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mardi 28 octobre 2025

Seules les vignes de Lolita Sene

C'est avec Seules les vignes que je me suis intéressée à Lolita Sene.

Ce ne sont qu’une centaine de pages et vous savez combien j’apprécie ces romans courts qui se concentrent sur le coeur d’un sujet, avec une écriture qu’on qualifie souvent de à l’os.

Pour moi qui me rend souvent à des dégustations et qui estime connaitre trop peu le travail des vignerons il me semblait nécessaire de lire ce roman, écrit, qui plus est, par quelqu’un qui exerce ce métier. Je l’ai beaucoup apprécié, ce qui m’a donné envie d’ouvrir le premier roman de cette auteure, Un été chez Jida. Il fera l’objet prochainement d’un billet spécifique.

Le lexique vinicole est bien présent avec des termes comme chichourle (p. 12) biroune (p. 13) sans qu’il soit nécessaire de nous en fournir la définition. Pareillement pour épamprerlevures saccharomyces …

On devine combien le travail occupe tout l’espace de vie du récoltant à certaines mentions, par exemple à l’odeur du soufre infiltrée partout, jusque sur les vêtements sortis de la machine à laver. Et on mesure l’angoisse des maladies, en l’occurrence principalement du mildiou qu’il faut discerner de l’oidium. Ce n’est pas un manuel de culture, donc je vais moi-même vous dire ce qui les distingue. Le mildiou se caractérise par des taches jaunes concentriques, tandis que l'oïdium provoque une sorte de feutrage poudreux et blanc. La première attaque la face inférieure des feuilles. L’oïdium se remarque sur la face supérieure.

Un vigneron oléronnais m’avait montré cet été le voile d’oidium recouvrant des raisins en leur donnant une vilaine couleur grise comme cette photo en témoigne.

Les aléas de la culture de la vigne sont au coeur de l’histoire. Etant elle-même vigneronne, l’auteure en parle en des termes qui sont inquiétants : On regarde impuissant les vignes devenir une étendue de feuilles marron, cimetière où le raisin n’existe plus, et où celui qui a réussi à survivre peut encore pourrir (p. 19), conduisant à la honte et dégoût de soi de ne pas maîtriser la conjoncture qui vieillit en colère. 

Le roman commence au printemps avec la voix d’Arnaud, vigneron depuis les années 70, homme de solutions et d’adaptation malgré un corps meurtri. Il sait de quoi il parle et met très vite en garde contre l’isolement qui conduit "aux bêtises en grimpant sur un tabouret, la corde au cou". Lui ne reste pas seul, ne s’enferme pas dans ses idées, dans son monde, ni dans sa colère (p. 16).

On verra plus tard combien il a raison. On comprendra alors que le couple qu’il forme avec Nathalie, à la fois dans l’intimité et dans le travail, est une donnée essentielle. Nathalie qui, avant de la connaitre ignorait la différence entre sarment et courson, un rouleau Faca et un griffon, une barrique et un foudre (p. 43). Nathalie a épousé le quotidien d’Arnaud en même temps que son homme. Elle a tout appris sur le tas, et son regard est plus neuf. C'est à elle que la seconde partie donne la parole. Nathalie redoute la sentence du réfractomètre. Elle est probablement l’alter ego de Lolita Sene et incarne toutes ces femmes que je rencontre de plus en plus dans les salons professionnels et que la profession met en avant, à juste titre.

L’originalité du roman est double. D’abord de mettre en parallèle deux couples de vignerons, n’ayant pas le même parcours et fonctionnant différemment. Ils affrontent les épreuves et les éléments chacun à leur manière. Ensuite de scander le récit saison après saison pendant une année, en suivant le rythme de la culture et en finissant par donner la parole à la vigne en hiver dans une quatrième partie.

L’emploi de l’imparfait de l’indicatif résonne alors comme un avertissement : Le jeune était sympathique avec sa niaque (p. 132). Ce jeune, proche du désespoir, auprès de qui nous aurons traversé l'automne qui compose la troisième partie.

Le constat est implacable : La loi du plus fort, la loi animale, la loi végétale, celle qu’on ne voit plus, qu’on néglige et qui nous dépasse. Tout finit à cet instant précis où les sarments revêtent une couleur grise, où l’herbe ne brunit plus, où les rivières coulent à forte allure (p. 133). Et pourtant … un nouveau cycle s’enclenche avec fureur.

On en sort un peu sonné. Le résultat est bouleversant car vrai. Ce qui se passe dans ce village du sud-est est sans doute tout à fait représentatif de ce qui se joue dans tous les vignobles. On n’imagine pas combien tout est complexe, et de plus en plus difficile, de génération en génération, et même désormais d’une année à l’autre, particulièrement en raison de la météo quand il faut affronter les insectes, les sécheresses, les déluges, la grêle, les maladies du raisin, l'inquiétude liée aux finances ou à la qualité du vin … y compris la gestions des vendangeurs.

Le roman a été écrit dans une forme d'urgence, à la "morte" saison, en seulement une quinzaine de jours et dans la chronologie. L’année du vigneron ne commence pas avec les vendanges mais ici, à cet instant précis où les bourgeons éclatent en boutons (comme il est précisé en exergue) …

Lolita Sene est une écrivaine française née d’une mère kabyle et d’un père champenois. Elle a publié trois livres dont "Seules les vignes" (2025). Ce dernier retrace la vie de vigneron le temps d’une année au gré des quatre saisons et cherche à saisir la réalité de ce métier, loin des fantasmes, dans toute sa beauté et sa terrible âpreté.  Un été chez Jida, au Cherche Midi, son premier roman, a été finaliste du prix Françoise Sagan 2024.

En parallèle de son écriture, elle contribue à la revue littéraire George en tant que rédactrice en chef, et elle produit du vin naturel dans le sud de la France, près d’Avignon.

Seules les vignes de Lolita Sene, au Cherche Midi, en librairie depuis le 9 janvier 2025

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