Isabelle Boissard est née en 1971 en Bourgogne. Après Clermont-Ferrand, l’Italie et Taïwan, elle vit actuellement en Suède. Ses difficultés à se conformer aux codes de la vie d’expatriée l'ont poussée à réfléchir à la notion de déracinement.
Je m'attendais à un roman. Ce n'est pas cela. J'ai cru ensuite identifier un journal en raison de la présence de date en haut de chaque chapitre mais c'était encore une fausse piste.
Bref, je n'avais pas entre les mains le livre que je m'imaginais. C'est tout l'intérêt de cette auteure que de semer le doute et de balayer nos certitudes.
Il faut croire qu'elle a été la première secouée par des cultures surprenantes au fil des expatriations qu'elle a vécues. Parmi elles, Taiwan est sans doute la plus déstabilisante. On comprend qu'elle n'ait pas résisté à utiliser des prises de notes quotidiennes sur les étrangetés de sa vie pour les recycler dans cet ouvrage. Rien ne perd, tout fait sens, y compris les statistiques, les jeux de mots, les anecdotes, les idées reçues, les contre-vérités, jusqu'aux explications les plus folles (et pourtant exactes) comme l'origine du terme 'les dents du bonheur".
Je vous donne deux indices : elle remonte à Napoléon et permettait d'être dispensé d'aller (mourir) à la guerre. Pour comprendre pourquoi il vous faudra aller page 158. Comme il est étrange de devoir à ce militaire cette expression comme la Légion d'honneur …
Je savais qu'aux Etats-Unis un ascenseur passe directement du 12 ème au 14 ème étage, de manière à ce que personne n'habite le 13ème. On apprend qu'à Taiwan une superstition née de l'homonymie en mandarin entre le chiffre 4 et le verbe mourir justifie que ce chiffre ne soit jamais utilisé dans la numérotation. Le quatrième étage n’existe pas, pas plus que le 14 ème ou le 24 ème (p. 88).
Je rappelle que Taïwan est un petit État insulaire situé à 180 km à l'est de la Chine, offrant des villes modernes, des temples chinois traditionnels, des stations thermales et une spectaculaire région montagneuse. Au nord, Taipei, la capitale du pays, est réputée pour ses marchés nocturnes animés, mais aussi le musée national du Palais où sont exposées des œuvres de l'art chinois impérial, et d'immenses gratte-ciels.
Isabelle Boissard ne nous fait pas visiter la capitale. Une ville qui compte plus d’animaux que d’enfants. Dans un pays d'Asie qui fut le premier à avoir légiféré sur l’interdiction de manger du chien, … mais seulement depuis 2017.
Elle y évolue dans le milieu clos des expatriés : un Eden où tout le monde a un salon de jardin à 2500 boules, et c’est apparemment lassant. (…) C’est avec les apparences qu’on se protège. Il me semble que ces faux semblants me minent a posteriori. Bien sûr que je fais partie de la mascarade. Bien sûr que je la joue la comédie ! Et puis ensuite, je m’en veux (p. 66).
Cette comédie, pour reprendre son mot, a donné le titre au livre que l'on découvre ici (p. 158) : J’avais joué la fille que ma mère imaginait, celle que rien n’affecte vraiment.
Elle masque les émotions derrière le récit de situations cocasses (comme une séance chez le coiffeur (p. 154), les bons mots, les paroles de chansons qui ont cartonné en leur temps, en usant toujours d'une tonalité d'emblée drôle, décalée, grinçante et plutôt amusante, mais la misanthropie affleure toujours et parfois se fait envahissante. Et certaines questions sont d'une naïveté étonnante comme celle de savoir si les larmes sont potables (p. 131). Evidemment, sinon on ne les ravalerait pas !
On se trouve pourtant curieusement des points communs avec elle, sans pour cela avoir appris d'un coup de fil brutal qu'on était devenue orpheline dans notre enfance : J’ai donné à mes enfants un père fort, un père décidé et pas décédé. (…) Aujourd’hui je déteste le téléphone, je ne réponds pas aux numéros inconnus (p. 119). Moi non plus, …mais c'est pour une toute autre raison.
Elle nous donne envie de la suivre dans sa revendication à l'égard des réseaux sociaux et je lui conseille de lancer le hashtag incitant à inventer l’émoticôme avec une épée de Damoclès retenue par un crin de cheval au-dessus de la tête, pour représenter une partie de son éducation (p. 163).
Je penserai à elle la prochaine fois que je cueillerai de la verveine dans mon jardin. Elle m'a appris que c'est une des herbes les plus sacrées, de l’Antiquité au Moyen-Âge. Encore plus sacrée que le gui. Pour la cueillir il fallait jeuner, se purifier (…) parce qu’on cueille aussi une âme. On pensait que la plante était habitée de nymphes (p. 192).
La question de la place, si chère à Annie Ernaux, est bien présente derrière l'humour : Je déteste le collectif, ça me rend paranoïaque. J’ai l’impression que tout le monde peut lire sur mon front que je suis une supercherie. J’ai le complexe de l’imposteur. Je suis un Canada Dry. (…) L’expatriation a exacerbé ce sentiment. (…) La peur d’être démasquée. Du coup, j’anticipe, je corrige le tir. Ma tendance misanthrope fait son lit un peu plus chaque jour (…) On me trouve libre et pourtant je suis pétrie de la peur du jugement des autres. J’ai un déficit d’estime de moi. J’abandonne très vite (p. 102).
Quelques lignes au-dessus, Isabelle Boissard reconnait l'évidence, les auteurs ont besoin d’être aimés. Alors pourvu qu'elle sache qu'on l'aime !
La Fille que ma mère imaginait d’Isabelle Boissard, Editions Les Avrils, En librairie le 5 mai 2021
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