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lundi 12 juillet 2021

L’autre fille à Avignon Reine Blanche pour le Festival d’Avignon Off 2021

Le lundi, à Avignon, ce n‘est pas ravioli mais relâche pour beaucoup de compagnies, ce qui ne veut pas dire qu’il n’y a rien à voir.

Surtout dans les théâtres qui ont profité de la circonstance pour louer des créneaux supplémentaires à des artistes qui n’auront que les lundis pour jouer.

Du fait de moins de choix il y a davantage de public dans les salles, question de vases communicants.

Je commence la journée par L’autre fille qui sera un énorme coup de coeur. Je ne connaissais pas ce nouveau lieu, dénommé Avignon Reine Blanche, même si l’adjectif mérite d’être nuancé. Il s’est ouvert en 2019 mais cet été là, et malgré déjà une centaine de spectacles sur mon planning je ne me suis pas trouvée à y aller. Par contre je connais bien la salle parisienne du même nom et dont la programmation est de grande qualité. 

Ce spectacle est un énorme coup de coeur. Vous me direz que c’est un de plus mais il est rassurant qu’il y ait plusieurs moments exceptionnels dans un festival qui compte plus de 1000 spectacles différents.

 La voix chuchotée de Marianne Basler est à peine audible sous le bruit de la climatisation au tout début. Il faut faire un effort d’attention que l’on ne regrette jamais tant la comédienne excelle à être cette femme contrainte d’écrire à sa soeur disparue deux ans avant sa naissance, morte comme une petite sainte à six ans.

C’est en entendant sa mère en parler devant elle, mais en cachette, qu’elle réalise le poids de ce secret. En faire le récit sera en finir avec le flot du vécu bien que ce n’était pas le premier objectif d’Annie Ernaux qui se livra à l’exercice à la demande de son éditrice d’écrire une lettre sur le modèle de La lettre au père de Kafka dans une idée de transgression.

Elle ne sait rien, on n’a pas voulu l’attrister. La comédienne nous fait oublier qu’on est au théâtre. C’est Annie Ernaux qui est assise en face de nous et qui se livre presque à une confession, les mains jointes. Cette universitaire au langage recherché ne renonce pas à employer de temps en temps un mot du patois normand qui surgit avec l’accent pour qualifier au mieux ce qu’elle ressent.

Soixante ans après je n’en finis pas de buter sur ce mot qui a changé ma place en quelques secondesMimant sa mère, elle prononce la phrase assassine : Elle était plus gentille que celle-là. Ce mot de gentille n’est pas une information mais un reproche. On sent la rage agiter le corps de cette femme, guérie contre le tétanos par un flacon d’eau de Lourdes. Ses mains tremblent et ce n’est pas surfait.

T’écrire c’est faire le tour de ton absence. Elle pose prudemment le pied sur une des photos qu’elle a jetées par terre il y a quelques minutes et prend appui sur chacune comme s’il s’agissait d’un pas japonais installé dans un jardin entre des buissons d’épines. Je ne serai pas enterrée près de vous en Normandie.

La mise en scène conjointe entre la comédienne et Jean-Philippe Puymartin accorde au spectateur la juste place qui lui évite de se sentir en position de voyeur. Un mot (celui de place) qui est loin d’être anodin chez l’auteure.

Article extrait d’une publication intitulée "Avignon le 12 juillet à Avignon Reine Blanche, à l’Adresse et aux Carmes".

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