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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 28 octobre 2022

L'homme qui danse de Victor Jestin

J'avais eu un coup de coeur en 2019 pour le premier roman de Victor JestinLa chaleur. J'étais donc prédisposée à aimer le second, L'homme qui danse.
La Plage est le nom de la boîte de nuit d’une petite ville en bord de Loire. C’est là qu’Arthur, dès l’adolescence et pendant plus de vingt ans, se rend avec frénésie. Dans ce lieu hors du temps, loin des relations sociales ordinaires, il parvient curieusement à se sentir proche des autres, quand partout ailleurs sa vie n’est que malaise et balbutiements. Sur la piste de danse, il grandit au gré des rencontres – amours fugaces, amitiés violentes, modèles masculins écrasants. Au fil des ans, il se cherche une place dans la foule, une façon d’exister. Jusqu’où le mènera cette plongée dans la nuit ?
Aller à La Plage est devenu une addiction. Ç’aurait pu en être une autre pour ce garçon mal dans sa peau.  Ce n’est pas pour les scintillements des boules à facettes qu’Arthur s’y rend si régulièrement. Ce qui est particulièrement réussi dans ce roman c’est que l’auteur a construit un personnage qui se force à tenter d’aller mieux et qui n’a trouvé que ce moyen, peut-être parce qu’il est somme toute à portée de main.

Il n’est pas très à l’aise pour danser, c’est le moins qu’on puisse dire mais elle lui apporte malgré tout un certain apaisement : J’ai ressenti précisément pourquoi j’aimais ça (…). Dans la danse, la vie s’ordonnait, se réglait en un système de rythmes et de mouvements dont même les ruptures répondaient à une logique ; c’était comme un quadrillage géant, un filtre familier posé sur ce qui partout ailleurs relevait pour moi de l’immaîtrisable (p. 91).

L’écriture est, comme pour le précédent roman, puissamment masculine, profondément grise, presque désespérée tout en brossant le portrait d’un homme qui évolue malgré tout positivement, mais si peu qu’il semblerait que rien ne changera vraiment. La famille constate les dégâts mais croit bien faire en jouant la carte de l’encouragement et en n’intervenant qu’a minima.

Sa seule amie Alicia, barmaid à La Plage, ne le comprendra pas davantage. Il aurait été évident de son point de vue qu’Arthur fasse de la danse un métier. Mais son mal-être l’emporte : ma vie ne tenait qu’à la boite. (…) J’avais peur de tout, de la rue, du travail, de la paperasse, des questions, des visages inconnus en plein jour. J’étais bloqué. (…) J’avais renoncé au combat. Je savais que ce n’était pas bien. Mais je n’y pouvais plus rien (p. 164).

Le lecteur lui aussi ne peut que suivre le parcours sans prendre parti. Et c’est là que Victor Jestin est très fort car on conserve notre liberté de pensée tout en assistant à ce qui s’apparente, on peut le dire, à une sorte de naufrage. Combien sont-ils ceux qui, comme Arthur, n’ont pas les clés pour devenir « quelqu’un », avoir un métier épanouissant, fonder un foyer qui les écartera de la solitude ?

On pense du coup à ces drames qui font les choux gras des faits divers et qui demeurent inexpliqués quand, à la fin d’une sortie en boite, une relation dérape. Arthur n’est ni meilleur ni pire que les autres, mais il a reçu une solide éducation qui l’éloigne du cynisme et le rend touchant.

Enfin, comme le souligne Victor Jestin, l’univers des boites de nuit s’effondre doucement, comme ont disparu les petits bals des campagnes, au profit de relations nouées sur des sites qui n’apporteront sans doute pas davantage le bonheur à leurs inscrits, lesquels, eux aussi, y reviennent régulièrement, comme les mouches attirées par la promesse de miel.

Victor Jestin a reçu le Prix Blù qui chaque année repère un second ou un troisième roman et qui a pour but de « valoriser une plume audacieuse et inattendue qui deviendra l’incontournable de demain ». C’est exactement l’avenir qu’on souhaite à cet auteur prometteur.

L'homme qui danse de Victor Jestin, Flammarion, en librairie depuis le 24 août 2022
Prix de la Maison Rouge 2022 - Prix Blù Jean-Marc Roberts 2022

jeudi 27 octobre 2022

Et si on cherche un Rouge pour accompagner un curry …

Il y a peu de temps je proposais un Blanc pour accompagner un curry. Je me suis aussi posé la question version Rouge… alors j’ai choisi une AOC Haut-Médoc au nom original, Fabre on the Rocks, qui est un Bordeaux pour le moins différent puisqu’il est 100% Malbec alors que les vignerons voisins vendangent du Cabernet Sauvignon et du Merlot, qui sont les deux cépages les plus représentatifs de la région, comme je l’ai d’ailleurs indiqué récemment, dans un billet consacré à l’AOP Pessac-Léognan.

Je connaissais le Malbec comme cépage présent dans l’AOC Cahors et je dois dire que jusque là je le trouvais trop puissant. Mais ici, au contraire, sa force est son atout.

L’étiquette est très expressive. Vous aurez deviné que le nom qui y figure n’a rien à voir avec l’expression des barmen qui servent un alcool sur des glaçons. Il fait par contre allusion au sol très rocailleux de la butte parsemée de cailloux calcaires où il a été planté et sur lequel il s’épanouit idéalement.

Cette cuvée est Issue de la dernière parcelle de Malbec plantée en 2018. Elle est gourmande et juteuse, un brin rebelle à déguster sur de simples moments de partage. Ainsi, sa fraîcheur et son fruité ont été préférés au boisé. A déguster dans sa jeunesse.

Comme tous les Malbec, il a une robe pourpre intense. Le nez est très expressif, avec des notes de fruits à petites baies, myrtilles et groseilles. Il est ample en bouche, avec des tannins gras et ronds qui s’accorderont avec la puissance féroce du curry pour peu qu’on l’ait laissé décanter une trentaine de minutes et qu’on le serve autour de 16-17°.
Fabre on the Rocks s’accorde aussi avec une soupe de lentilles servie avec un croûton frotté d’un éclat d’ail.
Le Malbec est un cépage très ancien. Il est connu sous le nom de Côt ou Auxerrois à Cahors. Le vin de cette région est réputé pour son côté rustique, avec des notes de gibier et des arômes de raisins secs, de peau de prune et de tabac. Appelé autrefois «vin noir», la forte présence de tannins autorise un très bon vieillissement. Mais sa présence a fortement baissé à cause de la grande vulnérabilité du cépage face au gel. Il reste cependant encore cultivé dans le Sud-Ouest et la vallée de la Loire.

Fameux en France, il a connu un second souffle grâce aux vins d'Argentine dont la qualité n'est plus à démontrer. Il faut savoir que ce cépage est originaire de Bordeaux, et ce sont les immigrés venus d'Europe au milieu du XIXème siècle qui l’introduisirent alors en Argentine où le climat chaud et sec lui convenait parfaitement.

Les Malbecs argentins sont charpentés et riches en tannins, à la belle robe sombre violette. Il développe des arômes de fruits noirs de mûre et de prune, et des notes épicées de poivre et de clou de girofle.
Les Domaines Fabre regroupent plusieurs propriétés familiales depuis cinq générations. Ce sont aujourd’hui Mélanie et Jean-Hubert qui reprennent progressivement la suite de leurs parents, tout en s’appuyant sur leur expérience pour continuer à développer des vins en appellation Haut-Médoc et Margaux. Ils sont désormais engagés dans une démarche environnementale et s’ouvrent à l’œnotourisme.

Domaines Fabre - Lamothe, Cissac-Médoc - 33250 Pauillac - Tel : 05 56 59 58 16

mercredi 26 octobre 2022

La mère à côté de Thael Boost

Je connais (un peu) Thael Boost dont je suis « amie » sur les réseaux sociaux. Nos points de vue s’accordent souvent. C’est donc avec un intérêt particulier que j’ai lu son premier roman tout en redoutant d’en parler ensuite (parce que c’est toujours plus difficile de chroniquer une œuvre de quelqu’un qui ne nous est pas totalement étranger).

Elle nous offre un ouvrage très personnel puisqu’elle raconte l’essentiel de ses rapports avec sa mère, une personne assez fantasque, au caractère bien trempé, et qui s’empêtre dans la maladie d’Alzheimer, cette dégénerescence qui rend double, qu’elle surnomme Schrödinger et dont elle dit aussi que sa conscience refuse de voir. La mère à côté. On en rit (p. 111).

Pourtant si, puisque  La mère à côté est le titre qu’elle a donné à son roman. Le sujet a certes déjà été traité et par chance, il n’est pas l’essentiel du livre. L’important, c’est ce qui reste de la relation fusionnelle entre une fille non voulue par son père, et désirée par sa mère, alors que la mémoire se fait la malle et que tout fout le camp, pour parler comme Rosy.

A l’instar de ce qu’elle publie sur Facebook à propos des frasques de sa maman, et qui sont pour la plupart très drôles, le ton est souvent joyeux malgré la gravité de la situation. Nous sommes nombreux à savoir que nous devrons traverser semblable épopée, soit comme accompagnateurs de nos parents (je n’aime pas le terme d’aidants qui est plutôt galvaudé), soit comme combattants, avec le secours plus ou moins bienveillant de nos enfants, voire même enchaîner les deux postures à quelques années d’intervalle.

C’est dire à quel point nous pouvons nous sentir concernés. Combien de fois ai-je repéré cette manière de donner le change que l’auteure souligne. Les « je ne sais plus très bien, aide-moi. Les réponses au pif et les fulgurances aussi ». J’ai noirci des pages entières des remarques de ma mère, dans lesquelles je cherchais une cohérence que je n’ai jamais établie avec certitude mais j’avais le sentiment qu’elle avait un message à transmettre. Thael aussi a cette sorte de regret de ne pas avoir osé poser toutes les questions, ou du moins de ne pas avoir pu saisir toutes les réponses.

J’ai donc, à multiples reprises, reconnu tantôt ma mère, tantôt ma fille, et me suis sentie entre deux, pas encore à côté mais ça viendra. La lecture est de ce point de vue presque douloureuse. De même que j’ai eu parfois le sentiment de m’immiscer au sein d’une intimité qui me plaçait dans une position d’indiscrète tant la mère -comme la fille d’ailleurs- s’expriment sans filtre.

Et pourtant j’ai adoré ces instants de partage auxquels Thael m’a conviée et j’ai le sentiment d’être une privilégiée de les avoir vécus. Je pourrais jurer avoir pris un verre en terrasse avec elles deux.

Les chapitres sont courts. L’alternance irrégulière entre le présent et le passé dynamise le récit et lui apporte une certaine légèreté. On est tout le temps dans un élan vital. D’ailleurs, alors que je la redoutais, j’ai apprécié que la fin ne soit pas tragique. De toute façon, on la connait. Nul besoin de nous la raconter.

Le livre aborde aussi des sujets qu’on pourrait qualifier de périphériques comme la vieillesse en général et la condition de la femme. Rien ni personne ne nous prépare à cela, la femme âgée n’est pas qu’une petite vieille. La femme âgée est une femme comme les autres (p. 107). Et cette question du nom, dont on se demande pourquoi les politiques ne sont pas  revenus sur la tradition qui prive les femmes de leur patronyme à partir de leur mariage. Et pourtant la loi est formelle : on ne change pas de nom, la preuve en est lorsqu’on vote. On demeure répertorié à son nom de naissance.

Thael Boost vit entre Paris et Nice. Elle est directrice au sein d’un cabinet de conseil et d’expertise comptable. Parallèlement, sa passion du livre l’a conduite à devenir une bookinstagrameuse reconnue dans la sphère des réseaux sociaux.

La mère à côté de Thael Boost, Anne Carrière, en librairie depuis le 13 mai 2022

mardi 25 octobre 2022

Dégustation Château de France Pessac-Leognan

(Mis à jour le 29 octobre 2022)
Très appréciés tant en France qu’à l’étranger, les vins de Pessac-Léognan sont issus d’un vignoble péri-urbain puisque situé seulement à une quinzaine de kilomètres de Bordeaux, sur un terroir unique, dans la région des Graves,.

Voilà pourquoi beaucoup de personnes emploient encore le nom de Graves, qui est antérieur à celui de Pessac-Léognan pour désigner les vins de cette AOC, somme toute récente, puisque c’est Jacques Chirac, alors Premier Ministre du Président François Mitterand qui en signa le décret de création en septembre 1987, avec fonction rétroactive de manière à ce que le cru 1986 puisse en bénéficier.

La famille Thomassin fait aujourd’hui partie des plus anciens propriétaires de l’appellation. Château de France avait été repris en 1971 par Bernard Thomassin et Arnaud (ci-contre) en assure désormais la direction.

Le bâtiment a été édifié sur les fondations d’un ancien manoir dont il conserve la belle cave voûtée… une maison de maître construite à la fin du XVIIe siècle par un procureur. C’est un Conseiller au Parlement de Guyenne, Taffard, qui développe le vignoble au siècle suivant dans une période clef : celle de la naissance de la notion qualitative de Grand Cru.

C’est encore un siècle plus tard, au XIXe siècle, que va se construire la réputation des Vins d’appellation Pessac-Léognan en premier lieu sous l’action de Jean-Henri Lacoste, négociant en tissus d’ameublement, propriétaire du domaine durant 32 ans, créateur du château actuel.

A cette époque, les domaines prennent petit à petit l’appellation de château … et de grandes demeures apparaissent. Jean-Henri Lacoste rénove modestement la sienne : il élimine les ailes formant le U, rajoute de petits pavillons à chaque bout et crée un second étage. Cette chartreuse figure sur l’étiquette des vins Château de France.

Mais quand Bernard Thomassin acquiert le domaine, celui-ci est resté un peu à l’écart du Bordelais viticole comme une majorité des Grands Crus des Graves depuis plus de 50 ans, de 1920 jusqu’aux années 1975. Le Château de France est alors à un tournant historique. Il est désormais le fruit de la rencontre entre une famille et un terroir. Le travail accompli, couronné par la reconnaissance en AOC a permis au Château de France rouge et au Château de France blanc de se partager aujourd’hui les reconnaissances mondiales.

Cette propriété familiale de 40 hectares inclut 4 hectares de Sauvignon et de Sémillon pour la production de vin blanc mais c’est surtout l’AOC Pessac-Léognan rouge qui est produite avec 36 hectares de Cabernet sauvignon et de Merlot.

En raison de la jeunesse (quoique relative) de l’appellation et de son positionnement haut de gamme (souligné par la mention « Grand Vin de Graves » sur chaque étiquette) le Pessac-Léognan est un vin de connaisseurs … chanceux puisque le prix des bouteilles n’a pas bougé malgré, notamment, la multiplication par trois du prix du papier et une progression les salaires de 10%. C’est une vraie prouesse.

Il y a deux méthodes pour déguster un vin. Le goûter en le comparant à d’autres, selon un ordre que le vigneron a établi, ou bien le savourer au cours d’un repas, à condition qu’il soit servi avec un plat qui lui correspond. Dans l’idéal on combinera les deux, et c’est ce que j’ai pu faire, en toute modération, avec cette AOP Pessac-Léognan de Château de France.

Que ce soit l’une ou l’autre méthode, on commence toujours par les blancsChâteau de France en propose deux, qui sont tous deux un assemblage de 80% de Sauvignon et 20% de Sémillon. A noter que le Sauvignon est vendangé le plus tardivement possible pour bénéficier des arômes de bourgeon de cassis.
La première cuvée porte le qualificatif de Coquillas dont le nom et l’étiquette évoquent immédiatement le terroir sur lequel les vignes s’enracinent, un ancien gisement marin datant de plus de 19 millions d’années laissant apparaitre des milliers de coquillages. Que ce soit pour le Blanc comme pour le Rouge, elles poussent sur des graves pyrénéennes très profondes, parfois sur un sous-sol argilo-calcaire. Le sol est pauvre mais l’assemblage de Sauvignon et de Merlot permet de conjuguer une structure tannique à une touche fruitée. Le minéral et le fuit s’accordent aussi bien en blanc qu’en rouge.

Le Château Coquillas est exclusivement élevé en barriques neuves. C’est typiquement la bouteille que l’on partagera entre copains à l’apéritif. Bien que l’année 2021 ait été difficile en raison de gelées, ce millésime est appréciable pour son côté très aromatique. On le présenterait au cours d’un repas sur une viande grillée ou rôtie ou encore avec un fromage de chèvre frais.

Son nez est très harmonieux et doux, d’abricot confit, lychee et fruits à chair blanche, puis de miel. La bouche est joliment structurée, puisque gras et fraîcheur se combinent avec beaucoup d’élégance, laissant place à une finale minérale.
Le Château de France Blanc est plus gastronomique et le 2021 est très tendu, avec une salinité qui fait saliver, et que l’on appréciera tout à l’heure -en 2020- avec le carpaccio de poisson.

lundi 24 octobre 2022

Fantôme sur mesure de Moka

J'avais été invitée à une Flânerie littéraire qui m’avait placée en immersion dans la chambre de Moka, la soeur de Marie-Aude Murail, autrice elle aussi, et née comme elle au Havre.

Nous connaissons tous son premier roman, Escalier C, dont elle écrivit elle-même les dialogues pour le cinéma lorsque Jean-Charles Tachella décida de le réaliser en 1984. A cette époque, elle publiait sous son nom, Elvire Murail. Trois romans pour adultes suivirent puis elle décida de se tourner vers la littérature jeunesse. Nous sommes à la fin des années 80. Elle devient et restera Moka.

Elle a conçu depuis, plus de cent vingt livres, publiés pour la plupart par l’Ecole des loisirs dans les collections Mouche, Neuf et Médium, et qui explorent une veine policière ou une veine fantastique. Sa reconnaissance internationale lui vaut d’être traduite dans une quinzaine de langues.

L’extrait que Moka avait lu donnait envie d’en savoir davantage mais j’ai choisi d’attendre le moment propice, à savoir cette période d’Halloween. Et comme elle coïncide avec les vacances scolaires c’est une période idéale pour que les enfants prennent le temps de lire.

Une fois que je repris le livre il me fallut tout de même attendre la page 19 pour saisir à peu près de quoi il retournait quoique je n’ai pas compris (et même après avoir terminé la lecture) quel but poursuivait cet Institut Brumbeck. Peu importe, fiction pour fiction … j’ai malgré tout reconnu l’évocation de la chambre de la maison hantée dans le décor où je m’étais moi-même trouvée au cours de l’après-midi. J’ai retrouvé du même coup l’atmosphère particulière qui s’était installée dans la pénombre et la moiteur de cette chambre, éclairée de bougies, pendant que Moka nous faisait la lecture, masquée par le rideau de toile de jute de la salle d'eau.
Le titre du roman est aussi celui du chapitre 7, correspondant à la phase 3 de l’expérimentation (p. 63) et c’est à ce moment là que l’histoire m’a vraiment passionnée. J’ignorais tout de l’affaire de Philip le fantôme qui nous est rapportée comme exacte, selon la note de bas de page. Je ne fais pas partie des gens qui croient à ce qu’on appelle Poltergeist (le terme aurait d’ailleurs mérité d’être traduit : esprit frappeur).
Aurore croit que le croquemitaine habite chez elle. Tina croit en beaucoup de choses mais ne jure que par son Harley Davidson. Rémi ne croit en rien sauf en la Gendarmerie Nationale. Matthieu croit que moins on en fait, mieux on se porte. Jonas croit en la valeur nutritionnelle des chips. Le fantôme, quant à lui, (si tant est que nous lecteurs y croyons) croit que tous ces gens-là sauront lui venir en aide. Souhaitez-lui bonne chance !
Ce qui est intéressant dans la construction de Moka c’est qu’elle partage une histoire qui est tout à fait vraisemblable, et qui de plus nous replace dans ce que la Résistance a de plus sombre, surtout dans le massif du Vercors. Le lieu est un cadre idéal, truffé de failles et de gouffres, qui sont des lapiaz et des scialets, ce que j’ignorais également.

Les personnages sont attachants. Un ado, des jeunes adultes et des retraités, ce qui stimule un intérêt intergénérationnel chez les lecteurs. Un fantôme sur mesure n’est donc pas seulement un livre de littérature jeunesse accessible à partir de 13 ans pour éprouver tous les mécanismes de la peur.

Le visuel de la couverture illustre une scène clé qui est décrite page 80, à un détail près, la couleur de cheveux d’Aurore qui n’est pas brune mais blonde. Par contre ses yeux sont bel et bien bleus. Quant à l’illustration que j’ai choisie, il ne s’agit pas d’un phénomène paranormal mais du surgissement d’un arc-en-ciel à travers quelques gouttes de pluie qui tombaient sur la plage au moment du coucher du soleil.
Fantôme sur mesure de Moka, Illustration d’Emanuel Polanco, Collection Medium +, Ecole des loisirs, en librairie depuis le 21 septembre 2022
Photo du livre prise sur un massif de succulentes rampantes du nom de Carpobrutus, autrement dit Griffes de sorcières et qui sont très communes en bord de mer.

dimanche 23 octobre 2022

Le Pineau des Charentes, encore un succès que l'on doit à une erreur

Savez-vous que la naissance du Pineau des Charentes date de 1589, et qu’elle est la conséquence d’un événement fortuit ?

Un vigneron charentais stockait, comme de coutume, son moût de raisin dans les fûts pour la fermentation. Par mégarde, il oublia que l’un d’entre eux contenait de l’alcool. C’est quelques années plus tard, lors de la mise en bouteille, qu’il découvrit le résultat extraordinaire de ce mélange inattendu. On appela Pineau ce mélange improbable du moût de raisin et du cognac.

Mais ce n’est qu’en 1921 que le Pineau des Charentes fut pour la première fois commercialisée par Émile Daud, un viticulteur de la Charente-Maritime. Et c’est finalement en 1935 que son existence a été officiellement reconnue par le décret du 6 juillet, sous l’appellation Pineau des Charentes. Le statut de vin de liqueur, appellation d’origine, fut acquis par la même occasion.

La belle histoire continue et en 1945, il devient un « vin de liqueur d’appellation d’origine contrôlée » (VLAOC).

Le Pineau blanc est obtenu immédiatement à la fin des vendanges. Afin d’obtenir du pineau rouge, il est nécessaire de macérer les raisins pendant plusieurs heures avant de les pressurer pour donner à la boisson cette robe vive, typique et unique.

Vient ensuite le mutage, étape cruciale du processus de fabrication. C’est durant cette phase qu’on ajoute aux moûts de raisin de l’eau-de-vie de Cognac vieille d’un an minimum. Le cognac doit représenter environ 30 % du volume du mélange pour empêcher la fermentation complète du vin et conserver sa douceur. Le produit obtenu sera alors analysé au laboratoire œnologique et mis au repos en cuve pendant un mois.

L’étape suivante est le vieillissement. Il s’effectue obligatoirement dans des fûts de chêne. Le produit y acquiert ses dernières notes et sa robe aromatique. La durée du vieillissement dépend du type de vin qu’on souhaite avoir. Elle est de :

- 12 mois minimum pour le pineau blanc ;
- 8 mois pour le pineau rosé ou rouge ;
- 5 ans minimum pour le pineau vieux ;
- 12 ans au moins pour le pineau extra vieux.

Enfin, on procède à la mise en bouteille qui doit se faire suivant des normes précises et obligatoirement dans la région de production. Et chez Abecassis, on ferme avec une capsule afin de ne pas induire le consommateur en erreur car ce vin ne vieillira plus une fois qu’il sera en bouteille. Le bouchon serait en quelque sorte une fausse promesse.

Avec 220 hectares de vignes, les Domaines Francis Abécassis sont aujourd’hui l’un des plus grands producteurs indépendants de l’appellation Cognac. Francis et sa fille Elodie ont constitué une équipe de tout premier plan où chacun met, dans ses gestes quotidiens, la compétence, l’attention et l’amour indispensables à la création de Pineau raffinés.

La famille Abécassis a ainsi rassemblé une véritable collection de Domaines qu'ils ont su magnifier pour produire des Pineau d'exception : ABK6, LEYRAT, REVISEUR et GRANDS DOMAINES.

J’ai eu l’opportunité de découvrir le Pineau signé ABK6, réalisé avec le cépage Ugni Blanc, et j’ai été conquise. Pourtant je suis assez difficile en la matière puisque j’ai la chance de me rendre souvent sur l’île d’Oléron où c’est l’apéritif emblématique.

Celui-ci offre des notes intenses de fruits exotiques, abricots confits et une pointe d’épices douces. Il est soyeux et généreux en bouche avec une finale délicatement acidulée.

Servi frais et en toute modération avec des chips de sarrazin, il réunissait deux belles régions, la Saintonge et la Bretagne.

Domaines Francis Abécassis - 16250 Val des Vignes

vendredi 21 octobre 2022

Rendez-vous de Martina Chyba

Peu de choses me prédestinaient à lire Rendez-vous de Martina Chyba : une auteure inconnue (de moi, mais qui n’en est pas à son premier roman), un titre un peu fade, un fond de couverture ni beige ni jaune, avec une illustration franchement agaçante quand on connait Kiss V, l’œuvre originale peinte par Roy Liechtenstein en 1964, et d’autant plus agaçante qu’un des sujets du livre est de proposer une thérapie par les œuvres d’art.

J’avais promis de le lire, alors je l’ai ouvert en me jurant intérieurement que je restais libre de le refermer dès que … Mais voilà, j’ai énormément apprécié. A part les critiques que je viens de formuler, et qui demeurent justes, il n’y a rien à redire au roman de Martina Chyba dont j’ai beaucoup aimé l’originalité du propos, son traitement, et la liberté de ton de son écriture.
J’ai rendez-vous. Avec un homme. Au bas des marches du Sacré-Cœur, à Paris. Je ne le connais pas, c’est un site de rencontres qui nous a mis en contact par erreur. Il va peut-être me découper en rondelles et on ne découvrira jamais mon corps. Ou passer la nuit avec moi et disparaître. Ce n’est pas gagné. Mais ce n’est pas perdu non plus. Il faut essayer.
Le roman n’est absolument pas écrit en langue de bois, pas du tout béni-oui-oui comme on disait chez moi pour qualifier un propos intentionnellement consensuel. Ses personnages sont résolument modernes et cependant totalement humains. Elle se décrit comme faisant partie d’une génération pathétique, révoltée contre rien mais fatiguée de tout, persuadée d’avoir trente ans dans sa tête et dans sa chair, mais désespérée d’en avoir cinquante dans ses artères et dans son jobSon héroïne lui ressemble et représente la nouvelle Wonder Woman, qui n’a pas que des forces … d’où son besoin de se planter devant des oeuvres d’art en s’interrogeant : Comment ce que je vois peut-il me donner de la force ?
Le concept de thérapie par les œuvres d’art se tient de bout en bout. Les analyses des tableaux et sculptures retenues par l’auteure sont fines. Vous me direz que nous n’avons pas tous et toutes les moyens d’aller contempler une œuvre in situ dans un musée new-yorkais (voilà pourquoi d’ailleurs je recommande d’aller les admirer quand les chefs d’œuvres sont à portée de nos yeux et je vous invite à suivre ce lien vers les dernières expositions qui m’ont éblouie) mais le concept est déclinable à l’infini.

Ça pourrait être un paysage, ou même seulement un arbre ou une plante. J’ai été fascinée hier par les couleurs d’une haie de vigne vierge automnale. Des milliers de visiteurs -et beaucoup se déplacent spécialement du Japon- viennent se recueillir sous le cèdre bleu pleureur de l’arboretum de Chatenay-Malabry (92) et on sait la vénération que reçoivent les arbres estampillés remarquables.

Ça pourrait aussi être une musique, et alors point n’est besoin de faire de coûteux déplacements. Ou même une gourmandise. Bref, c’est la pensée positive dans ce qu’elle a de tout à fait motivant.

Les soucis rencontrés par ses personnages sont diablement réalistes. Je n’ai rien à ajouter à ses aléas ferroviaires. Il faut dire que partageant sa vie entre Genève et Paris elle dispose d’un panel de situations vécues statistiquement représentatif. L’héroïne de ce roman, inspirée par le vécu de l’auteure, cumule les rôles et les défis, entre travail, enfants, deuils à surmonter, années qui passent, déménagement à gérer et amour à retrouver. Avec un seul objectif: rester vivante, toujours, et attentive à l’essentiel.

Rendez-vous constituerait un point de départ fort savoureux pour une série télévisée car, sincèrement, je serais ravie de rencontrer tous les protagonistes. D’ici là je vais sans doute ouvrir un autre des romans de Martina Chyba, histoire de prendre une nouvelle dose de pensée positive car je parie qu’elle imprègne tout ce qu’elle fait. 

Enfin, j’ignore si c’est un artifice pour éviter de le citer mais je sais en tout cas qui est derrière la remarque acerbe qu’elle invoque p. 130 pour qualifier un plat « immangeable », et je ne saurais terminer ma chronique sans lui donner la réponse qu’elle prétend n’avoir trouvé nulle part. Il s’agit de notre ancien président de la République Jacques Chirac et je suis bien heureuse que ses propos la fassent autant rire.

Rendez-vous de Martina Chyba, éditions Favre, en librairie le 3 novembre 2022

mercredi 19 octobre 2022

Une journée dans un musée de l'Oise Episode 3 : Musée Camille-Pissarro de Pontoise

Après le Musée de L'Isle-Adam et celui d'Auvers-sur Oise, allons à Pontoise pour la dernière étape de l'exposition "Impressions au fil de l’Oise" qui se déroule dans trois villes différentes, au Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de l'Isle-Adam, au Musée Daubigny d'Auvers-sur-oise et au Musée Camille-Pissarro de Pontoise, du 15 octobre 2022 au 5 février 2023.

Comme pour les parties précédentes et pour ne pas alourdir la publication j'ai là encore d'abord résumé le propos et vous pourrez accéder à toutes les photos et commentaires en cliquant sur le lien en bas de l'article, sachant qu'ensuite chaque photo peut s'afficher plein écran.
Episode 3 : Musée Camille-Pissarro de Pontoise

Si le nom de Pontoise est connu dans le monde entier, c’est à Camille Pissarro que la ville le doit. À l’instar de Charles François Daubigny à Auvers-sur-Oise, Camille Pissarro aime s’entourer d’amis pour travailler. Il en fera même l’essence de son évolution, poursuivant toute sa vie des collaborations avec ses amis puis avec ses cinq fils.

Inauguré le 22 novembre 1980 à l’occasion du 150e anniversaire de la naissance de l’artiste, le musée Camille-Pissarro fut conçu pour rendre hommage à la présence du maître de l’impressionnisme à Pontoise pendant les années décisives du mouvement (1866-1884). Il est installé dans une maison bourgeoise située sur le promontoire du château médiéval aujourd’hui détruit.

Aujourd’hui, le musée possède plusieurs centaines de peintures, pastels, aquarelles et plusieurs milliers d’estampes de Camille Pissarro et de ses fils (Lucien Pissarro, Georges Manzana-Pissarro, Ludovic Rodo, Félix dit Jean Roch et Paulémile), ou encore d’artistes ayant travaillé dans la région dans la seconde moitié du XIXe siècle. Cette collection est par ailleurs complétée par des peintures d’artistes paysagistes qui ont travaillé dans la vallée de l’Oise, tels que Charles François Daubigny, Luis Jimenez, Norbert  Goeneutte ou encore Octave Linet.

Camille Pissarro (1830-1903) séjourna dès 1866 à Pontoise et s’y installa de 1872 à 1883. Durant ces années décisives de l’impressionnisme, il y réalisa plus de trois cent cinquante toiles et un grand nombre de dessins et de gravures. L’Oise, les champs et les jardins maraîchers des alentours, les marchés animés de cette petite capitale provinciale vont lui offrir la diversité nécessaire à ses aspirations picturales.

Dès 1872, imaginant un futur groupe d’artistes indépendants, il invite ses amis rencontrés au début des années 1860, Edouard Béliard (1832-1912)Paul Cézanne (1839-1906), Armand Guillaumin (1841-1927), puis entre 1874 et 1878 Ludovic Piette (1826-1878), peintres qui partagent sa philosophie anarchiste et au tournant des années 1870-1880, Paul Gauguin (1848-1903). Ensemble, ils privilégient les motifs modestes du quotidien se distinguant ainsi des thématiques plus bourgeoises des autres impressionnistes. Dans cette vallée, pendant une dizaine d’années Pissarro et Cézanne confronteront côte à côte leurs recherches les plus radicales. Puis, entre 1879 et 1883, ce sera au tour de Gauguin de venir trouver en Pissarro un maître et initiateur.

Ayant fait ses premières armes loin de Paris, il est né et a commencé à peindre en autodidacte aux Antilles danoises et au Venezuela, et d’une philosophie profondément anarchiste, Pissarro imagine à Pontoise la création d’une association de peintres indépendants destinée à l’organisation d’expositions en marge des salons officiels. Entre 1874 et 1886, il sera ainsi à l’origine des huit expositions du groupe des impressionnistes.

Édouard Béliard s’installe sur l’autre rive à Saint-Ouen-l’Aumône où il demeure jusqu’en 1875. C’est à ce peintre franc-maçon aux idées anarchistes que Pissarro doit sa rencontre avec Maria Deraismes, célèbre journaliste créatrice de la première loge féminine, dont il représente dans une œuvre célèbre, le jardin de sa propriété des Mathurins dans le quartier de l’Hermitage. Avec Paul Cézanne, Pissarro va travailler lors de longs séjours de ce dernier entre 1872 et 1881, à des recherches picturales qui auront des conséquences déterminantes sur l’évolution de l’art français. Quant à Gauguin, il se réclame son élève durant les premières années de sa conversion à la peinture, ce dernier adoptant toutes les caractéristiques de son esthétique avant de s’en éloigner lorsque Pissarro imposera en 1886 les néo-impressionnistes, Georges Seurat (1859-1891) et Paul Signac (1863-1935) au sein des expositions du groupe.

L’exposition présentée au musée Camille-Pissarro en 2022 s’appuie principalement sur les collections du musée constituées depuis quarante ans. Elle présente aux côtés des peintures, dessins et estampes des Pissarro père et fils, la richesse du paysage indépendant dans la vallée de l’Oise, qu’il soit impressionniste ou postimpressionniste.

Singulièrement, Pontoise a également vu deux autres Pontoisiens prendre par à ces révolutions picturales, Louis Hayet (1864-1940) avec le néo-impressionnisme,  et Gustave Loiseau (1865-1935) avec le postimpressionnisme.

mardi 18 octobre 2022

Le Fitou Anthocyane 2019, parfait avec des champignons

J'ai précédemment proposé un accord mets-vins autour d'oeufs cocotte et de curry de volaille.

Voici maintenant l'exercice inverse en cherchant à associer un plat à un vin, en l’occurrence un AOP Fitou. Cette appellation produisant des vins rouges uniquement (à l’inverse par exemple du Pouilly Fumé qui n’existe qu’en blancs) ne manque pas de singularités. Le terroir est qualifié de magique par les exploitants et la garrigue omniprésente dans les paysages apporte des notes chaleureuses.

La diversité des vins de l’AOC Fitou offre un large choix pour chaque moment de dégustation, de l’apéritif au plat principal.

C’est la première Appellation d’Origine Contrôlée du Languedoc depuis 1948. Elle est reconnue pour ses vins de qualité, travaillés par des vignerons visionnaires qui, dès le premier jour, ont su miser sur le cépage Carignan afin de résister aux éléments et aléas climatiques, la région étant très ensoleillée mais venteuse tout au long de l’année.

L’appellation compte 2 100 ha en production, regroupe 215 producteurs au total dont 3 coopératives, environ 180 viticulteurs coopérateurs adhérents et 35 caves particulières répartis sur 9 communes dans l’Aude : Cascastel-des-Corbières - Caves - Fitou - La Palme - Leucate - Paziols - Treilles - Tuchan – Villeneuve-les-Corbières.

Cette fois c’est le Fitou du Mas des Caprices - Anthocyane 2019, (prix TTC vente cave : 18,00 €) que j’ai retenu pour l’associer à une côte de veau cuisinée à la crème et servie avec une fondue de poireaux et des pleurotes. Car ces champignons étant un peu fades il fallait relever le plat.
C’est un vin Bio, composé de trois cépages : Carignan 40 %, Grenache noir 20 % et Mourvèdre 40 %. Sa robe est rubis avec des reflets grenat, correspondant à la promesse de son nom puisque c’est ainsi qu’on désigne le pigment rouge des feuilles des arbres, très visible en automne. Je l’avais appris cet été en visitant le Conservatoire du bégonia de Rochefort.

Le nez est très floral avec des parfums de pivoine et de violette, et très vite de fruits rouges. La bouche est fraîche et ample avec des saveurs de mûres et surtout de figue noire.

Il s’accorderait avec un bœuf mariné avec des herbes mais il est parfait avec des champignons, même une espèce qui ne manque pas de goût. Voilà pourquoi j’ai récidivé le lendemain avec une quiche aux trompettes de la mort dont voici la recette. On fait cuire les champignons à la poêle avec un peu de beurre et de l’ail car ils vont perdre leur eau. Ensuite on les disposera sur un fond de tarte et on parsèmera de noix.
Dans un bol, on battra quelques œufs, ajoutera des fines herbes hachées (roquette-persil-ciboulette-estragon), des lamelles de fragmentation de Comté, de la crème fraîche détendue d’un peu de lait, sel , poivre.
On versera sur la préparation et on enfournera pour 40 minutes à 180°.
On dégustera avec une salade verte … et, en toute modération, un verre d’Anthocyane.
Fitou du Mas des Caprices - Anthocyane 2019 
Propriété de Madame et Monsieur Pierre MANN
37 avenue Georges Brassens – 11370 Leucate - 06 76 99 80 24 - tchin@masdescaprices.fr

lundi 17 octobre 2022

Une journée dans un musée de l'Oise Episode 2 : Musée Daubigny d'Auvers-sur-Oise

Après l'Isle-Adam et avant Pontoise, allons à Auvers-sur Oise pour la suite de l'exposition  "Impressions au fil de l’Oise" qui se déroule dans trois villes différentes, au Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de l'Isle-Adam, au Musée Daubigny d'Auvers-sur-oise et au Musée Camille-Pissarro de Pontoise, du 15 octobre 2022 au 5 février 2023.

Propriété de la ville depuis 2013, le musée Daubigny est installé dans un charmant manoir du XVIIe siècle consacré à la compréhension du pré-impressionnisme et des mouvements artistiques qu’il a fait naître. Plus de mille œuvres constituent ses collections. La plus importante d’entre elles,  exposée en permanence au rez-de-chaussée, présente les peintures, dessins et gravures de Charles François Daubigny (1817-1878), précurseur de l’impressionnisme.

Le peintre fit l'acquisition en 1860 d'un terrain à Auvers-sur-Oise, village qu’il connaîssait bien pour y avoir fait plusieurs séjours en compagnie de Corot. Il y fit construire une maison-atelier, la Villa des Vallées, qui devient le lieu de rendez-vous de nombreux artistes, comme Paul Jouanny, Charles Beauverie, Léonide Bourges et Pierre Emmanuel Damoye. Adeptes de la peinture de plein air, ils vont en compagnie du maître représenter la diversité des paysages de la vallée de l’Oise et offrent un fabuleux témoignage sur Auvers au XIX° siècle.

Le musée auversois propose de mettre en perspective les œuvres peintes par Daubigny et ses élèves autour de thématiques phares dont ils feront d’infinies variations : le printemps, l’Oise, les travaux des champs, les scènes pastorales…

Comme pour la partie consacrée au Musée de L'Isle-Adam et pour ne pas alourdir la publication j'ai là encore d'abord résumé le propos et vous pourrez accéder à toutes les photos et commentaires en cliquant sur le lien en bas de l'article, sachant qu'ensuite chaque photo peut s'afficher plein écran.

Episode 2 : Musée Daubigny d'Auvers-sur-Oise et le peintre Charles François Daubigny

Dès son installation à Auvers-sur-Oise le peintre attire autour de lui un grand nombre d’artistes qui viennent profiter de son enseignement, de son sens de l’accueil et de sa générosité comme Charles Beauverie (1839-1924), Léonide Bourges (1838-1909), Paul Jouanny (1839-1924), Emile Lambinet (1815-1877), Eugène Lavieille (1820-1839).

Daubigny a su révolutionner la peinture de paysages par des cadrages nouveaux, une grande liberté dans la touche et le choix des couleurs. Son amour inconditionnel pour le paysage, l’observation des ciels changeants, de leurs effets sur les arbres et sur l’eau, c’est cela qu’il partage avec le plus de générosité et qui constitue le point commun notable entre ses œuvres et celles  de ses amis.

L’exposition présentée au musée Daubigny entend montrer son influence majeure sur les artistes qui l’ont côtoyé dans la vallée de l’Oise. Une cinquantaine d’œuvres issues des collections du musée, de fonds privés et de plusieurs grands musées français jalonnent le parcours, organisé autour des grands thèmes qui ont marqué la peinture de Daubigny et que l’on retrouve naturellement chez ses élèves.

Source d’inspiration favorite du peintre, l'Oise accueillera les joyeux voyages du Botin, premier bateau-atelier de l’histoire de la peinture que l’artiste fait construire en 1857. La rivière offre à Daubigny et à ses élèves tout ce dont ils peuvent rêver : des reflets, de doux mouvements et des couleurs changeantes. Ensemble, ils la peignent inlassablement.
Charles-Edouard Elmerich (1813-1889) Daubigny peignant dans sa barque, 1857-1860
huile sur toile, 61,3 × 50 cm, Voiron, musée Mainssieux

Ce peintre habite Auvers et va représenter Daubigny sur son bateau-atelier, le premier de l’histoire de la peinture, et dont l’intérêt est de pouvoir varier les points de vue. C’est encore -comme à l'Isle Adam avec Jules Dupré- un peintre vu de dos.

dimanche 16 octobre 2022

L'amour est un thé qui infuse lentement de Christine Cayol

Sans la sollicitation de Babelio je n’aurais probablement pas découvert L'amour est un thé qui infuse lentement
Depuis son tragique accident alors qu'il n'a que 6 ans, Chao sait qu'il est différent. L'acupuncture, mais aussi un livre d'images sur la France, l'aident à chercher ailleurs que dans ses blessures ce qu'il va devenir.
À 21 ans, tandis qu'il participe à l'éclosion d'un empire familial dans une Chine en pleine ébullition, Chao choisit Paris. Il sait qu'à la pointe du Vert Galant, face à l'eau docile ou impétueuse, quelqu'un l'attend.
De son côté, Inès avance dans sa vie avec douleur et détermination. Elle est française, mariée, mère de deux enfants. Tout les éloigne l'un de l'autre.
Mais ni Chao, ni Inès ne résistera à l'énergie lumineuse, née de leur rencontre dans un café parisien. Cela se nomme yuan fen, rencontre prédestinée voulue par le ciel.
Christine Cayol s'exprime sans tabou devant les lecteurs rassemblés par Babelio à propos de son premier roman, qui sort aujourd'hui en librairie, et qu'elle a écrit avant tout pour le plaisir, après la publication de nombreux essais, dont Je suis catholique et j’ai mal (Le Seuil, 2006), À quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa ? (Tallandier, 2012) ou Pourquoi les Chinois ont-ils le temps ? (Tallandier, 2017).

Philosophe et littéraire de formation, elle partage son temps entre la France et la Chine et elle aime se servir de l’art et de la culture pour construire des ponts entre l’Orient et l’Occident. Fondatrice de Synthesis et Yishu 8, elle a créé un lieu à Pékin dédié à la culture dont l'action donne lieu à une exposition qui sera inaugurée mardi prochain au Musée Guimet (et où il était prévu que je me rende, nouvelle preuve de l'existence du Yuan Fen).

Elle fait en riant la confidence d'être allée en Chine par amour. C’était le dernier pays où elle voulait se rendre, l'imaginant loin, opaque, gris et dangereux. C'est pourtant à Pékin qu'elle s'est mariée et a poursuivi aussi sa route professionnelle. Le pays l'a manifestement séduite. Etre français en Chine est un passeport extraordinaire. Cette situation donne un capital de confiance et d’admiration exceptionnels du fait qu'on est supposé incarner l’élégance et le romantisme.

Elle maitrise la langue chinoise et a compris l'essentiel de la culture du pays. Si on voulait résumer l'état d'esprit du chinois on pourrait dire que son principe de vie est une dynamique qui se résumerait dans  l'idée que demain sera mieux. Et ce principe imprègne tout le roman, ce qui ne l'empêche pas d'être émaillé de nombreuses anecdotes vécues comme celle du petit livre rouge.

Le point de départ de L'amour est un thé qui infuse lentement est un fait divers entendu à la radio chinoise et qui a donné lieu à un court texte de quelques lignes, stocké dans un fichier dans l'attente d'en faire quelque chose. Le traiter à l'intérieur d'un roman offre plus de liberté qu'elle n'en a eu à travers les essais qu'elle a publié pour exprimer ce que sont les Chinois. On s'apercevra au cours de la soirée qu'elle se nourrit de tout ce qu'elle entend et qu'elle met au service de thématiques qui lui sont chers, notamment le handicap.

On sera ému par l'histoire d'amour d'une jeune femme aveugle. Mais dans ce livre il touche en premier lieu Chao alors qu'il est enfant. Porter un handicap dans une société où l’enfant doit être le drapeau de la famille est une catastrophe encore plus lourde qu'en France. On imagine mal la pression sur les enfants en Chine depuis la politique de l'enfant unique.

Chao a une disgrâce qui est bien plus qu'une cicatrice puisqu'il est porteur d'une tragédie familiale qui se répète, comme on le comprendra quand on apprendra ce qui est arrivé à sa grand-mère avec un chien.

Tout est signifiant dans le roman. Ainsi, un seul côté du visage de Chao est atteint, ce qui traduit une dualité, rappelant que nous avons tous un côté qui nous fait honte.

La question du temps est un autre sujet qu'affectionne l'auteure, et que l'on remarque dans le titre. Elle avoue adore aller vite mais refuse que l’accélération soit un mot d’ordre. Les choses essentielles, qui arrivent dans la vie, ne sont pas dans l’agenda.  Et si je veux aller vite je vais les louper fait-elle remarquer avec sagesse.

Elle ajoute avoir horreur de la mollesse tout en soulignant que la lenteur peut se révéler être une caresse. Il faut apprivoiser le rapport au temps, poursuit-elle. Faire confiance à ce qui arrive comme la vague sur le rivage. Si j’ai semé les bonnes graines, les arbres pousseront.

Elle a choisi de se glisser dans la peau du personnage masculin d'une part parce qu'elle connait bien le tempérament chinois et d'autre part pour éviter la tentation de trop investir d'elle-même dans le personnage d'Inès. Celle-ci est psychologue de métier et si elle est très compétente pour aider ses patients elle se retrouve par contre totalement démunie lorsqu'elle est sous l'emprise de ses propres émotions amoureuses; c'est que l'amour ne relève pas de l'analyse ni du rationnel et que les vraies rencontres de l’existence nous désarment.

La fin s'est imposée à elle et pourrait surprendre (voire désarçonner le lecteur) mais elle se justifie si on pense que l’enracinement est plus fort que tout et conditionne notre avenir, comme l'a démontré la philosophe Simone Weil dans son livre intitulé précisément L'enracinement.

Plusieurs genres littéraires sont utilisés dans le roman : la lettre, le poème etc … pour rendre compte des voix intérieures des personnages et de la voix de la Chine qui appelle Chao. Cet exercice l’a amusée et elle compte bien recommencer.

Un projet de traduction est déjà en cours dans une maison d'édition de Pékin. En France ce sont  les Éditions Hervé Chopin qui la publient. Installée à Bordeaux, cette maison d’édition généraliste et indépendante créée en 1994 s'est développées avec la collection "Images d’antan", qui compte aujourd’hui plus de 120 titres. Dans ces ouvrages portés par la force esthétique et historique de la carte postale du début du XXe siècle, chacun peut découvrir ou redécouvrir la ville, la région, le pays de ses grands-parents.

Ce savoir-faire dans le beau livre s’est également traduit par la création de la collection "Art et Culture" avec des monographies de peintres, photographes, designers, couturiers, mais aussi des livres d’art d’exception. En 2010, les Éditions Hervé Chopin ont publié leurs premiers titres de littérature et fait découvrir José Rodrigues dos Santos en 2012 avec La Formule de Dieu qui reste en tête des ventes pendant plusieurs mois. La maison travaille depuis à l’émergence de nouveaux auteurs.

Leur rencontre avec Christine Cayol est bien de l'ordre du Huan fen … et cette auteure est une femme à suivre.

L'amour est un thé qui infuse lentement de Christine Cayol, HC Éditions, en librairie le 13 octobre 2022

samedi 15 octobre 2022

Les fauves d'Eric Longequel et Johan Swartvagher

Marc Jeancourt, le co-directeur de l’Azimut, nous avait prévenus. Ce serait un spectacle de jonglage de carrure internationale. J’avais vu quelques photos mais cet art s’accommode mal de l’immobilité. Pourtant ce sera ce que je vais vous proposer pour rendre compte de cette soirée effectivement exceptionnelle.

Vous remarquerez malgré tout l’originalité des situations, la diversité des propositions, le côté acrobatique des positions, le soin des éclairages. Je ne vous souhaite qu’une chose, c’est avoir accès à cette performance, qui va partir en tournée, sans nul doute pour longtemps.
Les fauves, tel est le titre du spectacle qui, certes est essentiellement interprété par des jongleurs mais surtout par des artistes qui ont plusieurs balles dans leur jeu. L’un est aussi nageur apnéiste, l’autre équilibriste, l’une danseuse, une autre chanteuse, une troisième contorsionniste. Chacun a de multiples compétences qu’il met au service du jonglage.

Ils ont fait appel à ce qu’on nomme des "regards extérieurs" pour aller plus loin dans leurs recherches. Ainsi Guillaume Martinet a travaillé avec Éric Longequel qui évolue dans l’aquarium. J’avais découvert Guillaume dans Croûte au ParisOFFestival il y a quelques semaines.

Dans une première partie, qui à elle seule représente 5 spectacles qui se déroulent concomitamment, le spectateur est invité à se déplacer à son gré d’une scène à l’autre pour suivre 40 minutes de performance aux allures de happening.

Il va d’une cage à une autre, un peu comme il s’attarderait devant un animal sauvage. Cette comparaison est dérangeante, car on sait que le cirque est remis en cause dans cette pratique de la ménagerie. De la même façon qu’il n’est plus acceptable d’exhiber des monstres de foire. C’est pourtant ce parti-pris que les deux directeurs artistiques, Éric Longequel et Johan Swartvagher, ont choisi de décliner. Et ça fonctionne à la perfection. Tout ira bien, du début à la fin.
Les fauves, ce sont cinq artistes, encagés dans un espace : Wes Peden (perché sur ses massues au centre de la piste), Emilia Taurisano (contorsionniste au shibari), Neta Oren (dans le dance-floor), Johan Swartvagher (côté belvédère, à genou ci-dessus) et Eric Longequel (dans l'aquarium).

La chanteuse-bonimenteuse Solène Garnier relance régulièrement l’attention du public en l’incitant à aller voir "ailleurs" ce qui est en train de se dérouler mais chacun est prévenu dès le départ qu’il ne pourra pas tout voir. Il faut donc accepter la frustration, côté public, comme côté artistes, car même si chacun fut intensément applaudi et félicité à la fin de sa prestation ils auraient mérité une ovation plus forte pour ce qu’ils font dans la première partie. J’ai été bluffée particulièrement par Éric Longequel dans l’aquarium et par Émilia Taurisano dans le dispositif Shibari.
C’était pour moi du jamais vu, même pas imaginable. Je commenterai les photos du spectacle (suivre pour cela le lien plus bas, sans hésiter à cliquer sur chaque photo pour la voir s'afficher plein écran), scène par scène, sachant qu’il n’y a pas de véritable chronologie même si Wes Peden, au centre de la piste, nous signifie le temps qui passe.
Dans la seconde partie, les "fauves" sont libérés de leur encagement et à l'inverse le public ne déambule plus à sa guise. Nous sommes "sagement" assis sur les gradins. Les artistes se retrouvent en solo, en duo ou en groupe pour nous offrir un spectacle qu’on pourrait juger plus "classique" dans son déroulé quoiqu’il soit composé de morceaux très inventifs et eux aussi remarquables, jusqu’au tableau final évoquant le Radeau de la méduse de Géricault.
 
On en sort bouleversé, l’œil pétillant, reconnaissant aux jongleurs d’avoir partagé tant de beaux moments. C’est notre travail, me disait Émilia à la sortie, minimisant son mérite avec modestie. C'est peut-être "leur boulot" mais c'était aussi un formidable pari que d'avoir la folle ambition de présenter le jonglage d’une manière inédite, avec la promesse d’une exploration en direct dans l’écrin d’un chapiteau gonflable. Mais il est pleinement réussi. Quelle œuvre !

Les fauves d'Eric Longequel et Johan Swartvagher
Création de la Compagnie Ea Eo
A l'Espace Cirque d'Antony (rue Georges Suant 92160 Antony) du 30 septembre 2022 au 16 octobre 2022
Avec Eric Longequel, Neta Oren, Wes Peden, Johan Swartvagher, Emilia Taurisano
Musique Live : Solène Garnier
Création Lumière : Jules Guerin

Suivre le lien pour  découvrir les meilleurs moments de cette première mondial composée de numéros de jonglage inédits :

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