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vendredi 17 octobre 2025

Et toute la vie devant nous d'Olivier Adam

Le livre aurait pu s’appeler Allée des sycomores, mais existe-t-elle au moins dans la petite ville de banlieue où se déroule le roman ? Il aurait suscité des controverses, alors que Et toute la vie devant nous, personne ne peut le reprocher à Olivier Adam encore que ça pourrait aussi se discuter en y voyant un emprunt à Romain Gary.

On devine une femme et deux hommes sur la couverture, que l’on peine à discerner en raison d'un éblouissant soleil et d’un cliché pris en surexposition. On aura la même difficulté à saisir toute la réalité du déroulement de leurs vies, bien que celle-ci nous soit contée par Paul et Sarah, faisant constamment une mise au point sur les propos l’un de l’autre. Il manquera toujours l’avis d’Alex qui est pourtant le personnage principal du livre, dont il est la pierre angulaire mais mystérieuse.

Olivier Adam a régulièrement consenti à reconnaître qu’on peut trouver dans chacun de ses romans beaucoup d’éléments de sa propre histoire, qu’il "upcycle" à l’infini. Il est même allé jusqu’à se projeter régulièrement dans un personnage qui porte toujours le prénom de Paul.

Cette fois cet homme y fait une critique mordante de l’ascenseur social (p. 198) qui l’aurait propulsé écrivain. Doit-on y voir une autocritique puisque Paul (précisément Paul Steiner dans le roman Les Lisièresest son double ? Accusé de dénigrer ses origines sociales et géographiques pour en tirer profit dans ses livres il en tire profit et pire encore en se dédouanant même s’il se défend en invoquant la fiction. L’exercice de style devient vertigineux (p. 200) en prétendant donner la vraie vérité de la bouche de son ami d’enfance alors que le lecteur comprend que c’est un énième tour de passe-passe. Mais qu’importe pour nous pourvu qu’on croie … aux personnages et à leur vérité, la seule qui vaille pendant la lecture.

Le lecteur est pourtant bien forcé de prendre parti. Pensera-t-il à un plaidoyer contre ou pour (on se perd) les transfuges de classe qui revient régulièrement dans les colères d’Alex ? Convient-il de parler de transhumant de classe quand on ne parvient pas à être transfuge car qu'on revient toujours à ses origines ?

Il est vrai qu'il est bon de réfléchir à sa posture, critiquant indirectement la position d'Olivier Adam, alias Paul : comme s'il avait grandi dans une putain de cité. Comme s'il n'avait jamais été autre chose qu'un petit Blanc inconscient de ses privilèges. Comme si vraiment pour lui ça avait pu être difficile, d'une manière ou d'une autre. Mais, putain, de quoi il se plaint ? Ce à quoi Sarah tempère : Il ne se plaint pas (…) Il se positionne en témoin (p. 215). Et dans sa "vraie" vie d'écrivain Olivier Adam affirme constamment qu'il aime ces lisières, auxquelles il a même donné le titre d’un de ses ouvrages.

Olivier Adam se livre à un exercice semblable à celui de Gilles Marchand dans Les promesses orphelines en prétextant raconter quarante années d’amitié pour mieux dépeindre quarante années d’évolutions sociétale et économique, en utilisant de manière quasi obsessionnelle un "je" qui veut dire "nous" et qui résonne collectivement.

La prudence s'impose dans ce type d'exercice qui concerne un lectorat qui lui-même a vécu plus ou moins la même chose et qui donc a une opinion qu'il pense juste. Le roman d'Olivier Adam m'a fait prendre conscience de quelque chose en soulignant : Nous ne réalisions pas, à l'époque, combien ces populations censées se mélanger, dans une de ces villes de banlieue qu'on disait plutôt "mixtes" vivant en réalité tout à fait séparées les unes des autres (p. 65). Vivre en lotissement a représenté toute mon enfance et quand mes parents ont emménagé dans une maison (plus grande) en bordure de rue je me suis sentie effectivement comme à découvert et privée de la sécurité du cocon dessiné par la route circulaire enserrant les maisons.

En Europe Richter, Kiefer, Soulages, Garouste, Baselitz étaient adulés, Rothko, O'Kieffe et Mitchell vénérés (p. 210). Trois d'entre eux ont été ou sont en ce moment exposés à la Fondation Vuitton, et Soulages est à l'affiche du Musée du Luxembourg. Le romancier se livre aussi à un discret hommage à l’écrivain américain, nouvelliste hors pair, Raymond Carver (1936-1998), dont Robert Altman avait adapté plusieurs de ses textes dans le film Short Cuts (1993). le roman est truffé de références musicales, sociétales et politiques. Egalement de films et il est indéniable que Les nuits fauves a joué un rôle déclencheur pour beaucoup d'entre nous, ne serait-ce qu'en accélérant une prise de conscience. Olivier Adam a grandement raison de relier l’intime et le collectif parce que chacun des marqueurs collectifs ont également impacté l’intime.

On nous appelait "les inséparables" et nous pensions l’être. Mais nous avions chacun nos secrets j’imagine (p.  94). Alex sa bisexualité et la peur d’être contaminé par le sida. Sarah une relation d'emprise dont elle n’osait parler à personne et Paul ses sentiments pour la jeune fille qui les avait malgré tout deviné derrière ses coups de fil anonymes.

De chapitre en chapitre Paul et Sarah se parle, en se tutoyant, en refaisant l’histoire en lui apportant d’autres éclairages. Le lecteur oscille entre l'un et l’autre devinant parfois, découvrant finalement ce qui n’a jamais été dit.

C'est sans doute typique de l'adolescence que d'être incapable de se confier, espérant que l’autre devine. Ce qui frappe, c’est leur souffrance que le propre désarroi des adultes empêchait de voir et de consoler. Est-ce le reflet d’une époque ou une constante ?

Il est probable que l'ampleur du mouvement #MeToo a permis de libérer la parole.  Il a mis le temps à s'installer, entre son premier lancement en 2007, et son arrivée en France dix ans plus tard. Olivier Adam démontre donc judicieusement encore une fois que la victime peine à se reconnaitre comme telle et que la parole des autres a un pouvoir déclencheur et de prise de conscience qui est capital. Tout le monde le sait mais il est bon de le répéter. Même quelqu'un comme Anouk Grinberg a eu besoin que d'autres avant elle porte plainte pour le faire elle aussi.

Malgré un roman plutôt long, quoique ponctué d'ellipses temporelles, revenant sans cesse sur les malentendus, on prend la mesure d'une autre époque, encensant d'autres valeurs, mais marquées par des failles universelles.

A-t-on entre les mains un roman social ou une dramatique histoire d'amitié qui aurait pu se construire indépendamment des faits historiques ? Toujours est-il qu'on s'attache à chaque membre du trio que l'on imagine très bien s'incarner au cinéma un jour prochain.

Et toute la vie devant nous d'Olivier Adam, Flammarion, en librairie depuis le 13 aout 2025

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