J’avais beaucoup aimé Paris-Briançon et je m’étais promis de lire Ceci n’est pas un fait divers alors que je savais pertinemment combien ce serait âpre.
Ils sont frère et sœur. Quand l’histoire commence, ils ont dix-neuf et treize ans. Leur histoire se cristallise en quelques mots, ceux que la cadette, témoin malgré elle, prononce en tremblant : "Papa vient de tuer maman."Passé la sidération, ces enfants brisés vont devoir se débrouiller avec le chagrin, la colère, la culpabilité. Et remonter le cours du temps pour tenter de comprendre la redoutable mécanique qui a conduit à cet acte.
Avec pudeur et sobriété, ce roman, terriblement inspiré de faits réels qu'on dit "divers" -terme horrible pour signifier quasiment un évènement d’une banalité affligeante-, raconte, au-delà d’un sujet de société, le long combat de deux victimes invisibles pour réapprendre à vivre.
Philippe Besson a bien raison d'avoir choisi un titre qui refuse cette catégorisation. Une mort ne peut pas entrer dans cette catégorie de fait "divers" même si c’est quelque chose qui arrive à tout le monde. On peut espérer que ce ne soit pas de cette manière, au bout de vingt ans de vie commune avec un homme qui, certes "n’était pas tiède" mais "avec qui on s’équilibrait en terme de tempérament" (p. 68).
Selon l’Encyclopédie Universalis, le fait divers est le plus souvent défini aujourd'hui par la négative pour désigner un événement qui ne relève d'aucune actualité, ni politique, ni économique, ni sociale, ni culturelle.
Terrible phrase placée entre parenthèses page 29 : j’ignorais alors que parfois des gendarmes passent à côté de l’essentiel, que parfois ils n’accordent pas aux cris de détresse l’attention qu’ils méritent.
J’étais comme un animal pris dans les phares d’une voiture, dira le fils (p. 70) qui regrette de ne pas avoir confié au gendarme les tactiques de sa mère pour désamorcer les crises (chaque femme victime de violences conjugales les reconnaîtra. Elles sont universelles).
La culpabilité est un feu qui s’attire d’un rien, de tout. Face à un grand malheur les paroles étaient inutiles, presque absurdes (p. 76)
Le mari avait toujours un prétexte fallacieux pour créer une altercation, mener sa guérilla. Il était débordé par sa paranoïa, sa jalousie, son narcissisme. Par son angoisse de l’abandon (p. 94).
Et comme elle n’était coupable de rien, c’était insoluble.
Pour les enfants qui sont ce qu'on appelle des victimes collatérales tout est inédit et les décontenance. La mort n’arrête pas tout, loin de là. Il faut organiser les obsèques, engager le procès. En a-t-on jamais fini, surtout quand on ignore ce que notre mère défunte a voulu nous faire promettre (p. 187) juste avant de fermer les yeux ?
Peut-on se reconstruire si on est considéré juste comme victime collatérale, censée être invisible et silencieuse (p. 204) ? La question est diablement bien posée et ce livre est un coup de poing sur la table. Tout y sonne juste, sauf peut-être la beauté de la couverture dont le sens m'aura échappé.
Ceci n’est pas un fait divers de Philippe Besson, Julliard, en librairie depuis le 5 Janvier 2023
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