Publications prochaines :

La publication des articles est conçue selon une alternance entre le culinaire et la culture où prennent place des critiques de spectacles, de films, de concerts, de livres et d’expositions … pour y défendre les valeurs liées au patrimoine et la création, sous toutes ses formes.

dimanche 23 novembre 2025

L’Empire du sommeil au musée Marmottan-Monet

Le musée Marmottan-Monet explore depuis le 9 octobre dernier, et pour la première fois en France, les représentations de cet état mystérieux qui occupe un tiers de notre vie et qui a nourri la création depuis l’Antiquité. Intitulée L’Empire du sommeil, cette très intéressante exposition se focalise, en accord avec l’esprit des collections du musée, sur le "long dix-neuvième siècle " des Lumières à la Grande Guerre, sur cette période des XIX° et XX° siècles, elle se concentre pendant lesquelles l’imaginaire du sommeil a connu de grandes transformations.

Le corpus d’œuvres des années 1800 à 1920 est mis en regard d’œuvres significatives de l’Antiquité, du Moyen Âge, des Temps Modernes et de l’époque contemporaine pour rendre compte de la permanence de certains thèmes clefs : le sommeil de l’innocent, le songe des récits bibliques, l’ambivalence du sommeil entre repos et repos éternel, l’éros du corps endormi, les rêves et cauchemars.

L’exposition montre ainsi l’étendue et la variété des thèmes iconographiques représentés par les artistes à travers les âges, convoquant un choix d’œuvres anciennes ou contemporaines qui éclairent la fascination du sujet et son étonnante persistance, au-delà des évolutions philosophiques et scientifiques.

Le parcours, composé de huit sections thématiques, propose une traversée à la fois esthétique et savante des visages du sommeil (qui occupe un tiers de notre vieet de ses troubles à travers cent-trente œuvres sont réunies pour l’occasion – peintures, sculptures, œuvres graphiques, objets, documents scientifiques – issues de collections privées ou de grandes institutions françaises et internationales. Le présent article n’a pas pour ambition d’être exhaustif mais de donner envie de s’y rendre.

1- Doux sommeil, bonheur pur
Les premières salles montrent le sommeil comme "pur bonheur", apportant le repos et l’oubli des peines. Tous les artistes, peu ou prou, ont peint leurs proches endormis, hommes, femmes, enfants, bébés dans le berceau, animaux familiers, souvent pendant ce repos particulièrement doux qu’est la sieste et qui exprime au mieux l'abandon au bonheur de l'inconscience.
Le Sommeil de Saint Pierre (?) vers 1740 de Giuseppe Antonio Petrini(1677-1755/1759)
Jean Monet endormi, de Claude Monet (1840-1926) vers 1868
Mon deuxième sermon [My Second Sermon], de John Everett Millais (1829-1896 ?), 1864
La sieste, huile sur toile de 1890, de Michael Ancher (1848-1927)
La Berceuse, Marie Roussel au lit d'Edouard Vuillard (1868-1940) vers1894
Huile sur carton marouflé sur bois
La Berceuse saisit une scène domestique, la mère de l'artiste, de profil, veillant sa fille Marie Roussel. Le tableau évoque un moment douloureux de la vie de l'artiste. Le mariage de sa sœur ainée en 1893 avec son meilleur ami, le peintre Ker-Xavier Roussel, s'était révélé malheureux. Après une fausse couche, la jeune femme était revenue se reposer dans la maison familiale. Le titre du tableau est poignant, car Marie ne peut pas bercer son enfant perdu.Elle redevient une enfant, bercée par sa mère pour trouver le sommeil et l'oubli des peines. 

2 - Figures du sommeil dans la Bible :
Dans la deuxième section, consacrée au sommeil dans la Bible, le sommeil apparaît dès les origines : la Genèse raconte qu’Adam est endormi lors de la création d’Ève. Noé nous rappelle les dangers du sommeil troublé par l’ivresse. Le sommeil de l'enfant Jésus est souvent interprété comme une anticipation de la Passion et l'iconographie de la Vierge observant l'Enfant endormi fait écho à la Pietà (Garofalo, Le Sommeil de l'Enfant Jésus, entre 1500-1550, ci-dessous).
Par la foi en la résurrection, la mort est désormais perçue comme un sommeil, dont on sera réveillé, comme dans les miracles de Jésus. La Dormition de la Vierge (du latin signifiant mort), polychromie sur bois de tilleul de la seconde moitié du XV° siècle, où Marie s'endort en Dieu, n’est pas vraiment tragique. L’expression des personnages et la polychromie évoquent le conte :


3 - Hypnos et Thanatos : Le Sommeil et la Mort sont frères
Dans la mythologie grecque, la Nuit (Nyx) engendre Hypnos (le sommeil) et Thanatos (la mort). Cette proximité s'explique par l'atonie et la ressemblance extérieure entre le sommeil profond et la mort. Hypnos est représenté comme un jeune homme ailé, parfois endormi, parfois tenant une corne emplie de l’eau du Léthé ou de jus de pavot, usé comme hypnotique depuis des millénaires. 

Au XIX° siècle, les portraits post-mortem de défunts "endormis" sur leur lit (Nadar, Victor Hugo sur son lit de mort, profil gauche, 22 mai 1885) et photographies de cadavres rappellent cette relation étroite. Des artistes comme Claude Monet ou Ferdinand Hodler iront jusqu’à peindre leur épouse ou leur maîtresse sur leur lit de mort. Camille sur son lit de mort, en 1879 par Claude Monet en est un célèbre exemple. 
Ferdinand Hodler (1853-1918) a représenté de manière obsessionnelle la lente agonie de Valentine Godé Darel, modèle puis maîtresse de Hodler, diagnostiquée d'un cancer en 1913, partagé entre le désir d'immortaliser le souvenir de sa bien-aimée et une pulsion macabre de saisir la mort en face. L'horloge, à droite symbolise la fuite du temps, et les fleurs esquissées en cercles rouges rappellent la couleur des lèvres du modèle, qui rendra son dernier souffle le 25 janvier 1915. Le tableau ci-dessous représente Valentine Godé-Darel malade en 1914. 
Il y a aussi un très joli pastel (non photographié) de Lucien Lévy, représentant Suzanne Reichenberg dans son rôle d’Ophélie en 1900.
Peintre préraphaélite londonienne, Evelyn De Morgan (1855-1919) réalise des œuvres allégoriques et symbolistes. Dans ce tableau de 1878, la Nuit et le Sommeil, survolant un paysage, éparpillent doucement des pavots (la teinture de pavot était utilisée comme base pour le laudanum-somnifère). Leurs deux silhouettes flottent dans le ciel, le grand manteau de Nuit enveloppant complètement le corps de Sommeil.

Marquée par ses nombreux voyages en Italie, l'artiste s'inspire pour cette oeuvre de la Naissance de Vénus de Botticelli où les roses tombent autour de Vénus, Zéphyr (vent) et Chloris. C'est l'une des rares artistes femmes présentées dans l'exposition, où l’on voit par contre une majorité de femmes représentées dans les oeuvres.

4 - Sommeil et amour, le sommeil érotique
Le sommeil offre un cadre pour le regard érotique. Le Roi des dieux, Zeus chez les Grecs, Jupiter chez les Romains, dévoile le corps d’Antiope endormie (Jean Auguste Dominique Ingres, Jupiter et Antiope, 1851), thème également traité par Rembrandt et Picasso. Par inversion, ce sera aussi bien Psyché dévoilant Eros endormi, ou encore Séléné, la Lune, amoureuse du bel Endymion.
Rembrandt (Rembrandt Harmenszoon van Rijn, dit) (1606-1669) Antiope et Jupiter en satyre 1659
Eau-forte, burin et pointe sèche Paris, Bibliothèque nationale de France
Pablo Picasso (1881-1973) Faune dévoilant une dormeuse (Jupiter et Antiope d'après Rembrandt) 1936
Aquatinte, grattoir et burin, Musée national Picasso-Paris, dation Picasso, 1979
Le regard se pose sur le corps abandonné et dévoile sa nudité, qu'elle soit féminine (Vénus endormies, nymphes néoclassiques, jeunes filles assoupies de Casorati Felice, Arturo Martini ou Félix Vallotton) ou masculine (George Frederic Watts, Endymion, 1903 – 1904). Ou encore avec Jean Cocteau, Portrait de Jean Desbordes, Lithographie sur vélin, 1929 :
Les contes de fées comme La Belle au bois dormant de Charles Perrault (Gustave Doré, La Belle au bois dormant, 1862) illustrent naïvement le pouvoir d'Éros à réveiller les "belles endormies" de leur sommeil enchanté, marquant le passage de l’enfance à l’âge adulte.
Femme nue assise dans un fauteuil 1897, Huile sur carton marouflé sur contre-plaqué de Félix Vallotton (1865-1925) , Grenoble, musée de Grenoble
Arturo Martini (1889-1947) a souvent traité le thème du sommeil et du rêve. La Pisana, terre cuite réalisée en 1933, offre un équilibre parfait entre sensualité paisible et spiritualité, entre naturalisme et abstraction. Le titre de l'œuvre évoque le personnage de La Pisana, figure féminine du roman Les confessions d'un Italien d'ippolito Nievo (1867), femme courageuse et libre qui incarne les idéaux de la nouvelle société de la seconde moitié du XIX® siècle. Une autre possible source d'inspiration vient du monde de la peinture: le tableau de Felice Casorati, Meriggio (1923).

5 - Les portes du rêve :
Depuis les temps homériques, on a tenté d’interpréter les songes dans un sens prophétique, quand même Homère, par la bouche de la sage Pénélope, mettait déjà en garde contre les songes trompeurs. Si la moderne médecine du sommeil est récente, le XIX° siècle voit l'émergence d'une approche scientifique des rêves avec des ouvrages comme Le sommeil et les rêves d'Alfred Maury (1861) et L'interprétation des rêves de Sigmund Freud (1899, traduite en français en 1926). Le sommeil et les rêves deviendront un thème majeur pour les Surréalistes après la Grande Guerre (Max Ernst) et pour les Symbolistes (comme Odilon Redon, Max Klinger, Alfred Kubin) qui s’attachent à représenter la vie intérieure.
Considéré par beaucoup comme le plus grand peintre symboliste français, Odilon Redon (Bordeaux, 1840 - Paris, 1916) a traité à plusieurs reprises le sujet d’Orphée, un des mythes antiques ayant le plus inspiré les artistes aux XIX° et° siècles.  Cette huile sur carton de 1910 en est un exemple. Dans cette représentation, le peintre se concentre plus spécifiquement sur la figure du héros mort, suivant fidèlement le récit que lui consacre le poète latin Ovide dans les Métamorphoses. Le format carré de l’œuvre resserre un espace indéterminé sur le motif principal, la tête du héros qui, après avoir subi le démembrement de son corps par des Ménades en furie, flotte, ceinte d’une couronne de lauriers, sur les eaux. Il émane de cette œuvre tout le mystère et l’onirisme qui caractérisent la production de Redon. Utilisant toutes les potentialités du support en carton, opérant à l’aide de frottages et de recouvrements successifs, conférant à la peinture à l’huile la vivacité du pastel, l’artiste se révèle ici encore coloriste de génie, alors même qu’il ramène le sujet à l’essentiel.

Ce tableau a figuré parmi les onze peintures et pastels de l’artiste présentés à la célèbre exposition de l'"Armory Show" qui, ouverte à New York à partir de 1913, demeure l‘étape décisive dans la reconnaissance internationale de l’art moderne. Redon s’y trouvait alors occuper une place de choix entre Cézanne, Van Gogh, Gauguin, Seurat, tous déjà disparus à cette date, et les Nabis, ainsi que Matisse, et Duchamp qui ont ainsi vu en lui un précurseur.

Le rêve créateur est aussi un thème souvent abordé par les artistes. Dans le chef-d’œuvre de Lorenzo Lotto, Apollon endormi avec les Muses qui se dispersent et la renommée qui s'enfuit (vers 1530-1532), c’est quand dort le Dieu solaire que dansent les Muses. Le songe d’Ossian (vers 1800) d’Ingres ou Le rêve du poète (1881- 1882) de John Faed (1819-1902) donnent corps à l’imagination poétique du dormeur. 
John Faed partagea sa vie entre Édimbourg, Londres, et son village natal, Gatehouse of Fleet, où il s'installa définitivement en 1880. Célèbre surtout pour ses scènes de l'histoire écossaise et ses peintures narratives inspirées des écrits de Walter Scott, Burns et Shakespeare, il fut aussi un graveur reconnu et prolifique. Ce tableau illustre le rêve créateur du poète: les personnages issus de son imagination se profilent et se massent à l'horizon, comme une forêt.

6 - Le sommeil troublé  : Cauchemars, somnambulisme, insomnie
À la fin du XVIII° siècle, des artistes comme Goya (Le sommeil de la raison engendre des monstres, s.d.), Füssli (L'incube s'envolant, laissant deux jeunes femmes, fin 1780) et Blake explorent la face sombre des Lumières, évoquant les cauchemars et le somnambulisme. Les Romantiques dénonceront l’emprise de la raison en explorant ce qui est désormais appelé l’inconscient, les phénomènes médiumniques, la folie, le somnambulisme, tel Gustave Courbet, La Voyante ou La Somnambule, 1865.
Avec ce portrait en buste Gustave Courbet représente une jeune femme dont le visage se détache d'un fond sombre. Son regard pénétrant, presque halluciné, et son léger sourire la font paraitre dans un état entre veille et sommeil. Bien que le titre ait été ajouté plus tard Courbet décrivait cette figure comme "une sorte de somnambule" . Elle fait écho à la curiosité des années 1850 pour l'hypnotisme et les états de transe qui fascinaient artistes et scientifiques. Courbet, intéressé par les études de l'époque, cherche à capturer la frontière indécise entre le conscient et l'inconscient.

Charcot à la Salpêtrière expérimentera l’hypnose sur les hystériques. Freud sera fasciné par l’hypnose mais l’abandonnera vite. Après la Grande Guerre, les Surréalistes reprendront l’exploration du domaine nocturne et useront de l’hypnose comme un procédé "créatif".
Sleep Walker An artwork de Kiki Smith, née en 1954, est une ouvre immense sur papier népalais, réalisée avec encre et crayon.
Puis Le cauchemar peint en 1846 par Ditlev Blunck (1798 - 1864) où chaque détail est signifiant, aussi beau que malaisant. Si la femme est plongée dans un profond sommeil, celui-ci ne doit pas être serein. Pou preuve ce lapin anthropomorphique pesant sur sa poitrine. Le rideau vert s’ouvre derrière elle comme s’il s’agissait d’une scène de théâtre. Sur la table de chevet, un flacon de parfum (ou ‘une substance hypnotique). Au sol, des fleurs et une pantoufle suggèrent une lutte ou un endormissement soudain. Le voile s’enroulant sur le tabouret est d’une extrême délicatesse.

7 - Sommeils artificiels : drogues, hypnose
Au XIX° siècle, l'hypnose (Albert von Keller, Hypnose par Schrenck-Notzing, 1885) est expérimentée par Charcot à la Salpêtrière et plus tard par Freud, qui l'abandonnera. Les narcotiques, de l’opium au haschisch, ont fasciné les artistes (Gaetano Previati, Les Fumeuses d’Opium, 1887, non photographié) et les médecins (Jean-Martin Charcot, Sans titre, 1853). Le pavot symbolise le sommeil et, par extension, la mort (Fernand Khnopffsymboliste belge en tant que peintre (1858-1921),  Des fleurs de rêves, vers 1895, ci-dessous).
Empêché de tous côtés, le sommeil est devenu de nos jours objet de désir, que l’on essaie de retrouver par tous les moyens. Parmi les drogues auxquelles on fait alors recours pour obtenir le repos, l’opium est la plus ancienne. Le pavot est souvent représenté comme symbole du sommeil et de l’oubli, et par extension, de la mort. Les Symbolistes le peignent volontiers. Plusieurs écrivains à la fin du xixe siècle expérimentent les rêveries induites par le laudanum et le haschisch; le tableau de Gaetano Previati montre l’ambiance "maudite" d’une fumerie. Edvard Munch évoque l’insomnie de manière magistrale avec Le Noctambule, (1923-1924).
Edvard Munch utilise souvent l'autoportrait pour donner forme à ses préoccupations existentielles. Dans Le Noctambule, il se met en scène dans sa maison-atelier d'Elky, près d'Oslo. Sa silhouette, à contre-jour, est penchée vers le centre de la composition, ses traits du visage sont marqués, et ses yeux sont cernés de noir. En arrière-plan, les fenêtres ouvrent sur un ciel nocturne que vient confirmer le titre de l'œuvre. Munch a soixante ans lorsqu'il peint cet autoportrait. Régulièrement hanté par les insomnies, il en exprime les angoisses.

8 - Au lit !
Si le mot "chambre" est d'origine grecque (kamara), notre "civilisation du lit " est romaine. Le lit est le meuble principal, même chez les pauvres qui dorment tous ensemble. Dans les demeures des riches, les lits se trouvent dans les pièces de réception. À la fin du Moyen Âge, la chambre à coucher devient un espace privé, abrité des regards.
Au XIX° siècle, la morale chrétienne impose pudeur et discrétion dans la chambre. Le lit défait d’Eugène Delacroix (Graphite et aquarelle sur papier, ci-dessus) suggère suggère la présence de l’Autre, étrange et familière à la fois, et nous trouble. Le confort des accessoires du lit – draps, oreillers, parfums – procure des plaisirs voluptueux, comme le bonheur des "lits remplis d'odeurs légèresde Baudelaire (Federico Zandomeneghi, Jeune fille endormie dit aussi Au lit, 1878). 
Rares sont les artistes à s'être consacrés à la réalité avec l'intensité quasi monastique d'Antonio López García. Pourtant, Sleeping Woman (The Dream) "Femme endormie (Le Rêve)" – sculptée en 1963 dans le bois et polychrome avec la ferveur d'un peintre – n'est pas un simple exercice de réalisme. C'est une confrontation avec le temps, la vulnérabilité et l'étrange intimité de l'inconscient.

Au premier abord, l'œuvre ressemble à une peinture. Ce n'est qu'une fois l'œil habitué que l'on perçoit la physicalité des formes sculptées : le drapé relevé, le poids du bras de la femme, la literie sculptée qui semble s'adoucir sous son corps. López García fusionne sculpture et peinture avec une telle fluidité que le spectateur est contraint de revoir sa propre perception. Qu'est-ce qui est plat ? Qu'est-ce qui est volume ? Qu'est-ce qui est illusion – et qu'est-ce qui, de façon troublante, ne l'est pas ?

La femme est allongée dans un lit lourd et démodé, du genre de ceux qu'on trouvait dans les intérieurs espagnols modestes du milieu du XX° siècle. Les draps et les couvertures, bien que rendus avec minutie, ne sont pas idéalisés. Ils sont froissés, tachés, usés. López García a toujours porté une attention particulière aux détails négligés de la vie quotidienne : la texture tenace du tissu, les carreaux de sol éraflés, la prise électrique à peine visible au mur. Ces éléments ancrent le rêve dans le réel, affirmant que le sommeil se déroule dans un monde qui refuse d'être beau. Et pourtant, la femme elle-même est sereine. Son visage est doucement tourné sur le côté, les yeux clos, les lèvres calmes. Son torse nu émerge du drap avec une vulnérabilité tranquille.

Il ne s’agit ni du sommeil érotisé du nu classique, ni du repos sentimental des scènes de genre du XIX° siècle. C’est plutôt une veillée. Le spectateur devient témoin, trop près d’une personne incapable de défendre son intimité et la tension est plus forte du fait de la sculpture à une taille quasi réelle : la présence est immédiate, troublante, presque sacrée.

La lumière, irrégulière, révèle les textures et les fissures du bois sous la peinture. Le temps a marqué la surface, devenant partie intégrante de la vérité de l’œuvre. Ce qui la rend extraordinaire, c'est la contradiction qui la constitue en son cœur. Le sujet dort ; l'œuvre, elle, refuse de se reposer. Elle devient une méditation sur la mortalité dissimulée sous les apparences de la vie domestique.
Au milieu de cette grande déferlante de somnolence d'une veine classique soudain jaillit To Dream Or Not to Dream, un petit tableau (40.0 x 50.2 cm) de 2006 d'une des plus grandes peintres actuelles, la sud-africaine Marlene Dumas (née en 1953) qui vient aussi de réaliser une installation permanente pour Le Louvre, visible au mois de décembre. C’est elle aussi un des rares femmes exposées ici. A l'aide de larges coups de pinceau beiges et marron elle dresse le portrait, vu de haut, d'un personnage féminin qui émerge des draps. Le tiers supérieur de la composition, bleu nuit semble envahir progressivement la toile et l'esprit du personnage.
Avec Madre (Mère), Joaquín Sorolla y Bastida (1863-1923) évoque la naissance de sa fille cadette, née le 12 juillet 1895. La mère et l'enfant sont enfoncées dans un lit immense, recouvertes par une grande couverture blanche qui occupe la moitié de la composition. Seuls les visages des figures, plongées dans un profond sommeil, émergent de cette blancheur. L'atmosphère est paisible, presque suspendue.
La Phalène de Balthus (Balthasar Klossowski de Rola dit) (1908-2001), 1959-1960, représente une jeune fille qui, s'apprêtant à éteindre la lampe à pétrole avant de se coucher, découvre un grand papillon de nuit, attiré par la lumière. Elle apparaît comme à travers un voile, impression due à la technique particulière de la tempera à la caséine sur toile. Est-ce une scène réelle ou bien un rêve, ou le souvenir d'un rêve ? Ainsi se termine l’exposition sur cette invitation poétique à retrouver le sommeil.

Il ne faut pas manquer de poursuivre avec une exposition temporaire, Les dialogues innatendus. Opus 10 qui font dialoguer Monet avec Sécheret sur la thématique des Paysages d'eau. Et bien entendu également les collections permanentes parmi lesquelles est revenu le si célèbre tableau de Monet, Impression du soleil couchant, prêté pendant l’année de l’impressionnisme.

L’Empire du sommeil
Du 9 octobre 2025 au 1er mars 2026
Commissariat : 
Laura Bossi, neurologue et historienne des sciences, commissaire scientifique,
Sylvie Carlier, directrice des collections du musée Marmottan Monet, conservateur en chef du patrimoine, commissaire associée,
Assistées d’Anne-Sophie Luyton, attachée de conservation au musée Marmottan Monet.
Au musée Marmottan Monet
2, rue Louis Boilly 75016 Paris
www.marmottan.fr
Ouvert du mardi au dimanche de 10h à 18h Nocturne le jeudi jusqu’à 21h
Fermé le lundi, le 25 décembre, le 1er janvier et le 1er mai

Aucun commentaire:

Articles les plus consultés (au cours des 7 derniers jours)