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mercredi 29 octobre 2025

Buñuel après l'âge d'or, film d’animation

Buñuel après l'âge d'or (Buñuel en el laberinto de las tortugas) est un film d'animation espagnol réalisé par Salvador Simó et sorti en 2018, la même année qui voyait la sortie de J'ai perdu mon corps, qui m'avait littéralement envoutée, prouvant que les films d'animation sont grandement dignes d'intérêt.

Rappelons-nous l'intelligence de Flow il y a quelques mois !

Je vous incite à chercher ce Buñuel dans une médiathèque. Il n'est pas nécessaire de connaitre le cinéma de Buñuel pour l'apprécier.

Vous ne pourrez pas être déçu si vous vous intéressez tant soit peu aux histoires de tournage, … comme l'actualité nous en donne un très bon exemple avec le film que Richard Linklater a imaginé pour restituer l'ambiance d'A bout de souffleNouvelle vague est prodigieusement réussi et fera très bientôt l'objet d'un article.

Et si c'est l'Histoire qui vous passionne, ce film a l'intérêt de nous rappeler le niveau de misère d'une région rurale d'Estrémadure, dans l'Espagne des années 30 que Luis Buñuel avait à coeur de montrer. Las Hurdes, tierra sin pan (Terre sans pain) sera son unique documentaire, tourné en noir et blanc, avec très peu de moyens, aussi bien financiers que techniques. On raconte que le montage s'effectua sur une simple table de cuisine.

Je ne suis pas certaine que j'aurais eu le courage de regarder la version originale jusqu'au bout bien qu'il dure moins d'une demi-heure. Le grand mérite de Salvador Simó est de le rendre supportable du fait de la distance qu'instaure l'animation, l'usage de la couleur et le recours à des moments de respirations humoristiques, y compris lorsque Buñuel s'en prend à l'église catholique. Néanmoins, et très astucieusement, il y insère quelques extraits du film qui à eux seuls expriment toute la dureté de la vie de cette population des Hurdanos, pour qui il paraitrait que le film a eu un effet positif.

Buñuel le revendiquait comme étant un "essai cinématographique de géographie humaine". C'est la thèse ethnographique et anthropologique présentée par Maurice Legendre, directeur de la Casa de Velázquez à Madrid, en 1927 qui lui en donna l'idée mais le scandale de L’Âge d’or dans les milieux catholiques espagnols lors de sa projection à Paris en 1930 lui avait fermé toutes les portes, plongeant le réalisateur désargenté dans la dépression.

Comme Buñuel le raconta, il a pu tourner Las Hurdes grâce à un vieil ami, Ramón Acín, un anarchiste de Huesca, professeur de dessin et sculpteur qui, un jour, dans un café de Saragosse, lui avait dit : "Luis, si un jour je gagne à la loterie, je te paierai un film." Il gagna cent mille pesetas à la loterie et investit vingt mille pour faire le film, que le réalisateur rendit aux deux filles de Ramón, après sa mort.

L'anecdote est bien entendu reprise dans le film d'animation. La fine équipe se constituera du 20 avril au 24 mai 1932 autour de Buñuel avec le poète Pierre Unik, assistant réalisateur de L’Âge d’orengagé par Vogue pour faire un reportage et le photographe Éli Lotar avec une caméra prêtée par Yves Allégret.

Sur le plan cinématographique Terre sans pain fait encore "école" par l'usage du gros plan et de la piste sonore, ainsi que par la place assignée au spectateur et continue à surprendre aujourd’hui encore.

Les cinéphiles pourront se procurer le double DVD édité par le CRDP de l'académie de Lyon comprenant la version complète du film (1965) et la version censurée (1936), sachant que la première projection eut lieu en 1933, dans une version muette (qui est celle dont Salvador Simó utilise des extraits) et commentée au micro par Buñuel. Cet outil pédagogique détaille et analyse le contexte de ce film grâce de nombreuses ressources : articles de presse, documents historiques rares…

On y apprend (et Salvador Simó reprend ces éléments) que Buñuel a reconstitué certaines scènes du film en les mettant en scène afin de créer une plus forte impression dans le public. La chèvre censée mourir d'une chute "accidentelle" a été aidée par un coup de feu comme le montre la fumée visible au bord de l'image. L'âne a été couvert de miel pour être filmé pendant qu'il était piqué à mort par des abeilles. Il est probable enfin que la scène du bébé mort ait été enregistrée avec un nourrisson en plein sommeil (et on le souhaite). Rien de tout cela n'atténue les conditions de vie dramatiques des Hurdanos.

Buñuel était d'une manière générale très attentif à ses choix musicaux. Ici c'est la 4ème Symphonie de Brahms que parait-il il écoutait pendant le montage. 

Buñuel après l'âge d'or, Buñuel en el laberinto de las tortugas (littéralement "Buñuel dans le labyrinthe des tortues") de Salvador Simó
Scénario de Salvador Simó et Eligio R. Montero, d'après le roman graphique Buñuel en el laberinto de las tortugas de Fermín Solis, Astiberri Ediciones, Bilbao, 2009.
Goya 2020 du meilleur film d’animation.

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