Saltimbanques est un (premier) roman que je referme avec perplexité. Sur le site de l'éditeur, Viviane Hamy, on présente l'auteur en donnant des informations qui constituent peut-être des indices pour comprendre sa démarche.
Né en 1991, François Pieretti a grandi dans un petit village entouré de champs et de bois, au fin fond de la Seine-et-Marne. Miraculeusement diplômé grâce à de nombreux stratagèmes ayant peu à voir avec l’apprentissage, il est surtout fier de son permis qui lui permet de se balader où il veut.
Il aime les voix de radio tard le soir ou tôt le matin, les villes de petite taille, les rivières, observer les gens dans leur vie quotidienne, lire les romans de Jim Harrison, Julien Gracq, Patrick Modiano, Gabriel García Márquez ou Paul Auster, et passer de longs moments avec les chiens des autres, en attendant le sien.
Est-il encore à chercher le sien, de chien, comme le fait Nathan dans son roman ? Son personnage principal est en recherche de tout, tentant de relier le passé à un avenir et faisant feu de tout bois pour y parvenir.
De Saltimbanques il dit qu'il a voulu écrire l’histoire d’un homme qui court derrière un fantôme. Le narrateur se glisse dans les pas de son frère, fréquente ses amis jongleurs et tente de se fondre dans le souvenir de l’adolescent disparu, mais il n’assiste qu’aux derniers instants de beauté d’un groupe, celui des saltimbanques, voué à se dissoudre. Il y gagne pourtant des compagnons de cordée. Pour le reste, ce sont tout autant des rencontres que des instants captés au hasard de ces dernières années, ainsi que les images qui surnagent en permanence dans mon cerveau : à mon très humble niveau, j’ai été influencé par les constats brutaux et directs de Jim Harrison tout autant que par le brouillard d’enfant perdu de Patrick Modiano.
C'est tout à fait cela, servi par une écriture que je qualifierais de masculine. Ne me demandez pas pourquoi ... moi aussi je cherche. Qu'est-ce qui fait que ce livre, que je n'ai pas particulièrement aimé, sans nul doute parce que j'ai été dérangée que cette jeunesse continue à se laisser ravager par l'alcool et la drogue qui leur a pris leur ami, a cependant retenu mon attention ?
J'ai sûrement reconnu la profondeur du vide que laisse la mort de quelqu'un que l'on était censé connaitre et dont on se rend compte qu'il est probablement trop tard pour tenter d'approcher sa vérité, même en multipliant les contacts avec ceux qui ont été proches de lui.
Nathan sollicite le groupe de jongleurs dans lequel son frère s'était intégré pour l'emmener, un peu, se trainer avec eux ...) même s'ils se demandent tous un peu ce qu'il fait là, forcément (p.60). Le presque trentenaire est un peu perdu, mal installé dans sa propre vie, détaché de ses parents, n'ayant pas beaucoup de souvenir de ce frère qui vient de mourir accidentellement et qui, lui, semblait avoir une existence pleine de promesses.
Sans doute pense-t-il attraper quelques poussières d'étoile en marchant dans ses pas, en se faisant accepter du groupe de jongleurs et de cracheurs de feu, en roulant la nuit avec eux de ville en ville, en séduisant aussi Appoline, qui fut la petite amie de son frère, en allant jusqu'à se mettre à fumer ou à essayer de voir l'assassin de Gabriel dans le visage du dealer, Tonton Daniel (p.111) pensant que trainer avec ses anciens amis allait le rapprocher de lui.
Il faut beaucoup de sensibilité et de générosité pour jongler avec les étoiles. Nathan en manque cruellement. Il ne décèlera pas la présence mystique de son frère, caché derrière un arbre ou près du petit pont (p.67).
Il est venu dans ce groupe pour tenter de vivre un peu de la vie de Gabriel et le connaitre enfin mais sa présence met tout le monde mal à l'aise, et entretient de la culpabilité (p.117). Il comprend que Gabriel resterait ancré à ses huit ans, à jamais, avec ses étranges manies de l'enfance, sa manière de me suivre sans raison, ses cheveux qui retenaient le soleil (p.119). Nathan n'arrivera jamais à poser les bonnes questions à des personnes qui veulent tous l'oublier et qui voudraient qu'il fasse de même (p.121), et qui de toute façon, ne semblent pas vouloir lui apporter de réponse (p.149).
Cependant, Nathan découvre et nous fait partager un temps la vie de ces saltimbanques qui associent le jonglage, le feu et le tissu aérien (une nouvelle discipline du cirque contemporain). J'ai souvent pensé à l'univers décrit par Julie Bonnie dans C'est toi maman sur la photo ? Les deux livres ont beaucoup de points communs. Une des différences tient peut-être à cette écriture que je qualifiais plus haut de "masculine".
La plus importante est aussi la manière d'aborder le deuil. Celui que doit faire Julie concerne sa jeunesse, son passé en quelque sorte, même s'il lui a permis de devenir ce qu'elle est. Celui que traite François Pieretti est celui d'un frère, et d'une jeunesse qui se traine, indécise déjà bien avant la mort de Gabriel. Comment faire le deuil de quelqu'un que l'on n'a pas vraiment connu ? C'est paradoxalement une rencontre inattendue avec le vieux (comme le désigne l'auteur avec tendresse) qui amènera Nathan à apprendre à regarder droit devant lui et à affronter l'avenir, une fois qu'il aura compris que c'est une mauvaise idée de se faire de faux espoirs (p.211).
Prouver à quelqu'un qu'il peut se hisser à la hauteur de ce qu'on attend de lui. Cesser d'être "le frère de Gabriel" et devenir lui-même, Nathan.
Saltimbanques de François Pieretti, chez Viviane Hamy, en librairie le 17 janvier 2019
Lu dans le cadre des 68 premières fois.
Prouver à quelqu'un qu'il peut se hisser à la hauteur de ce qu'on attend de lui. Cesser d'être "le frère de Gabriel" et devenir lui-même, Nathan.
Saltimbanques de François Pieretti, chez Viviane Hamy, en librairie le 17 janvier 2019
Lu dans le cadre des 68 premières fois.
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