
Hélène Médigue traite un thème comparable dans Une place pour Pierrot et ce titre résonne comme une revendication (Pierrot a besoin qu’on lui donne une place) mais on verra aussi que cet homme prend beaucoup d’espace en ce sens qu’il a besoin de beaucoup d’attention.
Pierrot, 45 ans, est autiste et vit dans un foyer médicalisé où il est surmédicalisé. Déterminée à lui offrir une vie digne, sa sœur Camille le prend chez elle et se met en quête d’un endroit mieux adapté à sa différence. Le chemin est long mais c’est la promesse d’une nouvelle vie, au sein de laquelle chacun trouvera sa place.
Le parcours est semé d‘embûches, on s’en doute dès le début (sinon il n’y aurait pas lieu d’en faire un film …) malgré l’optimisme affiché par Camille : "T'en fait pas, ça va aller "mon" Pierrot, … Les Peupliers, c'est fini."
Comme s’il suffisait de diffuser dans ses écouteurs la chanson composée et interprétée par Julien Clerc (sur des paroles d'Étienne Roda-Gil), Ce n'est rien, parue sur l'album Niagara en 1971, qui fait appel à notre mémoire collective, pour que tous les problèmes s’effacent … même si elle a une fonction thérapeutique pour Pierrot au moment où il subit l’envahissement de ses troubles. Elle reviendra régulièrement.
Pierrot (Grégory Gadebois) est de bonne volonté mais son handicap est bien réel (même si Camille refuse d’employer ce terme) et ne peut pas être nié. Pourtant tout le monde autour de lui va tenter de "l’intégrer". Camille (Marie Gillain) pensait pouvoir l’héberger durablement mais son appartement est trop étroit et son activité d’avocate s’en trouve perturbée ainsi que sa relation avec sa fille qui pourtant adore son oncle. Gino, un de ses amis de longue date (Patrick Mille) va prendre le relai en l’engageant dans la cuisine de son restaurant. De jolis moments de complicité avec Ahmed (Atmen Kelif), le cuisinier si patient, laissent entrevoir un long terme mais la lenteur de Pierrot va bientôt être un problème. Le groupe bienveillant qui se forme autour du frère et de la soeur se pose alors la "bonne" question : si Pierrot n’est nulle part à "sa" place faut-il en déduire qu’il n’y a pas de lieu adapté pour lui ?
Et dans cette hypothèse quelle serait la place des autres ? Car ce film a ceci de passionnant qu’il explore précisément la place de chacun de nous. Si bien que tous les personnages ont été ou sont en quête d’une transformation. On comprendra par exemple que Gino a trouvé sa place, tant dans sa vie personnelle que dans sa vie professionnelle. Que tu t’occupes de lui c’est bien mais il prend toute la place va se plaindre Adrien, l'ex de Camille et père d'Emma (Vincent Elbaz). Camille sera tout autant dans une position délicate dans son travail face aux exigences de son patron (Nicolas Briançon) qui la menace de se séparer d’elle. La différence et la limite sont des aspects dépendants de cette question de place et nous concernent tous, à un moment ou un autre de notre vie. Et par voie de conséquence la charge mentale des aidants, la solidarité, la recherche de solutions adaptées …
Ainsi donc, même si le point de départ est l’autisme d’un membre de la famille le sujet principal du film est plutôt le rapport à l’altérité. Pour ce qui est de l’autisme, Mélène Médigue s’est inspirée de son expérience avec son propre frère autiste pour écrire le scénario avec Stéphane Cabel. Elle joue un petit rôle dans le film (Nina) et c’est sa propre fille Mathilde Labarthe qui interprète Emma, la fille de Camille. Parce qu’elle avait envie de le faire et parce qu’elle en était parfaitement capable, ayant elle-même un oncle souffrant de ce trouble du comportement.
J’ai envie de pointer combien Grégory Gadebois est exceptionnel mais il nous a habitué à ce type de performance. Il fut Charlie au théâtre dans Des fleurs pour Algernon en 2013, 2020 puis 2025. De nombreux films ont révélé sa sensibilité au cinéma comme Mon âme par toi guérie de François Dupeyron (projeté au festival Paysages de cinéastes en 2013) ou Le fil de Daniel Auteuil en. 2024 dans lequel il incarnait un père, ni coupable crédible ni innocent évident.

A ce propos et a contrario on notera que Pierrot vit des moments très heureux, avec sa nièce Emma, lorsqu’il joue du tambour ou quand il assiste avec éblouissement à une projection au planétarium, et ce sera légitime de nous faire entendre Fly me to the moon en musique additionnelle à la toute fin du film. La vérité sort régulièrement de sa bouche. Par exemple sa réponse : être amoureux c'est dormir dans un grand lit.
Implantée sur la Cote d’Opale leur exploitation maraîchère offre l’occasion de filmer un univers marin vivifiant, éloigné des encombrements bruyants et de la grisaille parisienne. Et d’intégrer avec naturel des artistes autistes qui travaillent dans le maraîchage.
La méthodologie agroécologique qui va être enseignée à Pierrot a aussi une fonction métaphorique du soin de la terre comme des hommes, en opposition à la surmédication du début du film.
Comédienne et également autrice, Hélène Médigue a publié en 2010 un récit intitulé Entre deux vies (Flammarion), puis a réalisé en 2012 son premier court-métrage de fiction C’est pas de chance, quoi!, sélectionné dans de nombreux festivals. Elle se tourne ensuite vers le long métrage documentaire, avec notamment On a 20 ans pour changer le monde (2018) et Le Temps de l’écoute (2019), sur la disparition de la médecine générale. Elle s’engage en parallèle pour la cause de l’autisme en créant en 2019 l’association Les Maisons de Vincent, destinée à accueillir des adultes autistes. Une première maison a ouvert à Mers-les-Bains en 2021.
Une place pour Pierrot, un film de Hélène Médigue
Avec Grégory Gadebois, Marie Gillain, Patrick Mille, Mathilde Labarthe, Vincent Elbaz, Nicolas Briançon, Marianne Basler (Mathilde), Atmen Kelif, Hélène Médigue …
Avec Grégory Gadebois, Marie Gillain, Patrick Mille, Mathilde Labarthe, Vincent Elbaz, Nicolas Briançon, Marianne Basler (Mathilde), Atmen Kelif, Hélène Médigue …
En salles à partir du 10 septembre 2025
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