Je suis venue il y a quelques jours à Beaubourg pour découvrir l’exposition mettant en valeur le travail de Posy Simmonds, née en 1945, et qui depuis près de soixante ans a entrepris de Dessiner la littérature, car elle lui voue un véritable culte, en particulier à celle du XIX° siècle.
Elle est célèbre en Grande Bretagne pour ses dessins en noir et blanc publiés dans la presse anglaise, notamment le Gardian. Le public international et français l'a vraiment découverte au tournant des années 2000 avec "Gemma Bovery", qui est une variation sur l'oeuvre de Gustave Flaubert sous la forme d'un roman graphique. En effet cette francophile qui parle parfaitement notre langue affirme : J’aime autant écrire que dessiner.
Je signale qu'à deux exceptions près toutes les œuvres présentées sont des originaux qui appartiennent à l'artiste. L'exposition est visible, en accès libre, aux horaires de la BPI, jusqu’au 1er avril 2024 avant que le mois suivant tout le centre soit dédié à la BD autour d’une exposition de Corto Maltese. Dessiner la littérature n’usurpe pas son nom tant elle est dense et qu’il y a beaucoup à lire, pas tant sur les cartels qui se limitent à l’essentiel mais sur les planches elles-mêmes.
Posy a suivi un cours de civilisation à la Sorbonne et c’est naturellement qu’on a choisi d’agrandir un toit d’immeuble parisien (dessin à l'encre de 1963) pour inviter le public à entrer dans l'espace qui lui est consacré. Le contraste fut très fort avec la campagne où elle avait jusque là vécu, chez ses parents fermiers avec ses cinq frères et soeurs, mais très instruits, acceptant de mettre tous les livres de leurs bibliothèques à sa disposition, si bien qu’elle découvre le dessin satirique à 3 ans et dessine sa première BD à 10 ans.
L’exposition démarre avec une frise chronologique retraçant les étapes principales de sa carrière, validée par elle-même et son éditeur français Denoël. Elle s’ouvre ensuite sur trois autoportraits réalisés au début des années 60. Arrivant seule à Paris à 17 ans d'un village anglais tranquille, Posy Simmons prend goût à la vie citadine. En plus de son cursus à la Sorbonne et de ses leçons de peinture, elle découvre la mode, le jazz, les musées et les dessinateurs français, notamment Sempé, Siné et Reiser … et même l'art de porter le foulard. Ses autoportraits montrent une confiance en soi grandissante. "J'étais une jeune fille anglaise convenable. Je suis repartie au bot d'un an transformée en Juliette Gréco, en noir de la tête aux pieds, jupe de cuir, col roulé et eye-liner".
Elle aime beaucoup dessinateur britannique Ronald Searle (1910-2011) envers qui elle reconnait une immense dette d'inspiration dans la conception de son premier album Fred. Ici elle se représente petite fille tendant une lettre d'amour à un jeuneNigel Molesworth indifférent. Searle avait dessiné cet écolier incorrigible entre 1953 et 59 dans quatre livres. J.K. Rowling, créatrice de Harry Potter, est aussi une admiratrice de cette série qui lui a servi pour concevoir Poudlard. (fac-similé de 2010).
Première rémunération en 1966 pour la jaquette du livre The Grass Beneath the Wire de John Pollock sur un militaire britannique homosexuel lors de la Grande Guerre. L’homosexualité n'a été partiellement décriminalisées au Royaume-Uni qu'en 1967. Elle reçut un chèque de 25 livres pour ce travail qui lui permet d'ouvrir son premier compte en banque.
Voici ci dessus son ancien atelier (elle travaille désormais a Londres). Si elle a énormément produit on ne verra pas de carnets de croquis reproduisant des traces qu'elle aurait croquées sur le vif dans la rue. Elle ne veut pas être reconnue et se contente d'enregistrer mentalement les scènes pour les reproduire ensuite au calme.
Sur un de ses dessins très connus intitulé What are you like ? (A quoi ressemblez-vous ?, 2008) on voit son animal préféré (un taureau Galloway ceinturé), son moyen de transport (la marche à pied), ses chaussures (de chics hauts talons de créateur), son idée du confort (des pulls entrelacés), son endroit favori (une boulangerie), sa nourriture (des chocolats), sa météo (orageuse) et son animal détesté (le moustique).
La deuxième salle la présente en tant que dessinatrice de presse. Elle témoigne de la boboïfication des habitants d’un petit village qui n’ont pas les moyens de s’offrir les produits bio du marché. Cette planche originale est parue le 23 janvier 1993 dans The Guardian sous le titre de Common Market.
Clin d’œil planche suivante à La petite fille aux allumettes. Et dans cette autre planche originale parue le 23 avril 2011 dans The Guardian Review sous le titre de Wedding Drawning elle croque l’assemblée d’un mariage princier. On retrouvera ces personnages ultérieurement.
Quand il n’y a rien à lire il faut lire le dessin, dit-elle avec humour. On reconnait en tout cas Margaret Thatcher dans ce dessin extrait de la bande dessinée en ligne King Ironsides, paru le 13 avril 2013 dans The Guardian.
Elle inverse les rôles des femmes et des hommes dans un bureau, plaçant les femmes aux commandes et soumettant le patron au harcèlement et à l'exploitation. Le titre The World Upside Dow est paru dans The Guardian le 11 mai 1987. IL n'est pas certain qu'on se soit rendu compte du second degré à l'époque.
Et voici quatre dessins originaux publiés dans The Sun entre 1973 et 75 sous le titre Bear Cartoon brossant la mauvaise conduite d'un ours en peluche à l'égard d'une petite fille. Elle avait été embauché pour dessiner six gags par semaine dans lesquels son ours lancerait des insinuations sexistes devant des petites poupées. pendant cinq ans ce travail paya le loyer mais étouffa la créativité de Posy, réduite au silence à l'instar de ses poupées. Elle décida ensuite de donner la parole à des femmes réelle dans ses autres bandes dessinées.
Dans la troisième salle, place à Posy, auteure jeunesse, avec 7 albums dont Matilda, lui permettant de diversifier sa palette en quittant momentanément le noir et blanc des planches publiées dans la presse. Elle commença avec La fabuleuse vie secrète de Fred, un bon chat de famille qui passe ses journées à dormir pour récupérer de la fatigue de ses nuits à jouer l’Elvis des chats du quartier, ce qu'on ne saura qu'après sa mort. Fred devint un dessin animé qui fut nommé aux Oscars en 1998.
Elle a un sens du mouvement très affûté. Parfois on jurerait que le personnage va s'animer. Kenneth, le petit cochon d’Inde devenu manager artistique du chat, semble prêt à s’échapper de la page.
Lavender (2003) est le seul non traduit. Posy choisit les crayons de couleur et y modernise la fable animalière, inspirée cette fois par Beatrix Potter (1886-1953). Lavender est une petite lapine timide, terrorisée par l'invitation à uene fête donnée par des renards urbains. Elle est rassurée quand elle découvre qu'ils ne mangent que de la pizza et osera avec courage affronter leurs cousins affamés.
La quatrième salle est dédiée à Gemma Bovery (1989), Tamara Drewe (2007) et Cassandra Darke (2018), les héroïnes de ses trois romans graphiques dans lesquels le mensonge tient (encore) une forte place. Elle est une des premières à avoir associé texte et dessin. Ses études de typographie ont très probablement conditionné son usage des collages. Et fort astucieusement, elle a conçu sa trilogie de façon à ce qu'elle puisse être d'abord publiée en feuilleton dans The Guardian.
Si une partie du texte est cachée par les tableaux c’est intentionnel. Posy dessine la campagne anglaise d'aujourd'hui dans toute sa splendeur et son ironie. Au début le paysage panoramique qui rappelle sans doute la campagne où elle a grandi semble paisible, mais la voiture de police qui fonce, gyrophare allumé et sirène hurlante rompt l'enchantement.
On retrouve beaucoup d’animaux dans Tamara Drewe, écrit en s'inspirant d'un roman du XIX°, Loin de la foule déchainée de Thomas Hardy dont elle a personnalisé et modernisé le récit.
Elle y combine bande dessinée, texte, illustrations et éléments graphiques tels que magazines à scandales, colonnes de journaux, e-mails. Ce roman graphique fera l'objet par Stephen Frears de la première adaptation en long métrage d'une de ses oeuvres.
Ci-dessus c'est un hommage à Claire Bretecher (1940-2020) qui était son âme soeur depuis les années 1980. Elles se sont rencontrées, étaient amies et Posy mélange intentionnellement français et anglais pour faire passer son admiration et pour embrocher l'arrogance masculine et le "mansplaining" qui caractérise le paternalisme condescendant.
Dernière salle avec Literary Life qui accorde toujours une place au bestiaire et aux chaussures mais comporte des traits d’humour.
On a commencé par les toits de Paris. On fini par la Fashion Week, une planche originale parue le 17 juillet 2000 dans The Guardian où l'on retrouve son amour de la mode, et particulièrement des chaussures. Elle y épingle la folie et les contradictions de ce milieu.
Et soyons prêts à d'autre surprises puisqu'un nouvel album est encore en préparation.
Pensez à demander un marque-page avec un dessin de l'artiste avant de repartir. Et admirez Le rhinocéros (1999-2000) de Xavier Veilhan en résine, peinture polyester et vernis, conçu à l’origine pour la boutique Yves Saint Laurent de Soho à New-York. Il nous saisit par son air placide et sa carcasse rutilante comme la carrosserie d’une voiture de luxe, aux antipodes de la peau rugueuse de cet animal.
A savoir, les lundi et mercredi à 16 h est proposée une visite (gratuite mais sur réservation) des collections permanentes d'art moderne du musée (les participants sont invités à se présenter spontanément à l'accueil de la BPI).
Et puis La BPI fermera pour cinq ans en 2025. Elle se déplacera dans le bâtiment Lumière, un immense immeuble de bureaux, 40 Av. des Terroirs de France, 75012 Paris, face à la BNF.
Enfin, profitez du déplacement pour admirer les oeuvres de Niki de Saint Phalle et de Jean Tinguely qui animent la Fontaine Stravisky fraichement rénovée.
Posy Simmonds - Dessiner la littérature
Du 22 novembre 2023 au 1er avril 2024
Bibliothèque publique d'Information
25 rue du Renard - 75004 Paris
Lundi, mercredi, jeudi et vendredi de 12 à 22 heures
Samedi, dimanche et jours fériés de 10 à 22 heures
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