J’ai connu Karelle Prugnaud en 2018 comme metteuse en scène, de Léonie et Noémie au festival d’Avignon.
Je l’ai revue comme comédienne l’année dernière au ParisOFFestival dans Le cas Julia J. Je la découvre performeuse ce matin pour la conférence de presse de présentation de Mister Tambourine Man, créé à Brive il y’a quelques mois.
Voyant deux personnes (inconnues d’elle) nues en exhibition entre la fontaine et l’estrade elle a aussitôt eu le bon réflexe pour recentrer les regards du public en les concurrençant sur le même terrain. Elle a présenté son spectacle dont la première officielle aura lieu demain et elle a captivé tout le monde par son sérieux et sa décontraction. Elle a été chaleureusement applaudie par un parterre qui a cru à un happening préparé d’avance. Pas du tout m’a-t-elle dit.
De sa conception à sa réalisation NTM, puisque tel pourrait être son nom de code, est un spectacle totalement hors normes qui tient autant du théâtre que du cirque et qui est le fait d’un quatuor étonnant et détonant, composé d’Eugène Durif, Karelle Pruniaux, Nikolaus Holz et Denis Lavant et il est plus que probable que même si chacun a sa place ils ont fait œuvre de dialogue dans un perpétuel feu d’artifices de propositions.
Eugène Durif a écrit un texte très poétique, sans doute difficile à apprendre à s’approprier. Son objectif résume assez bien ce qui se passe chaque soir : Faire danser le réel de guingois, légèrement de travers et en le remettant, par le fait sur ses pieds, pour qu’il puisse mieux encore s’effondrer…
Il raconte une rencontre entre deux hommes qui voudraient pouvoir changer de rôles et qui sont l’un et l’autre des rescapés d’une catastrophe très ancienne, catastrophe de l’enfance à laquelle ils ont réagi de façons différentes (l’un dans un périple incessant, l’autre en demeurant dans une immobilité routinière).
J’ai vu Mister Tambourine Man le soir de la générale, au collège Anselme Mathieu, sous le plafond d’un préau aux allures d’années 50-60, aux hublots colorés. Sans être en vrai plein air on a le sentiment qu’un souffle de fraîcheur se fait sentir. L’endroit s’accorde tout à fait à bar aurait pu être là depuis des années. On est à Hamelin, quelque part à flanc de montagnes puisqu’on entend des bruits de cloches de vaches et que des trophées de cervidés sont accrochés. Karelle veille, masquée .
Tout y est dans le moindre détail, avec une vraie pompe à bières, des casiers à bouteilles, quelques tables de bistrots, un panneau publicitaire offert par Orangina (quand il n’y aura plus de souci avec le Covid on associera même les fanfares locales) avec en plus un brin de fantaisie : des couronnes de galettes des rois, et cette drôle de forme qui s’agite sous une couverture devant le piano à bascule qui ne va plus tarder à se déglinguer. En attendant il joue, pour de vrai,… et bien.
Surgit Dan (Denis Lavant) à grands coups de tambour, faisant un bruit de crotale en se déplaçant, hurlant sur l’hymne de la Légion étrangère Tiens voilà de l’humain ! (Et non du boudin). Il exprime la colère de quelqu’un qui a envie de tout envoyer balader, qui voudrait des mots pour les gueuler et qui est là à bégayer les borborygmes de la colère, tout ce qu’il voudrait dire d’un trait et qui ferait trop mal :
Quand j’arrive parmi vous, vous attendez tous de moi, comme si j’étais cet être bienfaisant qui va vous sauver de tout ce dans quoi vous vous débattez. Vous me suppliez de vous débarrasser de cette calamité vous feriez n’importe quoi à ce moment-là.
Je suis plein de colère parce que à chaque fois, à chaque ville, j’arrive et je veux croire bêtement que vous n’allez pas me berner ! Et moi, à chaque fois, je me laisse avoir !
Moi l’homme au manteau noir ! Moi ! Le musicien des enfers ! Je n’en peux plus d’être ce prophète du malheur, toujours en colère… Et j’accepte encore et toujours parce que je suis peut-être un monstre, mais au moins je suis un monstre qui oublie le mal qu’on lui fait. Puis il ajoute comme s’il renonçait à sa colère : Il fait grand soif ! Un verre ce ne serait pas de refus ! Et paraphrasant Richard III de Shakespeare Mon kingdom for a glass !
Je suis plein de colère parce que à chaque fois, à chaque ville, j’arrive et je veux croire bêtement que vous n’allez pas me berner ! Et moi, à chaque fois, je me laisse avoir !
Moi l’homme au manteau noir ! Moi ! Le musicien des enfers ! Je n’en peux plus d’être ce prophète du malheur, toujours en colère… Et j’accepte encore et toujours parce que je suis peut-être un monstre, mais au moins je suis un monstre qui oublie le mal qu’on lui fait. Puis il ajoute comme s’il renonçait à sa colère : Il fait grand soif ! Un verre ce ne serait pas de refus ! Et paraphrasant Richard III de Shakespeare Mon kingdom for a glass !
Celui qui va le servir, ou du moins tenter, un tout petit ou bien très grand verre mais avec un peu d’eau, c‘est Niko (Nikolaus Holz) le musicien-garçon de café, obsessionnel du parcours parfait. Évidemment à la recherche de l’équilibre parfait. Mais ça tombe. Sans surprise pour moi qui ai déjà vu plusieurs de ses spectacles. Il est le spécialiste de ce type de prouesse.
Les catastrophes suivent les catastrophes. Les chaises valsent. Le garçon de café philosophe, cherchant un sourire juste, pas juste un sourire. Mais n’ayant aucune honte à d’abord repousser l’étranger : Ici on n’aime pas les gens d’ailleurs. Dan mime l’effroi, sautant sur le bar ou dans les bras d’une spectatrice.
Ils font bien la paire, tous deux comédiens, clowns, acrobates et musiciens. Denis est un souffleur de génie, tirant des sons des objets les plus incongrus qui semblent jusque là inertes, virtuose de flûtes en coquilles d’escargots de Bourgogne. Nikolaus est habile au piano. Le premier est une sorte de joueur de flûte de Hamelin. Le second a quelque chose à voir avec l’attrapeur de rats (poème de Goethe musique de Hugo Wolf) ou le roi des aulnes ( poème de Goethe mis en musique par Schubert) qui sont deux des morceaux qu’il interprète.
Tout au long du spectacle ils vont rivaliser d’inventions pour remporter la compétition du plus musicien, du plus drôle, du plus burlesque, du plus poétique, du plus audacieux… en toute complicité puisque ce sont au final deux amis et que les deux personnages échangent de manière burlesque, sa propre vie avec celle de l’autre.
Ils s’invectivent. L’étranger aurait apporté un virus. Le serveur se souvient de la terre couverte de rats. Dan réplique qu’il n’y a qu’à faire venir des chats. L’un comme l’autre se lance dans un numéro d’équilibre avec un plateau de pommes rouges, comme celles des contes de fées.
Ils deviennent complice d’un feu d’artifices surprenant avant le total dérapage et l’envahissement du plateau par un chat démesuré alors que retentit le Duo des chats de Rossini.
Le conseil est de quitter l’enfance et d’apprendre à mentir, de remplacer l’ogre par le dictateur. Dan multiplie les acrobaties et se saisit d’un fusil.
Niko annonce la fermeture, au motif que c’est une maison respectable. Le spectacle s’achève dans un écroulement réglé comme sur du papier à musique car on le sait bien, l’accidentel est un travail de précision.
Denis Lavant est un grand marcheur et sa résistance est immense. Il a joué en Avignon dans le In comme dans le Off, dans et hors les murs. C’est un habitué de l’itinérance. Peu lui importe le cadre pourvu de jouer. Lui qui a fait du théâtre de rue à ses débuts a toujours été fasciné par la figure du clown, le cirque et les arts forains. C’est un saltimbanque dans l'âme. Il incarne avec naturel ce joueur de flûte et éternel Diogene insatisfait.
Si Nikolaus est jongleur et clown il a énormément travaillé sur des scènes de théâtre. Il élève un couple de rats blancs, Pomme et Eva, qui sont des complices sensibles et affectueux. Les itinéraires des deux artistes ne pouvaient que se rejoindre. Mister Tambourine Man en est la démonstration et malgré l’épuisement la joie se lisait sur leurs visages.
Mister Tambourine Man d'Eugène Durif
Mise en scène Karelle Prugnaud
Collaboration artistique : Nikolaus Holz
Avec : Nikolaus Holz et Denis Lavant
Lumière / Régie générale : Emmanuel Pestre
Scénographie, constructions : Emmanuel Pestre, Eric Benoit
Costumes : Antonin Boyot-Gellibert
Création sonore : Guillaume Mika
Conseiller musical : Pierre-Jules Billon
Spectacle itinérant du Festival d’Avignon du 6 au 24 juillet
Spectacle vu le 5 juillet au Collège Anselme Mathieu
Depuis cinq ans, cet établissement (Réseau d'éducation prioritaire +) et le Festival d'Avignon font le pari de l'art et de la culture pour les élèves du quartier La Rocade. Leur engagement mutuel se traduit par une convention de jumelage signée en février 2014, autour de plusieurs axes : sensibilisation artistique et approche de la pratique de spectateur, découverte des métiers du spectacle, développement d'un esprit critique grâce à la réalisation de web-reportages pour la web-TV du Festival d'Avignon.
Jusqu'à aujourd'hui, ce sont plus de 1000 élèves, dont 100 élèves en SEGPA, qui ont assisté à des spectacles du Festival d'Avignon, spectacles itinérants, spectacles pour le jeune public ou spectacles de la programmation dans des lieux emblématiques du Festival. Depuis 2017, le collège récemment rénové accueille le spectacle itinérant.
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