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jeudi 13 octobre 2022

Une journée dans un musée de l'Oise Episode 1 : Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq, L’Isle-Adam

C'est toujours compliqué de rendre compte d'une exposition mais particulièrement celle-ci  "Impressions au fil de l’Oise" puisqu'elle se déroule dans trois villes différentes, au Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq de l'Isle-Adam, au Musée Daubigny d'Auvers-sur-oise et au Musée Camille-Pissarro de Pontoise, du 15 octobre 2022 au 5 février 2023.

Et il ne faut pas moins d'une journée pour la voir dans son entièreté. Mais que cela ne vous empêche pas de faire (aussi) une balade dans la jolie campagne qui inspira tant les peintres. S'il faudra un billet par lieu sachez qu'un tarif réduit vous sera acquis à partir du deuxième.

J'ai choisi de la présenter en trois temps, un par musée, avec parfois quelques liens. Pour ne pas alourdir la publication j'ai bien entendu d'abord résumé le propos et vous pourrez accéder à toutes les photos et commentaires en cliquant sur le lien en bas de l'article, sachant qu'ensuite chaque photo peut s'afficher plein écran.

Si j'étais déjà allée à Auvers-sur-Oise dans les traces de Van Gogh, je ne connaissais aucun des trois musées et le parcours fut une totale découverte.

"Impressions au fil de l’Oise" se déploie dans le cadre du projet de l’association Destination Impressionnisme de la Vallée de l’Oise, fondée en février 2021 et réunissant les trois municipalités et leurs musées  – tous trois Musées de France. Après des actions ponctuelles, toute une série d'animations ont été programmées depuis début octobre jusqu'à début février 2023 avec des spectacles, des guinguettes, une fresque participative, des tirages photographiques à l’ancienne, des croisières …

Agnès Tellier, élue à la culture, espère que l’expérience deviendra pérenne chaque automne. Le point d’orgue en est la collaboration entre les trois musées avec une exposition conjointe autour de trois peintres majeurs de leurs collections : Jules Dupré (1811-1889), Charles François Daubigny (1817-1878) et Camille Pissarro (1830 -1903) qui, par leurs personnalités et leurs talents, ont attiré autour d’eux de nombreux amis ou élèves, faisant de la vallée de l’Oise un foyer artistique majeur.

Principal affluent de la Seine, l’Oise a parfois tendance à être oubliée dans l’histoire de la peinture de paysage aux XIXe et XXe siècles. Elle constitue pourtant une  étape essentielle dans la transition du pré-impressionnisme de Barbizon aux années historiques du mouvement qui se déploie principalement entre Paris et la côte Normande.

Pendant la seconde moitié du XIXe siècle, de nombreux artistes se rassemblent dans la vallée de l’Oise dont la diversité des paysages convient particulièrement à l’expression de leur art. Tous sont animés par le désir de peindre en plein air les champs de blé, les coteaux boisés et la rivière aux reflets scintillants.

À L’Isle-Adam, Jules Dupré (1811-1889) souhaite rassembler autour de lui ses amis et les artistes qu’il estime et qui partagent ses idées. Dans les paysages de la cité adamoise et sa campagne environnante, il trouve ce qui va constituer les éléments caractéristiques de son iconographie personnelle.

C’est non loin de là, à Auvers-sur-Oise, que Charles François Daubigny (1817-1878) – ami de Jules Dupré – s’installe. L’architecture de la ville (les ruelles, l’église, etc.), les perspectives sur la rivière et la campagne environnante sont source d’inspiration pour l’artiste qui va lui aussi contribuer à renouveler la peinture de paysage.

Depuis Pontoise, Camille Pissarro (1830-1903) poursuit cette révolution esthétique, notamment par l’éclaircissement de sa palette et le choix de sujets de la vie rurale.

Attirés par la renommée de ces maîtres, des peintres – certains très célèbres comme Cézanne, Gauguin, Vlaminck et Van Gogh – et d’autres plus confidentiels comme Pierre-Isidore Bureau, Auguste Boulard, Renet-Tener, Charles Beauverie ou Paul Jouanny, se succèderont à L’Isle-Adam, Auvers-sur-Oise et Pontoise.
Episode 1 : Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq, L’Isle-Adam  et Jules Dupré

Les origines du musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq remontent à 1939, à l’initiative du Docteur Louis Senlecq qui souhaitait préserver et faire connaître le passé historique et artistique de L’Isle-Adam et de son territoire. Municipalisé en 1999, le musée compte près de 4000 œuvres provenant de nombreux dons, d’achats et de dépôts de musées nationaux ou issus de collections privées. Il bénéficie de l’appellation Musée de France depuis 2002.

Au premier étage, le musée propose en alternance des accrochages temporaires de ses collections permanentes et des expositions temporaires en lien avec l’histoire et le patrimoine locaux, mais aussi tournées vers la création contemporaine.

Jules Dupré est la figure emblématique des collections dont le musée possède avec une centaine de pièces un des plus beaux ensembles d’œuvres de ce peintre après ceux du musée du Louvre et du musée d’Orsay. Pour cet accrochage une soixantaine de pièces issues des collections ont été enrichies de prêts publics et privés.

Son père était originaire de Parmain, ville voisine, et était une personnalité locale car il y dirigeait une manufacture de porcelaine. Né an Nantes, c’est à partir de 1845 que Jules Dupré s’installe à L’Isle-Adam.

Il y partage d’abord un atelier avec son ami le peintre Théodore Rousseau et s’y établit définitivement en 1850. Après avoir fréquenté Barbizon, Jules Dupré trouve dans la vallée de l’Oise ce qui va constituer les éléments caractéristiques de son iconographie personnelle, à savoir : les arbres (la forêt domaniale), l’eau (l’Oise) et les ciels nuageux constituent sa principale source d’inspirationIl créera un groupe avec notamment Charles Daubigny. Parmi les artistes qui gravitent autour de lui dans la région on compte aussi notamment : son frère Léon-Victor, Auguste Boulard, Pierre-Isidore Bureau et Renet-Tener.

Jules Dupré a un rôle déterminant dans l’histoire de la peinture de paysage au XIXe siècle. Sous son pinceau la touche se libère et il n’est plus question de fidélité absolue à la nature mais de peinture pure, de couleurs, de lumière et d’émotion. Tout comme ses amis, Corot et Daubigny, Jules Dupré influencera les futurs impressionnistes.
L'exposition commence à l'étage. Une soixantaine de pièces provenant de la collection du musée Louis-Senlecq, d’institutions publiques (musée d’Orsay, musée des Beaux-Arts de Reims, musée d’Art et d’Histoire de Meudon, musée des Beaux-Arts et d’Archéologie de Châlons-en-Champagne, musée Daubigny d’Auvers-sur-Oise) et de collections privées sont présentées.Le regard portera d'abord sur le seul autoportrait connu de cet homme et qui plus est de dos. Cette toile le montre peignant en pleine nature alors qu’il n’était pas pleinairiste.
Jules Dupré (1811-1889) Autoportrait de l’artiste à son chevalet
Version en marbre du buste en bronze (toujours visible dans la ville) d’un monument qui fut inauguré en grandes pompes en présence de ses enfants.
Auguste Boulard, père (1825)1897), Portrait du peinte Jules Dupré vers 1889, huile sur toile
Il était un de ses élèves et en fit ce portrait vieillissant 
Jules Dupré Charpentiers en forêt, œuvre de facture plus classique, prêtée par le musée Daubigny, placée ici pour témoigner de la progression de sa peinture
Palette de Jules Dupré
Six plaques en verre matrices de clichés sur verre. Appelés également héliotypes, procédé proche de la photographie qu’on désigne encore sous le terme de « cliché verre ». Ceux-ci sont présentés pour la première fois, appréciés par Jules Dupré car cette méthode permettait de gagner en rapidité par rapport à la gravure, qui n’était pas son médium de prédilection.

Nous passons dans la salle suivante, dite Rousseau, en mémoire à celui qui l’entraîna à peindre en plein air à Barbizon que Jules Dupré et Théodore Rousseau (1812-1867) fréquentaientLes années 1830 sont celles de leur rencontre décisive puisque Rousseau initiera Dupré à la peinture en plein air. À l’été 1841, Jules Dupré se rend en lisière de forêt à Montsoult près de Maffliers avec lui. En 1844, les deux artistes voyagent dans les Landes et les Pyrénées, afin d’étudier les paysages régionaux et l’année suivante ils prennent ensemble un atelier à L’Isle-Adam.

Une véritable osmose humaine et artistique lie Théodore Rousseau à Jules Dupré, au point qu’il est difficile de distinguer autour des années 1840 l’influence de l’un sur l’autre dans leurs travaux. La technique très personnelle de Jules Dupré, empâtée, rugueuse et nerveuse aura une influence certaine sur celle "large, fougueuse et heurtée" de Théodore Rousseau.

Pourtant, à partir de 1847, les deux peintres s’éloignent l’un de l’autre ; les nombreux succès au Salon – alors que Rousseau en est le "grand refusé" – et la légion d’honneur qu’obtient Dupré en 1849 auront raison de leur amitié. Quelques années plus tard cependant, Jules Dupré écrira au sujet de son ancien camarade : "Quelques temps après, je vis son Allée de châtaigniers à son atelier de la rue Taitbout. […]
je fus abasourdi. C’était un chef d’œuvre d’art, […] Je vis bien que c’était le plus grand peintre de notre époque, sans en excepter Delacroix, et je maintiens encore mon idée. C’est lui le plus grand"
Jules Dupré Chaumière à l’Isle-Adam,
huile sur toile non datée, 32,5 × 40,5 cm, collection particulière Françoise et Philippe Mongin

Théodore Rousseau, Une avenue, forêt de l’Isle-Adam, huile sur toile, 1849, prêt du musée d’Orsay
Ce tableau a été réalisé en plein air mais fut retravaillé plusieurs années plus tard en atelier. Rousseau est connu pour revenir sur son travail parfois jusqu’à cinq ans plus tard. Par contre ce qui est certain c’est qu’elle a été construite à l’Isle-Adam. On y remarque la lumière verticale d’un été. C’est une des premières représentations de lumière zénithale.

Jules Dupré  La mare aux chênes
Placée à côté, cette oeuvre a été en partie peinte sur le motif. On y voit des personnages anecdotiques que l’on remarque à peine (copier le texte). Le peintre avait un fort intérêt pour l’eau. Bientôt le paysage dominera (pas les personnages, alors qu’à l’époque et jusque là on s’intéressait peu au paysage). On notera une récurrence entre arbre-ciel-eau-chaumière.

L’œuvre des deux artistes est essentielle dans l’évolution de la peinture de paysage en France. Par le travail en plein air et leurs recherches sur la lumière, l’espace et la couleur ils s’affranchissent de l’obligation du sujet historique, religieux ou littéraire dans un paysage, abandonnant ainsi tout à fait la référence narrative afin de ne montrer que du paysage pur.

Les points de vue offerts par les alentours de L’Isle-Adam étaient devenus célèbres depuis que Delacroix les avait découverts au début des années 1820. Jules Dupré et Théodore Rousseau font partie des premiers peintres à exécuter des compositions en plein air dans la région. Jules Dupré avait alors pour ambition de fonder un Salon indépendant, où les idées des peintres Horace Vernet (1789-1863), Constant Troyon (1810-1865), Eugène Lami (1800-1890), Ari Scheffer (1795-1858), Eugène Delacroix (1798-1863) – et celles de Théodore Rousseau évidemment – aurait pu s’épanouir, mais cette tentative n’aboutit pas.

Cet échec le conduit à s’éloigner des cercles d’artistes et à privilégier un travail solitaire en atelier. Contrairement à Daubigny (auquel est consacré l'épisode 2) qui construisit un bateau-atelier – le célèbre Botin – afin de peindre au plus près du motif, en plein air. Jules Dupré préfèrera l’intimité de son atelier où il recréera de mémoire les lumières vibrantes de la nature.

Dans la salle suivante, on peut admirer des œuvres sur papier, notamment un superbe pastel acquis en 2018 (il faut signaler à ce titre la politique d’acquisition de la ville) qui devra retourner en réserve pendant 5 ans après ces 5 mois d’exposition, malgré un faible éclairage.
Jules Dupré  Le pêcheur, Entre 1860 et 1870, Pastel sur papier marouflé sur toile, 101 × 70 cm

Jules Dupré Le chêne à l’Isle-Adam, Vers 1865, Huile sur toile, 98 × 130 cm
« Où est l’idée, où est la poétique, où est l’homme ? » interrogeait Dupré quand il regardait un tableau.

Jules Dupré Soleil couchant après l’orage, huile sur bois vers 1860.
Il s’agit d’une réplique d’une peinture originale réalisée en 1851 et conservée au Musée du Louvre.
Les arbres ont une allure japonisante. Un lyrisme se dégage du tableau, sans grand étonnement puisque le peintre ne travaillait pas sur le motif. Il est donc logique qu’il ne soit pas très fidèle.

A l’étage, l’entourage, les amis, les élèves et son frère, Léon Victor Dupré (1816-1879), qui s’inscrit dans le sillage de son illustre frère et peint lui aussi les paysages de la vallée de l’Oise. Lui aussi aime la trilogie : chaumière-arbres-eau. 
Léon-Victor Dupré (1816-1879) La mare avant l’orage, huile sur bois
Louis Renet-Tener (1845-1925), grand admirateur de l’œuvre de Jules Dupré (et de Corot dont il fut aussi l'élève), pose à son tour, dans les décennies suivantes, un regard nouveau sur les paysages des bords de l’Oise. Voici, ci-dessous, le pont que nous avons emprunté en venant de la gare. Le peintre fut maire de l’Isle-Adam durant deux ans. Le 8 octobre 1894, cinq ans après la mort de Jules Dupré à L’Isle-Adam (le 6 octobre 1889), la municipalité lui rend un important hommage en inaugurant un monument érigé en son honneur avec un discours prononcé par Louis Renet-Tener dans lequel il évoquera Shakespeare.
Ernest-Louis-Ferdinand Tener (1845-1925) Le Bras et le pont du Cabouillet, huile sur toile, non datée.

Au rez-de-chaussée du musée, un espace pérenne de présentation des collections comporte trois sections,  la première consacrée à paysagiste Jules Dupré, une autre mettant en avant la présence des princes de Conti à L’Isle-Adam au XVIIIe siècle et enfin une troisième avec la production de Joseph Le Guluche (1849-1915) pour les manufactures de terres cuites adamoises au début du XXe siècle.
Joseph Le Guluch - Vieux laboureur terre cuite polychrome entre 1890 et 1908
Quelques marines sont présentées, et surtout le chef d’œuvre de Jules Dupré, Environs de Southampton que l'on peut comparer à étudia John Constable, un des maîtres paysagistes que Dupré admirait et qu'il étudia lors d'un voyage en Angleterre.  
Jules Dupré Environs de Southampton, huile sur toile, 1835


Jules Dupré Barques de pêche à marée basse, huile sur toile non datée

Jules Dupré  Soleil couchant sur un rivage, huile sur toile non datée

Impressions au fil de l’Oise
Exposition du 15 octobre 2022 au 5 février 2023

Musée d’Art et d’Histoire Louis-Senlecq, site
L’Isle-Adam -31, Grande Rue - 95290 L’Isle-Adam
Ouvert du mercredi au dimanche de 14h à 18h
Fermé les 24, 25, 26 et 31 décembre, ainsi que le 1er janvier
Entrée gratuite le 1er dimanche de chaque mois
Visite guidée gratuite à 15h tous les dimanches
Pour toute réservation et pour tout complément d’information sur le programme d'animations et les tarifs contactez le service des publics au 01 74 56 11 23 ou par mail : servicedespublics.musee@ville-isle-adam.fr ou musee@ville-isle-adam.fr

Je vous invite à suivre le fil de l'exposition à Auvers-Sur-Oise puis à Pontoise après un petit trajet dans la campagne où les paysages -et c'est bien normal- évoquent encore les toiles des maitres.

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