Le soir où je suis allée au Théâtre de Belleville c'était (déjà) la 393 ème représentation de L’amour en toutes lettres, Questions à l’Abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943) et je dois dire que c'est un moment assez étonnant, pour de multiples raisons.
D'abord pour l'aspect historique qui nous plonge (ou replonge) dans la façon dont l'Eglise catholique exerçait une pression considérable sur la sexualité de nos parents et grands-parents ... mais qui n'est pas si éloignée que cela d'autres emprises religieuses plus contemporaines.
En tout cas, dans les années 30, la parole n'était pas aussi libre qu'aujourd'hui. La sexualité obéissait à des tabous et c'était souvent au prêtre que les "fidèles" osaient confier leurs interrogations parce qu'ils pensaient bénéficier du secret de la confession, et de sa miséricorde, selon le principe que toute "faute" avouée serait pardonnée, moyennant quelques Je vous salue Marie ou Notre Père et le cas échéant une remontrance.
Le fait d'avoir choisi des courriers auxquels l'Abbé Viollet (1875-1956) n'a pas répondu en leur temps déplace la "faute" du coté de l'Eglise qui peut être considérée comme ayant abandonné les protagonistes. Le spectacle prend alors une puissance métaphorique du fait que ces questions sans réponse risqueront donc de participer à une transmission générationnelle.
Elles étaient remisées dans les sous-sols du Sacré-Choeur dans un carton étiqueté "cas de conscience" et on peut se demander de quel point de vue s'est placé l'abbé pour les qualifier ainsi. On espère qu'il eut mauvaise conscience à laisser les auteurs dans le silence, qui est pire que tout puisqu'on ne peut pas s'y opposer. En tout cas, soixante ans plus tard, leurs émissaires continuent de nous interroger même si notre regard sur les problématiques a beaucoup évolué.
Pour sa particularité artistique aussi puisque depuis la création du spectacle qui remonte à plus de vingt ans, les mêmes comédiens se sont vus attribuer une lettre, une seule, et c’est celle-là qui est dite sur scène depuis 20 ans, sans qu'aucune bande son ou élément de décor viennent distraire notre attention. Les vêtements portés par les comédiens n'ont pas d'âge et inscrivent la soirée dans une forme d'universel.
C'est un spectacle singulier, et troublant à bien des égards car ces lettres étaient sans nul doute loin d'être uniques. Pour une personne qui osa interroger l'abbé, combien sont restées avec la même question en travers de la gorge ? Des dizaines de milliers sans doute.
L'abbé Viollet avait fondé en 1918 l’Association du mariage chrétien, et y a joué le rôle de guide conjugal, défendant ce qu'on appelle la morale chrétienne. Des femmes et des hommes, catholiques fervents mais "ordinaires", de tous âges et de tous milieux sociaux, lui ont écrit entre 1924 et 1943, pour lui livrer leurs questions, leurs difficultés et, finalement, leur vie sexuelle.
D'abord pour l'aspect historique qui nous plonge (ou replonge) dans la façon dont l'Eglise catholique exerçait une pression considérable sur la sexualité de nos parents et grands-parents ... mais qui n'est pas si éloignée que cela d'autres emprises religieuses plus contemporaines.
En tout cas, dans les années 30, la parole n'était pas aussi libre qu'aujourd'hui. La sexualité obéissait à des tabous et c'était souvent au prêtre que les "fidèles" osaient confier leurs interrogations parce qu'ils pensaient bénéficier du secret de la confession, et de sa miséricorde, selon le principe que toute "faute" avouée serait pardonnée, moyennant quelques Je vous salue Marie ou Notre Père et le cas échéant une remontrance.
Le fait d'avoir choisi des courriers auxquels l'Abbé Viollet (1875-1956) n'a pas répondu en leur temps déplace la "faute" du coté de l'Eglise qui peut être considérée comme ayant abandonné les protagonistes. Le spectacle prend alors une puissance métaphorique du fait que ces questions sans réponse risqueront donc de participer à une transmission générationnelle.
Elles étaient remisées dans les sous-sols du Sacré-Choeur dans un carton étiqueté "cas de conscience" et on peut se demander de quel point de vue s'est placé l'abbé pour les qualifier ainsi. On espère qu'il eut mauvaise conscience à laisser les auteurs dans le silence, qui est pire que tout puisqu'on ne peut pas s'y opposer. En tout cas, soixante ans plus tard, leurs émissaires continuent de nous interroger même si notre regard sur les problématiques a beaucoup évolué.
Pour sa particularité artistique aussi puisque depuis la création du spectacle qui remonte à plus de vingt ans, les mêmes comédiens se sont vus attribuer une lettre, une seule, et c’est celle-là qui est dite sur scène depuis 20 ans, sans qu'aucune bande son ou élément de décor viennent distraire notre attention. Les vêtements portés par les comédiens n'ont pas d'âge et inscrivent la soirée dans une forme d'universel.
C'est un spectacle singulier, et troublant à bien des égards car ces lettres étaient sans nul doute loin d'être uniques. Pour une personne qui osa interroger l'abbé, combien sont restées avec la même question en travers de la gorge ? Des dizaines de milliers sans doute.
L'abbé Viollet avait fondé en 1918 l’Association du mariage chrétien, et y a joué le rôle de guide conjugal, défendant ce qu'on appelle la morale chrétienne. Des femmes et des hommes, catholiques fervents mais "ordinaires", de tous âges et de tous milieux sociaux, lui ont écrit entre 1924 et 1943, pour lui livrer leurs questions, leurs difficultés et, finalement, leur vie sexuelle.
Martine Sevegrand, historienne, a collationné 120 lettres de femmes et d'hommes reproduites intégralement parmi lesquelles Didier Ruiz et Sylvie Laguna ont puisé pour composer le spectacle.
Ce qui frappe en premier, outre les questions parfois à la limite du désespoir et de la naïveté (parce qu'on les entend avec le recul et après la libération qui a marqué les années 70, même si le mariage pour tous est bien plus récent) c'est le niveau de langage. On constate qu’à cette époque là on savait extrêmement bien écrire. Qu'elles aient pu rester sans réponse est absolument incroyable, notamment celui qui ne demandait rien d'autre que l'assurance que des prières soient dites pour lui. Chacune méritait à tout le moins un accusé de réception bienveillant.
Les comédiens arrivent au centre de la scène, l'un après l'autre, prenant la parole avec sobriété et dignité, faisant malgré tout passer une émotion, mais celle-ci est toujours contenue. Chacun demeure ensuite en pleine lumière, silencieux mais expressif, et le spectateur a le sentiment qu'ils partagent leurs souffrances respectives et qu'elles s'additionnent dans un choeur qui grandit au fil de la représentation.
Ce spectacle, qui se compose de deux parties différentes (le lundi et le mardi) interroge inlassablement sur la responsabilité des religions (et de la société) quand elles régentent la sexualité. Beaucoup de spectateurs sont bouleversés par les souvenirs que leur rappellent ces confidences ou par la projection qu'elles provoquent puisqu'elles parlent toutes de la difficulté à aimer et à s'aimer.
Je n'ai pas songé à interroger le collectif pour savoir si quelqu'un comme Ménie Grégoire (1919-2014) a eu l'occasion d'assister à une représentation. Comme j'aurais été curieuse de sa réaction! Cette journaliste et écrivaine, qui avait été surnommée La Dame de coeur, a animé une émission de radio d'écoute et de parole intitulée Allô, Ménie sur RTL de 1967 à 1982, considérée comme la première de type psychologique. Elle répondait à toutes les questions, même les plus dérangeantes à l'époque, alors que la religion avait encore un poids considérable, ce qui témoignait de la volonté de cette radio dite "périphérique" de faire fi des tabous et de s'intéresser la la vraie vie de ses auditeurs.
Didier Ruiz a fondé La compagnie des Hommes en 1998. Il a pour spécificité de collecter les histoires singulières qui reflètent la mémoire et qui sont la trace de notre passé. Il a travaillé ces derniers mois avec Nathalie Bitan (comédienne sur L’amour en toutes lettres) pour mettre en espace les dix ans du Théâtre Firmin Gémier-La Piscine de Châtenay-Malabry (92) en faisant appel à une centaine d'experts en tous genres qui ont partagé leur passion dans un joyeux Grand Bazar des Savoirs (deuxième édition d’un projet imaginé en 2012 avec le Grand T théâtre de Loire-Atlantique). C'était les 13 et 14 avril 2019. Ce fut une expérience formidable à laquelle j'ai eu la chance d'être associée.
Ce qui frappe en premier, outre les questions parfois à la limite du désespoir et de la naïveté (parce qu'on les entend avec le recul et après la libération qui a marqué les années 70, même si le mariage pour tous est bien plus récent) c'est le niveau de langage. On constate qu’à cette époque là on savait extrêmement bien écrire. Qu'elles aient pu rester sans réponse est absolument incroyable, notamment celui qui ne demandait rien d'autre que l'assurance que des prières soient dites pour lui. Chacune méritait à tout le moins un accusé de réception bienveillant.
Les comédiens arrivent au centre de la scène, l'un après l'autre, prenant la parole avec sobriété et dignité, faisant malgré tout passer une émotion, mais celle-ci est toujours contenue. Chacun demeure ensuite en pleine lumière, silencieux mais expressif, et le spectateur a le sentiment qu'ils partagent leurs souffrances respectives et qu'elles s'additionnent dans un choeur qui grandit au fil de la représentation.
Ce spectacle, qui se compose de deux parties différentes (le lundi et le mardi) interroge inlassablement sur la responsabilité des religions (et de la société) quand elles régentent la sexualité. Beaucoup de spectateurs sont bouleversés par les souvenirs que leur rappellent ces confidences ou par la projection qu'elles provoquent puisqu'elles parlent toutes de la difficulté à aimer et à s'aimer.
Je n'ai pas songé à interroger le collectif pour savoir si quelqu'un comme Ménie Grégoire (1919-2014) a eu l'occasion d'assister à une représentation. Comme j'aurais été curieuse de sa réaction! Cette journaliste et écrivaine, qui avait été surnommée La Dame de coeur, a animé une émission de radio d'écoute et de parole intitulée Allô, Ménie sur RTL de 1967 à 1982, considérée comme la première de type psychologique. Elle répondait à toutes les questions, même les plus dérangeantes à l'époque, alors que la religion avait encore un poids considérable, ce qui témoignait de la volonté de cette radio dite "périphérique" de faire fi des tabous et de s'intéresser la la vraie vie de ses auditeurs.
Didier Ruiz a fondé La compagnie des Hommes en 1998. Il a pour spécificité de collecter les histoires singulières qui reflètent la mémoire et qui sont la trace de notre passé. Il a travaillé ces derniers mois avec Nathalie Bitan (comédienne sur L’amour en toutes lettres) pour mettre en espace les dix ans du Théâtre Firmin Gémier-La Piscine de Châtenay-Malabry (92) en faisant appel à une centaine d'experts en tous genres qui ont partagé leur passion dans un joyeux Grand Bazar des Savoirs (deuxième édition d’un projet imaginé en 2012 avec le Grand T théâtre de Loire-Atlantique). C'était les 13 et 14 avril 2019. Ce fut une expérience formidable à laquelle j'ai eu la chance d'être associée.
J'ai retrouvé ce soir leur marque de fabrique, le théâtre dans sa naturalité.
L'Amour en toutes lettres
D'après L’Amour en toutes lettres – Questions à l’abbé Viollet sur la sexualité (1924-1943) de Martine Sevegrand (Editions Albin Michel), adaptation Silvie Laguna et Didier Ruiz
Mise en scène Didier Ruiz
Avec le lundi Myriam Assouline, Brigitte Barilley, Xavier Béja, Nathalie Bitan (en avril), Laurent Claret (en mai), Marie-Do Fréval, Isabelle Fournier, Isabel Juanpera, Laurent Lévy, Marie-Hélène Peyresaubes, Thierry Vu Huu
Et le mardi Nathalie Bitan, Patrice Bouret, Guy Delamarche, Emmanuelle Escourrou, Silvie Laguna, Emmanuel Landier, Morgane Lombard, Elvire Mellière, Christine Moreau, Thierry Vu Huu
Au Théâtre de Belleville - 94 rue du Faubourg du Temple - 75011 Paris - 01 48 06 72 34
Du lundi 8 avril au mardi 28 mai 2019
Les lundis à 21h15 et mardis à 19h15
Le 25 mai : Festival De Jour De Nuit, La Norville (91)
Le 31 mai : Festival De Jour De Nuit, Arpajon (91)
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