(mise à jour 22 juillet 2018)
C'est l'histoire d'un fils mais le titre est au pluriel parce que le spectacle effectue sans cesse des aller retour entre le particulier et le général. C'est l'histoire de Sébastien. Cela pourrait être celle de milliers d'éleveurs, français mais pas que ... Cela donne toute sa force à la pièce.
Le théâtre d'Elise Noiraud est un théâtre militant, questionnant sans devenir culpabilisant pour peu qu'on comprenne que le spectateur, dès qu'il redevient consommateur, a les moyens d'agir en achetant un produit plutôt qu'un autre. Nous en avons débattu après la représentation mais place d'abord au dispositif scénique car il faut distinguer le fictif de la réalité même si l'un interagit sur l'autre, et réciproquement.
Ce n'était pas simple d'évoquer la ruralité sur un plateau. Pourtant il suffit de deux ballots de foin, d'une fourche et du geste adéquat, rageur et déterminé, pour que l'on comprenne tout de suite que ça pourrait mal finir.
Hériter d'un troupeau, de champs et de dettes, n'est pas une sinécure, même pour un gaillard de 35 ans. Ce que le père a constitué, le fils ne peut plus le maintenir. Pourtant ce n'est pas faute de travailler, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, comme le paternel voudrait nous le faire croire, marmonnant qu'il faut bosser dans la vie, en puisant la soupe de sa cuillère qu'il balance dans l'assiette comme une pelle.
Ce n'est pas nouveau. Le parfum de l'herbe séchée me ramène quelques dizaines d'années en arrière. Comme 80% des français de ma génération je suis originaire de ce monde agricole. Ces phrases ont jalonné les rassemblements familiaux sous une grange à l'occasion d'un mariage ou d'un décès. Mon père avait 9 frères et soeurs. J'ai arrêté de dénombrer les cousins ... trop nombreux ... mais aujourd'hui les doigts d'une main sont trop pour compter ceux qui ont pu rester vivre sur la terre des ancêtres.
Quatre espaces symbolisent les quatre lieux où se déroule la tragédie : l'étable, la cuisine de la ferme des parents, le salon de l'appartement où retourne Sébastien en fin de journée. Et puis, au bord du plateau, à cour, l'extérieur où se confrontent les intérêts économiques et sociaux, avec peut-être une "porte de sortie".
Les dialogues et l'interprétation sont intensément accrocheurs, dans le bon sens du terme. Difficile de faire plus authentique alors que, je me répète, on est bien dans un théâtre, avec des comédiens (qui d'ailleurs endossent plusieurs rôles sans qu'on le perçoive). On est loin du romantisme de l'Amour est dans le pré. Sébastien bénéficie, c'est ainsi qu'on le lui annonce, d'une mesure de sauvegarde assortie de six mois pour inverser la courbe et éviter la vente aux enchères désastreuse du bétail et des terres.
Peu importe le responsable, la mondialisation de l'économie, la surproduction, l'effondrement du cours du lait, ou celui qui ne saurait pas bosser, à moins que ce ne soit la fédé, engraissée avec l'argent de la "taxe volontaire obligatoire", un système purement scandaleux quand on y réfléchit quelques secondes. Les dés sont pipés, l'agriculteur est piégé. C'est lui qui paiera. Le père a décidé de "mourir sur son tracteur". Le fils aussi risque sa vie ... mais autrement.
Des solutions, il y en aurait, si la grand-mère acceptait de vendre la part qu'elle détient encore. Si un membre de la famille travaillait au dehors. Si, l'union faisant la force, on s'associait pour vendre le lait en direct. C'est la voie qui va être prise, après des étapes douloureuses. La pièce s'inscrit dans une volonté d'optimisme et l'harmonie d'une famille heureuse de se retrouver, malgré le passage furtif d'une silhouette féminine portant un bébé dans les bras.
Je vous recommande ce spectacle qui est non seulement réussi sur le plan théâtral mais qui dépasse largement le cadre de départ. Les questions économiques amènent le spectateur à se poser des interrogations humaines, sur le thème de la filiation, et que l'on peut transposer au monde industriel, artisanal, commerçant et même familial dès lors que l'on est confronté à une situation d'héritage.
Elise Noiraud est comédienne, et intervenante théâtrale en milieu scolaire et associatif pour des enfants et des adolescents. Elle a mis en scène quelques spectacles avant les Fils de la terre. Elle est également l'auteur et l'interprète de La Banane Américaine, un seule-en-scène autofictionnel qui a été joué au Théâtre de Belleville en 2013 et dont elle écrit en ce moment un second volet. Je vous en reparlerai le moment venu.
Il faut aussi savoir que Les fils de la terre est un documentaire d'Edouard Bergeon présenté en 2011 et dont Elise a fait l'adaptation. Le film était projeté après la représentation à laquelle j'ai assisté.
On est frappé par la symétrie entre les deux oeuvres. Egalement par la manière dont la propre enfance du réalisateur intervient en écho de celle de l'éleveur puisque son père s'est suicidé. Ils sont 400 à 800 chaque année à se donner la mort et on en parle moins que de ce qui se passe dans une grande entreprise où quelques cadres se plaignent de burn-out (même si c'est affligeant également sur le plan humain). Elise a découvert cette histoire suite à des hasards mais elle révèle des points communs avec Edouard Bergeon : même âge, même campagne, à 20 km près, des grands-parents agriculteurs.
On devine combien la découverte du film sur France 2 a pu la bouleverser. Elle a été touchée par la démarche courageuse consistant à revenir sur son parcours et elle a eu "naturellement" envie d'en faire une transposition théâtrale puisque c'est son métier.
La salle avait beaucoup de questions à poser à Sébastien Itard qui était venu pour l'occasion (et qui avait fait la connaissance de la jeune femme seulement la veille). C'est lui qui pose la plus cruciale : est-ce que (tout ça) vaut une vie ?
Nous avons en tout cas retenu une leçon d'espoir avec la naissance de la marque de lait Vallée du Lot, commercialisée par une trentaine de producteurs, notamment dans les Franprix parisiens. c'est un marché de niche mais c'est un marché et c'est à nous consommateurs de faire bouger les lignes. Puisque nous en avons les moyens.
Elise Noiraud avait présenté ici même une version en juin 2015 dans le cadre du Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène 2015. Les fils de la terre ont reçu à la fois le Prix du jury et le Prix du public. On ne peut que souhaiter une belle poursuite en tournée.
D'ici là, si vous l'avez manqué en région parisienne, visionnez soit la bande-annonce de la pièce, ou guettez une rediffusion télévisée du documentaire annoncée sur le site du film.
Ce n'était pas simple d'évoquer la ruralité sur un plateau. Pourtant il suffit de deux ballots de foin, d'une fourche et du geste adéquat, rageur et déterminé, pour que l'on comprenne tout de suite que ça pourrait mal finir.
Hériter d'un troupeau, de champs et de dettes, n'est pas une sinécure, même pour un gaillard de 35 ans. Ce que le père a constitué, le fils ne peut plus le maintenir. Pourtant ce n'est pas faute de travailler, 24 heures sur 24, 7 jours sur 7, comme le paternel voudrait nous le faire croire, marmonnant qu'il faut bosser dans la vie, en puisant la soupe de sa cuillère qu'il balance dans l'assiette comme une pelle.
Ce n'est pas nouveau. Le parfum de l'herbe séchée me ramène quelques dizaines d'années en arrière. Comme 80% des français de ma génération je suis originaire de ce monde agricole. Ces phrases ont jalonné les rassemblements familiaux sous une grange à l'occasion d'un mariage ou d'un décès. Mon père avait 9 frères et soeurs. J'ai arrêté de dénombrer les cousins ... trop nombreux ... mais aujourd'hui les doigts d'une main sont trop pour compter ceux qui ont pu rester vivre sur la terre des ancêtres.
Quatre espaces symbolisent les quatre lieux où se déroule la tragédie : l'étable, la cuisine de la ferme des parents, le salon de l'appartement où retourne Sébastien en fin de journée. Et puis, au bord du plateau, à cour, l'extérieur où se confrontent les intérêts économiques et sociaux, avec peut-être une "porte de sortie".
Les dialogues et l'interprétation sont intensément accrocheurs, dans le bon sens du terme. Difficile de faire plus authentique alors que, je me répète, on est bien dans un théâtre, avec des comédiens (qui d'ailleurs endossent plusieurs rôles sans qu'on le perçoive). On est loin du romantisme de l'Amour est dans le pré. Sébastien bénéficie, c'est ainsi qu'on le lui annonce, d'une mesure de sauvegarde assortie de six mois pour inverser la courbe et éviter la vente aux enchères désastreuse du bétail et des terres.
Peu importe le responsable, la mondialisation de l'économie, la surproduction, l'effondrement du cours du lait, ou celui qui ne saurait pas bosser, à moins que ce ne soit la fédé, engraissée avec l'argent de la "taxe volontaire obligatoire", un système purement scandaleux quand on y réfléchit quelques secondes. Les dés sont pipés, l'agriculteur est piégé. C'est lui qui paiera. Le père a décidé de "mourir sur son tracteur". Le fils aussi risque sa vie ... mais autrement.
Des solutions, il y en aurait, si la grand-mère acceptait de vendre la part qu'elle détient encore. Si un membre de la famille travaillait au dehors. Si, l'union faisant la force, on s'associait pour vendre le lait en direct. C'est la voie qui va être prise, après des étapes douloureuses. La pièce s'inscrit dans une volonté d'optimisme et l'harmonie d'une famille heureuse de se retrouver, malgré le passage furtif d'une silhouette féminine portant un bébé dans les bras.
Je vous recommande ce spectacle qui est non seulement réussi sur le plan théâtral mais qui dépasse largement le cadre de départ. Les questions économiques amènent le spectateur à se poser des interrogations humaines, sur le thème de la filiation, et que l'on peut transposer au monde industriel, artisanal, commerçant et même familial dès lors que l'on est confronté à une situation d'héritage.
Elise Noiraud est comédienne, et intervenante théâtrale en milieu scolaire et associatif pour des enfants et des adolescents. Elle a mis en scène quelques spectacles avant les Fils de la terre. Elle est également l'auteur et l'interprète de La Banane Américaine, un seule-en-scène autofictionnel qui a été joué au Théâtre de Belleville en 2013 et dont elle écrit en ce moment un second volet. Je vous en reparlerai le moment venu.
Il faut aussi savoir que Les fils de la terre est un documentaire d'Edouard Bergeon présenté en 2011 et dont Elise a fait l'adaptation. Le film était projeté après la représentation à laquelle j'ai assisté.
On est frappé par la symétrie entre les deux oeuvres. Egalement par la manière dont la propre enfance du réalisateur intervient en écho de celle de l'éleveur puisque son père s'est suicidé. Ils sont 400 à 800 chaque année à se donner la mort et on en parle moins que de ce qui se passe dans une grande entreprise où quelques cadres se plaignent de burn-out (même si c'est affligeant également sur le plan humain). Elise a découvert cette histoire suite à des hasards mais elle révèle des points communs avec Edouard Bergeon : même âge, même campagne, à 20 km près, des grands-parents agriculteurs.
On devine combien la découverte du film sur France 2 a pu la bouleverser. Elle a été touchée par la démarche courageuse consistant à revenir sur son parcours et elle a eu "naturellement" envie d'en faire une transposition théâtrale puisque c'est son métier.
La salle avait beaucoup de questions à poser à Sébastien Itard qui était venu pour l'occasion (et qui avait fait la connaissance de la jeune femme seulement la veille). C'est lui qui pose la plus cruciale : est-ce que (tout ça) vaut une vie ?
Nous avons en tout cas retenu une leçon d'espoir avec la naissance de la marque de lait Vallée du Lot, commercialisée par une trentaine de producteurs, notamment dans les Franprix parisiens. c'est un marché de niche mais c'est un marché et c'est à nous consommateurs de faire bouger les lignes. Puisque nous en avons les moyens.
Elise Noiraud avait présenté ici même une version en juin 2015 dans le cadre du Prix Théâtre 13 / Jeunes metteurs en scène 2015. Les fils de la terre ont reçu à la fois le Prix du jury et le Prix du public. On ne peut que souhaiter une belle poursuite en tournée.
D'ici là, si vous l'avez manqué en région parisienne, visionnez soit la bande-annonce de la pièce, ou guettez une rediffusion télévisée du documentaire annoncée sur le site du film.
Les Fils de la terre
d'après le documentaire d'Edouard Bergeon, Adaptation et mise en scène Elise Noiraud
Avec Benjamin Brenière l’ami, le juge, le photographe, un infirmier, François Brunet le père, Sandrine Deschamps La femme, la représentante en cosmétiques, Julie Deyre la mère, la traductrice, la sage-femme, l'animatrice radio, Sylvain Porcher le juriste, l'acheteur hollandais, un infirmier et Vincent Remoissenet le fils
Scénographie Boris Van Overtveldt, Création lumières Philippe Sazerat, Création sonore François Salmon et Adrien Soulier, Costumes Mélisande de Serres, Décor Baptiste Ribrault
Production Compagnie Théâtre de l'Epopée.
Du mardi au samedi à 20h - le dimanche à 16h (relâche le lundi)
Du 8 au 18 octobre 2015
Théâtre 13, au 30 rue du Chevaleret, 75013 Paris, 0145 88 62 22
Tournée 2016-2017 :
2016:
- 22 mai : Maison du Théâtre et de la Danse d'Epinay sur Seine (1 représentation)
- 3 septembre: festival à Saint Ange et Torçay (2 représentations)
- 3 novembre: Castelnaudary (1 représentation)
- 5 novembre: Leyzignan-Corbières (1 représentation)
2017:
- 4 février: La Mannekine à Pont Sainte Maxence (1 représentation)
- 10 février: L'Odyssée-Scène Conventionnée de Périgueux (1 représentation)
- 23 mars: L'Avant Seine de Colombes (1 représentation)
- 29 avril : La Grange Dîmière de Fresnes (1 représentation)
- 18 et 19 mai : La Comédie de l'Est - CDN de Colmar (2 représentations)
Et l'été 2018 au festival d'Avignon, à 18 h 20 à Présence Pasteur.
Les photos qui ne sont pas logotypées A bride abattue sont de Benoit Bouthors
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