C’est toujours un plaisir -malgré la distance- d’aller au Théâtre de l’épée de bois dont l’atmosphère si particulière m’évoque systématiquement l’ambiance du Théâtre du Peuple de Bussang. Le dépaysement est immédiat.
Ce soir, c’était la première de L'enfant de verre, une fable poétique autour des silences familiaux. Le spectacle est né d’une amitié entre le metteur en scène Alain Batis et l’autrice Léonore Confino, rejointe par Géraldine Martineau, autrice, metteuse en scène et comédienne pour collaborer à l’écriture et par conséquent enrichir l’aventure.
De Léonore Confino je me souvenais de Ring, vu il y a dix ans. De Géraldine Martineau, sans doute chacune des pièces dans lesquelles elle a joué.
La scénographie situe la pièce dans un bord de mer, bordé d’une falaise rocheuse, cerné d’une succession de sept miroirs sans tain derrière lesquels prennent place sept personnages qui lancent des appels au secours en nous donnant l’illusion de se trouver sous une cloche de verre.
C’est ici que vit la famille Kilvik qui travaille dans le verre depuis des générations : Liv (15 ans), sa soeur Hella (18 ans), Frederik, le père, la mère, Anja, la grand-mère maternelle… Nino, le mari d'Hella, et un autre être, à la présence énigmatique, l’enfant de verre tandis que plus loin travaille Pio, le souffleur de verre. Bientôt une fête aura lieu sur le sable blanc qui recouvre l’essentiel du plateau.
"Tout ce qui ne se dit pas se répète" écrit le psychanalyste Bruno Clavier, en formulant l’hypothèse qu’on peut être "assiégé" dans son inconscient par ses ancêtres. À ceux qui seraient tentés d’enfouir les traumatismes pour permettre à la génération suivante d’être heureuse, il semble que l’effacement total soit un projet impossible.
Mais alors comment rompre le cycle infernal sans tout détruire ? Car le secret ne se fomente pas sans qu’il ne serve l’intérêt de quelqu’un ou d’une cause.
La parole n’est pas aisée à prendre. Quand bien même elle serait posée, serait-elle entendue ? Il est terrible de se rendre compte que ceux qui sont sensés vous protéger peuvent préférer le silence, parce qu’il leur permet de vivre dignement, en s’épargnant d’être éclaboussés par la douleur de la victime, et en quelque sorte de conserver un écosystème familial et social respirable. Comme si le bruit de la parole était bien plus violent que l’agression perpétrée en secret. On aura pourtant prévenu les protagonistes : attention ! Tout est en verre ici.
Aux cris de détresse succèdent les cris de joie du préparatif du mariage d'Hella. Le spectacle est très visuel et très chorégraphique. Une folle tarantelle se danse sur le sable. Tout irait pour le mieux si la grand-mère n'était pas si fragile, avec son besoin de saisir la moindre main à sa portée, et si la mère, dont on devinait les fragilités, ne craquait pas inopinément, envoyant tout le monde se coucher.
Parallèlement, la jeune soeur s'apprête à dépasser l'âge de 15 ans. Elle va recevoir, c'est le rituel, la mésange de verre que sa soeur ainée a reçue de leur grand-mère. Dans la nuit, allons savoir pourquoi, la jeune fille la sert trop fort, la brise et montre ses paumes en sang.
La grand-mère croit en la solidité des femmes et ne dit pas ce qui pourrait sauver l'enfant. Rien de grave ne serait donc arrivé. Les hommes sont contrastés. Le père s'égare dans l'alcool. Le mari d'Hella semble trop bien sous tous rapports pour être tout à fait honnête.
Frederik, le père, se ressource en pêchant et se noie dans l’alcool ; Nino, le mari d’Hella, bien sous tous rapports, est un gendre un peu trop parfait pour être honnête. Pio, le souffleur de verre, joue un peu un rôle comparable à celui du chasseur dans les contes de Grimm. Mais, chut … j'en ai déjà trop dit. Même si la folie est un secret qui n'en peut plus de se taire.
Il va de soi que puisqu'il s'agit d'une fable la vérité finira par se faire connaitre. Après les dérobades, les faux-semblants, et au fil des flash-backs on nous soufflera ce que nous devons comprendre sous ce lustre qui n'en finit pas de monter et descendre comme la poulie d'un mécanisme infernal.
L’enfant de verre de Léonore Confino, Géraldine Martineau
Mise en scène Alain Batis
Avec Sylvia Amato, Delphine Cogniard, Anthony Davy, Laurent Desponds, Julie Piednoir, Mathieu Saccucci, Blanche Sottou.
Au Théâtre de l'Épée de Bois - Cartoucherie (Salle en pierre) - 75012 Paris
Au Théâtre de l'Épée de Bois - Cartoucherie (Salle en pierre) - 75012 Paris
Du 7 au 23 décembre 2023
Les jeudi, vendredi, samedi et dimanche à 21 h, samedi supplémentaire à 16 h 30
Le texte de la pièce a été publiée aux éditions Actes Sud-Papiers.
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