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La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 31 décembre 2023

Pauline voyage de Marie Desplechin et François Roca

J'avais découvert quelques pages de Pauline voyage à l'occasion d'une invitation à La Maison des Histoires de l'Ecole des Loisirs il y a quelques mois. Marie Desplechin était accompagnée de François Roca qui avait croqué en direct le visage de la jeune fille qui raconte, dans sa correspondance à son père, les rebondissements qu'elle vit au cours d'une croisière assez spéciale.
Comme cadeau, Pauline avait demandé à son père, le riche Hubert Diamantis, un voyage avec lui. Le voilà qui envoie sa fille en croisière au Spitzberg avec Natalie ; son amie cantatrice... Pauline enrage. Pourtant, à bord, il y a aussi Astrid, la reine des Belges, et son petit Baudouin, 5 ans, le capitaine Ragnar, le mousse Jean-Baptiste… de quoi rendre la traversée captivante, édifiante, passionnante. 
L'autrice et l'illustrateur m'avaient embarquée ce soir là, c'est le cas de le dire, sur un transatlantique et j'avais très envie de lire l'album en entier. Mais il fallait attendre la parution officielle, en novembre dernier.
Pauline est une pré-ado qui écrit sans doute à la main sur un cahier. Il est donc logique que le titre figure sur la couverture en écriture cursive (terme équivalent de manuscrite). Logique, pour nous français car aux Etats-unis et en Angleterre on apprend seulement aux enfants à écrire en script, ce qui ralentit l’apprentissage de la lecture puisqu’il est plus difficile de distinguer les lettres des mots en script qu’en "attaché". Ce tout petit détail marque bien l’attention que l’Ecole des loisirs porte à la jeunesse. Et je suis fière de terminer l'année en publiant un article mettant en valeur un ouvrage de littérature jeunesse ancré dans le patrimoine.
L’album est recommandé pour les 7-9 ans mais vous dirais-je combien je me suis régalée alors que j’ai dépassé l’âge requis depuis longtemps ?

C’est que Marie Desplechin n’est pas une habituée des albums. Elle écrit plutôt pour les plus grands. Elle alterne depuis longtemps les parutions pour adultes et celles pour les enfants.

J’ai déjà lu et chroniqué trois de ses ouvrages publiés à l’Ecole des loisirs. Je rouvre régulièrement Enfances, coréalisé avec Claude Ponti.

L’illustrateur, François Roca est lui aussi davantage familier de lecteurs un peu plus âgés que 7 ans.  Leur collaboration s’est concrétisée grâce à l’insistance de leur éditrice, Véronique Girard, ce qui démontre l’intérêt de ce métier consistant en premier lieu à mettre en relation des artistes dont on pressent l’intérêt à travailler ensemble.

Ce qui les a rassemblés c’est la dimension aventureuse de l’histoire, se déroulant dans une nature grandiose, avec des personnages spectaculaires par leur allure, leur attitude ou leur costume. Ainsi Marie allait pouvoir broder un scénario palpitant et François concevoir des images belles comme des tableaux en multipliant les références et en jouant avec la lumière comme il aime le faire. 

C’est Marie qui lança le premier fil en se souvenant d’un voyage qu’elle a fait au Spizberg, en été, il y a quelques années, invitée par une amie. Le voyage en mer durait une dizaine de jours, et rassemblait des artistes et des scientifiques de différents pays européens. Ils naviguaient sur un bateau assez ancien, mené par un équipage norvégien, et descendaient à terre en canot tous les jours.

Elle pouvait s’inspirer de faits réels pour raconter l’aventure d’une héroïne qu'elle décida de doter d’un tempérament bien trempé  et qui ne soit pas contemporaine et qui corresponde aux univers de l’illustrateur. Avec l’avantage aussi que le passé, en acceptant la convention qui veut qu’on le trahisse, offre un écrin en or pour l’imagination. Il restait à François de montrer une nature grandiose où évolueraient des personnages dont les caractères devaient transparaitre au premier coup d'oeil.

Je ne vais pas vous imposer une analyse littéraire mais j'ai tout de même envie de pointer quelques éléments pour apporter une dimension supplémentaire à cette lecture.

Le bleu domine sur la première de couverture, là encore en cohérence avec le thème marin. Mais il se trouve que c’est la couleur préférée des Européens et même des Occidentaux. Elle fut longtemps absente de l’iconographie car elle était difficile à fabriquer et à maîtriser (on me l’a rappelé au cours de la visite du musée de Jouy-en-Josas). Tout commença à changer à partir du XII° siècle avec un bouleversement des mentalités religieuses. En devenant un dieu de lumière, le dieu des Chrétiens devait être représenté avec la couleur de la lumière, le bleu, qui se traduit sur la robe de la Vierge et sur les vitraux.

Pour répondre à la demande, les teinturiers vont devoir trouver de nouveaux procédés et fabriqueront des bleus magnifiques. Pour la première fois, on voit sur les tableaux des ciels peints en bleu. De plus, à cette époque, apparaissent les noms de famille mais aussi les armoiries, les insignes de fonction... et les trois couleurs traditionnelles de base (blanc, rouge et noir) limitent jusqu'alors les combinaisons possibles. On va donc faire appel au bleu qui, associé au jaune permettra d'obtenir des verts.

Certaines combinaisons de bleu ont des noms particuliers. Comme le turquoise, l'outremer, le Majorelle (couleur chère à Yves Saint-Laurent), le marine (faisant référence aux tenues des marins de la Royal Navy), le bleu canard (intermédiaire entre le bleu et le vert, se référant à certaines plumes de cet oiseau) et bien sûr le bleu de Prusse dont le pigment fut découvert … en Prusse et qui est la couleur retenue pour la robe de Pauline. Car on retrouve beaucoup de nuances différentes dans l'album.

Et c’est une couleur qui est régulièrement le sujet d’ouvrages de l’Ecole des loisirs si on pense au philosophique Petit-Bleu et Petit-Jaune, de Leo Lionni, au Chien Bleu, de Nadja, Le nuage bleu, de Tomi Ungerer, le si classique Magicien des couleurs, de Arnold Lobel, et plus récemment Jan le petit peintre, de Jean-Luc Englebert, qui avait été présenté l’année dernière lors d’une flânerie littéraire.

L’auteure fait preuve d’humour en donnant au bateau le nom de La Reine Astrid puisque cette personnalité voyage à bord. Ce n’est pas aberrant. Le Queen Mary qui reliait l’Europe aux États-Unis, tout comme le Queen Elisabeth portaient des noms de reines. Et en Belgique, le nom de Léopold Ier fut donné à un navire de guerre. D’un point de vue légal, chaque vaisseau possède un nom afin d’être identifié en cas d’urgence ou pour des raisons administratives.

On peut rappeler qu’il existe une raison plus ancienne, et qui relève de la tradition: pour les marins, de baptiser le bateau parce qu’il a une âme. On jette symboliquement une bouteille de vin ou de champagne contre la coque afin que la bouteille se brise et que son contenu s’y répande. Cette pratique a pour objectif de porter chance et de s’assurer un bon voyage. Si la bouteille ne se casse pas ou si le bateau n’est pas baptisé, il risque d’arriver un malheur lors d’une traversée. Pour information, le Titanic n’était pas baptisé...

Le père de Pauline croit-il que l’âme du transatlantique aura un effet bénéfique sur la relation entre Pauline et Natalie dont on pressent dès le début qu’elle est importante pour lui. Beaucoup de choses se devinent à partir d’indices que Marie sème comme des petits cailloux blancs. Le lecteur reconstituera les pièces du puzzle familial au fur et à mesure du journal de bord de la petite fille dont le comportement va évoluer au contact des différents personnages. Ce voyage devient une leçon de vie.

En toile de fond nous voyageons avec le futur roi Baudouin et sa mère, la reine Astrid qui ont tous deux existé, et qui ont été des roi et reine belges. Étant d’une famille tout au Nord de la France, Marie s’est rendu régulièrement en Belgique, pour les vacances, les réunions familiales, les dimanches à la mer. Elle a pour ce pays un très grand attachement.

Comme l’histoire de Pauline est une histoire du Nord, il était évident et amusant de la commencer en évoquant des lieux et des noms qu’elle connaissait. Et justement, quand elle était petite, le roi de Belgique s’appelait Baudouin, un nom dont on imagine combien il semble exotique pour un enfant. Sa mère, la Reine Astrid, fut l’épouse de Léopold III et la mère de Baudouin Ier.  

Elle a été une reine jeune, belle, élégante et très aimée au destin tragique, dont le décès a représenté un traumatisme qui a marqué le pays tout entier. Elle est morte jeune dans un accident de voiture en 1935, à l’âge de 29 ans. Baudouin en avait 5. Il deviendra roi en 1951 et règnera pendant 42 ans.

Le lecteur pourra s’intéresser au contexte politique car la Belgique – contrairement à la France actuelle qui est une république – est une monarchie parlementaire. Et qui sait, prolonger sa lecture en se plongeant dans la dynastie des rois belges.

Un des points forts de l’album est aussi de nous rappeler combien les relations entre adultes et enfants étaient différentes au siècle dernier. Et combien la vie sur un bateau n’était pas du tout celle qu’on pourrait connaître aujourd’hui sur un paquebot de croisière.

Pauline voyage de Marie Desplechin et François Roca, collection Album de l'Ecole des loisirs, en librairie depuis le 8 novembre 2023

samedi 30 décembre 2023

Visite du Musée Carnavalet

Si vous avez envie de fédérer vos amis et/ou votre famille en les entrainant dans un musée passionnant je vous conseille le musée Carnavalet même s'il est immense et qu'il sera impossible de tout voir en une seule visite.

La muséographie a été entièrement revue après 4 ans de rénovation. On peut de nouveau le visiter depuis 2021. Et il a bien changé depuis ma visite de février 2016.

C'est "le" bon plan car les collections permanentes du musée sont gratuites et en accès libre, sans réservation. Vous pourrez entraîner avec vous des personnes qui ne sont pas fans d’expositions et de musées en leur promettant de vite repartir s’ils ne s’y sentent pas à l’aise. Et vous aurez du même coup fait une promenade digestive après les ripailles des fêtes de fin d'année.

Le musé Carnavalet est LE musée historique de Paris depuis l’archéologie jusqu’à presque nos jours. J'ai focalisé mon regard sur certaines pièces et contrairement à ce que j'ai fait pour le musée de la toile de Jouy (que je recommande très fortement) je ne vais pas beaucoup détailler le parcours, quitte à reprendre l'article ultérieurement.

Dans la cour, se dresse encore une statue de Louis XIV en pied qui est l'une des rares effigies monumentales du Roi-Soleil à avoir échappé aux destructions révolutionnaires.
La rue des enseignes reste émouvante. Il faut se rappeler qu’au Moyen-Age ces plaques et objets ne servaient pas seulement à indiquer le métier de l’artisan mais aussi à se repérer pour se rendre chez quelqu’un car les maisons n’étaient pas encore numérotées. Elles constituaient des repères visuels fort utiles. Et au XIX° elles participaient à colorer les rues bien plus qu’on ne se l’imagine à partir des photos en noir en blanc.
Peintes, sculptées, forgées ou émaillées (comme ci-dessus La Bonne Renommée), les enseignes peuvent être en bois, pierre, plomb, fer, céramique et même … en toile. Leurs formes sont variées, souvent inspirées par le message que l'on souhaite porter. Certaines comme la paire de ciseaux est facile à décrypter. D'autres se présentent sous forme de devinette ou de rébus.
L'enseigne-instrument de travail d'un marchand de "coco" est une des plus impressionnantes. Elle est en tôle de fer peinte, avec miroir, et des décors appliqués en alliage cuivreux. Elle était installée boulevard du Temple entre 1810 et 1830. Le coco est une boisson rafraichissante à base de réglisse et de citron additionnés d'eau.
Quant aux noms des rues, ils étaient parfois inscrits sur des plaques mais celles-ci ne sont devenues obligatoires à Paris qu'à partir du 30 juillet 1729.
Les affiches sur le thème des économies se multiplièrent pendant la Guerre. Elles incitaient à économiser le gaz, le pétrole, l'essence mais aussi à cultiver son potager. Le commanditaire est l'administration municipale de la capitale qui organise la propagande et la mobilisation sous la forme d'un concours de dessins sur le thème des économies. La plupart des "enfants" mis à contribution sont en fait des adolescents qui poursuivent leur scolarité au-delà du certificat d'études au sein des écoles primaires supérieures de la ville.
La Belle Epoque revit grâce aux décors particulièrement remarquables de la bijouterie de Georges Fouquet (1862-1957), située initialement située au 6 de la rue Royale, entre la place de la Concorde et la Madeleine et qui est tout à fait représentative du style Art Nouveau.

Le visiteur peut entrer dans la boutique et apprécier la beauté du moindre détail mais aussi sa fonctionnalité. Car les adeptes de l'Art Nouveau étaient autant soucieux de praticité que d'esthétisme. C'est le Tchèque Alfons Mucha (1860-1939), célèbre aussi notamment pour ses portraits de l'actrice Sarah Bernhardt, qui concevra les motifs floraux, tracera les lignes courbes et élégantes, la silhouette féminine qui est apposée sur la devanture, imaginera le mobilier, les mosaïques, les luminaires, les vitraux.

Créé en 1901 ce fabuleux décor sera démonté en 1923, et donné au musée Carnavalet par Georges Fouquet lui-même.
Gertrude Stein, une célèbre américaine venue vivre à Paris au début du XX° siècle travaillait sur cette table très simple. La reconstitution de son bureau permet de se rendre compte du cadre de vie de celle qui avait une influence très grande dans le monde de l'art puisque ses livres, et sa collection d'oeuvres, ont permis à des artistes comme Pablo Picasso ou Henri Matisse de se faire connaitre.
La chambre de Marcel Proust est un morceau de notre patrimoine littéraire. J’espère que son dos s’appuyait sur de gros oreillers quand il a écrit À la recherche dans ce lit dont la tête de cuivre semble inconfortable. Ce serait pour moi un supplice. Surtout quand on sait que l'oeuvre est composée de 7 tomes.
Les enfants sont sollicités par le musée pour dessiner et écrire des cartels évocateurs. Le jeune Baptiste a perçu ce lit comme une sorte de paradis.
Voici le portrait de Juliette Gréco (1927-2020), qu’on dirait être la grande soeur de Sophie Calle, la représentant au 26 ème gala de l'Union des artistes le 3 mars 1956, par Robert Humblot (1907-1962).
On apprend que la chanteuse était née à Montpellier, de parents séparés, et qu'elle a été élevée pat ses grands-parents maternels à Bordeaux. A leur décès en 1933 elle part vivre chez sa mère à Paris avec sa soeur ainée. En 1939, à 12 ans, elle est danseuse, "petit rat" à l'opéra Garnier.

Sa mère et sa soeur seront arrêtées et déportées pendant la Guerre. Elle se réfugiera chez la comédienne Hélène Duc à Saint-Germain-des-prés. Elle découvrira la vie artistique et intellectuelle bouillonnante des existentialistes dans les cafés du quartier et deviendra la muse de plusieurs artistes. Elle rencontre Jean-Paul Sartre, Boris Vian, Miles Davis (qu'elle failli épouser). Puis elle commencera à chanter, et ne s'arrêtera que lorsqu'elle fera une tournée d'adieux en 2015-2016.

Cet aperçu est mince par rapport à l'immensité des collections; A chacun d'y suivre le parcours qui le mènera aux oeuvres qui le toucheront le plus. 

Musée Carnavalet  - 23 rue de Sévigné - 75003 Paris
Ouvert de 10 à 18 heures tous les jurs sauf lundi

vendredi 29 décembre 2023

Vivre vite de Brigitte Giraud

Avec un an de retard, mais j’aime bien m’autoriser ce temps de recul, je découvre Vivre vite, Prix Goncourt 2022 alors que vient d’être remis le Prix 2023 à un autre auteur que je connais aussi, Jean-Baptiste Andrea, et que je lirai bien évidemment, mais j'ignore quand.

Il me semble me souvenir qu'il y a eu un brin de polémique à propos des critères qui permettent de décider qui mérite "vraiment"  un prix. Je ne me souviens plus très bien. Mais la question de savoir ce que c'est qu'un "bon" livre est de toute façon récurrente, en l'occurrence aussi ce qu’est un livre éligible au Goncourt.

C’est peut-être en fin de compte un ouvrage sur lequel on s’arrête sans cesse, dans lequel on revient en arrière, qui nous fait réfléchir, qui, à l'instar d'un faisceau lumineux renvoyé par la surface d'un fleuve, nous incite à voir les choses sous un autre angle. Un livre dont on voudrait que l’auteur sonne chez nous, là, maintenant, et nous dise : me voilà, asseyons-nous et causons.

Un livre qu'on referme après y avoir glissé tous les morceaux de papier disponibles en guise de marque-pages. Dont on voudrait se souvenir de tout. A propos duquel on se dit mais oui, moi aussi

Et pourtant mon mari ne m’a pas été arraché le 22 juin 1999.
Vingt ans après l'accident qui a couté la vie à son époux, Brigitte Giraud sonde une dernière fois les questions restées sans réponse. Hasard, destin, coïncidences ? Elle revient sur ces journées qui s’étaient emballées en une suite de dérèglements imprévisibles jusqu’à produire l’inéluctable. À ce point électrisé par la perspective du déménagement, à ce point pressé de commencer les travaux de rénovation, le couple en avait oublié que vivre était dangereux. A travers l’enquête qu'elle mène dans les moindres détails elle ranime miraculeusement la vie de Claude, et la leur.
J'ai entendu toute mon enfance mon grand-père s'énerver à propos de ce conditionnel. Et répéter qu’avec des "si" on mettrait Paris en bouteille, signifiant par là qu’il faut se garder de vouloir refaire le monde.

Brigitte Giraud fait tout le contraire en énonçant seize "Si" (p. 21) dont un seul aurait suffi à inverser le cours de l'histoire. Elle ne les hiérarchise pas. Certains sont apparemment futiles et pourtant si justes comme celle-ci : si ce mardi matin avait été pluvieux (p. 138).  Mais il y a tout de même un motif qui pèse plus lourd que les autres, pourquoi la Honda 900 CBR Fireblade (Lame de feu), fleuron de l'industrie japonaise, interdite au Japon parce que jugée trop dangereuse pour les nippons, était autorisée à l'exportation en Europe où elle a d'ailleurs fait des ravages ? Elle y consacre un chapitre entier (p. 107).

Je reviens sur la litanie des "si" qui m'a obsédée pendant toutes ces années. Et qui a fait de mon existence une réalité au conditionnel passé (p. 22).

Ce qui est parfaitement formulé, c'est la promptitude de tout un chacun à vouloir comprendre l’enchaînement qui a fait que soudain le drame n'arrive pas qu'aux autres mais vous touche de plein fouet alors qu'on se croyait unique et immortel.(…) On devient le spécialiste du cause à effet.

Le récit est ponctué de "il est probable". Elle avoue souvent ne plus pouvoir rien affirmer avec certitude. Mais l'essentiel y est, on le devine, on en est certain.

Ce qui est très fort c'est qu'effectivement le temps joue son rôle. Il y a des catastrophes qui sont devenues évitables parce que la technologie a progressé. On en a un exemple page 82 : j'allais demander si je pouvais téléphoner, j'attendrais qu'il soit vingt-et-une heures trente, puisqu'à l'époque, vous vous en souvenez, à l'époque le téléphone coutait cher, il y avait des zones de tarification, des horaires, un protocole qui rendait la vie parfois stupide, comme celui d'attendre près de l'appareil qu'on vous appelle, qu'une administration vous rappelle, que (…)
Lève-toi et appelle.
Il est encore temps d'empêcher ce qui va arriver.

On peut bien dire que les réseaux sont une catastrophe, mais il est vrai que le smartphone a bigrement changé nos vies. Il me semble qu'il présente plus d'avantages que d'inconvénients. On peut effectivement penser que si elle avait eu un téléphone portable les choses se seraient déroulées autrement, ce qui ne signifie pas que son mari n'aurait pas eu un "autre" accident.

Elle exhume les a priori de l'époque (chaque période en a) sur par exemple les complexes des couples hétéronormés. A propos de cette époque encore plus ancienne où jamais un père n'allait chercher son enfant à l'école, même s'il en avait le temps. C'était en quelque sorte la chasse gardée des mères (p. 96). Elle nous rappelle aussi qu'avant Internet les seuls supports d'écoute de musique étaient le CD et le disque vinyle, et comment nous dupliquions les cassettes (p. 147).

Ce qui est également très puissant pour nous accrocher, c’est l'emploi récurent du vous s'adressant à nous, la communauté de lecteurs. On est embarqué par sa formule vous vous en souvenez, placée après l’invocation d’un détail historique.

Comme d’ailleurs les citations musicales qui, bien entendu, nous rappellent des moments de notre propre vie. C’est Cat power et le morceau Moon Pix (p. 83), Les Gymnopédies de Satie jouées par les voisins (p. 84), Don't Panic de Coldplay et Dirge de Death in Vegas (deux titres qui après-coup me semblent prémonitoires) repris quelques mois plus tard pour la pub de Levi's (p. 146), Dirge qu'elle nous dit (p. 153) avoir écouté en boucle pendant des mois ensuite :
Je connais chaque seconde de ce chant lancinant qui commence avec des guitares et une voix féminine, puis absorbe doucement la rythmique, se déploie Avec l'entrée d'un synthé distordu, monte d'un cran quand une guitare un peu sale fait son apparition, soutenue par une batterie qui passe presque au premier plan. (…) des nappes qui viennent intensifier ces quelques notes répétitives (fan mi, ré, fa do, ré), avec une intensité impossible à interrompre, met au défi quiconque de shunter.
Son mari, Claude, critique musical, regrettait qu’il soit impossible d'écrire sur la musique (p. 154) mais Brigitte s’en sort très bien. Elle se souvient particulièrement du premier album de Dominique A. La Fossette avec le morceau Le courage des oiseaux (p. 149). Sait-elle que ce qui a été raconté à propos du contexte de la conception de ce titre est purement "fake" ? Le chanteur ne l’a pas écrit pour sublimer un chagrin d’amour mais il n'empêche que le texte est d’une grande justesse.

Claude tapait sur une bouteille avec un couteau pour parvenir à l'effet de verre cassé qu'Iggy Pop utilisait en guise de rythmique sur I wanna be your dog (p. 177). Il y a aussi Should I stay or should I go des Clash (p. 179), Pardon de Denis R, musicien (p. 189) et puis bien sûr Perfect Day de Lou Reed.

Brigitte Giraud avait déjà écrit sur la mort de son mari, dans A présent en 2001.Vivre vite n'est pas franchement sur la résilience.  On devine qu’elle n’acceptera jamais cette mort et que le deuil complet lui sera impossible mais elle le sublime admirablement, et avec dignité, sans nous tirer les larmes, et même au contraire, en nous incluant dans sa bulle. C'est un roman suintant d’amour qui donne du sens même à la douleur.

Et surtout elle fait drôlement joliment revivre Claude dont on suit la journée avec quasiment un certain suspense car on se projette comme si on était dans l'histoire. J'ai même repensé à des situations où les "si" ont penché pour moi du bon côté. Comme ce soir des attentats du 15 novembre 2015 où, parce que j'ai refusé d'aller retrouver un ami au restaurant Le Petit Cambodge, j'ai eu la vie sauve (et lui aussi car il n'y est finalement pas allé). 

Vivre vite de Brigitte Giraud, Flammarion, en librairie depuis le 24 août 2022

jeudi 28 décembre 2023

Visite du Musée de la toile de Jouy

Connaissez-vous le Musée de la toile de Jouy à Jouy-en-Josas ? 

Voilà un lieu passionnant et qui fourmille d’activités. Deux expositions temporaires s’ajoutent en ce moment au parcours permanent, lequel est complété par les salles historiques du rez-de-chaussée qui, dès la moquette sont un bijou.

Je vous préviens : il faut compter trois bonnes heures pour tout voir et vous pourrez venir plusieurs fois. Je suis certaine que vous en apprendrez chaque fois davantage.

Je n'ai pas l'ambition d'être exhaustive dans cet article qui aurait mérité d'être découpé en plusieurs publiés à quelques jours d'intervalle (ce que le calendrier ne permettait pas) mais je vais malgré tout en dire le plus possible, sachant qu'il n'est pas obligatoire de tout lire d'une seule traite :
  • Sur l'exposition capsule Paul et Virginie,
  • Sur le parcours historique,
  • Et sur l'exposition Motifs d'artistes.
Pour la première fois, ce musée met en place une médiation adaptée aux enfants avec cartel simplifié et livret-jeux. Des ateliers, des conférences, des visites sont proposés à tous les publics autour de la thématique du design textile et la programmation est à retrouver sur le site.

Renseignez-vous aussi à propos de la 5ème édition du Prix Toile De Jouy ouvert aux étudiants et aux créateurs professionnels en activité en partenariat avec le Campus de Versailles, avec une dotation de 1000 € pour chaque lauréat de chaque catégorie. Dépôt des dossiers : Du 30 janvier au 6 février 2024 à 18h. Remise des prix :  Jeudi 21 mars 2024 au Campus de Versailles (Grandes écuries du Roi à Versailles).

Et vous pouvez aussi devenir acteur des JO 2024 en créant votre propre Toile de Jouy aux motifs de l'Olympisme. Dépôt des dossiers au musée accompagné des fiches d’inscription avant le 30 avril 2024.

Le musée est vous allez le constater si vous ne le connaissez pas, un lieu extrêmement vivant et dynamique. Il occupe l’ancienne manufacture qui fut un temps royale et qui connut à peu près un siècle de grande gloire. La "toile de Jouy"  aura survécu à la fermeture puisque le terme, qui ne fut pas déposé (ce sont les soyeux qui instaureront les droits fin XVIII°), désigne toute toile qui comporte des personnages. Et surtout parce que ce style continue d’inspirer des designers contemporains.

Evidemment il faudra faire un effort s'imagination pour se représenter ce qu'était alors la manufacture, comme cette peinture en rappelle l'importance. Chaque détail compte y compris bien entendu la toile (ou le papier tendu sur les murs.

On pourrait s’étonner aujourd’hui de l’implantation choisie par le fondateur Christophe-Philippe Oberkampf et pourtant s’installer à Jouy était fort judicieux. Il pouvait y profiter des qualités physico-chimiques des eaux de la Bièvre pour son industrie fort consommatrice en eau courante. Il disposait de grandes superficies sur lesquelles étendre les toiles à des fins de blanchiment. Et, tout autant important, il était proche de ses meilleurs clients, qui vivaient à la Cour de Versailles.

Ajoutons un savoir-faire exemplaire, un esprit entrepreneurial hors du commun, et on comprendra l’immense succès de cette entreprise dont les motifs sont toujours d’actualité. Il suffit pour s’en convaincre de parcourir les salles de la boutique, remarquables dans le choix des impressions, les coupes et les assemblages sur des produits et objets tous réalisés en France. On y tient et on a raison. On y trouve beaucoup d’objets très différents, et pas seulement dans l’univers textile. Il y a même du chocolat. Mais, bien entendu, on peut aussi acheter du tissu au mètre et réaliser ses propres créations.
J’ai visité l’ensemble seule puis j’ai suivi la visite guidée qui, sauf exception, a lieu à 15 h 30 le deuxième dimanche de chaque mois et que je recommande fortement. Je vous incite d’ailleurs à réserver en ligne car la demande est forte. Nous étions plus de trente personnes aujourd’hui.

mercredi 27 décembre 2023

Mexique, les meilleures recettes de Mercedes Ahumada

J’étais impatiente de découvrir Mexique, le livre de recettes de Mercedes Ahumada que j’ai offert à une amie avec qui je voulais partager mon amour pour la cuisine mexicaine.

Cet ouvrage est joliment illustré, avec beaucoup de couleurs, tout à fait dans l’esprit de ce que l’on voit au Mexique. Comme Mercedes a eu raison d’ajouter une contextualisation parce que la cuisine mexicaine ce n’est pas seulement des recettes, mais tout un pan de la culture, je devrais même dire de toutes les cultures de cet immense territoire.

Il faut du temps pour en comprendre le sens. Il me semble qu’il n’y a que sur place qu’on peut réellement en mesurer toutes les dimensions. Mais du moins ce livre en permet une approche. Voilà pourquoi il ne faudra pas vous étonner si la première recette apparaît loin (p. 74).

Auparavant, vous aurez appris l’essentiel sur l’histoire de la cuisine, quels sont les ingrédients, les ustensiles (le pilon est un indispensable absolu, les autres sont substituables),  À la fin, elle donne la liste des meilleures adresses parce que si vous ne pouvez pas obtenir les produits ce livre sera une torture.

Et si vous avez le moindre doute sur vos compétences, commencez par déguster la cuisine qu'elle prépare avec passion et savoir-faire dans son restaurant, Chicahualco, 77 rue de la Condamine, 75017 Paris.
Les recettes sont représentatives des plats les plus consommés comme la Cochinita pibil (p. 102) qui est un délice du Yucatan que Mercedes prépare en tacos mais que l'on peut aussi manger à l'assiette avec des tortillas (ci-dessus) , la Bacalao de la Navidad (p. 120) dont je me suis régalée à chaque Noël passé au Mexique, les incontournables Tamales (p. 132-154) en version salée et sucrée, que je me suis risquée à cuire en France dans le panier de ma cocotte minute, avec les ingrédients rapportés dans ma valise.
Également le Chile en Nogada (p. 116) qui est un plat de Puebla qu’elle réussit à merveille et qu'il lui arrive de décliner, comme ci-dessous, il y a plus de cinq ans à l'occasion d'une édition du festival Que gusto !
On s'étonnera peut-être de trouver la marche à suivre pour faire du chorizo (p. 82) mais cette charcuterie étant présente dans de multiples recettes elle a eu grandement raison de l'inclure. Comme bien entendu le nopal, qui est le nom du cactus (presque  en goût à nos haricots verts) et le huitlacoche, champignon parasite du maïs que j'ai mangé pour la première fois dans la réserve du papillon Monarque, à Ocampo.
Et en dessert le must de toute pâtisserie, à savoir le gâteau aux trois laits (p. 164) qui est assez clivant : on l’aime ou on ne l’aime pas.

On trouvera aussi des plats familiaux et c'est comme si l'auteure nous avait accueillis chez elle, selon l'adage que j'ai si souvent entendu au cours de mes voyages : Mi casa es tu casa (Chez moi, c'est chez toi).

Côté boissons elle nous explique comment préparer le Café de Olla auquel je faisais référence en racontant un Dîner comme à Vera Cruz et surtout l’Agua de Horchata dont je raffole et que je ne savais pas comment obtenir.

mardi 26 décembre 2023

Panorama de Lilia Hassaine

Je ne suis pas une grand fan de distopie. J'ai malgré tout tenté d'entrer dans Panorama de Lilia Hassaine.

J'étais séduite par le propos de prendre le contrepied du principe de la présomption d'innocence en imaginant une société utopique où, si on se basant sur le principe que si on n'a rien à se reprocher on n'a donc rien à cacher. Et nous voilà transportés dans un monde où la Transparence est une religion (p. 27).

L'univers est ultra-sécurisé puisque la surveillance y est permanente. Pourtant une fille disparait et cet incident qui n'est pas un simple fait divers va devenir l’expression soudaine d’une violence qu’on croyait endormie.

Il est évident (et appréciable) que ce roman nous amène à nous poser des questions sur ce que nous acceptons. L'auteure a les mots justes pour alerter sur des dérives qui seront peut-être la réalité d'un futur immédiat. Elle a des formules justes. par exemple en notant que le like est l'équivalent numérique de la croquette pour chiens (p. 55).

Il n'empêche que j'ai eu beaucoup de mal à aller jusqu'au bout de ce roman dont je devinais trop bien que nous n'étions pas dans le meilleur des mondes. Je suis néanmoins ravie qu'il ait obtenu le Prix Renaudot des lycéens.

Panorama de Lilia Hassaine
Collection Blanche, Gallimard, en librairie depuis le 17 août 2023
Liste des livres sélectionnés pour le Prix des Lecteurs d'Antony : 

lundi 25 décembre 2023

Orchestra Baobab au Trianon

Le vendredi 22 décembre, la très belle salle du Trianon, à l’histoire chargée de références prestigieuses était pleine pour accueillir comme il se doit le mythique Orchestra Baobab.

Inévitablement, le concert proprement dit commença avec plus d'une heure de retard sur l'horaire indiqué mais c'était la garantie d'être assise là où je le souhaitais. La salle est très belle mais les réglages n'ont pas permis de bien distinguer les paroles des chansons, ni le nom des musiciens. Qu'on me pardonne donc de ne pas tous les citer.

L'important c'était d'être ensemble à partager un bon moment, avec des passionnés et des musiciens qui appartiennent à l'un des derniers orchestres d'Afrique de l'Ouest encore en activité et en tournée.

J'imagine que les spectateurs qui les suivent depuis des années étaient dans leur élément. Ils chantaient, dansaient au rythme des musiques dont certaines étaient des morceaux phares du groupe. Pour moi qui m'attendais à une sorte de Buena Vista Social Club africain, et dont les oreilles avaient été enchantées par le titre enregistré pour le cinquantième anniversaire que voici, il y eut un effet de surprise car la soirée s'est déroulée dans une toute autre ambiance :

dimanche 24 décembre 2023

L’aimante de Fabienne Pascaud

Je l'ai toujours vue en noir et or, avec des bracelets et de lourdes boucles d'oreilles. J'avais avec Fabienne Pascaud des relations professionnelles, remontant à l'époque où je travaillais dans un théâtre national. Je savais très peu de choses de sa vie privée, juste qu'elle avait deux garçons, et dont j'avais compris qu'elle tenait à ce que son intimité reste secrète et tout le monde respectait sa volonté.

Elle s'en explique par la force des choses. Par amour de l’essentiel présent du théâtre, j’ai façonné ma mémoire à la perte (…) L’amnésie était la garantie de mon plaisir et de mon métier. Elle a envahi ma vie ( p.174).

L'effet de surprise fut immense quand j'appris qu'elle avait décidé de lever les voiles du mystère. Il le fut d'autant plus que je réalisais soudain l'ampleur de l'épreuve qu'elle traversait, après avoir vécu une longue période heureuse, comme on souhaite tous en vivre et qui ferait un superbe scénario  de film romantique.

Je ne me suis pas précipitée pour autant sur L'aimante, retenue par une sorte de pudeur. Je ne l'ai lu que "tranquillement" ces jours-ci et j'ai été très émue. 

Son roman est servi par une belle écriture. Ce n'est pas surprenant. C'est son métier. Mais il y a de la marge entre écrire des critiques de spectacles et relater l'essentiel de la sienne, sans en faire un drame, alors qu'on dispose du matériau pour.

Le titre est bien entendu magnifique. C'est tellement plus élégant de se considérer comme une aimante que comme une amante ! J’ai surpris deux fois le verbe s’aimanter qui lui aussi est polyphonique. Après avoir partagé la vie d'un musicien, rien de plus normal que d'être sensible à la sonorité des mots.

Nous sommes, Fabienne et moi, de la même génération. Nous nous sommes heurtées à semblables préjugés, à des murs. Elle a su les fracasser, moi pas. Par cette lecture, ces confidences offertes, j’ai compris à côté de quoi je suis passée, ce que j’ai laissé échapper. Je n’avais pas le coeur autant aguerri. Mais il en fut ainsi et je n'en ai aucune amertume. Je n'ai pas été habituée à d'énormes bouquets de roses rouges mais j'ai comme elle le bonheur d'avoir deux beaux enfants.

Nous avons toutes deux été épargnées par la non-existence des portables et des sms qui, s'ils peuvent présenter des avantages indéniables, sont aussi des entraves. Comme elle a raison de louer le repos, la paix et la liberté sentimentale des années 1980 (p. 116) !

Elle partage désormais au grand jour une vie de secret, celui de son amour, celui de l'identité du père de son enfant, celui aussi de la maladie de son conjoint. Elle en parle sans masquer une réalité difficile tout en parvenant à glisser des traits d'humour en le citant : Le miracle de ma maladie c’est que, grâce à elle, je redécouvre tout constamment. C’est magnifique, ça n’a pas de prix (p. 39). Ses confidences sont empreintes d'une dignité hors du commun et pleinement admirable, d'autant qu'on comprend que le prix à payer fut de solitude, mais quelle liberté !

On la croit totalement quand elle nous dit adorer un métier qu’elle exerce avec endurance, une force de résistance hors du commun, le goût des choses bien faites qui parfois, laissent croire -à tort- que c’est par goût du pouvoir. Comme elle a dû en heurter des personnalités qui ne la voyaient pas solitaire et sauvage, inintéressée par les mondanités, ne se réjouissant que d’aller au théâtre, à des concerts, de lire ou de voir une exposition " (p. 87) puisque seul comptait le magazine, pas elle. Je la comprends à 100%.

Comme elle doit être aujourd'hui amère la consœur journaliste, qu’elle croyait amie, (p. 135) à qui elle avait avoué qu’elle élevait seule son enfant, qu’elle avait eue avec un homme marié, et qui, devinant de qui il s’agissai,t s’empressa de faire la commère auprès de sa femme à qui elle était liée. S’ensuivit la proposition folle et insensée d’adopter son fils, fort heureusement rejetée par Fabienne.

Outre la qualité de la plume, comme je l'ai dit précédemment, j'ai ressenti une forme de bonheur à chaque surgissement de noms de grands metteurs en scène que j’ai personnellement connus, et avec qui j’ai travaillé. J’avais revue Fabienne à la Coupole en 2016 à l'occasion de la remise d'un prix littéraire. Nous devions nous revoir, et puis le temps a passé. Je n'ai pas osé la recontacter. C'est elle qui est revenue vers moi avec ce magnifique roman.

L’aimante de Fabienne Pascaud, Stock, janvier 2023

samedi 23 décembre 2023

Comment accorder le Corbières AOC Héritage de Bonnafous Blanc 2021

Accorder un Corbières blanc AOC avec un plat est un joli défi que j'ai beaucoup aimé relever parce que ce vin aromatique pouvait autant s'associer avec une viande qu'avec un poisson et même un dessert.

Je l’avais repéré et goûté à Vinexpo. Comme je le pressentais ce Corbières Héritage de Bonnafous Blanc 2021 a été parfait pour accompagner un filet mignon mariné aux herbes et aux champignons, servi avec des haricots vapeur et un beurre ailé et persillé.

Ce vin sec fut superbe sur un Roquefort alors qu'on le verrait plutôt sur un Pélardon, du comté ou un gruyère Suisse. Je l'ai trouvé noble sur une tarte amandine aux poires.

Un autre jour, il souligna admirablement les saveurs d'un Navarin de poissons et intéressant sur une bûche au marron et à la vanille.

En effet, puissant et expressif, il développe une harmonie gustative dans laquelle le floral côtoie le minéral. Les arômes de fleurs blanches et d’agrumes se marient parfaitement au boisé fin. La chair enrobée dévoile une belle amplitude et une grande profondeur avec un boisé frais et fondu. Cette cuvée a donc de quoi séduire par sa pureté de ligne et le scintillant de ses arômes. Et qui plus est, pour un coût très raisonnable de 9,90€.
Il résulte d'un assemblage de Grenache blanc, majoritaire, avec le Macabeu et le Vermentino. Il a fait l'objet d'une fermentation en barrique de différents âges jusqu’à assemblage et pourrait se garder 5 ans.

Servi à 12-14°, il exprime sa puissance sur les arômes de fleurs blanches, d’agrumes et de boisé qui autorisent de l'accorder avec route la cuisine méditerranéenne, une pintade rôtie, la bouillabaisse, la tiellessétoise, les pâtes fraîches alla Vongole, et bien entendu des Noix de St Jacques.14

En toute modération comme il se doit, je vous propose deux menus, une version viande, une version poisson.

D'abord un filet mignon mariné aux herbes et aux champignons, servi avec des haricots vapeur et un beurre ailé et persillé.
Comme dessert je suggère une tarte amandine aux poires, grande soeur du Poirier oléronais que j'ai un peu allégé en supprimant la crème fraiche et en ajoutant une pincée de cannelle et une cuillère de malaheb. Les noisettes ont été cette fois réduites en poudre.
Si on préfère le poisson je recommande le Navarin qui est vraiment facile à réussir et qui prend peu de temps.
J'ai pratiqué simplement en éminçant un oignon que j'ai jeté dans un tout petit peu d'huile d'olive avec une grosse carotte détaillée en julienne (avec l'éplucheur Microplane spécifique) et des champignons de Paris.

J'ai fait revenir à feu doux pendant 15 min, sans coloration. J'ai ensuite versé un verre de vin, ajouté un bouquet garni et le poisson découpé en gros cubes (je disposais de lieu et de saumon) qui ont mijoté durant 10 min.

Ensuite j'ai ajouté des noix de Saint-Jacques, nettoyées et séchées et prolongé la cuisson pendant 5 min. J'aurais pu mettre aussi des grosses crevettes.

J’ai ensuite retiré tous les ingrédients de la cocotte à l'aide d'une écumoire que j’ai réservé dans un plat de service, supportant la chaleur du four, tenu au chaud. J’ai porté le liquide de cuisson à ébullition et laissé un peu réduire. Parallèlement, j'ai fait fondre un morceau de beurre dans une casserole, ai ajouté de la farine puis, petit à petit, l’intégralité du jus de cuisson en laissant épaissir à feu doux tout en remuant au fouet.

J’ai versé la sauce sur les poissons en mélangeant délicatement, salé, poivré et servi avec du persil haché.

Si je n’indique pas les quantités des ingrédients c’est parce que ce type de procédé est adaptable en fonction de ce dont on dispose, de ses goûts et du nombre de convives.

J’ai servi avec un riz blanc.

Comme dessert, parce que nous sommes en période de Noël, j'ai testé une bûche avec une base de génoise (classique) recouverte d'une excellente purée de marron maison détendue de quelques cuillères à soupe de Chantilly (maison elle aussi) et qui a été roulée puis embellie avec les décorations que je conserve d'année en année et qui ont toujours ravi les enfants chaque année.
Les vignerons artisans de Cascastel sont rassemblé dans une cave coopérative fondée en 1921. Avant cette initiative collective, le village de Cascastel était exclusivement composé de vignerons indépendants. Fusionner, c’était alors s’engager à sublimer le travail. Outre les valeurs de solidarité, d’équité et de démocratie qui restent à jamais les fondements du fonctionnement de leur structure, la cave ne cesse de se développer pour concentrer aujourd’hui, grâce à la mise en commun de moyens, des outils technologiques de pointe.

Ils ont subi en 1999 des pluies torrentielles qui ont en partie détruit le vignoble et la cave qu'il a fallu reconstruire pour la pérenniser.

En 2006, ils se sont unis aux vignerons des caves de Saint Jean de Barrou, Fraïsse et Villesèque des Corbières. Aujourd’hui, la cave regroupe une soixantaine de vignerons artisans pour 800 hectares de vignes et a une production totale de environ 27 000 hl soit 2,5 millions de bouteilles et 100 000 BIBs/an.

Le vin reste pour eux une tradition et avant tout une passion en produisant des vins de qualité et en sublimant leur terroir d’altitude avec 4 AOC et 1 IGP qui ne sont disponibles à la vente qu'au caveau et chez leurs revendeurs :
→ AOP Fitou dont la cave est l’un des principaux producteurs : 10 000 hl ;
→ AOP Corbières sur le terroir de Durban : 12 000 hl dont 3 500 hl en rosé ;
→ AOP Languedoc rouge / rosé : 1 000 hl ;
→ AOP Muscat de Rivesaltes : 500 hl ; AOP Rivesaltes : 100 hl ;
→ L’IGP Vallée du Paradis rouge / rosé / blanc : environ 3 500 hl.Ils 

Les vignerons artisans de Cascastel - 748 avenue André Cournède - 11360 Cascastel
Tél : +33(0)4 68 45 91 74

vendredi 22 décembre 2023

L’épaisseur d’un cheveu de Claire Berest

Le sujet n’est pas très original, hélas, mille fois hélas. Les statistiques sont formelles : on a énormément plus de chances (le mot n’est pas très approprié mais il est lexicalement exact) de mourir des coups portés par un proche que par un serial killer. Je ne vais pas vous assommer en vous donnant les noms de celles qui ont fait la une des journaux télévisés ces derniers mois.

Il est donc logique que plusieurs auteurs se soient emparés de ces faits divers, quitte à les nier dans leur intitulé, comme Philipe Besson. C’est presque au même moment que Claire Berest publie L'épaisseur d’un cheveu.

Etienne est correcteur dans l’édition. Avec sa femme Vive, délicieusement fantasque, ils forment depuis dix ans un couple solide et amoureux. Parisiens éclairés qui vont de vernissage en concert classique, ils sont l’un pour l’autre ce que chacun cherchait depuis longtemps. Mais quelque chose va faire dérailler cette partition soit disant parfaite.

Ce sera, dit l’auteure en interview, aussi infime que l’épaisseur d’un cheveu, mais aussi violent qu’un cyclone qui ravage tout sur son passage.

On verra au long des pages qu’il s’agit bien davantage d’un fil. La vie de Vive n’a pas tenu à si peu. Et ce n’est pas quelque chose de l’ordre de l’incident qui a mis le feu aux poudres. On pourrait penser que la descente aura été continuelle, ce que Claire Berest retrace avec une précision chirurgicale qui m’a glacée Jusqu’à me rendre malade. J’ai prétexté une indigestion concomitante à un réveillon mais c’était l’effroi qui m’avait sciée. La femme n’est pas tuée par n’importe qui mais par la personne censée être la plus bienveillante à son égard.

La couverture m’avait semblé étrange. Je l’ai comprise à la toute fin et je la trouve très belle, très élégante, et représentative d’une photographie d’art. Or c’est le métier que le personnage de Vive souhaitait exercer.

C’est assez fou tout de même cette obsession du sens que je constate chez tous les auteurs depuis un moment. Et, du coup, moi, aussi je vois des coïncidences un peu partout. La femme d'Etienne s'appelle Viviane mais elle est devenue Vive au cours des années et c'est cette vitalité qui la conduit à sa perte. sans doute parce qu'Etienne ne supporte pas ou plus de partager l'existence de quelqu'un qui est plus vivant que lui.

Il pinaille incroyablement sur les mots, leur étymologie, leur emploi. C'est devenu davantage qu’une déformation professionnelle, mais une véritable obsession. Le récit de sa garde à vue est tout à fait passionnant. On comprend que le personnage est maniaque et paranoïaque. Alors, forcément il est à l'affut du moindre soupçon. Son travers est peut-être pire encore que la perversion narcissique, sujet qui lui aussi a beaucoup inspiré la littérature contemporaine.

La métaphore capillaire surgit à de multiples reprises. Vous m'accorderez que la coupe de cheveu qu’il n’avait pas remarquée (p. 45) représente davantage que l’épaisseur d’un cheveu. On apprend qu'il a échoué à un cheveu au concours des chartistes (p. 56). A l'université il reçoit la mention bien au lieu de très bien comme une insulte (p. 54). On va pouvoir dresser la (longue) liste de ses frustrations. Non pas que sa femme réussisse mieux ou plus que lui, mais en tout cas elle est plus vivante et de cela il ne va pas se remettre, alors que de toute évidence c’est cette caractéristique qui l’avait séduit.

D'autres éléments m'ont interpelée. La référence à des portraits de vieilles dames lisant dans les transports en commun (p. 35), qui m'a fait penser aux Liseuses d'Audrey Siourd. Quand Claire Berest raille l'engouement pour Maurizio Cattelan (p. 81), elle ne pouvait pas deviner l’ampleur de la polémique avignonnaise qui commença en mai 2023. J'ai retrouvé avec joie l'ambiance du Musée des art forains où a lieu la fête de l'éditeur (p. 149) et je me suis souvenue que je m'étais promis d'y retourner …

Le récit n'est pas linéaire et Claire Berest a su éviter l'écueil de la chronologie d'autant qu'elle nous révèle l'issue tragique d'emblée. Le fait d'avoir intercalé des flash-backs apporte du rythme et du suspens même si cela ne retire en rien l'aspect terriblement angoissant de cette affaire.

Pour ceux qui estimeraient que l'on exagère à pointer ces morts violentes au sein de la sphère familiale  je rappellerai qu'il existe une étude analysant le phénomène. Les chiffres sont clairs. En 2021 le nombre de femmes tuées par leur compagnon ou ex-compagnon s’élève à 122, étant précisé que 9 d’entre eux avaient exercé des violences antérieures sur leur compagne (même si cela n’excuse pas le geste de ces femmes) contre "seulement" 21 hommes tués par leur partenaire de vie.

Ces données accablantes sont en hausse de 20% par rapport à l’année précédente. A cela il faut ajouter 251 tentatives d’homicide dont les deux tiers concernent des femmes. Au total 85% des victimes d’homicides sont des femmes et 6 auteurs sur 7 sont des hommes. Un tiers des victimes avait subi des violences antérieures, signalées ou non. Cette proportion témoigne que les femmes sont insuffisamment à l’écoute des signaux d’alerte. Je ne vais pas analyser le pourquoi du comment mais j’ai précisément beaucoup apprécié que Claire Berest se penche sur la question (alors que Philippe Besson consacre davantage la focale sur les conséquences de l’acte).

L’épaisseur d’un cheveu de Claire Berest, Albin Michel, en librairie depuis le 23 août 2023

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