J'avais découvert quelques pages de Pauline voyage à l'occasion d'une invitation à La Maison des Histoires de l'Ecole des Loisirs il y a quelques mois. Marie Desplechin était accompagnée de François Roca qui avait croqué en direct le visage de la jeune fille qui raconte, dans sa correspondance à son père, les rebondissements qu'elle vit au cours d'une croisière assez spéciale.
Comme cadeau, Pauline avait demandé à son père, le riche Hubert Diamantis, un voyage avec lui. Le voilà qui envoie sa fille en croisière au Spitzberg avec Natalie ; son amie cantatrice... Pauline enrage. Pourtant, à bord, il y a aussi Astrid, la reine des Belges, et son petit Baudouin, 5 ans, le capitaine Ragnar, le mousse Jean-Baptiste… de quoi rendre la traversée captivante, édifiante, passionnante.
L'autrice et l'illustrateur m'avaient embarquée ce soir là, c'est le cas de le dire, sur un transatlantique et j'avais très envie de lire l'album en entier. Mais il fallait attendre la parution officielle, en novembre dernier.
Pauline est une pré-ado qui écrit sans doute à la main sur un cahier. Il est donc logique que le titre figure sur la couverture en écriture cursive (terme équivalent de manuscrite). Logique, pour nous français car aux Etats-unis et en Angleterre on apprend seulement aux enfants à écrire en script, ce qui ralentit l’apprentissage de la lecture puisqu’il est plus difficile de distinguer les lettres des mots en script qu’en "attaché". Ce tout petit détail marque bien l’attention que l’Ecole des loisirs porte à la jeunesse. Et je suis fière de terminer l'année en publiant un article mettant en valeur un ouvrage de littérature jeunesse ancré dans le patrimoine.
L’album est recommandé pour les 7-9 ans mais vous dirais-je combien je me suis régalée alors que j’ai dépassé l’âge requis depuis longtemps ?
C’est que Marie Desplechin n’est pas une habituée des albums. Elle écrit plutôt pour les plus grands. Elle alterne depuis longtemps les parutions pour adultes et celles pour les enfants.
J’ai déjà lu et chroniqué trois de ses ouvrages publiés à l’Ecole des loisirs. Je rouvre régulièrement Enfances, coréalisé avec Claude Ponti.
L’illustrateur, François Roca est lui aussi davantage familier de lecteurs un peu plus âgés que 7 ans. Leur collaboration s’est concrétisée grâce à l’insistance de leur éditrice, Véronique Girard, ce qui démontre l’intérêt de ce métier consistant en premier lieu à mettre en relation des artistes dont on pressent l’intérêt à travailler ensemble.
Ce qui les a rassemblés c’est la dimension aventureuse de l’histoire, se déroulant dans une nature grandiose, avec des personnages spectaculaires par leur allure, leur attitude ou leur costume. Ainsi Marie allait pouvoir broder un scénario palpitant et François concevoir des images belles comme des tableaux en multipliant les références et en jouant avec la lumière comme il aime le faire.
C’est Marie qui lança le premier fil en se souvenant d’un voyage qu’elle a fait au Spizberg, en été, il y a quelques années, invitée par une amie. Le voyage en mer durait une dizaine de jours, et rassemblait des artistes et des scientifiques de différents pays européens. Ils naviguaient sur un bateau assez ancien, mené par un équipage norvégien, et descendaient à terre en canot tous les jours.
Elle pouvait s’inspirer de faits réels pour raconter l’aventure d’une héroïne qu'elle décida de doter d’un tempérament bien trempé et qui ne soit pas contemporaine et qui corresponde aux univers de l’illustrateur. Avec l’avantage aussi que le passé, en acceptant la convention qui veut qu’on le trahisse, offre un écrin en or pour l’imagination. Il restait à François de montrer une nature grandiose où évolueraient des personnages dont les caractères devaient transparaitre au premier coup d'oeil.
Je ne vais pas vous imposer une analyse littéraire mais j'ai tout de même envie de pointer quelques éléments pour apporter une dimension supplémentaire à cette lecture.
Le bleu domine sur la première de couverture, là encore en cohérence avec le thème marin. Mais il se trouve que c’est la couleur préférée des Européens et même des Occidentaux. Elle fut longtemps absente de l’iconographie car elle était difficile à fabriquer et à maîtriser (on me l’a rappelé au cours de la visite du musée de Jouy-en-Josas). Tout commença à changer à partir du XII° siècle avec un bouleversement des mentalités religieuses. En devenant un dieu de lumière, le dieu des Chrétiens devait être représenté avec la couleur de la lumière, le bleu, qui se traduit sur la robe de la Vierge et sur les vitraux.
Pour répondre à la demande, les teinturiers vont devoir trouver de nouveaux procédés et fabriqueront des bleus magnifiques. Pour la première fois, on voit sur les tableaux des ciels peints en bleu. De plus, à cette époque, apparaissent les noms de famille mais aussi les armoiries, les insignes de fonction... et les trois couleurs traditionnelles de base (blanc, rouge et noir) limitent jusqu'alors les combinaisons possibles. On va donc faire appel au bleu qui, associé au jaune permettra d'obtenir des verts.
Certaines combinaisons de bleu ont des noms particuliers. Comme le turquoise, l'outremer, le Majorelle (couleur chère à Yves Saint-Laurent), le marine (faisant référence aux tenues des marins de la Royal Navy), le bleu canard (intermédiaire entre le bleu et le vert, se référant à certaines plumes de cet oiseau) et bien sûr le bleu de Prusse dont le pigment fut découvert … en Prusse et qui est la couleur retenue pour la robe de Pauline. Car on retrouve beaucoup de nuances différentes dans l'album.
Et c’est une couleur qui est régulièrement le sujet d’ouvrages de l’Ecole des loisirs si on pense au philosophique Petit-Bleu et Petit-Jaune, de Leo Lionni, au Chien Bleu, de Nadja, Le nuage bleu, de Tomi Ungerer, le si classique Magicien des couleurs, de Arnold Lobel, et plus récemment Jan le petit peintre, de Jean-Luc Englebert, qui avait été présenté l’année dernière lors d’une flânerie littéraire.
L’auteure fait preuve d’humour en donnant au bateau le nom de La Reine Astrid puisque cette personnalité voyage à bord. Ce n’est pas aberrant. Le Queen Mary qui reliait l’Europe aux États-Unis, tout comme le Queen Elisabeth portaient des noms de reines. Et en Belgique, le nom de Léopold Ier fut donné à un navire de guerre. D’un point de vue légal, chaque vaisseau possède un nom afin d’être identifié en cas d’urgence ou pour des raisons administratives.
On peut rappeler qu’il existe une raison plus ancienne, et qui relève de la tradition: pour les marins, de baptiser le bateau parce qu’il a une âme. On jette symboliquement une bouteille de vin ou de champagne contre la coque afin que la bouteille se brise et que son contenu s’y répande. Cette pratique a pour objectif de porter chance et de s’assurer un bon voyage. Si la bouteille ne se casse pas ou si le bateau n’est pas baptisé, il risque d’arriver un malheur lors d’une traversée. Pour information, le Titanic n’était pas baptisé...
Le père de Pauline croit-il que l’âme du transatlantique aura un effet bénéfique sur la relation entre Pauline et Natalie dont on pressent dès le début qu’elle est importante pour lui. Beaucoup de choses se devinent à partir d’indices que Marie sème comme des petits cailloux blancs. Le lecteur reconstituera les pièces du puzzle familial au fur et à mesure du journal de bord de la petite fille dont le comportement va évoluer au contact des différents personnages. Ce voyage devient une leçon de vie.
En toile de fond nous voyageons avec le futur roi Baudouin et sa mère, la reine Astrid qui ont tous deux existé, et qui ont été des roi et reine belges. Étant d’une famille tout au Nord de la France, Marie s’est rendu régulièrement en Belgique, pour les vacances, les réunions familiales, les dimanches à la mer. Elle a pour ce pays un très grand attachement.
Comme l’histoire de Pauline est une histoire du Nord, il était évident et amusant de la commencer en évoquant des lieux et des noms qu’elle connaissait. Et justement, quand elle était petite, le roi de Belgique s’appelait Baudouin, un nom dont on imagine combien il semble exotique pour un enfant. Sa mère, la Reine Astrid, fut l’épouse de Léopold III et la mère de Baudouin Ier.
Elle a été une reine jeune, belle, élégante et très aimée au destin tragique, dont le décès a représenté un traumatisme qui a marqué le pays tout entier. Elle est morte jeune dans un accident de voiture en 1935, à l’âge de 29 ans. Baudouin en avait 5. Il deviendra roi en 1951 et règnera pendant 42 ans.
Le lecteur pourra s’intéresser au contexte politique car la Belgique – contrairement à la France actuelle qui est une république – est une monarchie parlementaire. Et qui sait, prolonger sa lecture en se plongeant dans la dynastie des rois belges.
Un des points forts de l’album est aussi de nous rappeler combien les relations entre adultes et enfants étaient différentes au siècle dernier. Et combien la vie sur un bateau n’était pas du tout celle qu’on pourrait connaître aujourd’hui sur un paquebot de croisière.
Pauline voyage de Marie Desplechin et François Roca, collection Album de l'Ecole des loisirs, en librairie depuis le 8 novembre 2023
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