Pas de titre particulier au spectacle si ce n'est qu'il est nouveau, comme le mentionne l'affiche. La salle est comble et c'est sur un effet spécial très particulier que la soirée démarre : des bruits d'ovation laissant supposer l'arrivée d'un artiste rock, une volée de cloches et un rai de lumière rouge filtrant sous un rideau de scène noir.
Cette manière de commencer est très originale. Mais très vite le "ton" Gaspard Proust, pour ceux qui le connaissent, ne fait aucun doute. C'est bien lui qui nous parle depuis les coulisses. Rien que sa question : elle est rentrée la clientèle ? nous prévient à qui on a affaire.
Nous allons rester longtemps dans le noir, comme si on l'écoutait à la radio en fait. On sera soulagé lorsque la lumière reviendra mais ne vous figurez pas que quelques autres effets de scénographie s'enchaineront. L'humoriste ne sort jamais de scène, n'a aucun élément de décor (on ne peut pas dire que la table sur laquelle repose une bouteille d'eau en soit un), aucune musique, aucun effet, aucun changement de lumière, ou alors imperceptible.
On aura finalement une double prouesse : coté artiste, en ne s'accordant qu'à peine une seconde de répit ici ou là, coté public en ne lui laissant pas le temps de souffler non plus.
Le débit de Gaspard Proust est plus qu'impressionnant. Non seulement il parle vite, mais il cause riche, avec un lexique extrêmement travaillé. Les phrases sont longues, presque autant que celles de l'écrivain homonyme dont il a pris le nom, par simplicité énonciatrice, pour ne pas courir le risque que son nom, Gašper Pust, soit écorché, avec un sens de la formule qui fait mouche à tous les coup parce que les réflexions sont argumentées.
Aucun sujet ne semble tabou, ni la politique (les ultimes développements du Pénélope Gate émailleront sans aucun doute les prochaines représentations), ni l'argent, la religion, le sexe, le mariage pour tous. Il ne rit de rien mais le public s'amuse de tout. La moindre hypocrisie est pour lui pain béni. Même le terrorisme en prend pour son grade. L'artiste s'appuie sur les derniers faits d'actualité pour conclure que le but des militaires est tout de même de faire peur aux barbus ... lesquels pourraient bien débarquer ce soir, ici et maintenant, évidemment puisque c'est la guerre.
On se dit alors qu'il vaut peut-être mieux qu'on reste tous dans le noir. Il fait peur parfois parce que ce qu'il dit est si juste qu'on en a froid dans le dos. On est souvent au-delà de l'humour. Je n'étonnerai personne en disant qu'on l'adore autant qu'on peut détester cet homme qui lorsqu'il se prétend féministe, nous rassure qu'il vient de lâcher la meilleure blague du spectacle.
Surtout quand il se moque de ce qui n'est pas drôle, en faisant ressurgir du passé des séquences qu'on préférerait oublier. C'est que l'artiste est sans limites et que son talent nous oblige à tout lui pardonner.
Le rideau est toujours baissé. L'acidité de Gaspard Proust inonde tour à tour Alex Lutz, que plus personne ne regarderait sur Canal+, Guillaume Gallienne, dont l'exhibitionnisme de la libido est salué de 5 Césars, de Dany Boon célèbre pour son sketch sur le kway, avant de s'égoutter sur les lecteurs de Libé ou de Télérama, sans doute cachés quelque part dans la salle en les prévenant de ne pas chercher de signification particulière à la ligne rouge, si ce n'est qu'elle est franchie.
Le seul a avoir grâce à ses yeux est Laurent Ruquier, qui est toujours mon producteur, glisse-t-il, mais qui pourrait le menacer de le déplacer aux Grosses têtes, ce qui serait la punition suprême.
Vous avez besoin de rire, moi d'argent. Marché conclu.
Et le public s'en donne à coeur joie. Il faut dire que sa description des végétariens ou "liens", abstinents du gluten, du lactose et autres bonnes choses, est bien sentie. Ces dévoreurs de graines et de topinambours se seraient régalés pendant la guerre.
On pardonne forcément à ce petit-fils de rescapée de Ravensbrück de gratter sur toutes les plaies. Etre né et avoir grandi en République socialiste de Slovénie, et avoir passé douze ans en Algérie ont du lui forger le caractère autant que d'avoir été banquier en Suisse.
Savourons notre chance que la gestion des fortunes ne l'ait pas fait davantage rêver que d'escalader les sommets. Il a tant de fois changé de vie qu'on pourrait craindre que le virus ne le reprenne. Mais alors comment rirons-nous et de quoi ?
A l'heure où retourner sa veste est un euphémisme on ne souhaite qu'une chose, qu'il ne change pas.
Après 4 mois à guichets fermés à la Comédie des Champs-Élysées en 2016, Gaspard Proust est actuellement en tournée. Je l'avais vu la première fois il y a 4 ans à Chatenay-Malabry, et ce soir à Fontenay-aux-Roses (92). Il sera de retour à Paris au Théâtre Antoine à partir du 21 septembre 2017.
Il est nominé pour le Molière 2017 de l'humour, avec Dany Boon, François-Xavier Demaison et Vincent Dedienne (dont il partage le même producteur).
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