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dimanche 16 octobre 2022

L'amour est un thé qui infuse lentement de Christine Cayol

Sans la sollicitation de Babelio je n’aurais probablement pas découvert L'amour est un thé qui infuse lentement
Depuis son tragique accident alors qu'il n'a que 6 ans, Chao sait qu'il est différent. L'acupuncture, mais aussi un livre d'images sur la France, l'aident à chercher ailleurs que dans ses blessures ce qu'il va devenir.
À 21 ans, tandis qu'il participe à l'éclosion d'un empire familial dans une Chine en pleine ébullition, Chao choisit Paris. Il sait qu'à la pointe du Vert Galant, face à l'eau docile ou impétueuse, quelqu'un l'attend.
De son côté, Inès avance dans sa vie avec douleur et détermination. Elle est française, mariée, mère de deux enfants. Tout les éloigne l'un de l'autre.
Mais ni Chao, ni Inès ne résistera à l'énergie lumineuse, née de leur rencontre dans un café parisien. Cela se nomme yuan fen, rencontre prédestinée voulue par le ciel.
Christine Cayol s'exprime sans tabou devant les lecteurs rassemblés par Babelio à propos de son premier roman, qui sort aujourd'hui en librairie, et qu'elle a écrit avant tout pour le plaisir, après la publication de nombreux essais, dont Je suis catholique et j’ai mal (Le Seuil, 2006), À quoi pensent les Chinois en regardant Mona Lisa ? (Tallandier, 2012) ou Pourquoi les Chinois ont-ils le temps ? (Tallandier, 2017).

Philosophe et littéraire de formation, elle partage son temps entre la France et la Chine et elle aime se servir de l’art et de la culture pour construire des ponts entre l’Orient et l’Occident. Fondatrice de Synthesis et Yishu 8, elle a créé un lieu à Pékin dédié à la culture dont l'action donne lieu à une exposition qui sera inaugurée mardi prochain au Musée Guimet (et où il était prévu que je me rende, nouvelle preuve de l'existence du Yuan Fen).

Elle fait en riant la confidence d'être allée en Chine par amour. C’était le dernier pays où elle voulait se rendre, l'imaginant loin, opaque, gris et dangereux. C'est pourtant à Pékin qu'elle s'est mariée et a poursuivi aussi sa route professionnelle. Le pays l'a manifestement séduite. Etre français en Chine est un passeport extraordinaire. Cette situation donne un capital de confiance et d’admiration exceptionnels du fait qu'on est supposé incarner l’élégance et le romantisme.

Elle maitrise la langue chinoise et a compris l'essentiel de la culture du pays. Si on voulait résumer l'état d'esprit du chinois on pourrait dire que son principe de vie est une dynamique qui se résumerait dans  l'idée que demain sera mieux. Et ce principe imprègne tout le roman, ce qui ne l'empêche pas d'être émaillé de nombreuses anecdotes vécues comme celle du petit livre rouge.

Le point de départ de L'amour est un thé qui infuse lentement est un fait divers entendu à la radio chinoise et qui a donné lieu à un court texte de quelques lignes, stocké dans un fichier dans l'attente d'en faire quelque chose. Le traiter à l'intérieur d'un roman offre plus de liberté qu'elle n'en a eu à travers les essais qu'elle a publié pour exprimer ce que sont les Chinois. On s'apercevra au cours de la soirée qu'elle se nourrit de tout ce qu'elle entend et qu'elle met au service de thématiques qui lui sont chers, notamment le handicap.

On sera ému par l'histoire d'amour d'une jeune femme aveugle. Mais dans ce livre il touche en premier lieu Chao alors qu'il est enfant. Porter un handicap dans une société où l’enfant doit être le drapeau de la famille est une catastrophe encore plus lourde qu'en France. On imagine mal la pression sur les enfants en Chine depuis la politique de l'enfant unique.

Chao a une disgrâce qui est bien plus qu'une cicatrice puisqu'il est porteur d'une tragédie familiale qui se répète, comme on le comprendra quand on apprendra ce qui est arrivé à sa grand-mère avec un chien.

Tout est signifiant dans le roman. Ainsi, un seul côté du visage de Chao est atteint, ce qui traduit une dualité, rappelant que nous avons tous un côté qui nous fait honte.

La question du temps est un autre sujet qu'affectionne l'auteure, et que l'on remarque dans le titre. Elle avoue adore aller vite mais refuse que l’accélération soit un mot d’ordre. Les choses essentielles, qui arrivent dans la vie, ne sont pas dans l’agenda.  Et si je veux aller vite je vais les louper fait-elle remarquer avec sagesse.

Elle ajoute avoir horreur de la mollesse tout en soulignant que la lenteur peut se révéler être une caresse. Il faut apprivoiser le rapport au temps, poursuit-elle. Faire confiance à ce qui arrive comme la vague sur le rivage. Si j’ai semé les bonnes graines, les arbres pousseront.

Elle a choisi de se glisser dans la peau du personnage masculin d'une part parce qu'elle connait bien le tempérament chinois et d'autre part pour éviter la tentation de trop investir d'elle-même dans le personnage d'Inès. Celle-ci est psychologue de métier et si elle est très compétente pour aider ses patients elle se retrouve par contre totalement démunie lorsqu'elle est sous l'emprise de ses propres émotions amoureuses; c'est que l'amour ne relève pas de l'analyse ni du rationnel et que les vraies rencontres de l’existence nous désarment.

La fin s'est imposée à elle et pourrait surprendre (voire désarçonner le lecteur) mais elle se justifie si on pense que l’enracinement est plus fort que tout et conditionne notre avenir, comme l'a démontré la philosophe Simone Weil dans son livre intitulé précisément L'enracinement.

Plusieurs genres littéraires sont utilisés dans le roman : la lettre, le poème etc … pour rendre compte des voix intérieures des personnages et de la voix de la Chine qui appelle Chao. Cet exercice l’a amusée et elle compte bien recommencer.

Un projet de traduction est déjà en cours dans une maison d'édition de Pékin. En France ce sont  les Éditions Hervé Chopin qui la publient. Installée à Bordeaux, cette maison d’édition généraliste et indépendante créée en 1994 s'est développées avec la collection "Images d’antan", qui compte aujourd’hui plus de 120 titres. Dans ces ouvrages portés par la force esthétique et historique de la carte postale du début du XXe siècle, chacun peut découvrir ou redécouvrir la ville, la région, le pays de ses grands-parents.

Ce savoir-faire dans le beau livre s’est également traduit par la création de la collection "Art et Culture" avec des monographies de peintres, photographes, designers, couturiers, mais aussi des livres d’art d’exception. En 2010, les Éditions Hervé Chopin ont publié leurs premiers titres de littérature et fait découvrir José Rodrigues dos Santos en 2012 avec La Formule de Dieu qui reste en tête des ventes pendant plusieurs mois. La maison travaille depuis à l’émergence de nouveaux auteurs.

Leur rencontre avec Christine Cayol est bien de l'ordre du Huan fen … et cette auteure est une femme à suivre.

L'amour est un thé qui infuse lentement de Christine Cayol, HC Éditions, en librairie le 13 octobre 2022

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