Peu de choses me prédestinaient à lire Rendez-vous de Martina Chyba : une auteure inconnue (de moi, mais qui n’en est pas à son premier roman), un titre un peu fade, un fond de couverture ni beige ni jaune, avec une illustration franchement agaçante quand on connait Kiss V, l’œuvre originale peinte par Roy Liechtenstein en 1964, et d’autant plus agaçante qu’un des sujets du livre est de proposer une thérapie par les œuvres d’art.
J’avais promis de le lire, alors je l’ai ouvert en me jurant intérieurement que je restais libre de le refermer dès que … Mais voilà, j’ai énormément apprécié. A part les critiques que je viens de formuler, et qui demeurent justes, il n’y a rien à redire au roman de Martina Chyba dont j’ai beaucoup aimé l’originalité du propos, son traitement, et la liberté de ton de son écriture.
J’ai rendez-vous. Avec un homme. Au bas des marches du Sacré-Cœur, à Paris. Je ne le connais pas, c’est un site de rencontres qui nous a mis en contact par erreur. Il va peut-être me découper en rondelles et on ne découvrira jamais mon corps. Ou passer la nuit avec moi et disparaître. Ce n’est pas gagné. Mais ce n’est pas perdu non plus. Il faut essayer.
Le roman n’est absolument pas écrit en langue de bois, pas du tout béni-oui-oui comme on disait chez moi pour qualifier un propos intentionnellement consensuel. Ses personnages sont résolument modernes et cependant totalement humains. Elle se décrit comme faisant partie d’une génération pathétique, révoltée contre rien mais fatiguée de tout, persuadée d’avoir trente ans dans sa tête et dans sa chair, mais désespérée d’en avoir cinquante dans ses artères et dans son job. Son héroïne lui ressemble et représente la nouvelle Wonder Woman, qui n’a pas que des forces … d’où son besoin de se planter devant des oeuvres d’art en s’interrogeant : Comment ce que je vois peut-il me donner de la force ?
Le concept de thérapie par les œuvres d’art se tient de bout en bout. Les analyses des tableaux et sculptures retenues par l’auteure sont fines. Vous me direz que nous n’avons pas tous et toutes les moyens d’aller contempler une œuvre in situ dans un musée new-yorkais (voilà pourquoi d’ailleurs je recommande d’aller les admirer quand les chefs d’œuvres sont à portée de nos yeux et je vous invite à suivre ce lien vers les dernières expositions qui m’ont éblouie) mais le concept est déclinable à l’infini.
Ça pourrait être un paysage, ou même seulement un arbre ou une plante. J’ai été fascinée hier par les couleurs d’une haie de vigne vierge automnale. Des milliers de visiteurs -et beaucoup se déplacent spécialement du Japon- viennent se recueillir sous le cèdre bleu pleureur de l’arboretum de Chatenay-Malabry (92) et on sait la vénération que reçoivent les arbres estampillés remarquables.
Ça pourrait aussi être une musique, et alors point n’est besoin de faire de coûteux déplacements. Ou même une gourmandise. Bref, c’est la pensée positive dans ce qu’elle a de tout à fait motivant.
Les soucis rencontrés par ses personnages sont diablement réalistes. Je n’ai rien à ajouter à ses aléas ferroviaires. Il faut dire que partageant sa vie entre Genève et Paris elle dispose d’un panel de situations vécues statistiquement représentatif. L’héroïne de ce roman, inspirée par le vécu de l’auteure, cumule les rôles et les défis, entre travail, enfants, deuils à surmonter, années qui passent, déménagement à gérer et amour à retrouver. Avec un seul objectif: rester vivante, toujours, et attentive à l’essentiel.
Rendez-vous constituerait un point de départ fort savoureux pour une série télévisée car, sincèrement, je serais ravie de rencontrer tous les protagonistes. D’ici là je vais sans doute ouvrir un autre des romans de Martina Chyba, histoire de prendre une nouvelle dose de pensée positive car je parie qu’elle imprègne tout ce qu’elle fait.
Enfin, j’ignore si c’est un artifice pour éviter de le citer mais je sais en tout cas qui est derrière la remarque acerbe qu’elle invoque p. 130 pour qualifier un plat « immangeable », et je ne saurais terminer ma chronique sans lui donner la réponse qu’elle prétend n’avoir trouvé nulle part. Il s’agit de notre ancien président de la République Jacques Chirac et je suis bien heureuse que ses propos la fassent autant rire.
Rendez-vous de Martina Chyba, éditions Favre, en librairie le 3 novembre 2022
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire