’a pas davantage de compassion pour elle-même puisqu’elle s’écrase une cigarette sur le bras pour se punir de n’avoir pas réussi ce qu’elle aspirait à faire.

Les “punitions » ne cesseront pas. Elle se taillade bientôt la cuisse au rasoir en représailles de n’être pas à la hauteur d’une certaine Jane Cabello dont elle a étudié la réussite. Je ne connais même pas cette starlette et je sens que je vais avoir du mal à poursuivre la lecture jusqu’à la 541ème page. On sait très bien que,  quoique écrit à la première personne, Maud Ventura n’est pas le personnage en question. Puisque tout a été inventé alors pourquoi y croire ?

Comment plaindre Cléo d’éprouver l’exact contraire du syndrome de l’imposteur ? Je pense que j’ai un talent fou et je me demande quand le monde entier finira par s’en rendre compte (p. 79). Je veux bien apprécier si c’est du second degré mais rien n’est moins sûr. Le doute s’évanouit quand je lis (p. 119) : je ne suis ni riche ni célèbre à 25 ans, comment pourrais-je me réjouir ? Et je pense à cette homme politique qui associait la réussite au port d’une Rolex au poignet. 

Et je ne suis pas certaine qu’elle ait raison d’affirmer que le seul moteur des grandes réussites est la frustration (p. 108). Beaucoup d’assertions résonnent joliment mais sonnent faux. Elle prétend pleurer en silence sous sa douche (p. 112) quand au même moment j’entends chanter Gaëtan Roussel (album Eclectique - piste 1) : On ne pleure pas dans l’eau.

Je ne suis pas psy mais je pense que cette femme a un très grave trouble de la personnalité. Je lis un peu vite le mot scarification et je comprends starification. Maud Ventura aurait-elle cherché à nous offrir un livre de développement personnel dévoilant la meilleure méthode pour devenir célèbre tout en nous prévenant qu’il vaudrait mieux ne pas mettre le petit doigt dans cet engrenage ? Je déteste les injonctions paradoxales. Me voilà servie.

Le séjour sur l’île déserte est un cauchemar mais bien entendu, notre vaillante héroïne se “promet d’aller jusqu’au bout des trois semaines convenues, pas un jour de moins“ (p. 150). Et … je fais comme elle, je poursuis la lecture …

On ne s’isole pas volontairement sur une île déserte si on n’a pas de sérieux comptes à régler avec soi-même (p. 154). Nous y voilà, nous allons savoir enfin quelle est sa motivation profonde et connaître la nature de la vengeance sous-jacente : La célébrité n’est pas une victoire. C’est une vengeance (p. 38).

En fait, non. On aura juste confirmation de son égocentrisme, de son côté calculateur par intérêt, de sa gentillesse pour mieux manipuler l’entourage et faire avancer sa quête absolue de perfection (sauf d’elle-même car elle est le contraire d’une personne parfaite). C’est toujours moi-moi-moi.

On apprend quand-même qu’aux États-Unis les interviews sont scriptées (p. 225) évitant soigneusement d’aborder les 207 sujets interdits au cours d’un enchaînement non-stop de 14 heures d’entrevues. Pour le reste, on sait bien qu’on ne prête qu’aux riches et que les sollicitations abondent par effet boule de neige quand on gagne en notoriété.

On pourrait considérer qu’être célèbre c’est être dispensé d’accomplir des tâches triviales (comme vider le lave-vaisselle et vous vous amuserez du recensement qu’elle liste p. 428) à tel point que le réel parait parfois si loin (p. 314). C’est l’instant où je pourrais m’attendrir un peu car il est vrai qu’on peut vite décrocher de la réalité quand on est soumis à un mode de vie qu’on ne maitrise pas et qui nous est dicté par des conditions extérieures échappant à notre volonté. J’ai expérimenté cette situation quand j’ai travaillé en cabinet ministériel. Tout y est si surréaliste qu’on perd (hélas) le sens du concret en l’espace d’une semaine.

Mais je ne la suis pas quand elle cherche à nous apitoyer en pleurnichant que le succès est plus difficile que l’échec (p. 355) ni lorsque je m’aperçois qu’elle méprise cette classe sociale à laquelle elle n’a eu de cesse d’appartenir. Être pauvre n’est pas une chance, non !

La comparaison avec Miranda, l’exigeante et harcelante patronne du Diable s’habille en Prada, satisfait son orgueil (p. 477). Mais elle est pire que ce personnage qui s’adoucit à la fin. Elle, jamais. Elle reconnaît à son amie Aria (on se demande d’ailleurs au passage comment ses amies font pour la supporter) n’avoir plus beaucoup de tendresse à donner (c’est un euphémisme) en particulier à son conjoint.

Et ce n’est pas le détour qu’elle a fait pour lui acheter des gaufres chez Meert, (dont l’auteure précise que la boutique se trouve rue Elzévir, ce qui est bien entendu exact, et qui me fait penser qu’elle aussi se livre à du placement de produit, quand cela vaut le coup, … sans doute pas avec la marque de luxe française qui -elle- n’est pas citée).

Je m’en veux aussitôt de raisonner ainsi car j’ai moi-même donné les trois adresses du fabricant dans un de mes articles -ici- sans avoir négocié aucune contrepartie). 

Que penser aussi de la façon de Cléo de gagner des instants de tranquillité en se fracturant la cheville ? Est-ce pour nous faire rire (ou pleurer) que l’auteure raconte ses multiples tentatives ? La maladie mentale est de plus en plus évidente. Elle est en plein délire paranoïaque (p. 489) et j’ai peur de finir par effet de contamination par voir mes facultés de jugement altérées.

La lecture des remerciements n’estompe pas du tout mes doutes. Je finis par tout prendre au troisième degré tant le dernier chapitre était insoutenable. Mais voilà que Maud Ventura écrit quelques mots à la toute fin pour rendre hommage à Sophie de Sivry, la fondatrice de sa maison d’édition, L’Iconoclaste, et connaissant cette personne hors normes je ne tergiverse plus. Je sais que sa sincérité est absolue … du moins dans ces dernières lignes.

Célèbre de Maud Ventura, chez L'Iconoclaste, en librairie depuis le 22 août 2024

samedi 14 décembre 2024

Saint-Ex, le film de Pablo Agüero

Le générique se déploie sur un ciel de nuages en embellie, en toute logique puisqu’il va s’agir d’aviation. Nous sommes prévenus que le scénario est librement inspiré des aventures de Saint Exupery. Il se déroulera de 1930 à 1944, date de la mort de Saint-Ex.

Ne vous attendez donc pas à une biographie qui retracerait le parcours de l’homme. L’histoire se concentre sur une semaine de son métier d’aviateur aux côtés de son immense ami et mentor Henri Guillaumet et de sa femme, Noëlle, tous trois au service de l’Aéropostale.

Leur credo est toujours plus vite, toujours plus loin, toujours ensemble et nous verrons qu’il n’y a jamais trop de sacrifices pour le satisfaire comme leur devise : le courrier est plus important que la vie.
En 1930 Antoine de Saint-Exupéry est pilote de l’Aéropostale en Argentine. Quand Henri Guillaumet, son meilleur ami et le meilleur pilote de la compagnie (peut-être de toute l'histoire de l'aviation), disparaît dans la cordillère des Andes, Saint-Ex décide de partir à sa recherche. Cette quête impossible l'oblige à se dépasser, en faisant de sa capacité à rêver sa plus grande force...
Certes, j’ai été déçue de ne pas suivre l’entièreté de la vie de Saint-Ex. J’espérais un plan séquence sur l’arboretum de Verrières-le-Buisson où il se promenait avec sa fiancée Louise de Vilmorin. On n’apprend rien de son activité littéraire mais on le voit régulièrement dessiner, griffonner serait plus exact. Il est amusant de se souvenir que trouvant les propositions des illustrateurs "trop bien" l'écrivain finira par exécuter lui-même ceux du Petit Prince qu'il voulait simples et maladroits comme un dessin d'enfant.

Cela étant le réalisateur nous offre un hommage vibrant à l'écrivain qui fut aussi un héros, comme Henri Guillaumet, dont on ne mesure pas assez le courage aujourd'hui et dont il faut savoir qu'il a effectué près de 400 fois la traversée de la Cordillère, ce qui lui vaudra le surnom d'ange de la Cordillère après la survie légendaire à son crash du vendredi 13 juin 1930.

Pablo Agüero partage son temps aujourd'hui entre l’Argentine et la France. Il est né en Patagonie en 1977, au pied de l'Aconcagua, à l'endroit même que Saint-Exupéry survola plusieurs jours à la recherche inlassable de son ami perdu. Après des études à l’école de cinéma à Mendoza (Argentine), il s’est présenté au festival de Toulouse et a décidé ensuite de rester en Europe. C’est après avoir vécu la deuxième moitié de sa vie en France que lui vint l'idée de retourner à la Cordillère des Andes pour filmer les aventures de Saint-Ex.

Il explique que Le petit Prince était le seul livre qui se trouvait chez lui quand il était enfant et combien ce conte philosophique l'a aidé à surmonter l'extrême précarité de ses conditions de vie, le poussant à bâtir son propre univers imaginaire, ce qui légitime totalement -si besoin était- son désir de lui dédier un long-métrage.

Il faut louer son travail de recherches préalables qui lui a permis d'apprendre que, des années avant d'écrire son best-seller, l'écrivain avait rédigé une nouvelle sur deux jeunes filles d'origine française qu'il appelait "les petites princesses d'Argentine", qu'il avait rencontrées suite à un accident d'avion et qui avaient comme mascottes... un renard et un serpent ! Il a ensuite découvert l’île aux oiseaux, et compris en quoi l'originalité de sa forme évoquant un chapeau inspira l'un de ses plus célèbres dessins. Enfin Juan Gualberto, le petit berger, qui sauva l'aviateur existe bel et bien. Il a été décoré par Jacques Chirac soixante-et-onze ans plus tard pour avoir retrouvé Guillaumet.

Si on connait ce contexte on comprend mieux qu'il ait cherché à faire un film poétique sous forme de conte dans l'esprit de Saint-Exupéry, ponctué d'indices qui seront le terreau, dix ans plus tard, de l'un des textes les plus universels de l'Histoire. On accepte alors de voir un héros décalé, éternellement enfantin, presque naïf, capable d'humour et de second degré, désinvolte et inconscient, mais flamboyant de courage qui est formidablement incarné par Louis Garrel, sans doute un de ses plus beaux rôles. Et on pardonne l'invraisemblance à tendre un croquis en plein vol par la porte ouverte pour signaler leur position à son ami pilote alors qu'il est dans la partie inférieure de l'avion collé à une otarie comme à une couverture chauffante (même s'il est exact que le poète garda cet animal dans une baignoire en région parisienne).

Il fait la paire avec Henri Guillaumet, un autre héros, très différent, plus viril, théoriquement infaillible qui lui aussi est parfaitement interprété par Vincent Cassel. L'homme était marié à une suissesse et bien entendu le charmant accent de Diane Kruger ajoute de la crédibilité au personnage. De même que sa coupe de cheveux, inspirée par l'élégance d'Anne Lindbergh, elle aussi aviatrice.

Ce qui est très réussi, outre la combinaison entre les faits réels et les indices auxquels je fais allusion ci-dessus c'est la bascule entre la toute puissance d'Henri et la fragilité d'Antoine qui va s'opérer après l'accident du premier, obligeant le second à devenir meilleur que le premier l'espace d'un moment. Cela nous donne une leçon de vie complémentaire.

vendredi 13 décembre 2024

Paul Galiana sort un nouvel album intitulé De la vie

Voilà encore un chanteur-compositeur que je découvre à travers un nouvel album, De la vie que le guitariste Paul Galiana a sorti le 27 novembre 2024, conçu avec ses fidèles musiciens Alain Gibert à la basse et Guillaume Glain à la batterie.

Rien d'étonnant à ce que les guitares y soient à l'honneur, qu'elles soient électriques, acoustiques, ou dobro, parfois soutenues de claviers (rhodes, piano, orgue).

Il démarre avec le titre qui a donné le nom de l'album, De la vie (piste 1) sur une note un peu rock, me faisant penser aux intonations de Jean-Félix Thiéfaine et qui nous promet de la vie, de la vraie pourvu qu'on accepte la prière comme un réconfort en temps de crise, en l'occurrence la tentative d'assassinat de Salman Rushdie en 2022. Suit Ledru-Rollin (piste 2) qui vous entraine dans le Paris des bistrots où on vivait comme dans un village que Robert Doineau aimait photographier. C'est à la fois le temps qui passe et l'écologie que le musicien célèbre.

En ligne (piste 3) est imprégnée de ruralité avec une nouvelle fois l'évocation du temps qui passe mais avec tendresse. C'est tout juste si on ne se lève pas pour danser nous aussi sur le parquet. Nous défendrons l'automne (piste 4) est interprété avec Clément Verzi dont certains d'entre nous se souviennent peut-être de ses passages dans The Voice après son interprétation de Je te promets qui avait provoqué l'intérêt de tous les membres du jury. Il sera finaliste de l'émission face au grand gagnant, Slimane.

On découvrira un autre duo avec l'artiste estonienne Lembe Lokk avec La fille du train pour Tallinn (piste 8), écrite suite à la lecture d'un article de Libération à propos d'une étudiante ukrainienne fuyant la guerre à destination de … l'Estonie. A signaler les sublimes reprises de cette jeune femme des chansons de Leonard Cohen dans Secret Chords.

Entre le fleuve et la rivière (piste 5) est un hommage à la ville de Lyon, signalant combien cet album a des inspirations autobiographiques. L'artiste s'en explique : Je me suis aperçu que la vie des gens, la vie des villes était le fil rouge qui reliait ces 14 chansons. Pour ce nouvel album, j’ai flâné en chemin, j’ai croisé un blues électrique ici (Genghini blues - piste 7, en hommage au footballeur international français, milieu de terrain sochalien jusqu'en 1982), une valse acoustique plus loin, et puis quelques rock-à-guitares-qui-crachent-leur-mère avant une ballade intimiste. Ce voyage au long cours permet aussi la conversation. Après avoir conté la vie des autres, glosé sur le monde comme il va, je me livre dans mes envies, mes doutes et ma vie.

C'est bien ce qu'on devine dans Ta place (piste 6) qui aborde un des sujets des plus intimes qui soient (en l’occurrence, son père) avec une musique comme un hommage aux Innocents de JP Nataf et Jean-Christophe Urbain. Elle démarre avec une intro ponctuée de notes que je reconnaitrais entre mille, celles du fameux Blue Hotel de Chris Isaak (1986) et qui reviennent plusieurs fois dans le morceau.

Punchline (piste 9), qui fait référence aux réseaux sociaux, a des sonorités qui font penser à plusieurs titres de Jean-Jacques Goldman lorsqu'il va au bout de ses rêves et que la musique est bonne.

C'est sans doute parce qu'il est né en Espagne qu'il a gardé Le goût de l'horchata (piste 10), du nom d'une boisson à base d'eau de riz, très consommée dans ce pays, comme au Mexique d'ailleurs.

Dans les remerciements on trouvera la mention de Sort Chalandon dont le roman Une joie féroce (Grasset, 2019) lui a inspiré l'histoire de Jeanne Pardon (piste 11), une femme qui à force de se sentir illégitime à tout finit par accepter d'être coupable d'être en vie.

La main qui tremble (piste 12) fait l'éloge de l'incertitude et du doute alors que pourtant, si on a bien écouté Jeanne Pardon, on a compris que le chanteur sait très bien ce qui est vrai, ce qui est faux.

Le signal (piste 13) a pour cadre un autre lieu où vécut Paul Galiana, un immeuble situé en Gironde, derrière la dune, en bordure de la mer laissant passer les voiliers venus d'Oléron. Le décor me parle car je connais ces endroits si attachants.

Sans Paris (piste 14) termine le parcours en s'éloignant de la capitale française pour rejoindre la ville si chère à Brel autant qu'à Dick Annegarn ou plus près de nous, Angèle qui chantait son amour pour Bruxelles en 2021. La vie se teinte d'ironie puisque Dick Annegarn avait beau chanter en 1974 
Bruxelles, ma belle, je te rejoins bientôt
Aussitôt que Paris me trahit
 … l'auteur-compositeur-interprète d'origine néerlandaise, auteur de chansons principalement en français, est resté vivre en France, ce qui n'a pas empêché les élus de la ville, appartenant à la fois à la Communauté française de Belgique et à la Communauté flamande, de le nommer citoyen d'honneur en 2005.

Né en Espagne, et ayant grandi en Haute-Savoie où il a mené durant onze années le groupe estonien Profane, Paul Galiana écrit, compose et joue sur scène depuis l’âge de 16 ans. Il est diplômé de l’Ecole des Technologies Musicales (ETM), à Genève (1996). Arrivé à Paris en 1998, ce guitariste multi-tâches a multiplié les rencontres et les collaborations, du rock à la chanson et du folk au rock, tout en menant son projet personnel, sous le nom de Lune Papa, qui commença à prendre forme dès 2012.

En 2017-18 il participa au projet Champagne pour Jacques Higelin. Il collabora à cette occasion (en tant que chanteur, arrangeur, guitariste, bassiste…) avec des artistes tels que (entre autres) Hey Sarah, Olivier Eyt, La Bestiole, Cat Loris, Armelle Yons, Kiefer ou encore Diabolo… Cette expérience renforça son désir de poursuivre son parcours musical sous son nom propre, avec à ses côtés Alain Giber et Guillaume Glain tout en  donnant à son répertoire une couleur plus électrique et pop, ce qu'il réussit depuis l'EP, Marque-Page sorti en 2021.

Ce qui ne l'a pas empêché cette année de poursuivre les concerts avec, entre autres, Clément Verzi (Zèbre de Belleville) ou Armelle Yons (Café de la Danse) qui est aussi sa photographe.

De la vie, paroles, musiques et arrangements de Paul Galiana
Mixé par Fred Lafage. Dans les bacs à partir du 27 novembre 2024
En concert le 2 février 2025 à la Mécanique Ondulatoire - 8 Passage Thiéré - 75011 Paris
Photo © Armelle Yons

jeudi 12 décembre 2024

Prix du Brigadier 2024

Ce qui est formidable avec les Prix du Brigadier c'est que l'émotion ressentie au cours de la cérémonie n'a pas la même tonalité tous les ans. Le cru 2024, remis comme il est de tradition au Théâtre Montparnasseinauguré en 1886 a particulièrement été marqué par l'humour, en réaction peut-être à ce qu'on ressent en terme de "morosité ambiante".

Les discours officiels, inévitables, n'ont pas été très longs devant une salle très remplie de personnes très heureuses de se retrouver pour célébrer cette 44 ème séance qui commença avec mention particulière à Marie-Hélène Brian pour son implication à l’ART et des remerciements à la Bibliothèque nationale qui en accueille toutes les collections depuis 1969.

Faut-il rappeler que le brigadier est ce morceau de perche avec lequel le Régisseur (Directeur de la scène et par conséquent de la Brigade technique au service du spectacle) frappe les trois coups qui commandent le lever du rideau ? Décorés de velours rouge et de clous dorés, portant la plaque de cuivre gravée au nom du récipiendaire, ils ont été réalisés une nouvelle fois cette année par Xavier Soulabaille, régisseur plateau, à partir de perches provenant pour cette édition du Théâtre Montparnasse, du Casino de Paris et des Folies Bergère. Laurent Terzieff qui le reçut en 1986 disait à propos de cet instrument qu'il était le magicien du temps puisqu'il l'arrête.

Honneur au sexe féminin, c'est Delphine Depardieu qui a reçu la première son trophée pour son interprétation dans Les liaisons Dangereuses à la Comédie des Champs-Elysées, dans l’adaptation et la mise en scène d’Arnaud Denis (jusqu’en avril 2025, à la Comédie des Champs-Élysées).

Stéphanie Fagadau, la Directrice de la Comédie et du Studio des Champs-Elysées, le lui remit au terme d’un très joli discours évoquant la naissance de son rôle de Madame de Merteuil, que la comédienne accepta de reprendre en l’espace de deux jours, et qui devint un chainon marquant dans le fil de son chemin. Delphine salua ses co-acteurs et les techniciens mais n’en resta pas là. Sobrement vêtue d’un pantalon noir et d’un pull blanc, coiffure sage, elle exprima combien il lui fut difficile d’assumer de porter un nom célèbre et de gagner ses propres galons dans un métier qu’elle adore et où d’autres avant elle s’y sont taillés une place de premier ordre.
Il y a vingt ans, on m'avait conseillé de changer de nom. Mon père (Alain Depardieu, producteur de cinéma, est le frère de Gérard) m'a encouragée à travailler pour le faire oublier au profit de mon prénom. Je vis cette récompense comme un adoubement qui va me permettre d'effacer tout sentiment d'imposture. C'est important pour moi qui n'ai jamais eu de prix scolaire et qui a même redoublé le CP. Quand on m'a appris la nouvelle, j'ai pleuré au téléphone. J’avais tant de fois assisté à la cérémonie depuis la salle en me disant " bon ben ça c'est le prix des grands et … je n'y crois toujours pas ". Cela signifie que les gens du métier ont compris que je n'étais pas là uniquement grâce à mon nom, mais parce que j'ai un amour des textes et de la scène. J'ai toujours voulu me faire un prénom.
Le second Prix du Brigadier de l'année 2024 échut à Maxime d'Aboville pour son interprétation dans Pauvre Bitos de Jean Anouilh, mis en scène par Thierry Harcourt (jusqu’au 5 janvier au Théâtre Hébertot). Michel Fau s’était porté candidat pour le lui remettre. Il s’en est acquitté avec le potentiel comique qu'on lui connait, mais qui ce matin était particulièrement en verve : Je t'aime à la ville comme à la scène, c'est pas si fréquent (…) Tu conjugues folie et rigueur comme les grands jardins à la française. Malgré tes deux Molières garderas-tu ton insolence ?

Maxime reçut effectivement deux fois le Molière du Comédien dans un spectacle de Théâtre Privé, en 2015 pour The Servant et en 2022 pour Berlin-Berlin. Tout le monde aura compris l’ironie de la situation lorsque Michel Fau enfoncera le clou en disant adorer la cérémonie des Molières puisqu’il n’en est jamais reparti avec une statuette alors qu’il a été nominé neuf fois depuis 2014 pas plus que sa pièce Lorsque l'enfant paraît, dont il est le metteur en scène, nominée dans quatre catégories l’année dernière.

Maxime d’Aboville lui a emboité le pas en allant encore plus loin dans l’humour afin sans doute de masquer l'émotion car il se souvenait parfaitement que son maître Michel Bouquet -qui avait aussi interprété Bitos- avait reçu ce Prix avant lui. Il le cita en soulignant son humilité : tu es plus intéressant toi qui m’écoutes que moi qui parle.

Il s’est réjoui pour Delphine Depardieu, sa camarade d’apprentissage chez Jean-Laurent Cochet, et son metteur en scène Thierry Harcourt qui lui porte chance (il était aussi le metteur en scène de The Servant). Également Francis Lombrail le directeur d’Hébertot qui a fait preuve d’un heureux courage en exhumant (sic) Bitos soixante ans après sa création par Michel Bouquet qui, rêvant que le rôle soit repris, s’en était ouvert à Francis Lombrail. Ce fut l’occasion de rendre hommage aux risques pris par les producteurs … dont on parle peu au théâtre.
Michel Bouquet m’a inspiré énormément. Il fait partie, à l’instar de Louis Jouvet ou de Charles Dullin, de ces quelques phares qui ont hissé le théâtre à une hauteur spirituelle. Jean Anouilh, monté trois fois dans le théâtre privé cette année, et ce n’est pas rien. Il a refusé toutes les récompenses officielles, n’acceptant en 1971 que la seule qui soit véritable à ses yeux, le Prix du Brigadier. Le grand théâtre est aussi la traversée d’une cruauté (Delphine pourrait dire la même chose).
Maxime avait passé une audition pour reprendre le rôle, devant un parterre de personnalités du théâtre autour de Myriam Feune de Colombi -qui demeure l’âme de ce lieu- dont il imita la voix justifiant au cours d’une conversation téléphonique que le comédien nous restitua avec un effet comique des plus jouissifs, qu'il n'interprèterait pas ce rôle sur la scène du Théâtre Montparnasse en lui donnant l'argument imparable qu'il était beaucoup trop beau garçon. Excuse bidon, comme l'avenir le prouva, puisque c'est grâce à ce rôle qu'il est aujourd'hui récompensé.

Un Brigadier d'Honneur fut décerné à Geneviève Casile, Sociétaire honoraire de la Comédie Française pour l'ensemble de sa carrière et nous n’attendîmes pas le rappel de ses rôles pour lui faire une standing ovation. Il lui fut remis par Karen Taïeb, Adjointe à la Maire de Paris en charge du patrimoine, de l'histoire de Paris et des cultes qui rappela quelques-uns des plus grands moments de la comédienne étoile du théâtre dont le rêve était de devenir danseuse étoile, comme sa fille Hélène Babu (à l’affiche de la Serva amorosa) tandis que sa petite-fille Eva Loriquet est elle aussi comédienne.

Elle a joué Electre, Célimène, Elvire, Elmire, Junie, Bérénice, Andromaque, Chimène et Roxane. Elle fut Marie-Antoinette ou la marquise Cibo de Lorenzaccio pour le cinéaste Franco Zeffirelli, Lucrèce Borgia, Isabelle d’Angleterre des Rois maudits, Marie Stuart, Elisabeth d’Angleterre, la reine de Ruy-Blas ou encore Dona Sol dans Hernani sous l’aile de Robert Hossein, plusieurs fois comtesse, Sarah Bernardt, Carmen dans Le Balcon de Jean Genet, dirigée par Georges Lavaudan, mais encore Mère Marie de l'Incarnation dans le Dialogue des Carmélites, mis en scène par Gildas Boudet à l’Odéon en 1987 dans lequel Catherine Salviat, présente dans la salle, fut sœur Constance de Saint-Denis.

Fort élégamment et sans micro, Geneviève Camile a exprimé d’une voix douce sa joie de savoir son premier brigadier, offert par il y a trente ans par l’Administrateur de la Comédie Française à l’occasion de son départ sera rejoint par celui-ci, nettement plus beau au demeurant. Elle a profité de l’occasion pour faire le bilan de ce qui fut le meilleur moment de sa carrière, sa jeunesse, quand elle ne pensait qu’à la danse, une discipline qui lui a enseigné à se tenir droite, à jouer avec grâce et en affichant un sourire inébranlable; Elle aussi s’exprima avec beaucoup d’humour, confessant que l’obtention de trois premiers prix d’interprétation l’avaient mise en panique. Elle a apprécié la fantaisie invraisemblable des années 60 et plus que tout le rapport avec le public.

Ce que n’a pas dit cette “reine d’affiche“ de 87 ans c’est que sa carrière est loin d’être achevée. Elle fut cet été au Théâtre des Gémeaux, pendant le festival Off d’Avignon, Julia Maesa, dans Héliogabale, qui n'est pas une pièce facile et qu’elle accepta parce que le metteur en scène était Pascal Vitiello.

Cette 44 ème cérémonie fut l’occasion de célébrer deux créateurs, l’une pour les costumes, l’autre pour les lumières en décernant un Brigadier d’Honneur respectivement à Mine Verges remis par une Anne Delbée bouleversante d’émotion et à Jacques Rouveyrollis remis par Laurent Béal.

Le parcours de la première nous fut retracé par Anne Delbée qui avait promis à la grande costumière que promis-juré elle n’aurait pas l’obligation de parler en public. A 89 ans, celle qui fit du velours noir son emblème, dirige toujours l’atelier de costumes du Moulin Rouge et il semblerait que ce ne soit pas chose facile car réaliser un string en strass exige plus de compétence que tailler un costume XVII° : il ne s’agirait pas de risquer de blesser la peau d’une danseuse. 

Ses drapés ont embelli d’immenses artistes comme Juliette Gréco, Dalila, Barbara ou Nana Mouskouri dont la robe blanche a fait sensation dans le théâtre antique où elle interpréta la Marseillaise pour l’ouverture des Jeux Olympiques de 2024. Elle a habillé des milliers d’interprètes, du boulevard à la tragédie, en passant par la danse, l’opéra, le cabaret, la télévision, les variétés et la haute couture … jusqu’à Mickey. Tous se sont glissés dans des costumes conçus pour préserver leur liberté de mouvement.

Éblouie par Gérard Philipe, elle partit en stop pour Avignon et son festival. Non sans avoir commencé (comme l’héroïne de Autant en emporte le vent) par se trafiquer une robe dans une paire de rideaux pour se présenter à son avantage dans le monde du spectacle où elle rêvait de se faire une place. Son second souhait était de monter à Paris et elle y construisit une oeuvre à la hauteur de celles des Compagnons du devoir. Tu mérites ce prix pour les cathédrales que tu as bâties ajouta Anne Delbée, permettant à Mine de rester muette puisque tout avait été dit, si ce n’est confirmer qu’elle avait voulu faire ce métier pour n’être pas devant mais derrière.

Jacques Rouveyrollis est l’homme de toutes les situations, autant à l’aise dans la simplicité que dans l’opulence, capable d’éclairer une scène modeste (et de le faire de manière sublime) que de positionner 5000 projecteurs sur Johny Hallyday. Qui n’a jamais lu son nom sur un programme ? Lui aussi fit preuve d’humilité en nous disant : Le théâtre m’a permis de ne jamais m’ennuyer. C’est toujours la première fois.

La cérémonie se poursuivit avec le dévoilement d’une plaque commémorative à l’entrée du théâtre à la mémoire de Myriam Feune de Colombi qui le dirigea de 1984 à 2021.

mercredi 11 décembre 2024

Mon premier coffret Elmer

Offrir un livre à un enfant … pour Noël ou à une autre occasion, quelle bonne idée bien sûr, mais lequel ?

Tous les adultes ont rencontré dans leur enfance cet éléphant bariolé créé par David McKee (1935-2022) en janvier 1989 … et donc plus vieux que la plupart des parents qui ont eu un enfant il y a trois-quatre ans et plus.

Mais savent-ils comment cet animal est passé du gris aux couleurs de l’arc-en-ciel ?

L’école des loisirs a eu la très bonne idée d’éditer à l’approche des fêtes de fin d’année un coffret contenant Elmer en version doudou, adapté aux petites mains, avec le premier album de la série, celui qui explique la métamorphose, et qui reçut le Prix du Salon du livre de Cherbourg, 1991.

Cette première aventure d'Elmer en format relié, aux coins arrondis,  nous apprend qu’Elmer supporte mal adaptée aux petites mains différence qui le distingue des autres éléphants. Mais il découvrira que sa singularité ne l'empêche pas de rester le même bon Elmer pour ses amis.

David McKee est né dans le Devonshire, en Grande-Bretagne. Il a suivi des études artistiques au Plymouth Art College. Au début de sa carrière, il a régulièrement vendu des dessins humoristiques à des magazines et à des journaux tels que le Times, le Punch et le Reader’s Digest. Puis, il a très vite trouvé sa voie dans les livres pour enfants. Son premier album fut publié en noir et blanc par Abelard-Schuman en 1964.

C’est en s’inspirant des tableaux de Paul Klee, et de ses formes géométriques que l’illustrateur qui aimait dessiner des éléphants eut un jour l’idée de l’habiller de carrés multicolores et d’imaginer l’histoire qui l’a rendu célèbre, Elmer, a été publiée en France en 1989 et devint l’une des séries les plus emblématiques de la littérature pour la jeunesse. Elle témoigne de l’humanisme de son créateur : les thèmes de l’inclusivité, de la tolérance et de l’amitié traversent les différentes aventures et s’adressent aux enfants du monde entier.

David McKee a été lauréat du BookTrust Lifetime Achievement Award en 2020 pour avoir sa contribution incroyable à la littérature enfantine, qui traverse les cultures, les générations et les langues.
Mon premier coffret Elmer, David McKee, traduit de l'anglais par Elisabeth Duval, chez Kaléidoscope, Ecole des loisirs
En librairie depuis le 6 novembre 2024.

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