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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

jeudi 8 juillet 2021

Ma journée du 8 juillet 2021 aux festivals d’Avignon

 Je démarre à 10 heures par un conte musical et fantaisiste autant visuel qu’auditif au Coin de la lune. L’enfant de l’orchestre, c’est Amadea, la petite sœur de Mozart, dont on entend la voix enregistrée. Elle interviendra à plusieurs reprises au cours du spectacle pour interroger sans relâche sa mère à propos de sa filiation.

À partir d’une intrigue qui résonne sans doute dans les préoccupations des jeunes enfants, Morgane Raoux a imaginé un scénario qui lui permet de raconter une histoire à peu près plausible, en tout cas captivante pour un jeune public. Elle est prétexte à jouer et chanter des airs célèbres pour illustrer musicalement la recherche de l’enfant. 

C’est d’une qualité irréprochable. Avec fantaisie et rigueur. Les voix sont belles. Les paroles sont à la portée d’un jeune public. D’ailleurs, ils étaient nombreux ce matin, et fort attentifs. Mais j’ai quelques réserves au plan didactique. J’ai plusieurs fois éprouvé une envie furieuse de shazamer (mon smartphone étant en mode avion l’opération était impossible) quand je peinais à mettre un titre sur un morceau. Ma mémoire n’avait pas le temps de répondre que déjà on enchaînait avec l’extrait suivant.

Je serais la maman (je n’ai pas vu de papa dans la salle) je me serais évidemment sentie obligée d’acheter le CD du spectacle pour faire de la pédagogie musicale de retour à la maison. J’espère qu’il contient en parallèle les versions chantées et les versions instrumentales afin d’éduquer les jeunes oreilles, et de permettre aux adultes de réviser (voire de viser) les classiques.
En face, à la Luna, à 13 h 10, Esteban Perroy ouvre La boite de Pandore qu’il annonce être aussi bien un coffre au trésor qu’un réservoir de malheurs … puisqu’elle contient les désirs des hommes et leurs envies de pouvoir. Il sollicite à plusieurs reprises le public, avec beaucoup de bienveillance, afin que spectateur et spectatrice suggèrent les thèmes qu’il va ensuite développer avec son compère (différent chaque jour) et le talent qu’on lui connaît. En effet, le théâtre c’est aussi la capacité à improviser et Esteban en fait une fois de plus une démonstration éclatante, et parfaitement jouissive.
Les deux comédiens-clowns-mimes-chanteurs se donnent physiquement à fond. Avec un plaisir évident et non coupable. Il y a aussi une séquence musicale très réussie.
Vous pouvez venir plusieurs jours de suite. Ce sera toujours différent puisque c’est vous qui donnez le tempo.

Le bonheur des uns démontre aux Béliers à 13 h 10 que pour être heureux il ne suffit pas d’avoir « tout pour ». L’écriture du spectacle joue sur les mots, avec les mots. Avoir ou être, telle est la question que les quatre comédiens vont développer au cours d’une intrigue à rebondissements permanents, écrite par Côme de Bellescize.
Le propos n’est pas particulièrement nouveau en soi. On sait que beaucoup d’enseignants ont choisi leur métier avec l’ambition de soigner le monde par l’éducation. On sait aussi combien ils peuvent déprimer en réalisant qu’ils tracent sur les copies de leurs élèves des mensonges à l’encre verte pour leur faire croire que la vie sera belle. L’éducation positive, la bienveillance, le recours à la méditation, se centrer sur son intériorité, adopter la méthode Coué, aucune de ces pistes n’est nouvelle. Mais le spectacle est parfaitement bien construit en miroir. Elle et Lui échangent leurs positions avec Voisin et Voisine. J’y ai vu l’évocation d’une Antigone voulant prendre sur ses épaules tous les malheurs du monde. Les costumes, dans un camaïeu de beige, poussière d’or ou cendre, sont très réussis pour signifier des individus interchangeables.
C’est un spectacle qui distrait autant qu’il fait réfléchir sur le concept de bonheur. La conclusion est évidemment à mettre en pratique sans délai : Ce qui n’est pas donné est perdu, alors donnons.

Retour à la musique à 14 h 45 aux Gémeaux avec Badine, mis en scène par Salomé Villiers. Le spectacle commence par  la lecture de la célèbre lettre de George Sand à Musset. Amour … amitié …le propos est original puisqu’il s’agit de démontrer qu’une tragédie peut se faufiler sous l’apparence d’un conte musical, cette fois pour adultes. Salomé Villiers a choisi fort habilement de détourner des airs célèbres en utilisant comme paroles des textes de nouvelles d’Alfred de Musset. La voix de Rosette, la chanteuse, qui est également comédienne, est d’une pureté merveilleuse, à tel point qu’elle dégage quelque chose de surnaturel.
Camille (Delphine Depardieu, que vous pouvez voir aussi dans La Mégère apprivoisée au Chêne noir) veux aimer d’un amour éternel mais ne pas souffrir. Son cousin Perdican cherche à la convaincre que la trahison d’un homme n’est pas si grave que cela, suggérant le remède de prendre un amant, et soulignant qu’il y a pire, à savoir le mensonge de l’amour divin, alors qu’elle lui annonce son intention de devenir religieuse.
Très régulièrement, reviendra en boucle j’ai souffert mais mais j’ai aimé.
Badine interroge sur le mensonge, sur la puissance des sentiments, et le concept de bonheur (lui aussi), lequel est une perle rare. Seuls les pêcheurs célestes peuvent le capturer. La rhétorique est universelle et ceux qui ont assisté à La nuit du loup (au Chêne noir) ne manqueront pas le rapprochement avec d’autres textes.
Nous avons joué avec la vie et la mort mais notre cœur est purNous sommes bien dans la tragédie. Badine ne se noie pas dans l’eau de rose comme trop souvent on en asperge le théâtre de Musset. Excellent.
Allez,  je reste aux Gémeaux pour découvrir à 17 h 20 la nouvelle mise en scène de Stéphane Cottin à partir des délires burlesques, imaginés et partitionnés par le musicien–comédien Jean-Paul Farré, Dessine-moi un piano. Ce pianiste-orchestre a déjà prouvé dans le passé sa maitrise à nous livrer un récital dé-concertant. Le voilà qui revient à trottinette, fait tomber les notes, joue l’épouvantail à piano, frappe les trois coups avec des sacs en papier (c’était le jeu préféré de mon père pour nous effrayer mon petit frère et moi). Se proclame Auguste face à un partenaire qui serait le clown blanc, sauf qu’il est noir. Il nous fait partager ses souvenirs d’astiqueur, de blanchisseur de touches, remplaceur de pédale, accordeur, déménageur de pupitre, testeur de tabouret,… et de banquette, tourneur de page.
Il ramène régulièrement ses cheveux derrière l’oreille pour nous mettre de mèche avec lui. Son discours est surréaliste mais sa dextérité est prodigieuse. Il mérite bien plus qu’une note en bas de page. La meilleure évidemment.
Il joue assis sur une banquette, sur un siège, sur un ballon. Il est loufoque et sérieux à la fois. Le spectacle est enrichi de ponctuations musicales enregistrées entre les tableaux. Un chat miaule sur la lettre à Élise. Il décroche un sol. Quand il termine en nous confiant : Dessine-moi un piano, ce sera mon petit prince à moi, on veut lui répondre que c’est aussi un petit peu le nôtre.
Changement radical de registre, à 19 h 40, quand Les Hauts de Hurlevent soufflent sur les Gémeaux. C'est un roman très lu d’Emily Brontë, plusieurs fois mis en images au cinéma, que Esteban Perroy a décidé d’adapter en ouvrant sans doute sa Boite de Pandore personnelle. La pièce démarre sur une promesse de cauchemar qui commence à l’automne 1801 mais où néanmoins surgissent quelques touches d’humour. Les changements de décor à vue sont très élégants, permettant d’enchaîner les actions sans laisser le spectateur reprendre ses esprits.
Je ne sais pas si le passé c’est comme un cadavre, ça ne se déterre pas. William Mesguich a eu bien raison de se lancer dans cette aventure là. Il a mis en scène cette valse de pantins qui vont s’entre-tuer. A vous de juger qui est le plus machiavélique de Catherine ou de Heathcliff.
Parce que le festival d’Avignon est autant in que off, partons au Cloître des Carmes, où commence à 21 h 30 Ceux-Qui-Vont-Contre-Le-Vent par une altercation en français, anglais, allemand et arabe aussi. Provoquant surprises et rires. Le propos est sérieux : cette vie là d’aujourd’hui ça n’aura plus de sens. On dira c’était comme ça à l’époque.
J’ai l’étrange sentiment d’assister à un spectacle silencieux alors qu’il n’est pas sans paroles. C’est que les regards, les mouvements y pèsent autant que les mots.
C’est une chorégraphie des émotions que Nathalie Béasse a bâtie avec ses comédiens. Elle démontre que l’on peut parler avec autre chose que des mots même si des mots sont prononcés. Elle avait promis des émotions nouvelles et c’est ce que l’on ressent, à l’instar de Pina Bausch qui révolutionna le monde de la danse. Il me semble que cette metteuse en scène fait réellement bouger les lignes du théâtre.
Les tableaux se succèdent avec fluidité. Si j’en avais le temps j’entreprendrais cette nuit une lecture lacanienne. Il faut tenir la hanche, demande une comédienne, l’orange coincée contre son muscle …On assiste à toutes les manières d’éclater un ballon avec son corps. On joue avec l’eau. On joue avec les mots. On transporte le désordre. On interroge sur l’accumulation et l’incapacité de beaucoup d’entre nous à jeter. Alors les comédiens se jettent dans les bras les uns des autres.
C’est vraiment un spectacle où le spectateur se sent partie prenante de ce parti pris.

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