Je sors du Théâtre de l'Oeuvre où j'ai vu Kean, n'ayant pas été en France à sa création au Théâtre 14 il y a quelques semaines, et j'en suis enchantée à plus d'un titre, comme tout le monde, puisque la représentation s'est clôturée par une ovation debout.
C'est un spectacle très réussi. Ce manifeste en faveur du théâtre a été écrit pour célébrer des comédiens. Je serai heureuse qu'il reçoive un Molière, celui du théâtre public ... alors qu'il est repris dans un théâtre ... privé, ce qui serait la preuve éclatante que cette dichotomie est obsolète (même si les différences de financement existent, je ne les nie pas). Verdict demain soir au cours de la 31ème Nuit des Molières.
Les amateurs de rituels sont servis. On frappe les trois coups avant de lever le rideau. Les décors (de Sophie Jacob) sont modulables et efficaces, mis en place par les comédiens eux-mêmes, ce qui témoigne intelligemment que nous sommes toujours au théâtre et qu'il ne faudrait pas y confondre la fiction avec la réalité comme le faisait ce personnage de Kean qui se comporte dans sa vie comme s'il était encore sur scène.
Le comédien britannique Edmund Kean (1787-1833) fut considéré comme le plus grand acteur au monde au XIX° siècle, un peu à l'instar de Molière avant lui ou de Depardieu après, pour établir des comparaisons qui parleront au plus grand nombre en terme de talent. La pièce a été écrite en 1836 par Alexandre Dumas (le père) pour un acteur de son époque, Frédèrick Lemaître, alors que Jean-Paul Sartre l'adapte pour Pierre Brasseur en 1953.
Depuis, cette pièce n'a cessé d'attirer les plus grands comédiens, comme Jean-Claude Drouot, qui en signait aussi la mise en scène au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1983, et plus récemment Jean-Paul Belmondo. Je ne connais pas beaucoup Alexis Desseaux et après tout j'ai énormément apprécié de voir non pas un "numéro d'acteur" mais un acteur d'abord, c'est-à-dire quelqu'un qui sert son rôle et qui en quelque sorte s'efface derrière lui, et non le contraire comme c'est parfois le cas avec des têtes d'affiche.
La mise en abime est très réussie quand on songe que Alexis Desseaux joue un acteur (Kean) en train de jouer un rôle (celui d'Othello). Il est un Kean saisissant, nerveux, surprenant, parfois fragile et pourtant autant inattendu que peut l'être un Roberto Benigni quand il est au sommet de sa forme. Ce débauché, ivrogne et don juan, insolent de surcroit, deviendra au fil du temps plus homme que comédien.
"Vous veniez ici chaque soir et vous jetiez des bouquets sur la scène en criant bravo. J'avais fini par croire que vous m'aimiez... Mais vous n'aimez que ce qui est faux !" dit-il en faisant allusion à ce que serait la vraie vie. Il sera bouleversant quand il sombrera dans une crise de démence : un acteur n'es pas un homme, c'est un reflet.
Kean l'avait exprimé auparavant à plusieurs reprises : l'acteur est toujours dans le doute d'être encore aimé. Et l'homme également qui, parfois, fait penser à Cyrano de Bergerac : je ne vous attendais plus, mais je vous espérais encore.
Alain Sachs, le metteur en scène, a distribué deux comédiennes de talent pour tenter de le faire succomber (il faut voir la pièce pour connaitre la réponse) Sophie Bouilloux, en comtesse Éléna, épouse de l'ambassadeur du Danemark et Justine Thibaudat, en pétillante Anna Damby, jeune héritière bourgeoise, qui mérite sa nomination dans la catégorie Révélation.
L'une comme l'autre ont des rôles qui évoluent au fil de la soirée. Eléna semble une amoureuse peu impliquée, effrayée d'avoir un penchant pour un comédien, forcément quelqu'un de "très mal", mais elle se révèlera passionnée par la suite. Anna ne cessera de nous étonner. Il ne fait pas de doute que les dialogues ont été écrits pour la surprise des spectateurs et sans nul doute aussi le plaisir des comédiens. Ce n'est pas étonnant qu'ils soient quatre à avoir été remarqués par le jury des Molières.
Sartre a fait preuve de dérision en adaptant Dumas et en prenant le contrepied de ce qu'il dénonce, à savoir que l'ennui avec les auteurs morts c'est qu'ils ne se renouvellent pas (réplique prononcée au tout début de la pièce). Le défi est lancé. La mise en scène appuie autant sur les ressorts tragiques que sur les aspects comiques (je n'avais pas le souvenir que Sartre pouvait être si drôle). Eve Herszfeld nous surprend à chacune de ses apparitions, par son accent, ses mimiques, jusqu'à son art de la roue.
Les roles masculins sont un peu en deçà, sans doute pour ne pas projeter d'ombre sur le Gand Kean. C'est Pierre Benoist qui a le meilleur "second rôle" puisqu'il a la chance d'en cumuler quatre, avec des postures évidemment différentes et des costumes adaptés, tous magnifiques, conçus par Pascale Bordet qui parvient même à faire de la robe de chambre de Kean un vêtement original.
L'ensemble est mené tambour battant avec des rebondissements qui évoquent une trame policière sous les lumières très justes de Muriel Sachs qui parvient à évoquer une ambiance d'église, laissant augurer une justice divine aux turpitudes du personnage.
Il faut enfin saluer aussi les comédiens pour leur qualité à faire entendre le texte, et nous donner envie de le lire ou relire. Sartre y est (aussi) philosophe, il ne pourrait en être autrement. Sa réflexion sur l'orgueil, envers de la honte, est à méditer.
S'il vous faut encore des arguments vous les trouverez dans la bande-annonce:
Les amateurs de rituels sont servis. On frappe les trois coups avant de lever le rideau. Les décors (de Sophie Jacob) sont modulables et efficaces, mis en place par les comédiens eux-mêmes, ce qui témoigne intelligemment que nous sommes toujours au théâtre et qu'il ne faudrait pas y confondre la fiction avec la réalité comme le faisait ce personnage de Kean qui se comporte dans sa vie comme s'il était encore sur scène.
Le comédien britannique Edmund Kean (1787-1833) fut considéré comme le plus grand acteur au monde au XIX° siècle, un peu à l'instar de Molière avant lui ou de Depardieu après, pour établir des comparaisons qui parleront au plus grand nombre en terme de talent. La pièce a été écrite en 1836 par Alexandre Dumas (le père) pour un acteur de son époque, Frédèrick Lemaître, alors que Jean-Paul Sartre l'adapte pour Pierre Brasseur en 1953.
Depuis, cette pièce n'a cessé d'attirer les plus grands comédiens, comme Jean-Claude Drouot, qui en signait aussi la mise en scène au Théâtre de la Porte Saint-Martin en 1983, et plus récemment Jean-Paul Belmondo. Je ne connais pas beaucoup Alexis Desseaux et après tout j'ai énormément apprécié de voir non pas un "numéro d'acteur" mais un acteur d'abord, c'est-à-dire quelqu'un qui sert son rôle et qui en quelque sorte s'efface derrière lui, et non le contraire comme c'est parfois le cas avec des têtes d'affiche.
La mise en abime est très réussie quand on songe que Alexis Desseaux joue un acteur (Kean) en train de jouer un rôle (celui d'Othello). Il est un Kean saisissant, nerveux, surprenant, parfois fragile et pourtant autant inattendu que peut l'être un Roberto Benigni quand il est au sommet de sa forme. Ce débauché, ivrogne et don juan, insolent de surcroit, deviendra au fil du temps plus homme que comédien.
"Vous veniez ici chaque soir et vous jetiez des bouquets sur la scène en criant bravo. J'avais fini par croire que vous m'aimiez... Mais vous n'aimez que ce qui est faux !" dit-il en faisant allusion à ce que serait la vraie vie. Il sera bouleversant quand il sombrera dans une crise de démence : un acteur n'es pas un homme, c'est un reflet.
Kean l'avait exprimé auparavant à plusieurs reprises : l'acteur est toujours dans le doute d'être encore aimé. Et l'homme également qui, parfois, fait penser à Cyrano de Bergerac : je ne vous attendais plus, mais je vous espérais encore.
Alain Sachs, le metteur en scène, a distribué deux comédiennes de talent pour tenter de le faire succomber (il faut voir la pièce pour connaitre la réponse) Sophie Bouilloux, en comtesse Éléna, épouse de l'ambassadeur du Danemark et Justine Thibaudat, en pétillante Anna Damby, jeune héritière bourgeoise, qui mérite sa nomination dans la catégorie Révélation.
L'une comme l'autre ont des rôles qui évoluent au fil de la soirée. Eléna semble une amoureuse peu impliquée, effrayée d'avoir un penchant pour un comédien, forcément quelqu'un de "très mal", mais elle se révèlera passionnée par la suite. Anna ne cessera de nous étonner. Il ne fait pas de doute que les dialogues ont été écrits pour la surprise des spectateurs et sans nul doute aussi le plaisir des comédiens. Ce n'est pas étonnant qu'ils soient quatre à avoir été remarqués par le jury des Molières.
Sartre a fait preuve de dérision en adaptant Dumas et en prenant le contrepied de ce qu'il dénonce, à savoir que l'ennui avec les auteurs morts c'est qu'ils ne se renouvellent pas (réplique prononcée au tout début de la pièce). Le défi est lancé. La mise en scène appuie autant sur les ressorts tragiques que sur les aspects comiques (je n'avais pas le souvenir que Sartre pouvait être si drôle). Eve Herszfeld nous surprend à chacune de ses apparitions, par son accent, ses mimiques, jusqu'à son art de la roue.
Les roles masculins sont un peu en deçà, sans doute pour ne pas projeter d'ombre sur le Gand Kean. C'est Pierre Benoist qui a le meilleur "second rôle" puisqu'il a la chance d'en cumuler quatre, avec des postures évidemment différentes et des costumes adaptés, tous magnifiques, conçus par Pascale Bordet qui parvient même à faire de la robe de chambre de Kean un vêtement original.
L'ensemble est mené tambour battant avec des rebondissements qui évoquent une trame policière sous les lumières très justes de Muriel Sachs qui parvient à évoquer une ambiance d'église, laissant augurer une justice divine aux turpitudes du personnage.
Il faut enfin saluer aussi les comédiens pour leur qualité à faire entendre le texte, et nous donner envie de le lire ou relire. Sartre y est (aussi) philosophe, il ne pourrait en être autrement. Sa réflexion sur l'orgueil, envers de la honte, est à méditer.
S'il vous faut encore des arguments vous les trouverez dans la bande-annonce:
Kean de Alexandre Dumas
Adaptation Jean-Paul Sartre
Mise en scène Alain Sachs assisté de Corinne Jahier
Costumes Pascale Bordet assistée de Solenne Laffitte
Décors Sophie Jacob
Lumières Muriel Sachs
Musique Frédéric Boulard
Avec : Alexis Desseaux, Sophie Bouilloux, Justine Thibaudat, Eve Herszfeld, Frédéric Gorny, Stéphane Titeca, Pierre Benoist et Jacques Fontanel
Reprise depuis le 9 mai 2019
Au Théâtre de l'Oeuvre - 55 rue de Clichy - 75009 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot
Adaptation Jean-Paul Sartre
Mise en scène Alain Sachs assisté de Corinne Jahier
Costumes Pascale Bordet assistée de Solenne Laffitte
Décors Sophie Jacob
Lumières Muriel Sachs
Musique Frédéric Boulard
Avec : Alexis Desseaux, Sophie Bouilloux, Justine Thibaudat, Eve Herszfeld, Frédéric Gorny, Stéphane Titeca, Pierre Benoist et Jacques Fontanel
Reprise depuis le 9 mai 2019
Au Théâtre de l'Oeuvre - 55 rue de Clichy - 75009 Paris
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Laurencine Lot
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