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dimanche 18 juillet 2021

Outremonde de Théo Mercier à la Collection Lambert

 C’est à l’artiste plasticien Théo Mercier que l’on doit l’affiche du festival in.

Je vois dans ce trompe-l’œil minéral, posé sur un fond turquoise, l’évocation d’un scaphandre sous-marin dont la vision empêchée, presque mortuaire, impose la nécessité d’un nouveau regard sur ce festival symbolisé par les trois clefs.

C’est un casque où le visage est masqué par une tranche d’obsidienne aztèque, provenant du Mexique, donc lourde de sens pour moi puisque c’est le pays où vit ma fille et où je suis allée plusieurs fois. Je partage le point de vue de Théo Mercier à propos de cette mégalopole qui cependant conserve le sens du détail, de l’humain, et où les rencontres sont toujours singulières. L’imaginaire y demeure extrêmement vivant.

Ce artiste avait installé à Paris un aquarium imaginaire au Musée de la chasse. Pour le Festival d'Avignon il a conçu un Outremonde qui investit les sous-sols de la Collection Lambert.

 L’exposition porte le même nom que la performance qui se joue le soir à 19 heures et 21 heures pour une cinquantaine de spectateurs qui ont pris leur place en avance, ou qui figurent les premiers sur une liste d'attente que le responsable de l'accueil n'a pas le droit de gérer (sans doute n'est-ce pas très déontologique) et qu'il délègue donc à une personne de bonne volonté et qu'il consulte régulièrement en donnant des probabilités de chance d'entrer.

C’est une expérience étonnante, qu’il est interdit de photographier (mais pas les œuvres que j’avais vues à un autre moment). Théo Mercier a cherché à représenter un monde qui s’effondre, peut-être écrasé par le pied d’un géant, ou qui renaît, et le sens est alors très différent .

L’éclairage des dalles du plafond est évolutif, de la pénombre à la pleine lumière, ce qui confère une atmosphère très spéciale.

Tout est dans les tons ocre des sculptures de sable et le blanc du sol, des murs et des plafonds. Le noir des yeux du chien et des boulets apportent une ponctuation tandis que plus tard les cheminées murales s’embraseront de rouge.

Il y a quelque chose de l’ordre du mirage, évidemment. D’abord parce qu’on ne sait pas distinguer ce qui est sculpture de ce qui est poussière. Les évocations sont multiples et il est impossible de ne pas penser au Petit Prince de Saint-Exupéry dont l’image est indissociable du Sahara. Un petit garçon (en alternance Melvil Fichou Petit et Paul Allain) conduit le public. Il interroge sans cesse les autres performeurs entre lesquels les spectateurs ont été invités à s’asseoir. Il est habillé d’un pantalon et d’un gilet beige, sur une chemise et est chaussé de grandes bottes marron. Les costumes de Colombe Lauriot Prévost ont quelque chose d’à la fois moyenâgeux et futuriste, ce qui une fois de plus brouille les pistes.

Nos sommes pieds nus (nous avons dû laisser dans le couloir nos sacs posés sur nos chaussures). La musique est quasi stridente, bourdonnant sans trêve. Le sol est froid; des articulations craquent; des soupirs s'échappent.
Les mains de l'enfant décrivent une sculpture imaginaire. Nous sommes intrigués par une cheville qui dépasse d'un tas de sable dont émergera une personne humaine qui semblera obéir au doigt à et l'oeil du petit garçon comme une marionnette. Elle se dirige vers le chien, en caresse le dos. Serait-ce Cerbère, le chien-gardien des enfers ?

L'enfant se redresse, part et la femme est comme statufiée. On se lève nous aussi, avec l'étrange impression de l'abandonner. La deuxième salle comporte d'abord une sorte de clocher brisé qui me fait penser à celui de l'église du Souvenir de l'Empereur Guillaume, située au centre de la Breitscheidplatz à l'entrée du Kurfürstendamm, une des plus célèbres avenues de Berlin. Des sortes de boulets de canon sont disposés sur le sable, autour de la ruine.
A quelques mètres, pend un homme suspendu à une corde au-dessus d'un petit tas de sable qu'il laissera filer un moment entre ses doigts. La performance physique est remarquable car elle dure longtemps alors que l'enfant danse avant de se coucher sans le quitter des yeux.
L'homme reprend sa position, bras serrés autour de ses genoux, toujours suspendu. La lumière s'estompe jusqu'à la pénombre. L'enfant se lève, se remet en marche et nous le suivons.
Une forêt d'arbres morts a investi la troisième salle avec encore une fois des boulets noirs. Des cheminées artificielles sont accrochées sur deux des murs. Y brûlent virtuellement des bûches.

Viens, attends encore une minute, t'es pas pressé quand même … une vieille dame fait couler du sable sur le dos du chien identique à celui de la première salle. Comment faire si tu perds ton chemin, tes affaires, … que tu n'a plus rien ? Et si tu perds le sens de l'orientation ?

Ces questions nous sont familières, à nous qui avons abandonné nos sacs. Te sentiras-tu plus léger ou plus vide ? (…) Tu n'as plus rien à perdre … Si tu perds tout est-ce que je te reconnaitrai ?
Le feu de la douzaine de cheminées devient incandescent et émet un bruit de crépitement. Nous repartons et traversons un couloir, puis un souterrain très sale, aux murs moisis, taggués et striés de trainées de salpêtre. Des feuilles mortes, ocres elles aussi, sont disposées ça et là. C'est très inconfortable de déambuler dans cet espace et j'ai peur d'attraper froid.

Nous arrivons dans l'auditorium aux murs recouverts de velours bleu nuit. Nous sommes invités à nous asseoir, les pieds posés sur le ciment glacé. Un immense tas de sable encombre la scène dont il ne sortira rien cette fois. Nous écoutons le dispositif sonore composé d'une multitude de divers souffles.

Ce monde englouti qui garde les traces du monde d’avant est donc un après, un avenir possible, un autre monde, un Outremonde. Les performeurs : Marie de Corte, Lucie Debay, Grégoire Schaller, Rebeka Warrior ont tous une présence puissante.

Alors qu’a-t-on vu ?  questionne la maitresse de cérémonie. Certains ont cru reconnaître l’envers du monde. D’autres un monde inversé. Nous ressortons libres de ce qui a pu être un bunker, ou un vaisseau spatial, … surtout un territoire de ce que l’artiste a conçu comme un white cube dans lequel le visiteur élaborerait sa propre projection mentale.

Ce travail est tout à fait représentatif de ce que fait Théo Mercier. Il combine les empilements, les équilibres précaires, les rapports de force et envisage comme possibles l’effondrement et la dégradation d’une oeuvre par la présence même des spectateurs. Il flirte avec les notions de danger et d’accident. Mais en prenant toutes les précautions pour qu’ils n’aient pas lieu.

Indépendant du billet du spectacle vendu par le Festival, le billet de la Collection Lambert permet d'accéder à l'exposition Outremonde, au fonds permanent de la Collection Lambert et à l'exposition Tigres et vautours de Yan Pei-Ming. Celle-ci se déploie dans le musée et au Palais des papes. J’en ai rendu compte précédemment dans cet article.

Outremonde de Théo Mercier à la Collection Lambert
Conception Théo Mercier
Sculptures de sable Enguerrand David, Marielle Heessels
Lumière Victor Burel, Paolo Gérard et Théo Mercier
Musique et son Pierre Desprats, Rebeka Warrior
Son Vanessa Court
Assistanat fabrication des œuvres et accessoires Célia Boulesteix, Rémi Gaubert et Robinson Guillermet
Régie générale François Boulet
Studio manager et conseil artistique Céline Peychet (Studio Théo Mercier)
Jusqu’au 20 juillet à 19 heures et à 21 heures, liste d’attente sur place.
L’exposition, elle, se prolonge jusqu’au 25 juillet inclus.

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