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mardi 12 décembre 2023

Azzedine Alaïa, couturier collectionneur au Palais Galliera

Dix ans après la grande rétrospective consacrée au Palais Galliera au couturier, c’est une nouvelle exposition qui met à l’honneur, et pour la première fois, l’extraordinaire collection patrimoniale exceptionnelle que Azzedine Alaïa (1935-2017) a réunie au fil du temps, et cela dans le plus grand secret et sans jamais la dévoiler de son vivant, en France comme à l’international.

Ne vous attendez pas à une présentation exhaustive de sa collection dont on ne peut admirer "que" 140 pièces, choisies parmi plus de 20 000. On peut donc légitimement penser que d’autres expositions seront organisées, elles aussi conjointement avec la Fondation Azzedine Alaïa.

Mais vous comprendrez quelles auront été ses sources d’inspiration à travers les modèles qu’il a soigneusement, quasi religieusement, rassemblés et qui témoignent de son admiration pour ses maîtres. Et ce n’est pas un hasard si la photo de l’affiche recadre un cliché montrant de ses mains drapant une robe de Madeleine Vionnet en 1990.

Ne vous méprenez pas. Vous ne verrez pas de robe créée par lui ici. Mais, après un petit effort consistant à traverser l’avenue et vous rendre au Musée d’Art Moderne situé en face du Palais Galliera, vous pourrez (si vous avez la chance qu’elle soit ouverte, ce qui ne fut pas mon cas) vous rendre en Salle Matisse, où sont présentés trois costumes de scène dessinés par Henri Matisse pour les Ballets russes en 1919 et qui illustrent le dialogue entre mode et art si cher au couturier. Je n’ai pu qu’en apercevoir de loin une d’entre elles, à travers la vitre de la porte fermée.
C’était la première fois que Matisse acceptait de participer à la mise en scène d’un ballet. La conception du décor, du rideau de scène et des costumes lui permettait d’exercer sa créativité de manière inédite. Il a conçu ces pièces historiques, rares et fragiles en 1919 pour Le Chant du Rossignol, ballet en un acte créé par Serge Diaguilev pour les Ballets russes sur une musique d’Igor Stravinsky. Inspiré d’un conte d’Andersen, le ballet évoque la rencontre entre un empereur chinois et un rossignol au chant merveilleux qui, après avoir été remplacé par un oiseau mécanique, revient chanter au chevet de l’empereur et le sauve de la mort.

Parmi tous les costumes imaginés par Matisse pour ce ballet orientalisant, Azzedine Alaïa a retenu les plus audacieux et les plus abstraits. Quant aux vêtements créés par le couturier, on pourra les admirer en allant à la Fondation, 18 rue de la Verrerie, qui propose une exposition intitulée Alaïa/Grès au-delà de la mode jusqu’en avril prochain.

Mais revenons à la remarquable collection qu’Alaïa débuta en 1968, à la fermeture de la maison Balenciaga (fondée trente ans plus tôt) par le couturier qui ne se reconnaissait plus dans l’industrie nouvelle du prêt-à-porterMademoiselle Renée, qui la dirigeait, invita Alaïa à venir choisir les tissus qui pourraient satisfaire sa curiosité. Cet élément fut déclencheur d’une véritable passion pour l’histoire de la haute-couture française dont il confesse une forme de dévouement : C’est devenu chez moi une attitude corporative de les préserver, une marque de solidarité à l’égard de celles et ceux qui, avant moi, ont eu le plaisir et l’exigence du ciseau. C’est un hommage de ma part à tous les métiers et à toutes les idées que ces vêtements manifestent.

Alaïa devint le gardien bienveillant des formes et des souvenirs de chacun. Dès lors, il accumula sans compter les trésors de mode mais aussi tous les documents qui pouvaient raconter la vie des ateliers et commenter l’œuvre de création. Outre Cristóbal Balenciaga (1895-1972) il va ainsi rassembler des pièces de couturiers parmi les plus prestigieux : Worth, Jeanne Lanvin, Jean Patou, Madame Grès, Paul Poiret, Gabrielle Chanel, Madeleine Vionnet, Elsa Schiaparelli, ou encore Christian Dior... depuis la naissance de la haute couture à la fin du XIX° siècle jusqu’à certains de ses contemporains comme Jean Paul Gaultier, Comme des Garçons, Alexander McQueen, Thierry Mugler ou encore Yohji Yamamoto... 
Alaïa était un admirateur inconditionnel de Balanciaga et c’est donc légitimement que le parcours débute avec trois de ses robes (noires) des années 1950-55 retenues parmi plusieurs centaines de pièces majeures des années 1930 à 1968 que compte la collection.

L’exposition n’est pas chronologique et je suis revenue régulièrement sur mes pas pour mieux comprendre, par comparaison, ce qui distingue et/ou rapproche tel ou tel créateur. La foule était très dense et on se réjouit bien sûr de l'intérêt suscité par l'exposition mais la circulation y était difficile. La pénombre, absolument nécessaire pour garantir la conservation des modèles, mais à laquelle il faut un certain temps pour s’y acclimater, et surtout la disposition des cartels au ras du sol compliquent la visite. On apprécierait des miroirs pour entrevoir les robes dans leur entièreté, même si parfois elles sont disposées de biais pour qu’on puisse mieux en percevoir le volume, par exemple pour celles-ci.
La collection d’Alaïa fait figurer les grands noms qui ont écrit l’histoire de la mode. Elle distingue également les griffes aujourd’hui oubliées mais dont la notoriété, à leurs époques respectives, était attestée de même que l’excellence de leurs ateliers.

On s'extasie sur la simplicité et la beauté de ce manteau du soir à droite (vers 1925) de Jeanne Paquin (1869-1936) qui créa sa maison de mode en 1891 rue de la Paix. Elle surprendra par ses intuitions commerciales hors du commun, multipliant les succursales dans le monde.

Ce vêtement est réalisé en base de coton brut, broderie en couché de fils métalliques dorés, fils de soie orange, motifs végétaux en fils métalliques argentés, fils de soie verts et gris, application de morceaux de velours de soie multicolores. Petit col montant, manches droites et formes évasées, doublure en velours de soie grenat.

Il s'accorde parfaitement à la robe modèle Lamballe (haute-couture 1923-25) des Soeurs Boué en dentelle résille métallique, application de lamé soie, broderies de fils, perles et rubans. L'encolure à bretelles est largement dégagée. la ceinture est un épais cordon métallique au point tige avec glands faits de cannelle. la jupe démarre par deux basques et l'ourlet est frangé de perles.

Les "soeurs" s'appelaient Sylvie Montégut (1880- ?) et la baronne Jeanne d’Etreillis (1881- ?). Elles créèrent leur maison de couture en 1899. Elle fermera en 1935, mais aura été appréciée pour l’emploi des dentelles, des rubans de couleur, des broderies et des passementeries parsemées sur les tissus or ou argent. Leur style s’apparente à celui de Jeanne Lanvin, avec qui elles partagent le goût pour la robe de style.

Je ne sais pas s’il y a une logique particulière de présentation, outre le fait que les vêtements sont rassemblés par créateur et plus ou mois par période. Quoiqu’il en soit ils sont de toute beauté et tout à fait représentatifs des différentes techniques magnifiées dans la haute-couture, comme le travail des minuscules perles qui est si remarquable sur le bustier de cette robe du soir de Madeleine Vionnet (1876-1975), couturière des années 1920 et 1930, dont seuls se souvenaient quelques historiens, avant qu'Azzedine Alaïa ne s'emploie à sa reconnaissance dans les années 1980. Il initia en 1991 la première exposition d’envergure qui fut consacrée à cette couturière dont il appréciait la grande technicité, Il a, toute sa vie, cherché secrètement à se mesurer à elle.

Cette robe du soir appartient à la collection haute-couture printemps-été 1922. Elle est en crêpe de soie écru, avec des broderies de perles blanches et argent en frises sur le buste et l'ourlet. L'encolure est dégagée, les emmanchures sont profondes et la jupe est longue et droite.
Lassée de ne pas trouver des vêtements à sa taille (elle mesure 1,55 m), Marie-Louise Jeanne Carmen de Tommaso, dite Madame Carven (1909-2015), eut l’idée de concevoir sa propre garde-robe et, en conséquence, celle des femmes de son époque, comme le fera plus tard Sonia Rykiel en vertu du principe qu'on n'est jamais si bien servi que par soi-même. En 1945, elle inaugura sa maison, inventant des robes fraîches et pimpantes. Elle généralisa l’usage du coton, prouvant que la couture parisienne n’était pas assujettie au seul emploi des matériaux riches. De sa formation d’architecte et décoratrice, elle appliqua la recherche des proportions. Par un jeu de rubans appliqués, de rayures opportunes et obliques, elle affina les tailles de ses modèles, allongea la silhouette, dégagea les ports de tête.

Cette robe de jour, modèle "Jamaïque" du printemps-été 1953, est un exemple caractéristique de son talent et on est bouche bée devant les plissés qui conservent malgré tout la fluidité de la silhouette. Elle est en popeline de coton jaune citron rayé noir, taille resserrée par plissé et deux petits noeuds en daim noir, fermeture milieu buste devant par fermeture à glissière. L'encolure dos est fermée par deux noeuds.
Jean Patou (1887-1936) fut qualifié de "visionnaire" et nul doute qu’il a été un des inspirateurs d’Alaïa pour ses drapés. Il est donc logique que le commissariat ait retenu plusieurs de ses créations.

Installé rue Saint-Florentin, à Paris, en 1914, il a su séduire d’emblée par une mode aussi sophistiquée le soir qu’elle est pragmatique le jour. Il invente une tenue complète, réduite au plus simple dans le jersey fluide. Jupe plissée, sweater, twin-set et gilet forment des combinaisons variables à foison. Cette garde-robe simplifiée s’accorde de motifs d’inspiration cubiste. Patou inaugure avant l’heure un rayon sport (on en reparlera à propos de la seconde exposition visible actuellement au Palais, La mode en mouvement). Il invente le monogramme et brille sur les cours en habillant -lui aussi- la joueuse de tennis Suzanne Lenglen. 
Des Années folles aux années 1930, ses robes, courtes ou longues, sont l’expression ultime de la mode française. Alaïa multiplia les acquisitions de ce couturier dont il admirait le chic si parisien parce qu'il estimait qu'il était représenté de manière parcellaire dans les musées français.

L'ensemble à partir de la gauche (bleu et violet) est composé d'une robe et d'un gilet, datant des années 1935-38.
Soucieux que sa collection patrimoniale reflète au plus près les évolutions des modes, il eut à cœur de préserver les griffes anciennes incontournables dont on voit quelques modèles ci-dessus : Charles Frederick Worth (1825-1895), qui avait inventé à la fin du XIX° siècle le système de la mode tel qu’il est encore en exercice aujourd’hui avec le principe des défilés, le renouvellement des collections saisonnières et le statut même du couturier, créateur inspiré. Jacques Doucet (1853-1929), le couturier aux hortensias, grand collectionneur des arts du XVIII° siècle puis des avant-gardes de son temps. John Redfern (1853-1929), dont les tailleurs de plein air et de sport ont inventé une silhouette.

Dans sa globalité, et bien qu'elle représente moins de 1/1000 ème de sa collection, cette exposition témoigne de l'intérêt d'Alaïa pour les fondateurs de la haute couture tout autant que pour ses contemporains. Il est probable que la virtuosité avec laquelle il coupait ses créations venait de son travail, de son génie mais aussi de l'assimilation de tous les modèles qu'il préservait de l'oubli. 

Les pièces qui sont exposées trahissent aussi son goût pour les broderies et les passementeries. J'ai remarqué (sans les photographier) des robes magnifiques d'élégance, signées par Jeanne Lanvin, ou par Madame Grès dont Alaïa partagea l'art du plissé. Il possédait plus de sept cents modèles Grès et plusieurs centaines de photographies qui documentent la vie de la maison Grès, notamment signées des ateliers Robert Doisneau.

J'ai noté également la manière toute personnelle de Pierre Cardin de fixer des bandes noires à l'ourlet d'une jupe pour lui donner un effet boule. J'ai vu très peu d'imprimés, et pas de pantalon à destination des femmes. Je n'ai pas remarqué de vêtements masculins. On peut regretter, sans bien entendu lui en tenir la moindre rigueur que la mode masculine ait globalement suscité moins d'intérêt que la mode féminine. Il faut en tout cas se réjouir grandement qu'Azzedine Alaïa ait constitué cette collection et je vous rappelle que des expositions sont organisées par la Fondation rue de la verrerie.

Azzedine Alaïa, couturier collectionneur
Palais Galliera - 10 avenue Pierre 1er de Serbie - 75116 Paris - 01 56 52 86 00
Du 27 septembre 2023 au 21 janvier 2024
En collaboration avec la Fondation Azzedine Alaïa
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Une seconde exposition temporaire se déroule au Palais depuis le 16 juin 2023 et jusqu’au 7 septembre 2025, intitulée La Mode en mouvement. Elle se déploie en trois accrochages dont le premier fera l’objet d'un article spécifique dans quelques jours.

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