Je ne suis pas d'accord avec ceux qui prétendent que Encore 25 étés se lit d'une traite. C'est un livre minuscule mais un monument de sensibilité, qui mérite d'être savouré.J'ai compris au fil des pages pourquoi il était un immense succès en Allemagne.
Stephan Schäfer y raconte la rencontre d'un citadin jusque là incapable de déconnecter de son travail avec un cultivateur hédoniste et philosophe dont on finira par comprendre quelles sont ses bonnes raisons d'apprécier l'instant présent.
L'originalité de ce fascicule est de ne pas nous donner de leçon de bonheur, ni de philosophie. Il commence par nous plonger nous aussi dans un état d'esprit propice à la réflexion en faisant preuve d'empathie. L'auteur part du principe que nous sommes dans une situation comparable à celle de son personnage principal, saturé par les choses à faire et proche du burn out : Quand on est surmené, les mêmes pensées tournent en boucle dans le cerveau. Il faut essayer de couper le circuit. Il est donc fortement conseillé de faire quelque chose qui sort complètement de ses habitudes (p. 12).
Certes, le sujet n'est pas nouveau. Stephan Schäfer n'est pas le premier à opposer deux personnes qui sont, a priori chacune l'opposé de l'autre. Pourtant, lorsque le narrateur confie dès le début au lecteur qu'il aime la vie en compagnie de sa femme et de ses enfants, dans sa maison, offrant un mélange de ville et de campagne, on devine qu'il va s'entendre à merveille avec ce Karl qui semble tout à fait à l'aise dans son corps, dans son travail, dans sa vie … et prêt à partager sa recette du bonheur avec celui qui en a besoin.
Jusque là le narrateur a vécu dans l'urgence et avec le souci de faire bien. Le cultivateur effectue les taches manuelles indispensables alors que son cerveau reste libre pour réfléchir. Leur rencontre fortuite au bord d'un lac aura autant d'effet sur l'un que sur l'autre. Le premier va remettre ses habitudes en question. Le second va gagner un ami.
Ils vont régulièrement se retrouver comme Huckelburry Finn allant retrouver son ami Tom Sawyer (p. 90). Ils se laisseront tous les deux aller à converser sur les grandes questions de la vie : pourquoi passons-nous autant de temps à travailler plutôt qu'à nous occuper des personnes et des choses qui comptent vraiment pour nous ? Le temps passé à rêver est-il du temps perdu ou gagné ? Pourquoi la vraie vie ne commence-t-elle souvent que lorsque nous comprenons que nous n'en avons qu'une ?
Le lien se nouera spontanément mais sans hâte. Avec un naturel confondant. Les mots de Karl vont envelopper son interlocuteur de chaleur, lui permettant de laisser tomber la carapace qu'il s'était forgée au fil des temps pour lui permettre de garder le contrôle.
Plutôt que d'asséner des conseils, Karl multiplie les confidences. Par exemple à propos du rêve entretenu par sa femme Johana de voyager un jour en Islande. Comment Théa, la petite fille, a dénoué le noeud créatif qui l'empêchait de se remettre à la peinture, en lui montrant comment elle-même procéderait et en clôturant sa démonstration par un Tu ressembles à un pissenlit (p. 112). Comment son médecin lui expliqua que face à la maladie il n'y avait rien de mieux que de capitaliser des petits sacs de bonheur (p. 126) et qui sera quasiment le seul conseil de son médecin. Comment il en conclut qu'il n'y a pas de meilleur remède que les enfants et l'art.
Le narrateur est réceptif. Peut-être parce qu'il a encore en tête la voix de son fils lui reprochant : Quand on te parle tu es complètement ailleurs, tu étais plus drôle avant.
Le voilà qui retrouve l'appétit avec de simples pommes caramélisées à la minute, ce qui fournit l'occasion à l'auteur de railler les personnes qui misent tout sur le low carb (le moins de glucides possible) en suivant les conseils de nutritionniste à la lettre (conseils intéressants au demeurant -p. 46).
Il multiplie les constats : avoir perdu l'habitude de rêver, n'avoir jamais vraiment pris celle de se reposer (p. 51). Le voilà disposé à se laisser initier à l'art de la sieste et à apprécier l'imprévisible, comme un vernissage de tableaux en plein air. Et à faire sien le seul vrai conseil de Karl : "les livres sont les meilleurs des thérapeutes. Les mots consolent, les lignes donnent de l'espoir".
Voilà un livre qui fait réellement du bien pour peu qu'on se sente nous aussi "fraichement déraciné" (p. 40). Chaque mot sonne juste et résonne de sincérité, provoquant l'envie de partager cette découverte.
Né en 1974, Stephan Schäfer a travaillé pendant de nombreuses années comme journaliste et rédacteur en chef. Vingt-cinq étés est son premier livre. Il vit avec sa famille à Hambourg et, à l'instar de son personnage, considère les livres comme des thérapeutes.
Encore 25 étés de Stephan Schäfer, Traduit de l'allemand par Stéphanie Lux, Actes Sud, en librairie depuis le 4 juin 2025
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