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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 11 juillet 2021

Avignon le 11 juillet aux Gémeaux, au Verbe fou, à Théâtre Actuel, et au Girasole

 La journée commence au Théâtre des Gémeaux, 10 rue du Vieux Sextier, avec une pièce au sujet plutôt sombre, Vienne 1913 les prémiSSes du pire d'après Alain Didier-Weill, dans l’adaptation de Louise Doutreligne avec des comédiens qui exécutent chacun leur(s) partition (s) avec talent : William Mesguich, Claudine Fiévet, Oscar Clark, Jean Luc Paliès, Nathalie Lucas, Alain Guillo, Estelle Andrea et Magali Paliès.

La mise en scène de Jean Luc Paliès est comme « dirigée » par la scénographie de Lucas Jimenez qui a conçu un dispositif évoquant l’univers de l’opéra dans une modernité solennelle qui génère à la fois recueillement, écoute et éblouissement. La musique sur verre & cristal de Catherine Brisset ponctue admirablement l’évocation du passé et les angoisses à venir.

Mais pour le moment, nous ne sommes pas encore dans les horreurs qui marqueront la moitié de ce siècle terrible (et qui sont en germe comme le laisse deviner la présence des deux S majuscules dans le titre). La légèreté peut s’évaporer de cette assemblée de figures qui bientôt seront tristement célèbres. On comprend ce qui va fracasser les uns contre les autres. C’est à la fois solide et fragile comme le cristal.

On reconnaît les célébrités comme Sigmund Freud, Carl Gustav Jung ou Gustav Klimt. On met un peu plus de temps (et c’est intentionnel) à percevoir celle d’Adolf qui n’est pas immédiatement repoussant. On découvre Hugo Von Klast, ce jeune homme, brillant, beau, héritier de la célèbre aristocratie viennoise qui s'étourdit de valses et de luxe et dont la phobie antisémite sera traitée sur le divan du grand psychanalyste.

La confrontation des idées et des principes de Hugo et d’Adolf, est très intéressante et remarquablement amenée. Les personnages féminins sont eux aussi très réussis. Voilà un des spectacles « indispensables » du festival.
Vienne 1913 à été crée en résidence au Théâtre Coluche de Plaisir qui le co-produit avec Influenscènes et Serge paumier Production.
Restons aux Gémeaux pour suivre Juste une embellie, un texte de David Harele dramaturge, scénariste et réalisateur britannique, encensé par Hollywood et qui a écrit plus de trente pièces de théâtre. Intitulée en version originale The Breath of Life, elle a été créée à Londres le 3 octobre 2002 et jouée à bureaux fermés jusqu’au 1er mars 2003.

Corinne Touzet a choisi une adaptation française signée Michael Stampe et a confié la mise en scène à Christophe Lidon (dont j’ai tant apprécié Mademoiselle Julie au Théâtre des Halles). Elle a proposé à Raphaéline Goupilleau de la rejoindre sur scène pour notre plus grand plaisir car on sait que ces deux excellentes comédiennes sont depuis plusieurs années impatientes de se donner la réplique. 

On assiste, en quatre actes qui entretiennent une tension psychologique, à la rencontre entre Frances (Corinne Touzet) et Madeleine (Raphaéline Goupilleau) dans une maison reculée, implantée sur l’île de Wight. La blonde comme la brune ont aimé le même homme, lequel les a aimées toutes les deux. Le spectateur décidera qui, de la charmante mère de famille coincée en banlieue avec ses gamins ou de la passionaria libre (voire libertaire) et militante aurait peut-être eu la préférence, en confrontant les paroles que le séducteur laissait échapper auprès de l’une à propos de l’autre, et réciproquement.

Elles sont aujourd’hui deux femmes abandonnées au profit d’une troisième, beaucoup plus jeune. Elles ont alors le choix de s’affronter, de s’allier, ou de se libérer d’une relation qui pourrait être le sujet d’une autofiction qu’écrirait l’une d’elles. La pièce est aussi une réflexion sur les combats politiques poursuivis par le Flower Power qui ne fut que juste une embellie avant un grand pas de coté.

Les deux comédiennes expriment avec talent tous les sentiments contradictoires que la situation peut générer. Il faut donc profiter de cette embellie et comprendre que courage et confiance en soi ne vont pas systématiquement de pair.
Je croise Marcel Bozonnet en début d’après-midi devant le Verbe fou et je le remercie pour cette performance mémorable du 6 juillet. Il me confirme que les comédiens tenaient absolument à jouer La Cerisaie ce soir là mais que la décision fut difficile à prendre parce qu’on craignait d’endommager les costumes et les instruments de musique (voilà pourquoi ils ont été cachés) et de subir un court-circuit (voilà pourquoi les lustres n’ont pas été allumés) sans parler des risques de chute sur le parquet trempé. Mais ils ont joué et ne regrettent rien.

Il aurait été impensable pour lui de ne pas honorer à 14 h 15 le récital de Nawel Ben Kraïem, Je chante un secret, dont il a fait la connaissance il y a quinze ans au cours d’un stage et dont il a la discrétion de ne pas me dire qu’il a mis en scène son récital. Nous partageons aussi notre enthousiasme pour le spectacle de Nathalie Béasse. Il me conseille d’aller en voir un autre, de sept heures, créé par l’avignonnais, Baptiste Amann, qui est un ancien élève de Jean-Pierre Vincent. Mais je n’ai plus la place pour cette trilogie intitulée Territoires car la dernière aura (déjà) lieu demain.

L’émotion de la jeune femme, toulouso-tunisienne comme elle aime à se présenter en souriant, est palpable pour cette toute première, ici en Avignon où elle ne s’était encore jamais produite.

Je m’en remets au vent qui s’en remet à moi, prévient-elle. Elle chante bien sûr, mais elle parle aussi et récite de très beaux textes aux accents rimbaldiens. Elle jongle avec les mots avec adresse sans en laisser tomber aucun. Elle ne manque pas de glisser un hommage à Idir, le passeur de rêves qui l’inspire encore et toujours. On accède à sa poésie téléphones éteints et esprits allumés. Nawel est une fenêtre surplombant le monde intérieur. A découvrir sans tarder dans ce théâtre littéraire du Verbe fou, au 95 rue des Infirmières jusqu’au 18 juillet.
Longeons les remparts jusqu’à la rue Guillaume Puy pour découvrir, au numéro 80, La dernière lettre, à Théâtre Actuel, la dernière création de Violaine Arsac, dont j’avais salué Les passagers de l’aube en janvier 2020.

Inutile de tergiverser, sachez tout de suite que c’est un des grands succès de cette édition Off 2021. J’en veux pour preuve l’ovation debout qui a bouleversé les comédiens aujourd’hui. Il va falloir qu’ils s’y habituent. Et ce n’est pas seulement parce que le public semble apprécier les intrigues policières (qui décidément ponctuent cet été, je pense notamment à Coupables (que j’ai vu le 7 juillet), ou encore à Terreur (que j’ai vu le 10).

Le texte est remarquable de tension. La cause semble entendue dès le début. Comment se laisser attendrir par une lettre écrite par le meurtrier de votre mari ? Violaine Arsac s’attaque à nos convictions et nous interroge sur l’éventualité de passer de la haine au pardon. Elle a très habilement situé l’intrigue au Texas où le fonctionnement de la justice est très différent du nôtre et où la peine de mort est encore un argument électoral.
Anna Larcher, la quarantaine, est journaliste, française expatriée aux Etats-Unis depuis quatre ans. Elle mène dans une grande ville de la côte Est, avec son mari Matias et leur fille âgée de 8 ans, une vie facile jusqu’au jour où Matias est tué lors d’un déplacement professionnel à Houston. Pris à partie dans une rixe par une bande de voyous, il reçoit deux balles dans la poitrine. Un délinquant du nom de Michaël Ellis est arrêté et condamné pour ce crime.
Anna Larcher reçoit alors la visite de Clémence Robin, bénévole dans une association qui met en lien les familles des victimes avec les condamnés : elle lui apporte une lettre de Michaël Ellis, qui souhaite entrer en contact avec elle.
Que se trame-t-il derrière cette demande ?
Marie Bunel, Grégory Corre, Noémie de Lattre, Mathilde Moulinat (accompagnés par la voix de Benjamin Penamaria) disposent d’un texte qui leur permet de jouer divers retournements de situation, dont certaines obéissent à des a priori dans lesquels on se reconnaît. C’est bouleversant, théâtralement et humainement parlant.

Et parce qu’il ne faut pas oublier que l’appel de la vie est plus fort que tout et que l’humour guérit tous les maux, je vais vérifier le conseil de la jeune avocate (Mathilde Moulinat) d’associer glace coco et glace caramel en commandant un demi-litre chez un de mes glaciers avignonnais favoris (adresse en MP comme on dit).
Pour achever la journée en beauté je suis allée au Girasole pour découvrir Solar à 20h20. Si vous avez déjà vu un spectacle de la troupe Familie Flöz (que je connais depuis 2014 avec Infinita) vous vous sentirez immédiatement en terrain connu dans ce monde du masque. Si ce n’est pas le cas il n’y a pas d’inquiétude à avoir. Le langage parlé par Utopik Family est universel, c’est celui des émotions. Et seuls les animaux, le bébé et les instruments de musique donneront de la voix au cours de la soirée.

Libre à vous de décrypter l’histoire à votre manière en fonction de la lecture que vous ferez de chaque scène. La troisième création de cette compagnie Suisse de théâtre de création créée et dirigée par Florine Némitz et Fabrice Bessire résulte comme il se doit d’un immense travail collectif. L’action se déroule sur une place d’un village, quelque part en bordure d’une mer survolée par des mouettes. Les habitants (et Dieu qu’ils sont nombreux) s’y croisent plusieurs fois par jour dans une sorte de ballet ludique et extrêmement poétique. Dans ce monde miniature, les rivalités, la séduction ou l’abandon seront, comme dans la vie, graves et drôles à la fois, dans le pur respect de la devise de ces artistes : Sur scène tout est possible.
 
Toutes les photos sont © À bride abattue, à l’exception de la photo du spectacle Solar qui est de Pascal Krattinger.

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