Si je n'ai pas pu me rendre au vernissage de l'exposition AUGMENTA de Maurice Renoma qui a eu lieu en fin de journée le mardi 4 novembre j'ai néanmoins eu la chance de la visiter en avant-première et surtout de pouvoir discuter un petit moment avec l'artiste.
C’est avec un peu d’émotion que je suis arrivée au 129 rue de la Pompe dont les vitrines ont conservé quelques traces de collaborations antérieures ou d'anciennes expositions comme avec ces charmants "Momo" tricotés, enlacés sur un fauteuil.Le mobilier est présent depuis 2005 avec la volonté de détourner des pièces de style Louis XV en y incorporant des créations photographiques de Maurice Renoma. Très prisées par les architectes et décorateurs, produites en édition limitée et numérotées, on peut les trouver dans le monde entier dans les intérieurs les plus branchés.
A l’intérieur de la boutique, le présent fait bon ménage avec le passé. Les murs portent le souvenir de clients illustres. Comme Jane Birkin ou Serge Gainsbourg que Maurice a si élégamment habillé d'un blaser … qui est encore en vente. D'ailleurs je signale aux amateurs de vintage que plusieurs pièces iconiques sont encore disponibles, en boutique ou en ligne.
On y trouve encore davantage que des allusions à Andy Warhol qui fut le premier dans les années 80 à porter cette veste multipoches si pratique pour un photographe et que les baroudeurs de tous poils ont vite adoptée. Il suffit de retourner les blousons et d'en admirer les dos.
Si le noir et blanc dominent la couleur est bel et bien présente par touches et tout à l'heure je remarquerai le foulard au motif Roy Lichtenstein au cou de l'artiste. Preuve, s'il en fallait que Maurice Renoma est définitivement fan du mouvement pop-art américain.
Le public côtoie l’intime en toute simplicité. Le chien de Maurice reste présent en de multiples endroits, par exemple sur le dossier de ce fauteuil, montant la garde au pied de l'escalier. Depuis cinq ans il conduit à un espace de 220 m2 dédié aux rencontres culturelles et artistiques où je vais découvrir Augmenta.
Ce n'est pas la première exposition de Maurice Renoma. Avec celle-ci l’artiste, passionné d’images sous toutes ses formes depuis des décennies questionne notre époque sur l’intelligence artificielle et le transhumanisme.
Il pose une question essentielle qui lui est soufflée par l’accélération technologique : L’humain est-il encore un sujet libre et pensant, ou déjà un objet programmé ? Par une approche artistique transversale et engagée, mêlant photographies modifiées, techniques mixtes et traitements algorithmiques, il interroge les normes, les identités, les mutations sociales et biologiques, avec une vision toujours en décalage, souvent en rupture.
C'est le regard de Focus, sa mascotte bienaimée, qui guide le nôtre dans la première pièce. Ce sera encore lui qui nous intriguera dans la dernière.
Chacun ses mythologies. Celles de Maurice, qu'il s'agisse de chien (d'autruche, de singe ou de cheval) se présentent avec élégance, dans un anthropomorphisme raffiné, portant souvent un costume.
Maurice Renoma donne à voir avec Augmenta un être humain fragilisé, désincarné, en perte de repères. Loin d’une humanité augmentée, c’est une humanité menacée qui se dessine : uniformisée, privée de sa complexité, absorbée dans une réalité instable et artificielle.
L'artiste dénonce la disparition progressive du libre arbitre, la transformation du désir en données, la remplaçabilité du corps, la domination des algorithmes et l’émergence d’un monde où l’IA décide à notre place. Il n'empêche que je veux encore croire mon esprit libre, par exemple de faire mes propres associations. Ici avec le désert battu par les vents qui apparait dans le dernier film du réalisateur chinois Guan Hu qui nous fait vivre une incroyable histoire d'amitié avec Black Dog.
Ce n'est pas un, mais des vents qui se lèvent, qui transportent des nuages de poussière et d'autres objets volants non identifiables, et qui font claquer volets et fenêtres. Mais étrangement, les personnages, eux, demeurent immobiles, presque suspendus dans le temps. On ne distingue plus le réel de la réalité augmentée, est dans ce brouillard, chaque image devient un fragment de mémoire instable, un rêve technique, une trace d'humanité re(dé)composée.
Pour mieux nous faire vivre cette atmosphère le visiteur est placé au centre d'un espace entouré de vidéos alors qu'une bande son enregistrant les souffles du sirocco et du mistral scandent les battements des persiennes.
La plus grande question est de déterminer si l’homme est en phase de devenir le prolongement de la machine ou d'être avalé par elle. Plusieurs toiles tracent une sorte de labyrinthe dont chaque détour suscite une nouvelle interrogation. D'autant plus que c'est un modèle unique, qui n’est, chaque fois, ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre … mais qui, on en a la certitude, aime et comprend l'artiste.
On me pardonnera l'évocation (facile j'en conviens) du Rêve familier de Paul Verlaine. La faute à Maurice qui, avec son équipe, et le recours à l'intelligence artificielle, a détourné le poème saturnien, Lassitude, dans lequel le poète réclamait en 1866 De la douceur, de la douceur, de la douceur ! On lira sur les murs la douceur numérique d'un soir qui s'éteint. Et plus loin la mise en garde, attribuée cette fois à Victor Hugo contre les machines aux pensées plus vastes que la mer.
A l'instar de son ami Andy Warhol critiquant la surconsommation de produits alimentaires, Maurice dénonce celle des produits numériques. Il s'est entouré de plusieurs autres artistes. Ensemble ils ont écrit et réécrit des textes, pris et retravaillé des des photographies et des vidéos créés initialement avec le concours de l’IA. Parmi eux un vidéaste italien et l’artiste chinois Yuan Chen.
N'allez pas croire que l'intelligence artificielle facilite les choses. A les entendre j'ai l'impression qu'elle génère … encore plus de travail car on ne peut rien prendre pour argent comptant. Et parfois c'est une centaine de fois qu'il convient de remettre sur le métier son ouvrage.
Et surtout elle immunise contre "l'accident" que seul un être humain peut reconnaitre comme étant créatif. Par exemple l'emploi des palettes (repeintes en noir) qui évoquent si bien l'esprit du brutalisme, ce style architectural issu du mouvement moderne, qui a connu une grande popularité dans les années 1950-70. Ou encore la présence des câbles d'accrochage qui, sur les photos comme sur les vidéos (ci-dessous) finalement évoquent les lignes de flux numériques.
On peut penser que chaque artiste se déploie dans une réalité augmentée, surtout au fil des années. Une bonne mémoire est celle qui est capable d'oublier, c'est à dire d'enfouir certains souvenirs pour permettre à d'autres, plus récents de se sédimenter à leur tour. Mais à l'instar des processus en oeuvre avec l'Intelligence artificielle, rien ne disparait complètement.
Maurice est un artiste qui ne supporte pas les cases et qui donc s'emploie à demeurer inqualifiable. Néanmoins, si nous n'avions droit qu'à un mot pour le désigner ce serait celui de "plasticien" qui serait le plus juste.
Naturellement j'ai failli être moi-même prise au piège des mots quand il m'a demandé d'écrire sur le livre d'or, là, tout de suite, sans avoir le temps de la réflexion, ni aucun secours artificiel. Voilà ce que j'ai noté :
Pas de poème ici mais des mots Vrais
pour exprimer ma joie d’avoir pu traverser
cet appartement imprégné, inspiré par l’I.A.
Mais aussi sans nul doute pour moi par des années de remise en cause
comme le font les véritables artistes.
Merci Maurice Renoma d’avoir accepté le rôle de guide.
pour exprimer ma joie d’avoir pu traverser
cet appartement imprégné, inspiré par l’I.A.
Mais aussi sans nul doute pour moi par des années de remise en cause
comme le font les véritables artistes.
Merci Maurice Renoma d’avoir accepté le rôle de guide.
Vous le voyez, attentif, lisait chaque terme. Quand soudain il s'arrête sur le point, au milieu de la page et m'interroge sur sa signification. Il était là avant que je n'écrive mais je me suis amusée à dire que c'était la réponse aux tableaux accrochés dans la première pièce. Vous comprendrez … lorsque vous irez sur place visiter l'exposition.
Maurice Renoma croit au hasard qui est, selon lui, et d'après ses propres expériences, toujours porteur (ou conducteur) de sens. Quand on est styliste on s'intéresse nécessairement au corps. C'est en voyant les silhouettes des jeunes, modifiées par l'usage des smartphones et autres objets connectés, façonnant des silhouettes à la tête penchée, une main tendue, qui sont eux-mêmes les enfants des "téoù" moqués par Karl Lagerfeld que lui est venue le concept d'Augmenta.
Leur main crochetée sur leur écran, leurs oreilles obstruées de pendentifs blancs ou noirs, leur tête ceinte d'une couronne qui les prive du bruit du vent, tout interrogeait sur l'emprise de la technologie sur le vivant.
Espérons que notre monde échappera à la prophétie de Manuel Álvarez Bravo, dont j'ai récemment visité les archives, "la photographie capture ce qui a été et le transforme en ce qui sera".
Si un visiteur inattentif ou pressé n'y verra que du feu et se laissera piéger, au moins quelques secondes, combien sommes-nous à être abusés quotidiennement par de fausses informations ? Qui peut aujourd'hui se prétendre libre de penser et de décider ?
On ne répondra pas à la question en affirmant une chose ou son contraire. Par contre on doit reconnaitre que si l'IA engendre des impacts dévastateurs sur l'environnement, elle apporterait paradoxalement une aide considérable dans la surveillance de la biodiversité. Cet aspect est loin d'être mineur pour Maurice Renoma qui avait inauguré l'Appart avec l’exposition immersive Mythologies du Poisson Rouge où son alter ego artistique Cristobal dénonçait la pollution planétaire liée à la surconsommation.
Manifestement, Maurice Renoma dépasse les frontières entre art, science et philosophie pour entrer en résonance avec les grands enjeux éthiques, politiques et culturels de notre temps.
L'appartement est donc aussi un espace de réflexion où l'on peut s'asseoir à une grande table de travail et feuilleter des ouvrages.
Et bien entendu vous pourrez, au rez-de-chaussée, vous laisser tenter par un tee-shirt ou un sweat prolongé d'une capuche sur lesquels la signature de Maurice se pose comme une griffe faite à la plume.
AUGMENTA, Le défi de l’hommeA l'Appart Renoma
Au 129 bis rue de la Pompe, Paris 16ème
Du 05 novembre 2025 au 04 avril 2026
Tous les jours sauf lundi
De 11h à 19h
Entrée libre

















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