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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

lundi 9 septembre 2013

Chambre 2 de Julie Bonnie chez Belfond

Voilà un livre que je recommande sans limite. Dans la veine du Choeur des femmes de Martin Winckler, de Juste avant le bonheur d'Agnès Ledig, Prix 2013 de la Maison de la Presse et plus récemment de Avoir un corps de Brigitte Giraud.

Le corps et la maternité inspirent les auteurs. Chacun explore à sa manière, et dans son style, les moments particuliers qui touchent le corps à l'occasion de la maternité. D'ailleurs le premier est médecin, la seconde sage-femme et la troisième auxiliaire de puériculture. Tous connaissent cet univers de l'intérieur.
Une maternité. Chaque porte ouvre sur l'expérience singulière d'une femme tout juste accouchée. Sensible, vulnérable, Béatrice, qui travaille là, reçoit de plein fouet ces moments extrêmes.

Les chambres 2 et 4 ou encore 7 et 12 ravivent son passé de danseuse nue sillonnant les routes à la lumière des projecteurs et au son des violons. Ainsi réapparaissent Gabor, Paolo et d'autres encore, compagnons d'une vie à laquelle Béatrice a renoncé pour devenir normale. Jusqu'à ce qu'elle ne puisse plus supporter la violence du quotidien de l'hôpital.
Chambre 2 tient à la fois du témoignage et du roman. C'est ce qui fait qu'il est particulièrement réussi. Les jurés du Prix du Roman Fnac 2013 ne s'y sont pas trompés en le récompensant. Ce n'est que justice.

Les avis seront unanimes pour saluer ce premier roman. Certains d'entre vous croiront qu'il y a exagération dans la narration de scènes d'accouchement (formidablement bien écrits). Pour en avoir vécu deux je peux vous assurer que c'est pourtant époustouflant de réalisme. Chaque naissance est en fait un moment exceptionnel.

L'originalité du propos est de nous montrer l'hôpital au travers des yeux d'un membre du personnel. Et les phrases sonnent justes. Par exemple : j'ai l'impression d'être la seule à souffrir autant de ce manque de temps, la seule à me retrouver dans un état d'agitation maladive quand je vis des émotions aussi fortes. Contenir mes émotions, les laisser dans leur petit sac, là, juste à côté du foie, ne pas les laisser m'envahir, cela semble au-dessus de mes forces. (...) C'est quelque chose d'extrêmement important pour moi. Je veux être normale. Comme tout le monde. (p.19)

Elle le martèle : je ne meurs qu'à l'intérieur. A l'extérieur je suis normale. (p. 22)

Je ne suis pas Marilyn Monroe. Il me faut devenir normale. Comme ceux qui m'entourent. (p. 132)

Une maternité recèle ce qu'il y a de plus beau mais aussi un cortège de malheurs dont l'énoncé (p. 81) fait frissonner. Julie Bonnie dénonce les enjeux des transmissions au sein de l'équipe, le recadrage des accouchées plaintives (p. 136), les idées reçues comme celle qui voudrait que l'allaitement aille de soi (p. 112), les abus de pouvoir. Elle le fait en conjuguant violence et douceur, probablement parce que Béatrice, le personnage principal, est une femme avant d'être "une blouse blanche".

Béatrice confie sa vie antérieure de danseuse nue et nous découvrons progressivement les épreuves qu'elle a subies. Son courage et sa sensibilité forcent l'admiration. Nous avons envie de lui répondre que s'il y a bien quelqu'un de "normal" dans le livre c'est elle. Qu'il est logique qu'elle se sente seule et exténuée. Que se taire, oui, serait un meurtre de soi-même. (p. 162)

Il en existe dans les hôpitaux, des Béatrice, et des Francesca (p. 135) qui ne supportent ni l'injustice, ni l'hypocrisie. On pourrait faire un constat semblable dans les prisons et dans toutes les instances où l'humain est secoué.

Il faut lire le livre de Julie Bonnie parce qu'il est en fin de compte très vivifiant et formidablement intelligent.

Dans la "vraie" vie, l'auteure est auteur compositeur, chanteuse et violoniste. Elle s'est produite sur les scène des circuits alternatifs de l'ex-Allemagne de l'Est. Elle a fait les premières parties de Louise attaque, de Dyonisos et de Morphine. Son troisième album solo sort ira d'ici la fin de l'année.

Depuis neuf ans elle travaille (aussi) dans une maternité. Autant dire qu'entre Béatrice et elle les points communs sont nombreux. Elle aurait pu se limiter au cadre d'une autofiction mais c'est un vrai roman qu'elle a écrit et nous attendrons le prochain avec une certaine impatience.

Chambre 2 de Julie Bonnie chez Belfond, sortie en librairie le 29 août 2013
ISBN 9782714455796
Site de l'auteur : http://www.juliebbonnie.com

3 commentaires:

Delphine-Olympe a dit…

J'hésitais un peu à lire ce livre, qui touche à des questions si intimes qu'ils peuvent profondément nous ébranler. Mais à lire ton article, ça me donne envie de me lancer ! (Une fois que j'aurai terminé le pavé de Karine Tuil que je commence tout juste...)
A bientôt

dasola a dit…

Bonjour, je ne suis pas sûre que j'aurais donné le prix à ce roman mais pour un premier roman, c'est assez réussi même si l'écriture n'est pas exceptionnelle. Bonne soirée.

Stephie a dit…

J'ai bien aimé mais sans doute pas autant que toi ;)

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