Je l'ai toujours vue en noir et or, avec des bracelets et de lourdes boucles d'oreilles. J'avais avec Fabienne Pascaud des relations professionnelles, remontant à l'époque où je travaillais dans un théâtre national. Je savais très peu de choses de sa vie privée, juste qu'elle avait deux garçons, et dont j'avais compris qu'elle tenait à ce que son intimité reste secrète et tout le monde respectait sa volonté.
Elle s'en explique par la force des choses. Par amour de l’essentiel présent du théâtre, j’ai façonné ma mémoire à la perte (…) L’amnésie était la garantie de mon plaisir et de mon métier. Elle a envahi ma vie ( p.174).
L'effet de surprise fut immense quand j'appris qu'elle avait décidé de lever les voiles du mystère. Il le fut d'autant plus que je réalisais soudain l'ampleur de l'épreuve qu'elle traversait, après avoir vécu une longue période heureuse, comme on souhaite tous en vivre et qui ferait un superbe scénario de film romantique.
Je ne me suis pas précipitée pour autant sur L'aimante, retenue par une sorte de pudeur. Je ne l'ai lu que "tranquillement" ces jours-ci et j'ai été très émue.
Son roman est servi par une belle écriture. Ce n'est pas surprenant. C'est son métier. Mais il y a de la marge entre écrire des critiques de spectacles et relater l'essentiel de la sienne, sans en faire un drame, alors qu'on dispose du matériau pour.
Le titre est bien entendu magnifique. C'est tellement plus élégant de se considérer comme une aimante que comme une amante ! J’ai surpris deux fois le verbe s’aimanter qui lui aussi est polyphonique. Après avoir partagé la vie d'un musicien, rien de plus normal que d'être sensible à la sonorité des mots.
Nous sommes, Fabienne et moi, de la même génération. Nous nous sommes heurtées à semblables préjugés, à des murs. Elle a su les fracasser, moi pas. Par cette lecture, ces confidences offertes, j’ai compris à côté de quoi je suis passée, ce que j’ai laissé échapper. Je n’avais pas le coeur autant aguerri. Mais il en fut ainsi et je n'en ai aucune amertume. Je n'ai pas été habituée à d'énormes bouquets de roses rouges mais j'ai comme elle le bonheur d'avoir deux beaux enfants.
Nous avons toutes deux été épargnées par la non-existence des portables et des sms qui, s'ils peuvent présenter des avantages indéniables, sont aussi des entraves. Comme elle a raison de louer le repos, la paix et la liberté sentimentale des années 1980 (p. 116) !
Elle partage désormais au grand jour une vie de secret, celui de son amour, celui de l'identité du père de son enfant, celui aussi de la maladie de son conjoint. Elle en parle sans masquer une réalité difficile tout en parvenant à glisser des traits d'humour en le citant : Le miracle de ma maladie c’est que, grâce à elle, je redécouvre tout constamment. C’est magnifique, ça n’a pas de prix (p. 39). Ses confidences sont empreintes d'une dignité hors du commun et pleinement admirable, d'autant qu'on comprend que le prix à payer fut de solitude, mais quelle liberté !
On la croit totalement quand elle nous dit adorer un métier qu’elle exerce avec endurance, une force de résistance hors du commun, le goût des choses bien faites qui parfois, laissent croire -à tort- que c’est par goût du pouvoir. Comme elle a dû en heurter des personnalités qui ne la voyaient pas solitaire et sauvage, inintéressée par les mondanités, ne se réjouissant que d’aller au théâtre, à des concerts, de lire ou de voir une exposition " (p. 87) puisque seul comptait le magazine, pas elle. Je la comprends à 100%.
Comme elle doit être aujourd'hui amère la consœur journaliste, qu’elle croyait amie, (p. 135) à qui elle avait avoué qu’elle élevait seule son enfant, qu’elle avait eue avec un homme marié, et qui, devinant de qui il s’agissai,t s’empressa de faire la commère auprès de sa femme à qui elle était liée. S’ensuivit la proposition folle et insensée d’adopter son fils, fort heureusement rejetée par Fabienne.
Outre la qualité de la plume, comme je l'ai dit précédemment, j'ai ressenti une forme de bonheur à chaque surgissement de noms de grands metteurs en scène que j’ai personnellement connus, et avec qui j’ai travaillé. J’avais revue Fabienne à la Coupole en 2016 à l'occasion de la remise d'un prix littéraire. Nous devions nous revoir, et puis le temps a passé. Je n'ai pas osé la recontacter. C'est elle qui est revenue vers moi avec ce magnifique roman.
L’aimante de Fabienne Pascaud, Stock, janvier 2023
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