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jeudi 11 septembre 2025

Les courts-métrages à l'honneur au 23 ème festival Paysages de cinéastes 2025

(Mise à jour le 13 septembre 2025)
Le festival Paysages de cinéastes a toujours comporté une compétition de courts-métrages. Ce format est essentiel parce que TOUS les réalisateurs/trices ont commencé par un ou plusieurs courts et ensuite parce que souvent un court devient une long quelques années plus tard. C’est donc un autre des points forts du festival que de mettre l’accent sur ce format.

On ne dira jamais assez qu’aucun long ne sort pas ex-nihilo. La réalisation d’un ou plusieurs courts précède toujours celle d’un long-métrage en début de carrière d’un réalisateur. Voulez-vous un scoop ? Ce sera le cas de Qu’importe la distance, de Léo Fontaine, produit par Offshore et distribué par Manifest, primé l’an dernier au festival, racontant l’itinéraire d’une mère qui rend visite à son fils en prison pour la première fois qui sera donc prochainement un long-métrage.

Son premier, l’excellent Jeunesse mon amour, distribué par Wayna Pitch, avait été remarqué en avril 2024 pour la justesse de sa façon d’aborder les soucis des adolescents au moment du passage à l’âge adulte et leur fidélité aux valeurs de l’amitié.

La compétition était programmée en soirée le mardi 9 septembre et les six films retenus par Carline Diallo, la déléguée générale du festival, avaient touts été réalisés par des femmes. Ils se sont avérés ne porter que sur des sujets sérieux tenant à la condition féminine et nous sommes repartis avec la certitude qu’il faut beaucoup de force aux femmes pour résister dans un monde hostile. Ils ont été projetés dans l’ordre suivant :

1- Kaminhu de Marie Vieillevie
 - France - 14 min - 2024
 - Joanna, une jeune voyageuse française, parcourt seule les îles capverdiennes avec son sac à dos et son carnet de croquis. Elle s’arrête dans le village de pêcheurs de Santiago. Elle se fond parmi les habitants et rencontre Lito, un jeune pêcheur qui l'incite à prolonger son séjour.

Ce court avait été sélectionné pour le Festival international du court-métrage de Clermont-Ferrand, Regards d'Afrique 2025 et figurait dans la sélection des courts-métrages en compétition pour les Césars 2025. C’est un bijou de film d’animation qu’on doit à une dessinatrice, Marie Vieillevie, venant d’une famille d’artistes peintres, qui est fan de musique brésilienne et de danse forró et qui a elle-même effectué des voyages en solitaire en particulier au Cap-Vert. Elle y a enregistré sur place des voix d’habitants et d’autres sons, et ajouté des morceaux de guitare d’un auteur-compositeur lui aussi cap-verdien.

Ce projet est né il y a dix ans de son désir de combiner voyage et cinéma, tout en soulevant des questions restées sans réponses à la suite d’un long périple dans l’archipel, en particulier la difficulté de toute rencontre en raison de l’histoire coloniale tout en interrogent le mythe du voyageur avec toute la poésie possible et une extrême délicatesse, qui s’exprime en particulier dans le choix des couleurs, très inspiré par les paysages, et du titre de son oeuvre, Kaminhu, qui signifie traduire  "cheminen créole capverdien.

La seule objection que je ferais est que tout n’est malheureusement pas traduit 

2 - Histoires de vacances de Malika Zaïri
 - France / Maroc - 11 min - 2024 
C'est bientôt les vacances d'été. Comme chaque année, la famille El Badiri, se prépare à passer deux mois de vacances dans leur maison à Marrakech, leur ville d'origine. Cette année, les filles de la famille refusent de s'y rendre, laissant leur mère dans l'impasse. Celle-ci est attachée au regard des autres, au qu’en dira-t-on mais finira par comprendre la position de ses filles et par mesurer l’horreur de ce qu’elles ont vécu.

Pour en écrire le scénario, la réalisatrice, Malika Zaïri, venue à la projection avec son équipe, nous confiera qu’elle s’est inspirée de la vie de sa propre soeur et de plusieurs amies victimes de violences sexuelles, lesquelles existent partout, y compris au Maroc. Comme elle nous le dira avant de nous quitter : Ne baissez pas la garde quand vous partez fatigués en vacances. La menace est plus proche qu’on ne pense.

3- Le Grand Calao de Zoé Cauwet
 - France - 27 min - 2024
 - Aujourd'hui est un jour de grande chaleur, comme souvent à Ouagadougou. Mais c'est aussi une journée toute particulière pour ce groupe de femmes. Une sortie longtemps attendue, un moment de découverte et de pause dans le tumulte du monde et de la vie pas facile d’un groupe de femmes.

Chaque détail est réfléchi, jusqu’aux avertissements qu’on lit sur le mur du centre aquatique. Le thème des violences conjugales est traité ici d’une manière originale et le résultat est joyeux et pourtant nostalgique : aujourd’hui chacune doit vivre sa belle vie et je souhaite qu’on soit encore en vie l’an prochain.

4 - Cura Sana de Lucía G. Romero
 - Espagne - 19 min - 2024 - VOST
 - Jessica est envoyée par sa mère pour aller chercher de la nourriture pour sa famille auprès d’une association caritative. Le temps presse et elle part avec sa petite soeur Alma. Les deux filles sont marquées par la violence de leur père et ont besoin de décompresser. Elles vont décider de profiter de la Noche de San Juan avec leurs amis, malgré les contraintes imposées par leur mère. Entre rires et tensions, elles tentent d'échapper, le temps d'une soirée, à une réalité familiale difficile que le spectateur perçoit malgré la saturation d’images de couleurs vives.

Le film a été présenté à la Berlinale en section Génération.

5 - Turnaround de Aisling Byrne
Ireland - 17 min - 2024
 - À la suite d'un deuil soudain et tragique, une femme de ménage de l'ouest de Cork doit décider si elle va garder un secret bien caché tout en naviguant dans les pressions rapides de l’entretien d'une propriété touristique. La résolution du cas de conscience équivaut à faire demi-tour symbolique, un de plus que ceux que lui impose la gestionnaire du AirBandB dont elle a la charge. Le film combine ainsi plusieurs thématiques et aborde aussi frontalement la question des migrants.

6 - Nzela de Prescilia Follin 
- France - 4 min - 2025 
- Brefs mais très intenses, les mots d'Ysé tentent de fissurer le silence d'une mémoire oubliée que la réalisatrice a recueillie auprès de femmes qu’elle rencontre au cours de séances photo ou d’ateliers sur la confiance et l’estime de soi. Il a remporté le Prix Thérèse Clerc au festival de courts féministe de Montreuil.

Vous aurez certainement deviné que le court gagnant de Paysages de cinéastes est Turnaround. C’est un film déjà très abouti qui contient tout à fait les germes d’un grand film et auquel j’ai trouvé de multiples qualités.
Une seconde soirée a mis les courts-métrages à l’honneur, avec un peu plus de légèreté, quoique … Il s’agissait de la carte blanche accordée à une artiste singulière, multi-facettes et surtout engagée, Sonadie San, qui est aussi la présidente du Jury des femmes. c’est une artiste d'origine hispano-cambodgienne, née à Ivry-sur-Seine. Elle débute par le théâtre avec trois créations originales, avant de se passionner pour la direction d'acteurs, qu'elle exerce entre la France, la Belgique, le Canada (où elle a vécu trois ans), le Cambodge et le Brésil. Au Québec, elle accompagne les rôles principaux du film Scratch, nommé aux prix du Gala Québec Cinéma.

En France, elle réalise sept courts-métrages en seulement sept ans où elle explore ce qui la traverse : la mémoire des corps, l'héritage, l'identité, les luttes invisibles, les voix qu'on n'écoute pas. Dans son activité professionnelle Sonadie tend aussi la caméra aux jeunes décrochés scolaires et aux femmes en réinsertion pour qu'ils.elles reprennent la parole, leur histoire.

Ses courts-métrages disent beaucoup avec peu de mots, et traversent les cultures. Les quatre qui ont été choisis parmi les sept qu'elle a déjà réalisés, sont tous différents mais ils ont en commun de mettre la femme en valeur, à tous les niveaux.

- Graines silencieuses (11 minutes)
Le film commence de façon originale par de très gros plans et un découpage de l'image en screenplay puis par l’usage de gros plans et d’images floutées. L'humour s'impose tout de suite malgré le sérieux du sujet. Sédami, une jeune Franco-Béninoise écolo, est choquée lorsqu'une collègue accuse un membre de sa communauté de contribuer au réchauffement climatique.

Elle défend l'homme, meilleur ami de son père et agriculteur expérimenté, et veut prouver ses connaissances en invitant son père à un "event", un évènement si vous préférez, que l'homme décline sèchement d'un "fin de conversation", laissant Sédami se sentir abandonnée et douter de son savoir. Sa mère réussit avec délicatesse à le convaincre de venir, en affirmant que Personne ne doit se justifier et la jeune fille découvre alors les démons passés de son père.

Merci ma fille conclutera-il avant un générique qui se déroule sur l'écran de bas en haut à l'instar d'une plante géante qui pousserait en direct.

- Ouro Preto (15 minutes)
Ouro Preto est une esclave qui établit un plan pacifique pour racheter la liberté de son peuple et la sienne en récupérant l'or de ses cheveux. Le scénario est inspiré devla légende de Chico Rei.

Nous sommes cette fois dans un univers radicalement différent, celui du cirque est de la pantomime. S’enchaînent des scènes de danse, de musique, de chants et de combats (très artistiques) sans jamais un seul dialogue et entrecoupées de scènes d'animation. On apprend à la fin du dernier chapitre qu'il y avait encore 36 millions d'esclaves dans le monde en 2019.

- Le souffle (17 minutes)
Elena, cracheuse de feu, perd connaissance en pleine représentation et découvre qu'elle est en ménopause précoce, affectant son souffle vital pour son art. Seulement, elle a promis d'honorer le dernier vœu de sa grand-mère en crachant du feu lors de la cérémonie du centième jour, mais doit affronter sa mère, farouche gardienne des traditions.

Ce court a été tourné entre Québec, Aubervilliers et Vietnam. L’atmosphère est une nouvelle fois très différente et surprenante.

- Carmenicide (28 minutes)
Ce quatrième commence avec la célèbre musique de Bizet, l'ArlésienneCamille, orpheline, et Leanna, une policière protectrice, décident de tuer des hommes accusés de violences conjugales pour éviter des féminicides. On veut des droits, pas des roses est la revendication féministe. Camille trouve dans ces meurtres un lien avec son seul souvenir d'enfance. Les choses se compliquent lorsque son père, qu'elle croyait mort, se retrouve impliqué. 

La réalisatrice a exprimé au public de la soirée que son objectif était de mettre en valeur la femme à partir d'histoires qui lui avaient été contées, comme la légende de Chico Rei, d'ailleurs méconnue en France et qu’elle a entendue au Brésil où son film a été primé.

Trois sur quatre ont un lien fort à la danse, en toute logique quand on sait qu'elle aurait voulu être danseuse et que cet art est une évidence de langage pour elle.

C’est le personnage principal donne le ton de chacun de ses courts-métrages, par sa psychologie et le combat qu’il doit mener. Elle aime les univers très colorés, très féminins et reconnaît un coté taratinesque au quatrième, Carmenicide.

Cette passionnée a trois longs métrages en écriture et après avoir découvert quelques-uns de ses courts nous sommes impatients de voir un long signé par cette femme talentueuse qui sait si bien nous toucher en donnant voix aux récits et luttes féminines qui l’habitent.

Parmi ces trois projets figure une relecture inédite de Carmen de Mérimée et de Bizet, qui pour la première fois sera écrite et réalisée par une femme, ce qui rend tout à fait légitime la projection de Carmenicide qui en est probablement la préfiguration.
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Rappel du palmarès du 23ème festival Paysage de cinéastes

Compétition des Longs métrages
Prix du Grand Jury, Prix du Jury des Femmes et Prix du Public: Sorda de Eva Libertad Garcia
Prix du Jury de la Jeunesse: Promis le ciel de Erige Sehiri

Compétition Jeune Public : Olivia de Eva Libertad Garcia

Compétition des Courts métrages
Prix des Scolaires (2 films ex aequo) : Poxo Peanuts de Etienne Grignon et Les Mousses de Guillaume Bailer-Schmitt
Prix du public: Turnaround de Aisling Byrne

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