Quelle (heureuse) surprise que Mon mari de Maud Ventura. Ce premier roman a toute la fraicheur et l'originalité promise par la couverture.
On y voit une très belle femme, dans la posture d'une ingénue s'apprêtant à occuper le devant de la scène, encore pétrifiée à l'idée d'être sous les projecteurs.
De fait, l'héroïne va partager avec nous, lecteurs, une semaine de sa vie de femme parfaite et imparfaite à la fois, en se confiant sur ses doutes avec une naïveté incroyable un peu à la manière de Woody Allen.
Elle est attendrissante, paranoïaque et démoniaque s'il me fallait lui attribuer trois adjectifs comme elle s'y emploie pour chaque personne avec qui elle est en contact.
Elle est professeur de français et aussi traductrice, d'où sans doute une inclinaison à tout interpréter. L'essentiel de son activité consiste à chercher des preuves d'amour, ou plutôt confirmation d'un désamour selon elle inéluctable puisque c'est ainsi que tout finit.
On se dit qu'elle exagère et qu'on n'est "absolument" pas comme elle. On se rassure en estimant que nous sommes raisonnables. Quoique … je dois avouer que je me suis déjà fait certains films dont elle aurait pu me souffler le scénario.
Elle est constamment sur le qui-vive. Ses réactions sont masquées. Personne ne doit se douter de rien. Ce doit être épuisant. Dans ma vie, le mauvais goût est toujours resté un péril constant, car j'ai vite compris que l'argent de mon mari ne m'achèterait ni l'élégance, ni les bonnes manières (p. 73). Même choisir un bouquet de fleurs relève de l'exploit (p. 59). L'épouse souffre de multiples complexes, hormis curieusement celui de la beauté, mais elle n'est pas rassurée pour autant puisque -pas plus que l'amour- les attraits ne durent pas.
Certaines de ses manies sont émouvantes. Comme l'attribution d'une couleur à chaque journée d'une semaine qui devient un arc-en-ciel entre deux orages. Ou le choix des premières notes de l'Hymne à l'amour pour annoncer un appel de son mari sur son téléphone, qu'elle justifie comme une astuce (de plus) pour éviter des déceptions -espérer que ce soit lui, pour me rendre compte que ce n'est qu'une amie ou un proche (p. 107).
Cette femme est dans l'hyper-contrôle. Même sa simplicité est fabriquée. Son coeur ne tiendra pas le coup à force de le soumettre à tant de montagnes russes ! Si elle n'avait pas trouvé la solution (tout consigner dans de multiples carnets, chacun ayant sa fonction) elle serait depuis longtemps internée dans un asile. D'autre auraient sombré dans l'addiction à l'alcool ou aux médocs. Elle a la sienne : Ecrire me donne toujours la solution (p. 85).
J'ignorais le complexe de Phèdre. Si je devais me reconnaître dans un des personnages de fiction, ce serait plutôt Cyrano. Est-ce d'une gravité supérieure ? J'observe que les deux histoires se terminent mal.
Je sais au fond que mes larmes n'ont aucune raison d'être. (Phèdre et moi) nous subissons les conséquences d'un amour trop intense et inapproprié (p. 123).
On se retient de la secouer et de la sermonner. L'instant d'après elle nous attendrit de ses doutes, faisant sienne cette citation de Marguerite Duras dans l'Amant : Je n'ai jamais aimé, croyant aimer … (p. 130). Ou lorsqu'elle invoque la délivrance qui survient quand ce qu'on redoute finit par se produire (p. 316). mais comment ne pas finir par la juger abominablement autocentrée, voire atrocement détestable quand elle avoue son regret d'avoir eu des enfants (p. 138) ou qu'elle égrène son système de punitions (p. 327) ?
On pèse le pour et le contre d'une page à l'autre, ne sachant si elle est davantage à plaindre qu'à blâmer. Pourtant elle pousse le bouchon très loin, en inversant les codes de la jalousie et en prônant l'infidélité par "nécessité", un sacerdoce en quelque sorte.
Elle assène quelques confidences comme des évidences : Je préférerais que mon mari tienne un journal intime : je n'aurais qu'à le lire pour connaitre le fond de ses pensées, et je pourrais me dispenser de fouiller dans ses affaires. Quel gain de temps ce serait (p. 242).
Mon mari est un ouvrage très drôle, et néanmoins plus profond qu'il n'y parait. L'auteure est une fine observatrice de nos travers et des contradictions humaines. Qui d'entre nous réfuterait son désir d'être la moitié d'orange de son amoureux, autrement dit la wife material d'un husband material ? (p. 114). L'épilogue est une idée formidable. Je n'en dirai pas plus. Le petit chapitre de "références" (p. 363) est intéressant et plus agréable que la désormais habituelle play-list et de multiples notes de bas de page.
Maud Ventura a vingt-huit ans et vit à Paris. Normalienne et diplômée d’HEC, elle rejoint France Inter juste après ses études. Elle est aujourd’hui rédactrice en chef des podcasts dans un grand groupe de radios, NRJ. Elle ne cesse d’explorer la complexité du sentiment amoureux en littérature et sur les ondes. Il faut espérer qu'elle poursuive au cinéma car il y a matière à un film … pour peu que la distribution joue sur l'ambiguïté des personnages.
Mon mari de Maud Ventura, Editions de l'Iconoclaste, 2021
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