Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

mardi 21 octobre 2025

Marcel et Monsieur Pagnol, un film de Sylvain Chomet

J'avais été emballée par la bande-annonce du film d'animation Marcel et Monsieur Pagnol. Curieusement la réalisation m'a déconcertée et … déçue.

Je croyais connaitre la vie de cet écrivain (1895-1974), pour qui le cinéma fut si déterminant mais j'avoue qu'il me manquait quelques clés. Je suis donc "passée" à côté de multiples clins d'oeil et d'allusions. Mais je pense que ce fut bien pire pour le public venu ce jour-là au cinéma.

Annoncé à partir de 8 ans, il y avait dans la salle des enfants beaucoup plus jeunes qui, je pense, ont apprécié puisqu’ils ne se sont pas manifestés mais je me demande ce qu’ils ont compris car le scénario fait, et c’est une évidence, référence à des évènements qu’ils ne pouvaient absolument pas connaitre. Notamment la silhouette caricaturée de Hitler. Ou l'uniforme militaire bleu horizon des poilus de 1925 à côté de "marchands de gloire".

Les premières images font apparaitre à l’écran les noms des coproducteurs, sur une voix off nous rappelant que "la vie n’est pas belle, mais elle est jolie ; la cloche sonne ; les lumières s’allument ; voici la première musique et l’histoire peut commencer" alors qu’on nous prévient qu’il s’agit d’une histoire vraie qui a démarré à Paris en 1956 (ce qui n'est pas tout à fait exact puisque nous remonterons vite plus loin).

Marcel Pagnol salue les quelques spectateurs venus assister à une représentation de Fabien aux Bouffes Parisiens. Il a 61 ans et est persuadé que sa carrière d’auteur est terminée. Le journaliste Pierre Lazareff (dont il convient de savoir qu'il était très ami avec Pagnol) ironise sur le fait qu’il faut savoir tirer sa révérence mais Hélène Lazareff, qui était la directrice de ELLE (qui était déjà un grand magazine féminin) propose à l’homme de raconter son histoire. Elle lui conseillera d’écrire sous forme de feuilleton, en marseillais en se basant sur l’expérience belge. L’accent est la musique de son enfance et de ses premiers poèmes et nous l'entendrons jusqu'au bout, admirablement porté par la voix de Laurent Lafitte dont il convient de saluer la performance.

Nous partons alors en flash-black en 1905 à Marseille. On entendra des formules du style tout ce qui est beau est vrai mais tout ce qui est vrai n’est pas beau. L’accent marseillais retentira sur les trois quarts des dialogues, ce qui peut (aussi) dérouter un jeune public parisien.

J'ai eu le sentiment d'assister à un enchainement de leçons de vie, voire de morale : On ne monte pas sur le ring pour régler ses comptes. Tu dois laisser ta colère au vestiaire.

Souvent les titres des oeuvres sont sont biffés et un autre intitulé surgit au-dessus. Ainsi La belle et la bête devient Topaze.

Par contre il est intéressant de comprendre pourquoi Pagnol a envisagé le cinéma, parce qu'il se sentait à l’étroit au théâtre. De saisir ses interrogations puisque les images étaient encore muettes à l'époque. De mesurer son audace de se rendre à Londres pour analyser pourquoi c'est un succès chez les Rosbifs (les anglais). La projection d'un des premiers films parlants (Broadway Melody en 1929) aura chez lui un effet déclencheur. Mais il se trompe malgré tout en supposant que le théâtre est "fini" alors que sa propre pièce Marius est un grand succès.

Le cinéma est-il juste une attraction et un effet de mode ? L'interrogation est méritoire. Tout autant que son désir de faire éclater les murs du théâtre et les images le démontrent. Il y a beaucoup de bon sens dans le raisonnement qui suivra. De toute évidence, un film parlant ne suffit plus ; il faut avoir quelque chose à dire.

Je ne suis toutefois pas sûre qu'on comprenne, à travers un film d'animation, qui combine fiction et vérité, quel fut concrètement le cheminement de Marcel Pagnol. D'autant que ce n'est pas lui qui raconte, mais l’enfant qu’il a été autrefois, le petit Marcel. Le résultat est un peu déroutant.

Il y a beaucoup d'ellipses. On aurait aimé savoir comment il a rencontré Fernandel, son futur Spoutz. Il faut deviner que Jules Murano est Raimu. Il n'est pas très clair que le rôle joué par Josette Day à l’écran soit celui qu'elle a fait endurer à Pagnol dans leur vie en commun. Là encore les enfants saisiront-ils la métaphore avec la charmante petite chatte Pomponette ? D'autant que les extraits en noir et blanc des films viennent perturber l'assimilation des évènements en brouillant une nouvelle fois fiction et réalité.

Nous serons sans doute d'abord pour convenir que sa vie sentimentale fut si compliquée qu'il était impossible de la résumer exhaustivement, malgré le renfort de Nicolas Pagnol en tant que conseiller historique.

Et puis l'homme était vraiment particulier car il est exact qu'il était aussi chercheur, ce qui est encore moins connu. Ainsi, sur la fin de sa vie il a essayé de résoudre un problème mathématique auquel s'étaient heurtés les mathématiciens depuis des siècles, à savoir trouver une formule simple reliant les nombres premiers. 

Qui appréciera à sa juste valeur la mention finale rappelant qu'il a aimé les sources, ses amis, sa femme si on ne sait pas que c'est la traduction de l'épitaphe gravée sur sa tombe, qui est une citation de Virgile : Fontes amicos uxorem dilexit.

Par contre j'ai beaucoup apprécié que ce soit prétexte à nous rappeler le contexte de l’arrivée du cinéma parlant, la création du premier grand studio de cinéma, son attachement aux acteurs, l'expérience de l’écriture. J'imagine que le coffret DVD associera quelques bonus explicatifs qui permettront au spectateur de se repérer. Ne serait-ce qu'en sachant que le dénommé Osso n'est pas une caricature imaginaire mais Adolphe Osso, l’administrateur de la Paramount Hollywoodienne en France, ce qui donne davantage de saveur à sa prédiction d'un désastre à propos du cinéma parlant.

Le calendrier célèbre cette année le 130ème anniversaire de la naissance de Marcel et celle du cinéma. Le grand mérite de Marcel et Monsieur Pagnol est donc de donner un grand coup de projecteur sur l'histoire du XX° siècle en général, celle du cinéma, et en particulier la vie de Marcel Pagnol. On avait tendance à le voir principalement comme un écrivain. Il faut dire que les grands succès du réalisateur Yves Robert dans les années 90, aussi bien La gloire de mon père que Le Chateau de ma mère, avaient fait oublier la contribution si essentielle que Marcel Pagnol apporta au cinéma à travers la réalisation d'une vingtaine de films, l'écriture d'une dizaine de scénarios, sans compter ses romans adaptés et filmés par d'autres personnes que lui.

Le film d'animation est agréable à regarder et je salue le travail accompli. Je persiste néanmoins à penser que le personnage méritait plutôt un biopic d'une forme plus "classique" même si le résultat aurait été moins moderne et moins distrayant.
 
Marcel et Monsieur Pagnol, un film réalisé par Sylvain Chomet avec les voix de Laurent Lafitte, Géraldine Pailhas.

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)