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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

vendredi 31 mai 2019

La grande petite Mireille

Marie-Charlotte Leclaire se présente pour auditionner le rôle de Dalida, et même si son interprétation de Gigi l'amoroso est d'un grand comique elle ne réussira pas à convaincre le metteur en scène (Cyril Romoli le soir de ma venue) qui cependant va l'engager, en raison de sa ressemblance avec ... Mireille.

C'est le point de départ de ce spectacle musical fort réussi parce qu'il est joyeux, imaginatif, et ... instructif. On apprend beaucoup de choses de la vie de cette petite bonne femme, petite en taille, immense en talent. Discrète et pourtant au tempérament extrêmement volontaire.

On remonte au siècle dernier et c'est cependant frais, joyeux, humoristique. En sortant de la salle on se dit que c'est bien étrange que Hervé Devolder (Molière 2019 pour la comédie musicale Chance !) n'ait pas pensé plus tôt à rendre cet hommage à celle qui a inventé la chanson de variétés française moderne.

Le trio nous montre à la fois la quantité de travail qu'il faut accepter de consacrer pour faire carrière et la difficulté de la création mais sans occulter les joies qu'elle procure. Et je voudrais sans tarder mentionner Adrien Biry-Vicente qui passe d'un personnage à l'autre avec un talent inouï et qui sera, je l'espère, récompensé à la prochaine soirée des Trophées de la Comédie musicale. Pour n'en citer qu'une, son incarnation de Françoise Hardy chantant Tous les garçons et les filles est simplement prodigieuse.

Quelle chance (pour nous) que Mireille ait eu de trop petites mains pour faire une carrière de pianiste car si elle joue plutôt bien du piano, il était inenvisageable d'espérer devenir soliste en ne pouvant pas réaliser un arpège d'une main. Elle devient donc comédienne à l'Odéon sans parvenir néanmoins à s'empêcher de jouer et de composer.

La voyant constamment au piano, Claude Dauphin, qui était alors régisseur décors, a l'idée de la présenter à son frère Jean Nohain, qui écrivait des textes, en utilisant un subterfuge pour piéger les deux protagonistes. Leur complicité ne faiblira pas. Ils se stimuleront l'un l'autre pour donner naissance à des tubes avec une inspiration nourrie du quotidien avec parfois un peu d'impertinence comme dans Papa n'a pas voulu (1961) qui laisse croire que "les enfants obéissants font tout ce que veulent leurs parents". Ils ont traversé les années sans se flétrir comme Couchés dans le foin ... dont le spectacle nous dévoile la création.

Mireille imaginait aussi des musiques publicitaires pour l'automobile (Renault, Citroën), des génériques pour la télévision (Colargol). Mais surtout le duo Nohain-Mireille composera pour Henri Salvador, Yves Montand (Une demoiselle sur une balançoire), Charles Trenet (C'est un jardinier qui boite). Même Brassens débutera sur leurs chansons.

On doit beaucoup à Mireille. C'est elle qui a introduit le swing dans la chanson française. Elle a tourné avec Buster Keaton et inventé probablement le feuilleton radiophonique. C'est pour Couchés dans le foin (musique de Mireille, texte de Jean Nohain) chanté alors par le duo Pills et Tabet que le peintre André Girard qui travaillait pour la Columbia (et dont une des filles s'illustrera au cinéma sous le nom de Danièle Delorme), réalisa la première pochette de disque illustrée, par une aquarelle. Jusque là on se contentait d'emballer les disques dans des pochettes en carton avec dessus le logo de la compagnie discographique qui éditait l'album. Mireille avait du flair en promettant que l'étui en carton cartonnera.

Elle imaginera, assez tardivement, le Petit Conservatoire, sorte de préfiguration de The Voice qui révèlera Michel Berger, Françoise Hardy, Pierre Vassiliu, Hervé Christiani, "le petit" Souchon (dont elle exigera qu'il chante ses productions au lieu de se satisfaire des reprises des autres), Yves Duteil ... et tant d'autres.

Ses poulains sont ses enfants. Elle les guide avec affection, mais fermeté, avec son complice Robert Valentino au piano. Aucune familiarité n'est permise. Pas question d'oublier de l'appeler madame. Mais la tendresse se lit sur son visage attentif.

Ce spectacle très documenté nous fait revivre des moments d'anthologie. On pardonnera quelques accommodements avec la réalité. Si sa mère avait une voix d'opéra, il n'empêche qu'elle était ouvrière et que son père était couvreur. On est loin d'une famille d'artistes comme on nous le présente sur la scène, même si elle fut la nièce de Charly King, inventeur des claquettes qu'il fait connaitre en France.

Sa rencontre avec Emmanuel Berl, qu'elle appellera toute sa vie Théodore, est savoureuse. Intuitivement gentille et pourtant d'ironie pouvant être mordante, la jeune femme pensait ne supporter cet homme que 10 minutes. Il a déployé des trésors d'imagination pour la séduire, l'invitant au Ritz, lui faisant connaitre Colette (qui lui trouvera sa coiffure), André Malraux, Sacha Guitry.

En la demandant en mariage par journal interposé, ces deux là ont en quelque sorte inventé la presse à sensation. Elle lui dit oui le 26 octobre 1937 et leur chemin se déroulera heureux pendant pendant 40 ans, mais en respectant toujours leurs territoires respectifs de création, littéraire pour lui, musical pour elle. Mireille avait posé ses limites, en faisant installer un feu entre leurs deux appartements, qu'elle seule pouvait actionner. Le rouge imposait qu'il reste chez lui. Au vert il avait le droit d'entrer. Les fenêtres de leur appartement de la rue Montpensier donnaient sur le Palais Royal et c'est en toute justice que la place voisine porte aujourd'hui le nom de Mireille.

La musicienne a quitté en 1996 le petit chemin qui sentait la noisette pour rejoindre le grand amour de sa vie au Montparnasse. Sur leur tombe une simple plaque "Avec le soleil pour témoin". Elle avait 90 ans.

Les trois comédiens sont autant savoureux dans le jeu que dans le chant. Marie-Charlotte Leclaire est l'interprète idéale. Elle s'est glissée avec un naturel stupéfiant dans le costume de Mireille et il se dégage d'elle un soupçon de gouaille qui évoque Arletty. Ses deux partenaires lui renvoient la balle avec pertinence et entrain. Le spectacle ne connait aucun temps mort. Les lumières de Denis Koransky sont très précises et efficaces. Et comme à son habitude Jean-Daniel Vuillermoz a imaginé des costumes de circonstance.

Ce spectacle nous fait re-découvrir avec bonheur des chansons qu'on a fredonnées ... ou pas. J'ai surpris cette réaction dans la salle : je ne connaissais pas Mireille, je suis subjugué.

La grande petite Mireille de Marie-Charlotte Leclaire et Hervé Devolder
Mise en scène Hervé Devolder
Avec Marie-Charlotte Leclaire, Adrien Biry-Vicente et Hervé Devolder (en alternance avec Cyril Romoli)
Musique Mireille
Lumières Denis Koransky
Costumes Jean-Daniel Vuillermoz
Au Théâtre du Petit Montparnasse
31 rue de la Gaité, 75014 Paris
Du 2 mars au 29 juin 2019
(Horaires à partir du 11 juin) :
Mardi, mercredi, jeudi, vendredi et samedi à 20h30
Dimanche à 15h

Le spectacle est gratifié de 6 nominations aux Trophées de la comédie musicale 2019

jeudi 30 mai 2019

Opérapiécé de Aurore Bouston et Marion Lépine

Opérapiécé s'annonce comme un spectacle d’humour musical.

C'est assez juste mais c'est bien plus que cela parce que les voix d'Aurore Bouston et de Marion Lépine sont stupéfiantes, que la mise en scène de William Mesguich est juste (on ne la remarque pas et pourtant elle est là, ce qui signifie qu'il n'y a pas d'effet superflu), que les costumes de Marie-Caroline Béhue ajoutent une dimension baroque tout à fait appropriée, et que bien entendu l'accordéon est totalement maitrisé par Marion Buisset, à tel point qu'il devient un instrument "moderne".

Je n'aurais pas misé sur ce titre d'Opérapiécé qui m'évoque le bricolage, ni sur l'affiche (même si son auteur a signé celle de la pièce à succès, Edmond). Ces réserves n'ont aucune incidence sur la qualité du spectacle que je recommande aux mélomanes parce qu'ils seront aux anges et jubileront de reconnaitre chacun des 78 compositeurs ayant participé à la bande originale.

Je le conseille tout autant à ceux qui ont peu de connaissance musicales, tant en classique que dans les variétés. Les airs chantés dans Opérapiécé sont écrits sur les thèmes très connus de la musique classique instrumentale : Vivaldi, Grieg, Strauss, Tchaïkovski, Mendelssohn, Debussy, Ravel, Fauré, Albinoni, Schubert, Brahms, Beethoven, Verdi... mais il n'est pas utile d'être féru dans le domaine pour apprécier la soirée. Les interprètes ont le sens de la scène et les compétences pour toucher tous les publics, y compris les enfants. De plus elles vous distribueront la liste des références des musiques et chansons à la fin et vous pourrez tout à loisir les ré-écouter de retour chez vous.

Vous sortirez de cette magnifique salle voutée de l'Essaïon avec la sensation d'avoir respiré de l'oxygène à haute dose, avec l'envie de chanter et de danser ... même si la pluie se met soudain à tomber.

Ce qui est juste c'est que le concert est un bouquet de paroles et de musiques. Chaque tableau est annoncé par un mot composé de lettres, façon Scrabble, sur une cimaise fixée sur la pierre : Opérassedic, Opéramage, Opérappelletoi, Opéramitié, Opéramour ...

L'équipe artistique ne prétend pas donner de leçon. Tout n'est que plaisir et le scénario est simplement un prétexte à construire un exercice de style. La prochaine cérémonie des Molières y gagnerait beaucoup à solliciter ce trio pour égayer intelligemment la soirée. Au moins les organisateurs maitriseraient le discours sur l'intermittence sans que les gilets jaunes aient besoin de complicité pour s'infiltrer sur la scène. Ce serait tellement plus drôle !


Le point de départ du spectacle est la répétition d'une oeuvre que des artistes travaillant sous le régime de l'intermittence (et courant donc le cachet) espèrent voir programmer. Le livret met en scène la rencontre d’une jeune femme conquérante avec un personnage plus mystérieux, animé par des sentiments ambivalents... L'orchestre est réduit à une seule musicienne, ... accordéoniste, qui saura passer d'un registre à un autre avec naturel.

Les grands tubes classiques s'enchainent avec bonheur au registre plus inattendu du répertoire de la variété française. Les paroles sont parfois détournées tout en demeurant à propos, ou en prenant carrément le contrepied. Une mélodie de Françoise Hardy succède à un thème de Ravel. Un air signé William Scheller s’enchaîne au Guillaume Tell de Rossini. Un refrain de Brigitte Fontaine s'accorde avec la 40ème Symphonie de Mozart. Le spectateur va de surprise en surprise. Les airs sont parfois légèrement arrangés, mais une oreille aguerri se réjouira de les reconnaitre, surtout quand ils interfèrent comme un extrait de la comédie musicale Notre Dame de Paris.
Les chanteuses sont très expressives, et quel plaisir de les entendre sans que leurs voix soient amplifiées (ou déformées) par une sonorisation. La direction musicale de Louis Dunoyer (à gauche, à coté de William Mesguich) est à saluer également.

Quand la rigueur musicale s'accorde à ce point avec la créativité et la vitalité on ne peut que souhaiter longue vie à cet opéra d'un genre nouveau. C'est 1 h 15 de bonheur ... bien plus que les 2 minutes 35 promises par Sylvie Vartan en duo avec Carlos.

Opérapiécé de Aurore Bouston et Marion Lépine
Mise en scène : William Mesguich
Direction musicale : Louis Dunoyer
Avec Aurore Bouston et Marion Lépine
Marion Buisset à l’accordéon
Chorégraphies Barbara Silvestre
Costumes Black Baroque by Marie-Caroline Béhue
Théâtre Essaïon
Du 23 Mai au 26 Juillet
6, rue Pierre au Lard - 75004 Paris
Les jeudi et vendredi à 19h30

mercredi 29 mai 2019

C’est toi, Maman, sur la photo ? de Julie Bonnie

Je ne m'attendais pas à de telles confidences quand j'ai ouvert C’est toi, Maman, sur la photo ? La couverture m'avait étonnée mais j'étais restée sur l'écriture de Chambre 2 qui était le premier roman de Julie Bonnie et qui obtint le Prix du roman Fnac. Il est en cours d'adaptation pour le cinéma, et c'est une bonne nouvelle.

Et pourtant si le second est très différent il est bien dans la veine que j'avais repérée, située entre roman et témoignage. Je terminais mon article en disant que j'attendais avec impatience le suivant et je reconnais que je suis comblée avec ce livre.

C'est à la fois très courageux d'oser se livrer comme elle le fait et en même temps très réussi parce que le doute n'est pas permis : elle est une vraie auteure.

Le livre est publié par les éditions Globe, créées en 2013 par Valentine Gay et appartenant au groupe l’Ecole des loisirs. Cette maison a une politique éditoriale assez pointue. On se souvient de l''extraordinaire livre de Stefano Massini, Les Frères Lehman, paru l'an dernier. Les couvertures interpellent et le contenu bien évidemment. Gabriel Gay a conçu un visuel intrigant et joyeux qui s'accorde au dynamisme de l'écriture.

présente parfaitement le propos. Il serait stupide d'essayer de faire plus juste :
Les parents sont des enfants comme les autres. Julie, quarante-six ans, a fait son lit et rangé sa cuisine équipée après le départ de ses enfants pour l’école. Elle est écrivain et musicienne et, aujourd’hui, elle a rendez- vous avec Julie, treize ans, avec sa jeunesse.
Sur les photos d’époque, ses enfants ne la reconnaissent pas. Leur mère, crâne rasé, joint au bec, violon dans la nuit du Berlin d’après le Mur, leur mère enroulée dans un camion qui traverse les nouvelles frontières et mène aux scènes underground d’Europe de l’Est ? Inimaginable.
Et la gamine survoltée qui a la rage et hurle dans le micro, est-ce qu’elle reconnaîtrait la femme mûre qu’elle ne pensait jamais devenir ?
Ce livre, c’est le groupe qu’elles forment à elles deux. Sa musique est pugnace, douce-amère, entêtante. Dans sa lucidité, elle nous berce tous.
Je n'imaginais pas que la puéricultrice ultra sérieuse de Chambre 2 avait succédé à une adolescente absolument déjantée. Elle revient donc sur les années qu'elle a passées sur les routes, sillonnant l'Europe pour se produire sur des scènes le plus souvent "alternatives" en France et en Allemagne.

Julie Bonnie n'aurait pas pu se souvenir avec autant de détails de chacun des concerts si un des membres du groupe, Ben, n'avait pas conservé dans une malle les archives de Myosotis. Et c'est sur une de ses notes que le livre se termine.

La sincérité avec laquelle elle relate cette période (dont on se demande comment ses parents ont pu la laisser faire car elle a tout de même couru pas mal de dangers même si elle s'en est fort bien sortie) est stupéfiante. Elle passe du "elle" au "je", mettant ainsi à distance la jeune fille qu'elle était et dont on se demande ce qui a subsisté, outre la musique puisqu'elle joue encore du violon, mais plus "sagement" dirions-nous si j'en crois les morceaux que j'ai pu glaner sur le web.

Julie Bonnie donne juste ce qu'il faut d'explications pour que le lecteur ait autant d'empathie pour la jeune musicienne que pour l'auteure qu'elle est aujourd'hui. On ne juge pas. On partage cette aventure qui valait le détour (p.11) et qui est si loin du romantisme du mythique Grand Bleu de Luc Besson (1988) qui a ému toute une génération. Julie part dans un territoire qui n'est pas glamour pour un sou, de l'autre coté du mur (de Berlin) qui, même s'il vient de s'effondrer, demeure une cicatrice entre deux mondes.

Le texte de Julie parlera différemment à ceux qui ont connu cette époque (même s'ils n'ont pas voyagé à l'Est) et aux plus jeunes qui ont une autre vision de l'Europe ... et de la musique.  

Il est important malgré tout de comprendre la fragilité de sa personnalité qui l'entraînait dans les gouffres de la mésestime, de la haine de soi, de cet affreux sentiment d'incapacité (...) capable de se saborder, d'abandonner, de détruire, de fuir (p.164). C'est parce qu'elle a croisé des gens qui l'ont encouragée qu'elle à pu surmonter les démons. C'est universel, mais c'est important de le marteler. Et c'est sans doute l'essentiel du message qu'elle transmet à la jeune génération en répondant à la question teintée de surprise, C'est toi, maman, sur la photo ?

Il ne se dégage pas de nostalgie malsaine, pas de regret non plus. La puissance des sentiments de et pour Nicolas, l'-batteur du goure, qui en fut le manager, et qui est devenu le père de ses enfants, au sein d'une famille toujours soudée, a du compter pour beaucoup aussi.

Ce livre est à lire, qu'on soit à un moment ou à un autre du parcours. Accessible aux adolescents comme aux adultes.

Julie Bonnie, née à Tours il y a quarante-sept ans, enchaine les vies. Une vie de bonne élève de bonne famille. Une vie de tournées punk-rock en camion et de scènes alternatives dans toute l’Europe. Une vie de mère, et une d’auxiliaire de puériculture pendant une dizaine d’années. Une vie d’écrivaine de chansons, de livres pour la jeunesse et de romans à présent.

C’est toi, Maman, sur la photo ? de Julie Bonnie, éditions Globe, parution le 1er Mai 201

mardi 28 mai 2019

Le Champ des possibles, écrit et interprété par Elise Noiraud

Le Champ des possibles est le troisième volet d'une trilogie écrite et interprétée par Elise Noiraud, en ce moment au Théâtre de la Reine Blanche, et qui sera en Avignon cet été (au Théâtre Transversal à 18 h 50).

C'est tout le talent de cette jeune femme de nous offrir un morceau aussi joyeux et réussi que les précédents, La banane américaine, consacré à l'enfance et Pour que tu m'aimes encore, centré sur l'adolescence.

Il aura fallu attendre trois ans pour connaitre la suite des aventures de la jeune fille pas toujours rangée, qui cette fois atteint l'âge adulte et dont il faut quand même souligner une part de fiction.

Si Elise annonce une trilogie on peut espérer qu'elle n'en restera pas là parce qu'elle est une interprète hors du commun pour faire vivre une douzaine de personnages avec trois fois rien.

Il n'y a pas plus d'accessoires que dans les autres opus. Les objets et vêtements utilisés dans l'ensemble de la trilogie tiennent vraisemblablement tous dans cette malle qui ne la quitte pas. Le théâtre n'aura qu'à fournir une chaise ... et malgré tout une régie lumières (François Duguest a fait un travail précis et élégant). Démonstration est faite qu'il n'est pas nécessaire d'avoir recours à beaucoup d'effets pour en faire ... de l'effet.

En outre ce spectacle est tout à fait accessible à un jeune public et ce devrait être un bonheur de le suivre en famille, et d'en discuter ensuite.

Après l'obtention de son bac ... ES option théâtre, la jeune Elise décide de "monter" à Paris, loin de son village poitou-charentais, connu plus pour être le pays de Ségolène Royal que celui du beurre. Elle a 19 ans et veut s'engager dans des études de Lettres. Malgré les chocs provoqués par ce brusque changement d'espace, de culture, et plus largement de vie, la découverte de la littérature et du théâtre va semer en elle de puissantes envies de liberté, de découvertes et d'autonomie.

C'est en justaucorps noir et les pieds toujours nus qu'elle campe aussi bien la post adolescente qu'elle a été que sa mère, ... ou son père, et bien entendu les personnes dont la rencontre a été déterminante, ou inévitable, à commencer par Mireille, conseillère en orientation professionnelle. Il suffit d'un foulard, d'un ton de voix, d'une montée dans les aigus ou d'une descente dans les graves, d'une mimique, d'un doigt qui appuie sur la paupière gauche, d'une posture pour que chacun prenne vie.
Nous en avons -nous aussi- rencontré quelques-uns que nous reconnaissons d'emblée comme l'agent immobilier et la secrétaire universitaire. Au delà des évocations et imitations, c'est tout un monde qu'Elise Noiraud restitue, avec la palette d'émotions qui en est indissociable. Ses espoirs, sa détermination (sur la musique de Queen montant crescendo Show must go on), ses interrogations et surtout sa relation de dépendance à sa famille.

On retrouve avec plaisir le personnage de sa maman (dont le trait a été un peu forcé, il y a de la fiction dans le spectacle ...) qui se croit rassurante en répétant on te le dira, sous-entendu si un jour les frais de scolarité pèsent trop lourd, et qui ne prend apparemment jamais rien mal, exprimant juste une légère déception et de récurrents soucis d'organisation. Et surtout qui exige en échange de tous les sacrifices, et en faisant passer le message par toutes les voies possibles, le retour au bercail pour les grandes fêtes de famille et faire les cadeaux le lendemain de Noël.

Plusieurs scènes sont d'anthologie et il ne serait pas superflu de voir et revoir le spectacle tant elles sont savoureuses. Je pense en particulier à la lecture du CV-lettre de candidature, au mime de la chanson enfantine L'as-tu vu ?, à la publicité slim-fast, à la colère contre Simone de Beauvoir (qui cependant n'était pas si citadine que ça parce que c'est dans la pleine campagne de Chateauvillain qu'elle venait souvent rendre visite à sa tante Alice).

Elise a compris qu'elle avait ouvert devant elle le champ des possibles et que ses 19 ans pourraient devenir éternels si elle parvenait à se révéler à elle-même. Pari gagné, que l'on applaudit sur la musique du troisième acte du Roi Arthur de Purcell.

La comédienne joue sur un large registre avec ironie, drôlerie, énergie, fragilité, poésie, tendresse et beaucoup d'amour. Elle émeut autant qu'elle fait rire. Ses spectacles sont à consommer sans modération.
Elise Noiraud est comédienne, autrice et metteuse en scène. Cette trilogie la confirme aussi comme conteuse. On se souvient de la qualité de son travail avec Les fils de la terrespectacle lauréat du Prix Théâtre 13 - Jeunes Metteurs en Scène 2015, qui est l'adaptation d'un film documentaire portant sur le monde agricole. Elle est également intervenante théâtrale en milieu scolaire et associatif pour des enfants et des adolescents à Aubervilliers. Enfin elle est artiste associée pour 3 ans à La Manekine - Scène intermédiaire Régionale de l'Oise.

Le Champ des possibles
Ecrit et interprété par Elise Noiraud
Collaboration artistique Baptiste Ribrault
Création lumière François Duguest
Du samedi 18 mai au Samedi 22 juin
Les mardi, jeudi et samedi à 20h45 (sauf le mardi 28 mai à 19h)
Relâche le mardi 11 juin
Au Théâtre de la Reine Blanche
2 bis, Passage Ruelle - 75018 Paris - 01 40 05 06 96
Du 5 au 28 juillet à 18h50 (relâches les mardis) : Avignon - Théâtre Transversal
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Baptiste Ribrault

lundi 27 mai 2019

Saltimbanques de François Pieretti

Saltimbanques est un (premier) roman que je referme avec perplexité. Sur le site de l'éditeur, Viviane Hamy, on présente l'auteur en donnant des informations qui constituent peut-être des indices pour comprendre sa démarche.
Né en 1991, François Pieretti a grandi dans un petit village entouré de champs et de bois, au fin fond de la Seine-et-Marne. Miraculeusement diplômé grâce à de nombreux stratagèmes ayant peu à voir avec l’apprentissage, il est surtout fier de son permis qui lui permet de se balader où il veut.
Il aime les voix de radio tard le soir ou tôt le matin, les villes de petite taille, les rivières, observer les gens dans leur vie quotidienne, lire les romans de Jim Harrison, Julien Gracq, Patrick Modiano, Gabriel García Márquez ou Paul Auster, et passer de longs moments avec les chiens des autres, en attendant le sien.
Est-il encore à chercher le sien, de chien, comme le fait Nathan dans son roman ? Son personnage principal est en recherche de tout, tentant de relier le passé à un avenir et faisant feu de tout bois pour y parvenir. 

De Saltimbanques il dit qu'il a voulu écrire l’histoire d’un homme qui court derrière un fantôme. Le narrateur se glisse dans les pas de son frère, fréquente ses amis jongleurs et tente de se fondre dans le souvenir de l’adolescent disparu, mais il n’assiste qu’aux derniers instants de beauté d’un groupe, celui des saltimbanques, voué à se dissoudre. Il y gagne pourtant des compagnons de cordée. Pour le reste, ce sont tout autant des rencontres que des instants captés au hasard de ces dernières années, ainsi que les images qui surnagent en permanence dans mon cerveau : à mon très humble niveau, j’ai été influencé par les constats brutaux et directs de Jim Harrison tout autant que par le brouillard d’enfant perdu de Patrick Modiano.

C'est tout à fait cela, servi par une écriture que je qualifierais de masculine. Ne me demandez pas pourquoi ... moi aussi je cherche. Qu'est-ce qui fait que ce livre, que je n'ai pas particulièrement aimé, sans nul doute parce que j'ai été dérangée que cette jeunesse continue à se laisser ravager par l'alcool et la drogue qui leur a pris leur ami, a cependant retenu mon attention ?

J'ai sûrement reconnu la profondeur du vide que laisse la mort de quelqu'un que l'on était censé connaitre et dont on se rend compte qu'il est probablement trop tard pour tenter d'approcher sa vérité, même en multipliant les contacts avec ceux qui ont été proches de lui.

Nathan sollicite le groupe de jongleurs dans lequel son frère s'était intégré pour l'emmener, un peu, se trainer avec eux ...) même s'ils se demandent tous un peu ce qu'il fait là, forcément (p.60). Le presque trentenaire est un peu perdu, mal installé dans sa propre vie, détaché de ses parents, n'ayant pas beaucoup de souvenir de ce frère qui vient de mourir accidentellement et qui, lui, semblait avoir une existence pleine de promesses.

Sans doute pense-t-il attraper quelques poussières d'étoile en marchant dans ses pas, en se faisant accepter du groupe de jongleurs et de cracheurs de feu, en roulant la nuit avec eux de ville en ville, en séduisant aussi Appoline, qui fut la petite amie de son frère, en allant jusqu'à se mettre à fumer ou à essayer de voir l'assassin de Gabriel dans le visage du dealer, Tonton Daniel (p.111) pensant que trainer avec ses anciens amis allait le rapprocher de lui.

Il faut beaucoup de sensibilité et de générosité pour jongler avec les étoiles. Nathan en manque cruellement. Il ne décèlera pas la présence mystique de son frère, caché derrière un arbre ou près du petit pont (p.67). 

Il est venu dans ce groupe pour tenter de vivre un peu de la vie de Gabriel et le connaitre enfin mais sa présence met tout le monde mal à l'aise, et entretient de la culpabilité (p.117). Il comprend que Gabriel resterait ancré à ses huit ans, à jamais, avec ses étranges manies de l'enfance, sa manière de me suivre sans raison, ses cheveux qui retenaient le soleil (p.119). Nathan n'arrivera jamais à poser les bonnes questions à des personnes qui veulent tous l'oublier et qui voudraient qu'il fasse de même (p.121), et qui de toute façon, ne semblent pas vouloir lui apporter de réponse (p.149).

Cependant, Nathan découvre et nous fait partager un temps la vie de ces saltimbanques qui associent le jonglage, le feu et le tissu aérien (une nouvelle discipline du cirque contemporain). J'ai souvent pensé à l'univers décrit par Julie Bonnie dans C'est toi maman sur la photo ? Les deux livres ont beaucoup de points communs. Une des différences tient peut-être à cette écriture que je qualifiais plus haut de "masculine".

La plus importante est aussi la manière d'aborder le deuil. Celui que doit faire Julie concerne sa jeunesse, son passé en quelque sorte, même s'il lui a permis de devenir ce qu'elle est. Celui que traite François Pieretti est celui d'un frère, et d'une jeunesse qui se traine, indécise déjà bien avant la mort de Gabriel. Comment faire le deuil de quelqu'un que l'on n'a pas vraiment connu ? C'est paradoxalement une rencontre inattendue avec le vieux (comme le désigne l'auteur avec tendresse) qui amènera Nathan à apprendre à regarder droit devant lui et à affronter l'avenir, une fois qu'il aura compris que c'est une mauvaise idée de se faire de faux espoirs (p.211).

Prouver à quelqu'un qu'il peut se hisser à la hauteur de ce qu'on attend de lui. Cesser d'être "le frère de Gabriel" et devenir lui-même, Nathan.

Saltimbanques de François Pieretti, chez Viviane Hamy, en librairie le 17 janvier 2019
Lu dans le cadre des 68 premières fois.

dimanche 26 mai 2019

Biscuits façon Mikado pour le Bac Sucré

Après avoir appris à faire un Café Liégeois qui a du goût nous avons enchainé avec des biscuits façon Mikado.

En voici la recette ... sachant qu'ensuite je reviendrai sur l'ensemble de la manifestation Bac sucré 2019.

La recette est un dessert mais la pâte pourrait fort bien être utilisée pour faire des gressins en diminuant légèrement la quantité de sucre et en roulant les bâtonnets dans des graines ou des morceaux d'olives.

Pour obtenir une dizaine de biscuits il vous faudra :
. 100 grammes de farine (nous en avons utilisé 800)
. 25 grammes de sucre blanc
. 25 grammes de beurre froid, en cubes qui enroberont bien la farine
. quelques gouttes d'extrait de vanille (ou mieux de la vanille en graine)
. 100 grammes de chocolat au lait de couverture
. des noisettes écrasées et/ou divers 

On préchauffe le four à 180° th 6 et on y fera torréfier légèrement pendant 5 minutes les noisettes écrasées grossièrement.
On mélangera dans un saladier farine, sucre, puis beurre (et la vanille si elle est en grains) qu'on travaillera du bout des doigts jusqu'à obtenir un mélange sableux mais on pourra aussi bien employer le robot avec le K, en commençant à vitesse lente.

Au bout d'un moment on pourra ajouter 2 à 3 cuillères d'eau froide en la faisant glisser sur le bord de la cuve (donc surtout pas au centre) jusqu'à obtenir une boule souple. La pâte est vivante et doit en quelque sorte s'apprivoiser.
On devrait pouvoir diviser en dix pour former ensuite dix boudins fins de pâte qu'on roulera en écartant les doigts des deux mains (pour obtenir un résultat régulier en terme de diamètre) qu'on déposera sur une plaque recouverte d'un papier sulfurisé. Nous en avions bien entendu beaucoup plus puisque nous avons travaillé 800 grammes de farine.

samedi 25 mai 2019

Café Liégeois pour le Bac Sucré

Cette année l'atelier Oh my Milk a choisi de valoriser la crème en proposant d'apprendre à réaliser deux recettes dans la cuisine du Miele Expérience Center, le Café liégeois et ses biscuits façon Mikado.

C'est Marie, de Parisdansmacuisine.com qui a pris la tête des opérations avec Birgit Dahl de Cookingout.

La qualité et les arômes du café sont de première importance. Nous avons employé le Moka Harrar torréfié par la Brûlerie de Varenne. Il faut savoir que les caféiers poussent sur des terroirs, un peu à l'instar des vignes. Harrar est le nom d'un port situé en Ethiopie. Il faut prévoir une tasse de café par personne et 1 cuillère à soupe de grains.

La veille ces grains auront été concassés et mis à infuser à froid (pour ne pas colorer le produit) au réfrigérateur dans un flacon de 50 grammes de crème fleurette entière (donc à 30% de matières grasses). Dans l'idéal il serait bien de secouer de temps en temps ce flacon. On pourrait de la même façon infuser du persil, du thym, de la cardamome, de la verveine ...

Bien sûr il faudra penser à filtrer la crème dans une passoire fine (pour retenir les morceaux de café) avant de la monter en Chantilly. On peut, surtout si on a prévu de consommer un peu plus tard, ajouter une cuillère à café de mascarpone pour un résultat plus ferme.

Le terme de Chantilly est réservé à une préparation qui se compose de crème, sucre et vanille. En l'absence de ce dernier ingrédient on doit parler de crème montée.

Quoiqu'il en soit on veille à monter la Chantilly en commençant à faible vitesse et ce n'est que lorsque la surface commence à buller qu'on augmente la puissance de l'appareil.

On met ensuite la préparation dans une poche à douille.
On a entre temps préparé le café qui aura été versé dans un verre haut, si possible double paroi (c'est plus pratique pour conserver la chaleur).
On y dépose une boule de glace vanille. Puis on recouvre de Chantilly. Il est inutile de sucrer. On déguste de suite "nature" ou avec un Mikado si on est très-très gourmand. Mais il faudra attendre demain pour en obtenir la recette ainsi que le compte-rendu sur l'ensemble des dégustations possibles dans le cadre du Bac Sucré (tous renseignements sur leur site).

samedi 18 mai 2019

Boys de Pierre Théobald chez JC Lattès

Boys n'est pas un roman. Ce n'est pas non plus un livre de nouvelles. J'ai eu beaucoup de mal à "entrer dedans" comme on dit. Je me suis autorisée à renoncer, au motif qu'on n'est pas obligé d'aimer tous les livres ... quand j'ai remarqué que revenait le prénom de Samuel auquel je n'avais pas suffisamment prêté attention.

J'ai repris depuis le début, sautant les pages pour retrouver ce Samuel dérouler le fil de sa vie et ses tourments, jusqu'au plus terrible mais si justement restitué. Ce dernier hurlement d'amour qui clôture le livre m'a poussée, non pas à refermer l'ouvrage, mais à le reprendre en ne lisant cette fois que les "autres" histoires que j'ai d'abord piochées au petit malheur ... parce que ce serait abuser que de parler de bonheur ...

Il y a indéniablement un travail de dramaturgie dans ce recueil où la progression narrative n'est pas soulignée mais bien réelle. Chaque épisode contient la matière à un livre complet mais le choix de Pierre Théobald de les condenser sous la forme de nouvelles rend les chapitres plus nerveux et surtout jamais bavards. La plus incisive, située au milieu de l'ouvrage, condense en à peine deux pages le vide qu'elles font quand elles se tirent (Théo p.127). On s'arrêtera au passage sur le prénommé on se dira que le grand Jacques (Brel) aurait pu chanter cela. 

Son écriture est actuelle, vibrante, imprégnée d'un romantisme totalement contemporain qui parle autant aux hommes qu'aux femmes. Ses mecs scannent les nanas et capturent des écrans. Leurs filles sont au Japon le temps d'un stage (Gilles et la copine de Marc ont de la chance, elles reviendront, pas la mienne). Ils torchent des cigarettes, mènent leur vie comme ils peuvent, en contrôlant tant bien que mal des trajectoires compliquées, à l'instar d'une conduite sur verglas.

Avant de lire Pierre Théobald je ne savais pas que 20% des hommes sont confrontés à l'infertilité. Je ne me doutais pas que le creusement d'une ride du lion pouvait devenir un souci masculin, je veux dire provoquer chez un homme la crainte de déplaire, de vieillir et de se sentir poussé sur le bas coté de la vie, au moment où les vies sont faites, défaites (Marc, p.172).

Le coeur des hommes de Pierre Théobald prend des décharges mais même à terre il trouve le sursaut d'un geste héroïque comme Abel qui aura l'ultime courage de liquider le passé et d'exprimer sa gratitude à celle qu'il a (mal) aimée. 

Accepter la vérité n'est pas faiblesse, comme le démontre Fred. Aucun ne baisse les bras et s'il y a une leçon à tirer c'est bien de ne pas se fier aux apparences. Dans la vie comme en lecture.

Les pages enquillent les aléas et les accidents. C'est grinçant. Parfois à la frontière du polar (Nicolas), en tout cas franchement dans le roman noir. Les personnages de Pierre Théobald sont à l'image des Rescapés que chante aujourd'hui Miossec. Il sont de ceux qui ne sont pas passés de loin à côté ... et qui n'ont plus le temps ... que pour un sentiment qui relève d'une forme de tendresse (Karim).

La paternité voulue, subie, gagnée ou perdue compose la trame de fond de ces textes où il y aurait matière à bâtir une pièce de théâtre. 

Né en 1976, Pierre Théobald est journaliste sportif. Il vit à Metz et Boys est son premier livre de fiction.

Boys de Pierre Théobald chez JC Lattès, en librairie depuis le 3 avril 2019
Lu dans le cadre des 68 premières fois

vendredi 17 mai 2019

L'Hotel Victor Hugo Paris Kléber fait peau neuve, 19 rue Copernic

J'ai eu le plaisir de découvrir le Victor Hugo Paris Kléber de la rue Copernic le soir de l'inauguration qui a suivi une transformation mettant en valeur l'architecture Art déco des lieux tout en lui conférant une forte touche de modernité.

Ce nouveau challenge que s'était donné le restaurateur historique et reconnu de la capitale Jacques Blanc, a été entrepris en collaboration avec Arnaud Dupin, qui est son bras droit depuis 2008, et qui est issu lui-même d’une famille d’hôteliers. On peut considérer qu'ils ont tous les deux baigné  dans le milieu de l’hôtellerie de luxe depuis de nombreuses années.

Passionné d’Art déco, Jacques Blanc, a décidé de mettre en lumière cet immeuble des années 30, à la vue exceptionnelle et secrète sur un bassin d’eau aérien inconnu des parisiens, mais que j'avais eu l'occasion de découvrir lors d'une soirée il y a quelques mois. Je n'ai donc pas été surprise mais je gage que vous en aurez le souffle coupé, je vous le garantis.

C'est Laurent Maugoust, architecte-designer reconnu, et qui vient de signer la rénovation la rénovation de l’Hôtel Pastel ***à qui Jacques Blanc a donné carte blanche. Diplômé de l’école Camondo en 1999, il a débuté sa carrière chez l’architecte Christian de Portzamparc. Il a créé sa société en 2003 et a collaboré pendant près de 10 ans avec Jean-Philippe Nuel en qualité de directeur artistique et de chef d’agence, ce qui lui a permis d'acquérir une grande maîtrise de la décoration hôtelière haut de gamme en concevant et en assurant la gestion de projets d’envergure à l’échelle internationale. Son intérêt se porte toujours vers les lieux chargés d’histoire ou très marqués en terme de style.
Il aime jouer avec les oppositions et les contrastes afin d’élaborer de véritables "mises en scène d’intérieur". C'est manifeste dans l'atmosphère du premier salon, sur la gauche en entrant. L'endroit est cosy, évoquant à la fois le jardin d'hiver de la maison de campagne d'un écrivain qu'un cabinet de curiosités, toujours par touches discrètes. On pense inévitablement à Victor Hugo dont le buste orne une cheminée très moderne. Mais aussi à Gustave Flaubert qui aurait fait cadeau de son perroquet au maitre des lieux.
C'est un portrait inhabituel de l'écrivain qu'on remarquera dans la salle où sera servi le petit-déjeuner sous la forme d’un buffet avec des propositions salées et sucrées, essentiellement autour de produits bio, et en offrant également des produits sans gluten.

jeudi 16 mai 2019

Lettres à Anne avec Nathalie Savalli

J'ai assisté en avant-première à une lecture préfigurant un spectacle qui est produit par Antisthène, une société de production créée en 2017 par Patrick Gastaud qui affiche délibérément un style distinctif pour le théâtre contemporain d’auteur.

Il s'agissait de la lecture de quelques unes des Lettres à Anne de François Mitterand (26 octobre 1916 - 8 janvier 1996), à la Bibliothèque parisienne de l'avenue Parmentier. L'ouvrage est paru chez Gallimard en octobre 2016 à l’occasion du centenaire de la naissance de l'ancien président de la république, à l'initiative d'Anne Pingeot qui fut longtemps la femme de l'ombre et qui est la mère de leur fille Mazarine.

C'est la comédienne, Nathalie Savalli qui s'est livrée à l'exercice et je dois dire que sa prestation était remarquable, malgré le cadre, l'absence de lumières et de décor. Elle est très investie dans le projet puisqu'il s'est mis en place à son initiative.

Une nouvelle lecture est prévue à Gordes le 20 Juin dans le village de villégiature de la famille Pingeot. Mais c'est en Avignon, au Shams théâtre que se fera la création théâtrale pour le festival off du 5 au 28 Juillet 2019 à 19h. Elle sera présentée le 3 Juillet à 19h en avant-première.

Nathalie Savelli a passé son enfance et son adolescence en Tunisie pour venir ensuite s’installer dans le sud de la France après la disparition de son père. C’est là qu’elle s’épanouit grâce au théâtre aux côtés de Gérard Gélas au Théâtre du Chêne Noir. Elle monte ensuite à Paris afin d'y poursuivre sa formation théâtrale au cours Florent, dont elle est diplômée. Depuis, elle a collaboré avec différents metteurs en scène, tels que Jean-Paul Zennacker, Geneviève de Kermabon, Olivier Nolin, Catherine Hubeau ou, plus récemment, Urzsula Mikos pour le spectacle Hamlet présenté au CDN de Montreuil dans le cadre du marathon Shakespeare. Elle a également travaillé pour le cinéma, notamment sous la direction de Coline Serreau, dans 18 ans après.

Le spectacle sera mis en scène par Frédéric Fage qui fut le plus jeune élève de Jean-Laurent Cochet dans les années 80. Après une carrière de comédien, il se lance dans la mise en scène avec Les Créanciers d’August Strindberg, pour le festival d’Avignon 2016, repris au Studio Hébertot puis l’année suivante en 2017 à Avignon. Parallèlement, il devient coach de comédiens au cinéma comme au théâtre. Sa deuxième création, Le Captif, l’Enfant du Placard, sera joué au festival d’Avignon 2017, à l’Espace Roseau puis à Paris au Théâtre des Abbesses. Ce projet marquera de part son originalité et sa direction de comédien, Serge Barbuscia, directeur du Théâtre du Balcon, qui lui offrira l’année d’après la possibilité de jouer sa prochaine création au festival d’Avignon 2018. Ce sera Bérénice de Racine. Frédéric Fage confira le rôle à Estelle Roedrer, comédienne transgenre. Un projet extrêmement singulier. C’est encore au Théâtre du Balcon que La journée de la jupe, sera créée cet été. Il en écrit l’adaptation pour le théâtre avec Jean-Paul Lilienfeld (auteur & réalisateur du film avec Isabelle Adjani). La pièce sera reprise à Paris en 2020. Il travaille aussi actuellement sur l’adaptation du dernier roman d’Alain Duhaut, dans la peau de Maria Callas.

On nous dit que François avait 46 ans quand il rencontre Anne qui en avait 19. C'est pratique de présenter les choses ainsi parce que en masquant l'âge réel on efface la relation de type incestueuse ... Je ne veux pas donner dans le sensationnel mais Anne était beaucoup plus jeune, 14 ans à leur première rencontre, et cela met en cause sa capacité à disposer d'elle-même.

Le père d'Anne a un an de plus que François Mitterrand et tous deux étaient des amis. C'est donc naturellement qu'il l'invita dans les landes, dans leur maison de villégiature, en compagnie d'un autre ami, André Rousselet.  François Mitterrand est âgé de 41 ans. Anne a seulement 14 ans. La scène a lieu un jour de pluie et Anne dira que ce moment lui a laissé une impression... ineffaçable.

C'est bien plus tard cependant, à partir du 19 octobre 1962, quand François aura décidé Anne à monter à Paris pour suivre ses études que s'établira la correspondance avec celle qu’il surnommera son Animour.

On peut s'extasier sur la beauté de cette correspondance. Il n'empêche qu'il y a derrière tout cela un énorme abus de pouvoir. Cet amour que l'écrivain ne cesse d'hurler de page en page n’excluait pas de multiples aventures amoureuses, qui furent de notoriété publique. Vous aurez compris que mon âme féministe soit terriblement agacée par ce remue-ménage et ce qu'on veut nous faire passer comme idyllique. Quand je vois qu'il a réussi à rédiger 1246 missives, à faire des voyages officiels, à présider  de multiples colloques, et à se promener quasi quotidiennement avec sa bien aimée, tout en menant une vie de famille "normale" je me demande prosaïquement combien de temps il lui restait pour gouverner la France ...

Mais ce n'est pas de cela que nous allons parler ici. La comédienne qui s'est emparé de ces missives est absolument formidable et voilà l'essentiel puisqu'il est question de théâtre.

La première lettre du spectacle est une promesse à lui trouver un livre sur Socrate. Elle est encore très jeune (et mineure car je rappelle que ce n'est qu'en 1974 que la majorité descendra à 18 ans). C'est déjà un homme de pouvoir. Il a occupé plusieurs postes de ministre et est sénateur. Il est marié depuis presque 20 ans et a deux fils adolescents.

Ils ont en commun l'amour de la littérature. Les références littéraires sont multiples dans les lettres choisies. Il est souvent question de bouquinistes. L'écriture est étonnante. Quelques diapositives montrent les feuillets. On aurait envie de connaitre la graphologie pour percer le mystère de son tempérament. Les lignes sont comme hachées. Le style souvent emphatique quand il ose se présenter comme son François 1er.

Mais si on oublie le personnage officiel et le contexte politique (car il fut bien commode à cet homme que les deniers des contribuables lui permettent d'entretenir sa liaison, même s'il faut rendre hommage à Anne Pingeot pour sa discrétion et sa détermination à travailler et donc à s'assumer) il est indéniable qu'on peut saluer ses qualités d'écrivain.

Il y a donc dans cette abondante correspondance matière à composer un spectacle touchant, émouvant, de qualité poétique et stylistique indéniable, au lyrisme contenu par le talent de Nathalie Savalli. Le metteur en scène ne semblait pas ce soir avoir décidé de la posture qu'il allait lui suggérer de prendre. Représentera-t-elle l'auteur ou la destinataire ? La jeune femme de l'ombre ou celle de la maturité, aujourd'hui sous le feu des projecteurs ?

Ajoutera-t-il des didascalies ? Des morceaux de ses lettes à elle, encore plus secrètes que celles qu'elle a reçues jusqu'à la dernière, le 22 septembre 1995.

Le choix des missives n'est pas anodin. On devine parfois en demi teinte les colères et les déceptions d'Anne de ne pouvoir vivre au grand jour. Il semblerait aussi parfois que le grand homme s'écrivait à lui-même, persuadé que sa correspondance deviendrait publique. Il faut avoir le sens du scénario pour terminer (il se savait condamné) par des mots que l'on rêverait tous de pouvoir écrire et lire : Mon bonheur est de penser à toi et de t'aimer (...) Tu as été ma chance de vie. Comment ne pas t’aimer davantage ?

Nul doute que ce spectacle sera accueilli avec grand intérêt dans sa version définitive.

Lettres à Anne
D'après Lettres à Anne. 1962-1995 de François Mitterrand, publié chez Gallimard
Mise en scène de Frédéric Fage
Avec Nathalie Savalli
Du 5 au 28 Juillet 2019 à 19h
Au Shams théâtre
25 Rue Saint-Jean le Vieux, 84000 Avignon

mardi 14 mai 2019

Quand Alain Passard fait une master-class au Musée de l'Armée

C'est en écho à l’exposition Picasso et la guerre, qui se tient au Musée de l’Armée - Invalides jusqu’au 28 juillet, et comme je l'ai annoncé dans l'article que j'ai consacré à cette exposition que le chef triplement étoilé Alain Passard propose au public des démonstrations culinaires sur le thème de la restriction alimentaire.

Comment cuisiner bien avec peu ? Aujourd’hui, la question ne se pose pas spontanément parce qu'il est facile de se procurer épices, légumes, viandes ou poissons, au gré de toutes nos envies. Et pourtant il va démontrer qu'on peut faire mieux avec moins.

Chaque master-class se déroule autour d'une recette différente (en toute logique puisque le chef suit la saisonnalité).

Il s'est néanmoins inspiré des œuvres de Picasso évoquant le manque de nourriture, présentés dans l’exposition Picasso et la guerre de même que le célèbre ouvrage d’Edouard de Pomiane "Cuisine et restrictions", qui fut un vrai best-seller en temps de guerre.
Il est manifeste que les aliments sont présents dans les oeuvres du peintre, et on remarquera qu'il a donné des noms de plat à des personnages de sa pièce de théâtre Le désir attrapé par la queue, La Tarte, l'Oignon ... On voit ci dessous Couteau et fourchette, 1943, qui est une oeuvre prêtée par le Musée national Picasso-Paris.

lundi 13 mai 2019

La cérémonie de la 38 ème Nuit des Molières


Ayant assisté à la cérémonie en contre-jour, les réactions de la salle me sont arrivées de loin, par écran interposé, mais j'ai par contre senti les vibrations des artistes récompensés qui sont venus à la rencontre de la presse après la réception de leur statuette ou qui se sont exprimés ensuite en fin de soirée, quand la pression a commencé à se relâcher.

Puisque telle est mon habitude je ne dirai pas ce qui doit demeurer de l'ordre du privé malgré la tentation de partager la surprise et l'amertume (légitime) de certains. Sans remettre en cause son talent je dirai tout de même à ceux qui se sont étonné que Blanche Gardin puisse recevoir un Molière deux années de suite que le règlement n'exclut pas cette opportunité.

Il prévoit "simplement" qu'un spectacle ayant reçu un Molière n'est plus éligible (or elle présentait un autre spectacle). Je ferai observer aussi que l'humoriste a semblé défier l'assistance en terminant son intervention en donnant rendez-vous l'année prochaine (ne dit-on pas jamais deux sans trois ?). Quel chemin accompli par celle qui se plaignait en mai 2017 que l'humour était un sous-genre et où elle se qualifiait alors de petite humoriste de rien du tout.

Nous ne sommes sans doute pas au bout de nos surprises avec celle qui l'an dernier avait insisté pour remettre (je cite Zabou) le Molière de sa catégorie, le Molière de l'Humour. Elle qui était la seule femme nommée l'année de l'affaire Weinstein avait conclu : le jour où j'ai un prix il n'a aucune valeur.

Impossible de faire semblable conclusion cette fois ci puisque toutes les nominées étaient des femmes, ce qui a fait dire à Alex Vizorek qu'il y avait peut-être urgence pour les hommes à se renouveler, et donnait raison à Blanche Gardin qui compare l'humour à de la médecine d'urgence plus qu’au divertissement. C'est un peu ce qu'on pourrait dire du spectacle de Caroline Vigneaux, au Grand Point Virgule.

La cérémonie aura été ponctuée par des moments assez drôles ou pour le moins caustiques. Ccomment interpréter sa reprise du sketch de Gad Elmaleh disant en substance que le point virgule est le looser de la langue française alors que c'est le nom d'une des salles de JM Dumontet ? Le début aura été difficile pour l'humoriste qui est arrivé sur scène après un court-métrage scénarisant la difficulté de recrutement d'un maitre de cérémonie. On l'aurait presque plaint d'avoir accepté l'épreuve.

Il s'est rattrapé en tirant gloire d'être le premier humoriste belge à présenter une soirée de droite honorant des gens de gauche, en remerciant pour leur présence, le ministre de la culture Jean-Marc Dumontet (Président des Molières), et son numéro deux Franck Riester (Ministre de la Culture), et en semblant s'interroger sur lequel serait le plus macroniste des deux, avant de redevenir sérieux en citant Brecht : l'avenir du théâtre c'est la philosophie.

Il tenta des pronostics en cette année où Alexis Michalik n'étant pas nommé on pouvait croire que personne ne trusterait les récompenses, même si Le canard à l'orange bénéficiait de 7 nominations. La suite des évènements démontra qu'il n'y a pas nécessairement rapport de cause à effet et on peut mesurer la déception des artistes. Il faudrait vraiment que le système d'analyse des votes soit revu afin d'élargir le nombre des récompenses. Il avait été demandé cette année aux votants de ne pas inscrire un spectacle plus de cinq fois sur son bulletin, visant Le canard à l'orange qui aurait pu repartir avec plus d'un tiers des récompenses, et Kean avec un quart ... et qui repartira les mains vides.
Alors que (je reprends ses propres mots) le maitre de cérémonie s'échinait à multiplier les blagues de cul pour récupérer le téléspectateur, la soirée a été secouée par l'irruption des intermittents venus en force (et qui sont sans nul doute entrés avec l'appui de complicités internes) et en grand nombre remettre, costumés de gilets jaunes, les Molières des oubliés : un Molière du déshonneur au Ministre, et un Molière d'honneur aux techniciens et aux artistes qui n'ont pas de statut ou qui vont le perdre.

Nous avons l'habitude d'un tel moment à un moment ou à un autre de la soirée mais leur discours, très préparé, était si naturel que j'ai cru à une parodie avant que je ne remarque le Président les raccompagner jusqu'à la rue. La séquence sera coupée au montage pour ne pas pousser le téléspectateur à zapper d'emblée la cérémonie (retransmise d'ailleurs si tardivement qu'on peut se demander qui reste devant le poste, sachant que le replay est accessible le lendemain). Je suggère que l'an prochain l'organisation fasse appel aux chanteuses d'Opérapiécé qui lanceront la soirée avec vivacité et intelligence en traitant ce thème crucial au demeurant de l'intermittence.
Je n'ai pas compris en quoi la menace d'interrompre les remerciements par une master-class de Francis Huster pouvait être comprise comme de l'humour. Il était temps que les récompenses tombent pour réchauffer l'ambiance.  Ce fut Valentin de Carbonnières, qui reçut la première, le Molière de la Révélation masculine pour son rôle dans 7 morts sur ordonnance, d’après Jacques Rouffio et Georges Conchon, adaptation Anne Bourgeois et Francis Lombrail, mise en scène Anne Bourgeois. Il laissa éclater une joie immense en coulisses après avoir pensé à remercier aussi ... les techniciens, en clin d'oeil à ce qui venait de se passer.

dimanche 12 mai 2019

Kean de Dumas, adapté par Sartre et mis en scène par Alain Sachs

Je sors du Théâtre de l'Oeuvre où j'ai vu Kean, n'ayant pas été en France à sa création au Théâtre 14 il y a quelques semaines, et j'en suis enchantée à plus d'un titre, comme tout le monde, puisque la représentation s'est clôturée par une ovation debout.

C'est un spectacle très réussi. Ce manifeste en faveur du théâtre a été écrit pour célébrer des comédiens. Je serai heureuse qu'il reçoive un Molière, celui du théâtre public ... alors qu'il est repris dans un théâtre ... privé, ce qui serait la preuve éclatante que cette dichotomie est obsolète (même si les différences de financement existent, je ne les nie pas). Verdict demain soir au cours de la 31ème Nuit des Molières.

Les amateurs de rituels sont servis. On frappe les trois coups avant de lever le rideau. Les décors (de Sophie Jacob) sont modulables et efficaces, mis en place par les comédiens eux-mêmes, ce qui témoigne intelligemment que nous sommes toujours au théâtre et qu'il ne faudrait pas y confondre la fiction avec la réalité comme le faisait ce personnage de Kean qui se comporte dans sa vie comme s'il était encore sur scène.

Le comédien britannique Edmund Kean (1787-1833) fut considéré comme le plus grand acteur au monde au XIX° siècle, un peu à l'instar de Molière avant lui ou de Depardieu après, pour établir des comparaisons qui parleront au plus grand nombre en terme de talent. La pièce a été écrite en 1836 par Alexandre Dumas (le père) pour un acteur de son époque, Frédèrick Lemaître, alors que Jean-Paul Sartre l'adapte pour Pierre Brasseur en 1953.

Depuis, cette pièce n'a cessé d'attirer les plus grands comédiens, comme Jean-Claude Drouot, qui en signait aussi la mise en scène au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1983, et plus récemment Jean-Paul Belmondo. Je ne connais pas beaucoup Alexis Desseaux et après tout j'ai énormément apprécié de voir non pas un "numéro d'acteur" mais un acteur d'abord, c'est-à-dire quelqu'un qui sert son rôle et qui en quelque sorte s'efface derrière lui, et non le contraire comme c'est parfois le cas avec des têtes d'affiche.

La mise en abime est très réussie quand on songe que Alexis Desseaux joue un acteur (Kean) en train de jouer un rôle (celui d'Othello). Il est un Kean saisissant, nerveux, surprenant, parfois fragile et pourtant autant inattendu que peut l'être un Roberto Benigni quand il est au sommet de sa forme. Ce débauché, ivrogne et don juan, insolent de surcroit, deviendra au fil du temps plus homme que comédien.

jeudi 9 mai 2019

La fonction de l’orgasme de Didier Girauldon, Constance Larrieu et Jonathan Michel

La fonction de l'orgasme est un spectacle vraiment différent de ce qui est en général présenté au théâtre. La création a eu lieu il y a quatre ans et on se demande pourquoi on a attendu si longtemps pour le voir sur une scène parisienne.

Ce qui m'a surprise dans son annonce c'est le sous-titre de "vraie-fausse conférence scientifique" qui semble minimiser le travail accompli, tant du point de vue de la recherche, hyper documentée, de sa justesse (je ne pense pas qu'on puisse mettre quoique ce soit en doute) que sur le plan artistique, en réduisant la performance de la comédienne à une pseudo conférence.

C'est un moment de théâtre, de chant, de danse ... très complet que nous offre le trio composé de Didier Girauldon et Constance Larrieu avec Jonathan Michel.

La comédienne a relaté la genèse du projet au cours d'une rencontre (animée par le psychanalyste, grand amateur de théâtre, David Rofé-Sarfati) après la représentation. Elle voulait travailler sur les pièces de Sarah Kane mais changea d'avis lorsque son professeur de l'ERAC (Ecole Régionale d’Acteurs de Cannes) lui donna le livre de Wilhelm Reich, médecin et psychanalyste, précurseur des thérapies corporelles, élève puis dissident de Freud. Comme elle a eu raison!

Si le livre, paru en 1927 en Allemagne, a été censuré (il sera réédité en Amérique en 1942) la situation n'a pas considérablement évolué puisque la communication du spectacle a été censurée sur Facebook. On peut s'en étonner mais l'orgasme est redevenu un gros mot.

Cet ouvrage a de quoi passionner et Constance y voit très vite un sujet pour le théâtre. Elle va s'y atteler pendant des mois et, suivant la suggestion de Jonathan, filmera régulièrement son ressenti au fil de deux ans de recherche en noir et blanc, sous des angles peu flatteurs, dont on ne sait pas si c'est uniquement par pure maladresse même si elle dit n'avoir aucune compétence en la matière. Le résultat est en tout état de cause ... jouissif et il faut saluer le travail de montage, dont vous aurez un aperçu dans la bande-annonce qui mérite d'être vue, notamment pour l'extrait d'une des nombreuses interventions du Dr Pierre Desvaux. Lui a-t-on dit qu'il a des talents comiques manifestes ?



Le spectacle commence d'ailleurs, et c'est logique, par un morceau de cette vidéo dont la drôlerie détend l'atmosphère.
Intervient ensuite Constance Larrieu, dans un costume d'une couleur saumon très inhabituelle pour une conférencière, qui va nous disséquer les recherches de Reich en prenant la pose sur une estrade aux allures de canapé. Ses mimiques sont fort savoureuses. Le propos est néanmoins sérieux et aborde la composante politique de la sexualité comme on le fait rarement au théâtre.

C'est la première fois qu'elle se livre à un monologue. Sa forme, associant plusieurs médias, rend le spectacle polymorphe, sérieux, intelligent, et jouissif, ce qui est un minimum pour traiter un tel sujet.
La mise en scène est astucieuse, avec par exemple l'emploi de ballons noirs ou blancs qui évoquent les démonstrations que Reich faisaient en public avec des vessies de porc.

Si la comédienne a raison de pointer que les pratiques culinaires se sont améliorées avec la diffusion des épisodes de Top chef on pourrait souhaiter qu'elle ait sa part d'influence (positive) dans les pratiques visant à la recherche du plaisir. La séance de sophrologie orgastique qu'elle nous offre en anglais est un moment grandiose. Et le discours final, brandissant un néon comme un drapeau, est un morceau de bravoure exhortant à lutter pour le droit à une vie sexuelle heureuse.

Impossible de tout dire (et surtout Constance le fait mieux que quiconque) mais on peut déjà on peut déjà la remercier d’avoir lu pour nous le livre du psychanalyste, d'avoir repris et approfondi chaque élément de sa recherche et de l'avoir si bien ... digéré. Voilà un spectacle qui mérite la prescription thérapeutique !
La fonction de l’orgasme
Recherche théâtrale de Didier Girauldon, Constance Larrieu et Jonathan Michel
Sur une idée de Constance Larrieu
Inspirée par les écrits de Wilhelm Reich
Mise en scène de Didier Girauldon + Constance Larrieu
Avec Constance Larrieu
Collaboration artistique et vidéo Jonathan Michel
Création sonore et musicale David Bichindaritz
Lumières Stéphane Larose
Costumes Fanny Brouste et Hélène Chancerel
Au Théâtre de la Reine Blanche
Du 4 au 18 mai 2019 (relâche le 14 mai)

2 bis passage Ruelle - 75018 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Jonathan Michel (janvier 2015)

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