J'avais eu un coup de coeur en 2019 pour le premier roman de Victor Jestin, La chaleur. J'étais donc prédisposée à aimer le second, L'homme qui danse.
La Plage est le nom de la boîte de nuit d’une petite ville en bord de Loire. C’est là qu’Arthur, dès l’adolescence et pendant plus de vingt ans, se rend avec frénésie. Dans ce lieu hors du temps, loin des relations sociales ordinaires, il parvient curieusement à se sentir proche des autres, quand partout ailleurs sa vie n’est que malaise et balbutiements. Sur la piste de danse, il grandit au gré des rencontres – amours fugaces, amitiés violentes, modèles masculins écrasants. Au fil des ans, il se cherche une place dans la foule, une façon d’exister. Jusqu’où le mènera cette plongée dans la nuit ?
Aller à La Plage est devenu une addiction. Ç’aurait pu en être une autre pour ce garçon mal dans sa peau. Ce n’est pas pour les scintillements des boules à facettes qu’Arthur s’y rend si régulièrement. Ce qui est particulièrement réussi dans ce roman c’est que l’auteur a construit un personnage qui se force à tenter d’aller mieux et qui n’a trouvé que ce moyen, peut-être parce qu’il est somme toute à portée de main.
Il n’est pas très à l’aise pour danser, c’est le moins qu’on puisse dire mais elle lui apporte malgré tout un certain apaisement : J’ai ressenti précisément pourquoi j’aimais ça (…). Dans la danse, la vie s’ordonnait, se réglait en un système de rythmes et de mouvements dont même les ruptures répondaient à une logique ; c’était comme un quadrillage géant, un filtre familier posé sur ce qui partout ailleurs relevait pour moi de l’immaîtrisable (p. 91).
L’écriture est, comme pour le précédent roman, puissamment masculine, profondément grise, presque désespérée tout en brossant le portrait d’un homme qui évolue malgré tout positivement, mais si peu qu’il semblerait que rien ne changera vraiment. La famille constate les dégâts mais croit bien faire en jouant la carte de l’encouragement et en n’intervenant qu’a minima.
Sa seule amie Alicia, barmaid à La Plage, ne le comprendra pas davantage. Il aurait été évident de son point de vue qu’Arthur fasse de la danse un métier. Mais son mal-être l’emporte : ma vie ne tenait qu’à la boite. (…) J’avais peur de tout, de la rue, du travail, de la paperasse, des questions, des visages inconnus en plein jour. J’étais bloqué. (…) J’avais renoncé au combat. Je savais que ce n’était pas bien. Mais je n’y pouvais plus rien (p. 164).
Le lecteur lui aussi ne peut que suivre le parcours sans prendre parti. Et c’est là que Victor Jestin est très fort car on conserve notre liberté de pensée tout en assistant à ce qui s’apparente, on peut le dire, à une sorte de naufrage. Combien sont-ils ceux qui, comme Arthur, n’ont pas les clés pour devenir « quelqu’un », avoir un métier épanouissant, fonder un foyer qui les écartera de la solitude ?
On pense du coup à ces drames qui font les choux gras des faits divers et qui demeurent inexpliqués quand, à la fin d’une sortie en boite, une relation dérape. Arthur n’est ni meilleur ni pire que les autres, mais il a reçu une solide éducation qui l’éloigne du cynisme et le rend touchant.
Enfin, comme le souligne Victor Jestin, l’univers des boites de nuit s’effondre doucement, comme ont disparu les petits bals des campagnes, au profit de relations nouées sur des sites qui n’apporteront sans doute pas davantage le bonheur à leurs inscrits, lesquels, eux aussi, y reviennent régulièrement, comme les mouches attirées par la promesse de miel.
Victor Jestin a reçu le Prix Blù qui chaque année repère un second ou un troisième roman et qui a pour but de « valoriser une plume audacieuse et inattendue qui deviendra l’incontournable de demain ». C’est exactement l’avenir qu’on souhaite à cet auteur prometteur.
L'homme qui danse de Victor Jestin, Flammarion, en librairie depuis le 24 août 2022
Prix de la Maison Rouge 2022 - Prix Blù Jean-Marc Roberts 2022
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