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dimanche 3 décembre 2023

La fontaine Stravisky a retrouvé son sourire

Je me souviens encore du choc émotionnel de la découverte de l’œuvre de Jean Tinguely et de Niki de Saint Phalle la première fois que je l’ai vue. Hélas, après quarante ans à avoir craché de l’eau et tournoyé sous toutes les météos, elle avait grandement besoin d’une rénovation complète.

C’est chose faite. La Fontaine Stravinsky a retrouvé ses couleurs d’origine, de jour comme de nuit.
Controversée à l’époque, comme tout ce qui émergea dans le quartier Beaubourg, elle en est devenue emblématique et ne cesse de fasciner les parisiens comme les touristes.
Située entre le Centre Pompidou et l’IRCAM, le centre de recherche en musique contemporaine, la fontaine porte « naturellement » le nom du compositeur qui a donné son nom à la place, Igor-Stravinsky, rue Brisemiche rasée depuis la destruction d’un ancien hôtel particulier au même endroit, et c’est Pierre Boulez, l’un des plus grands compositeurs français du XXe siècle et premier directeur de l’IRCAM, qui a lui-même nommé la place en hommage au chef d’orchestre russe (1882-1971), considéré comme l'un des compositeurs les plus influents de sa génération. Ce n’est pas un hasard si Jean Tinguely a conçu une sculpture en forme de clé de sol.
Les deux artistes ont cherché à créer une œuvre qui réconcilie le masculin (plutôt sombre avec les assemblages métalliques peints en noir de Jean) et le féminin (avec les les formes pleines et les couleurs vives de Nikki) tout en contrastant harmonieusement. Nous sommes deux sculpteurs attachés l’un à l’autre, qui vivent dans deux mondes très différents, opposés dans les matériaux, opposés idéologiquement, opposés aussi dans la masculinité d’une part et la profonde maternisation de la féminité de l’autre…, expliquait Tinguely. Elle, ex-mannequin issue d’une famille bourgeoise, lui, aux origines ouvrières, seront à la vie comme dans l’atelier. Ils avaient commencé à travailler ensemble au début des années 1960, quelques années après leur rencontre, en 1955, dans les ateliers de l’impasse Ronsin (Paris, 15e). 

Il fallait évidemment que ce soit un hommage au compositeur russe en s’inspirant du « Sacre du Printemps ». Les sculptures sont toutes mécanisées, en perpétuel mouvement, qui font référence à la musique en général et aux ballets, d’où le second nom de Fontaine des Automates. Elles sont animées par des jets d’eau, en circuit fermé, avec 100 % de l’eau des animations des œuvres qui est recyclée. Il est intéressant de savoir que Jean Tinguely a exceptionnellement réalisé ses sculptures en aluminium pour que le tout puisse soutenir le poids de la glace lors de périodes de gel en hiver.
On ne s’étonnera pas vraiment du choix du thème puisqu’on parla de « massacre du printemps » lors de la première représentation au théâtre des Champs-Élysées en 1913 par des opposants. Au moment de l’inauguration en 1983, le ballet était passé à la postérité mais la polémique n’était pas oubliée et elle avait pu titiller le couple d’artistes.
La fontaine est constituée d’un vaste bassin de 580 m², mesurant 33 mètres de long sur 17 mètres de large. Parmi les 16 œuvres, sept sont de Jean Tinguely, six en résine colorée sont de Niki de Saint Phalle et trois sculptures sont réalisées conjointement par les deux artistes. Chacune des 16 sculptures porte un nom qui rappelle de près ou de loin une œuvre d’Igor Stravinsky : La Sirène, Ragtime, Le Chapeau de clown, Le Renard, Le Cœur, La Diagonale, L’Éléphant, La Vie, Le Rossignol, Le Serpent, La Mort, La Clé de Sol, L’Amour, La Spirale, La Grenouille et sans doute une des plus célèbres, L’Oiseau de Feu.
L'Oiseau de feu est en miniature la sculpture monumentale de Sun God réalisée par Niki en fibre de verre peinte inaugurée à l’université de Californie cette même année 1983. Le nom français fait davantage référence à un ballet du compositeur russe.

Quelques années plus tard, en 1991, la plasticienne réalisera un autre oiseau de feu qui sera racheté en 2006 par Andreas Bechtler, un collectionneur suisse, pour le Bechtler Museum of modern art de Charlotte (Caroline du Nord, États-Unis). Il sera alors renommé « Le Grand Oiseau de feu sur l’Arche ».

La Fontaine Stravinsky n’était pas leur première œuvre commune. Le pavillon français leur avait passé commande pour l’exposition universelle de 1967 à Montréal. Ce fut Paradis fantastique, un ensemble de neuf sculptures monumentales réalisées par Niki de Saint Phalle, et de six sculptures animées par Tinguely. L’œuvre fut très controversée à l’époque, et failli les empêcher d’entreprendre la Fontaine Stravinsky mais  Claude Pompidou, les soutint et cautionna le choix de Jacques Chirac, alors maire de Paris, pour Jean Tinguely, dont il avait admiré la fontaine du Carnaval à Bâle. La collaboration avec Niki de Saint Phalle allait de soi.

Dès son plus jeune âge, Jean Tinguely est fasciné par le bruit de l’eau et la mécanique, qui ont inspiré ses premières sculptures. Le sculpteur s’inscrit dans plusieurs courants, dont l’art cinétique, le nouveau réalisme ou encore les happenings, tout en prônant le recyclable, l’éphémère et l’art en perpétuel mouvement.

Quant à sa collaboration avec Niki, outre l’expo universelle de 67, il y eut le Cyclop de Milly-la-Forêt (Essonne) dont la restauration s’achèvera le 6 avril 2024, et la Fontaine de Château-Chinon (Nièvre) commandée par François Mitterand en 1987.

De son côté, Niki de Saint Phalle aura été une artiste, sculptrice et plasticienne franco-américaine, reconnue pour son talent polymorphe dans divers domaines tels que le théâtre, les performances, le cinéma, la peinture et la sculpture, Elle n’avait pas suivi de formation académique formelle, ce qui lui a permis d’étoffer son style unique et personnel. Elle a commencé sa carrière en tant que mannequin, mais a rapidement ressenti le besoin de s’exprimer artistiquement de manière plus profonde et authentique. Son engagement féministe, symbolisé entre autres par ses « nanas », des sculptures de femmes exubérantes, voluptueuses et très colorées, est l’un des aspects essentiels de son travail.
Pionnière dans la lutte pour l’égalité des sexes, elle a utilisé son art comme un moyen de remettre en question les stéréotypes de genre et de revendiquer l’autonomie et la liberté des femmes. Je me souviens particulièrement d’une exposition particulièrement belle en plein air de plusieurs de ses oeuvres à Mons (Belgique) et au musée des Beaux-arts de la ville.
S’agissant de Paris, il faut découvrir la fontaine en plein jour, alors que alors que le noir des machines de Tinguely est très apparent, permettant d’en observer les détails et revenir de nuit, lorsque les projecteurs font briller sur les éléments colorés de Niki.

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