D'Eric Pessan j’avais déjà apprécié Plus haut que les oiseaux, son premier livre paru à L'Ecole des loisirs (2012), suivi par Aussi loin que possible (2015) qui avait été sélectionné au Salon du Livre de Jeunesse de Montreuil, catégorie Pépite du Roman Ado Européen 13 ans et plus.
Entre temps il avait publié un roman pour adultes chez Albin Michel, Muette (2013) qui faisait suite à Incident de personne (2010) écrit avec une intensité comparable. Il a l’art d’interroger les consciences des adolescents comme celles des adultes avec force mais aussi avec pudeur.
La plus grande peur de ma vie ne déroge pas aux précédents. Le lecteur assidu remarquera d'ailleurs une allusion aux personnages d'Aussi loin que possible page 69.
La forme est néanmoins différente. Outre l'originalité de la couverture, qui change de celles auxquelles l’Ecole des loisirs nous a habitués, le plus surprenant est l'insertion de calligrammes à l'intérieur du texte.
Le héros dit aimer beaucoup les cours de français, surtout lorsque le professeur l’initie à des exercices d’écriture (p. 20) comme la boule de neige, le lipogramme et bien entendu les calligrammes. De fait plusieurs pages font penser aux Calligrammes d’Apollinaire. Cette typographie audacieuse est nouvelle dans l’œuvre de cet auteur et apporte judicieusement de l’émotion. Le meilleur exemple concerne la répétition du mot grenade sur une demi-page (p. 78). Le processus d’écriture est au coeur du roman : tant qu’un texte n’est pas achevé, il vaut mieux le garder pour soi, sinon chacun veut y apporter son grain de sel.
La situation de départ du livre est encore une fois un moment de désoeuvrement. Quatre amis découvrent dans un vieux manoir une grenade datant de la Deuxième Guerre mondiale. Que faire avec cet objet ? Le laisser là, au risque qu'un vagabond n'en subisse l'explosion ou la prendre ? Mais la conserver dans la consigne de son collège n'est peut-être pas la meilleure idée ... à moins d'être soi-même sur le point d’exploser ...
Le narrateur a souvent des pensées qui se téléscopent. Il nous dresse des listes de choses à faire ou ne pas faire, et ne cesse d'échafauder des hypothèses.
On assiste à l'évolution de sa prise de conscience que l'auteur relie au fait de grandir. Il résume cette évolution à la découverte de choses qu’on ne voyait pas avant (comme les canettes éventrées d’un terrain de jeux). On perd des rêves à mesure que l’on gagne des libertés. (p.25)
Son jeune héros n’a jamais eu aussi peur de sa vie (p. 21) que le jour où il anticipe par intuition qu'un drame est possible. Il a raison de souligner l'ambivalence de ses intentions. On aime (se) raconter des choses qui font peur (p. 27) mais les vivre sans doute moins.
Le roman est l'occasion de conduire une réflexion sur l’amitié et sur ce qu’est un vrai ami (p. 89). On pourrait inviter des collégiens à mettre en parallèle ses propos avec une pièce de théâtre comme Timon d’Athènes, actuellement à l'affiche au Théâtre de la Tempête.
Le groupe d’enfants a pendant des mois fermé les yeux sur la souffrance de leur "copain" Norbert, victime de racket et de harcèlement scolaire. En cela l’auteur place le lecteur dans une double réalité car le déni de la violence est un fléau presque aussi important que les faits de violence eux-mêmes, et ne facilite pas le règlement des situations difficiles. La leçon de courage, d’entraide et d’amitié entre copains n’en a que plus de valeur d’exemple.
Eric Pessan souligne, on le sait tous mais il n’est pas inutile de le rappeler, qu’il ne faut pas remettre à plus tard tous les compliments qu’on a envie de dire à ses proches. Il nous dit des choses graves sans renier la sensibilité propre aux adolescents et sans adopter un ton moralisateur. Quant aux adultes ils ont une attitude très positive, en particulier la mère de David, le narrateur.
Voilà un tout petit livre sur un sujet crucial qu'il sera bon de mettre entre de nombreuses mains.
La plus grande peur de ma vie d'Eric Pessan, Ecole des loisirs, en librairie depuis le 25 janvier 2017
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