Ce fut une belle cérémonie qui eut lieu la semaine dernière pour la remise des 4 Brigadiers de l'édition 2023 devant une salle pleine d'artistes, d'artisans/anes du théâtre et des personnalités du monde culturel parisien dans cette jolie salle du Théâtre Montparnasse ouverte il y a déjà plus de 250 ans dont Bertrand Thamin est le directeur.
Elle a en effet été inaugurée le 29 octobre 1886. Le bâtiment est l'œuvre de l'architecte Charles Peigniet, qui a notamment participé à la réalisation du socle de la Statue de la Liberté à New-York.
C'est une joie d'avoir cette occasion de fêter le théâtre, cette belle corporation qui compose une famille.
Récompenses et hommages sont des témoignages d'amitié pour les récipiendaires. Cette fois le Brigadier de l'année fut décerné à Christine Murillo puis Stéphane Hillel, Pierre Arditi et Danielle Mathieu-Bouillon furent tous trois honorés d'un Brigadier d'Honneur, les deux premiers pour leur carrière et Danielle pour et à Danielle Mathieu-Bouillon pour son cinquantenaire comme présidente de l’Association de la Régie Théâtrale (A.R.T.), association fondatrice du Prix en 1960 et qui est aujourd'hui présidée par Pascal Monge, pour distinguer l’événement théâtral de la saison, qu'il s'agisse d'un auteur, un acteur ou un metteur en scène, parfois un spectacle ou un décorateur. Contrairement aux Molières, il ne peut être attribué qu’une seule fois.
L'objet est une pièce unique, réalisé à partir de morceaux de perche d'illustres lieux comme les Folies Bergère, le Casino de Paris, la Michodière, partiellement recouverts de velours rouge, cloutés d’or et comportant une plaque au nom du lauréat.
La première a recevoir cette distinction fut donc Christine Murillo qui fut saluée d'une longue ovation après le discours élogieux prononcée par Karen Taïeb, Maire-Adjointe à la Culture à la Ville de Paris.
Elle ne bouda pas son plaisir et lança le cri du coeur Bon Dieu que je suis contente !
La comédienne commença par dire ce qu'elle doit à son rôle Pauline & Carton, mis en scène par Charles Tordjman qu'elle interprète en ce moment à La Scala le samedi à 19h30 et le dimanche à 15h30 jusqu’au 17 décembre, après en avoir lu le texte en 2022 au Festival de la correspondance de Grignan, en collaboration avec la compagnie Fabbrica.
Elle y incarne Pauline Carton, actrice fantaisiste et mythique avec qui elle a plusieurs points communs, le trac, l'humour (même si Christine n'est pas caustique) et l'auto-dérision. Ceux qui ne l'ont pas vue dans ce rôle taillé pour elle peuvent être rassurés. Elle jouera les prolongations du 16 mars au 23 juin, le samedi à 15h30 et 19h30, le dimanche à 15h30.
Elle est furieusement drôle en imitant pour nous Michel Simon (qui, elle nous le rappela, n'a jamais joué Jean Valjean) et en nous prévenant qu'elle allait pleurer peut-être un peu.
Elle est surtout modeste, se réjouissant de ce bâton qui pourra toujours lui servir en cas d'agression. Citant tous les metteurs en scène avec qui elle a travaillé et qui ne sont plus là pour l'applaudir (et notamment Jean-Pierre Vincent que nous regrettons tous), elle dit : j'ai fait ce que j'ai pu. J'espère que vous êtes contents de moi là haut.
Elle se souvient des six coups de la Comédie Française et a frappé consciencieusement le parquet de la scène avant d'être encore longuement applaudie.
Ce fut ensuite Stéphane Hillel que nous connaissons tous et qui fit une fausse entrée provoquant les rires.
En 2002, il devient directeur associé du Théâtre de Paris, puis du Théâtre des Bouffes Parisiens et finalement du Théâtre de la Michodière en 2014. Etant responsable de quatre salles (deux au Théâtre de Paris) son expérience est immense et son intervention fut marqué par des anecdotes amusantes, après l'intervention de Pascal Guillaume, président de l'ASTP, Président de l'Association pour le Soutien du Théâtre Privé, chargé de lui remettre le Prix.
Lui aussi témoigna d'un fort humour en comparant ce qu'un Molière est au Brigadier à l'instar du Renaudot au Prix Goncourt.
Il rappela son expérience des Molières. En 2002, il échoua au Molière du second rôle pour son emploi dans Impair et père, face à Philippe Magnan dans Elvire; Wojtek Pszoniak dans La Boutique au coin de la rue, Michel Vuillermoz dans Madame Sans Gêne et enfin Maurice Chevit qui reçut la statuette pour Conversations avec mon père.
L'année suivante il est opposé, en tant que metteur en scène, à Peter Brook pour Le Costume, Didier Caron pour Un vrai bonheur, Patrice Chéreau pour Phèdre et John Malkovich pour Hysteria. Il nous raconte avec délice qu'il l'emporta pour Un petit jeu sans conséquence alors que les perdants affichaient un regard de sidération. Si ce prix lui était décerné à titre personnel il n'empêche que Stéphane Hillel a souligné l'importance du travail d'équipe.
L'évènement monta d'un cran en terme d'humour avec l'arrivée de Pierre Arditi, dont le producteur Jean-Claude Houdinière fit l'éloge appuyé d'un parcours outrageusement exceptionnel (couronné d'ailleurs de 2 Césars et d'un Molière).
Il sembla (ou surjoua) à la torture à l'énonciation des titres de toutes les pièces dans lesquelles il eut un rôle, ponctuant tu as raison de ne pas en oublier … et semblant mal à l'aise d'entendre qu'il est un acteur surdoué. C'est écrasant, se plaignit-il, faisant rire la salle.
Se moquant lui-même de ses récents soucis de santé il remercia pour cet éloge funèbre tout en promettant d'essayer de continuer à nous émerveiller. On a senti poindre l'émotion : Je ne sais plus de qui c'est mais à partir d'un certain moment, ce qui nous reste à vivre c'est ce qu'on a vécu. (…) J'apprécie ce très beau prix parce que le théâtre c'est ma vie. J'arrive sur la fin, au sens beckettien du terme.
Le régisseur devina qu'il avait envie de voir nos visages quand il exprima sa fierté de faire partie de la famille du théâtre. (…) Je n'ai pas envie de vous quitter. Je goûte à ce que vous êtes pour ne pas perdre ce que je suis. Je vous aime (…). Sans vous je ne suis rien.
Après cette forte émotion l'acteur frappa neuf coups puis les trois rituels.
Cristiana Reali (récipiendaire 2019) célébra ensuite la petite fée qui attend qu'on lui remette sa baguette magique. La femme dont le prénom s'écrit avec deux "l" pour lui garantir de disposer de deux ailes pour s'envoler.
Ce que Danielle Mathieu-Bouillon a entrepris à l’ART est considérable et sa distinction aujourd'hui est amplement méritée. L’Association a vocation à entretenir la mémoire du théâtre parce que ce que nous faisons aujourd'hui sera demain dans l'histoire, Elle recueille tous les documents concernant les œuvres, carrières et spectacles qui font la richesse d'un métier dont l'unique objectif est de faire vivre un rendez-vous d'amour avec le public.
Bien entendu elle la partage avec Serge Bouillon (1926-2014) dont elle partagea la vie et la passion pour le théâtre pendant presque cinquante ans.
C'était une belle cérémonie, forte en émotion qui se poursuivit autour d'un verre et de conversations animées et fort amicales.
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