C’est un hasard du calendrier. Jeunesse mon amour est le quatrième premier film que je visionne en l’espace de peu de temps. Cet enchaînement me rend plus exigeante car ce que j’ai vu récemment était de l’ordre de l’exceptionnel.
Jusqu’à maintenant, c’était surtout en littérature que j'accordais une attention particulière aux "premiers". Ce n’est pas parce que j’ai un esprit d’analyse que je manque de bienveillance mais il y a fort à parier que j’ai remarqué aujourd’hui, comme à mon habitude, des choses que le réalisateur n'a peut-être pas faites intentionnellement.
A titre d’exemple je donnerai une occurrence que j’avais pointée dans La page blanche, le premier film de Murielle Magellan. Pudique, la réalisatrice ne donnait pas la liste de ses livres dans la liste figurant au générique mais j’avais reconnu, dans un plan montrant un triporteur surmonté d’une grappe de ballons, l’image qui fait la couverture de N’oublie pas les oiseaux, un roman dont le titre comprend ce verbe oublier qui est si important dans ce premier film. Murielle me confirma par la suite que j’avais eu raison d’y voir un double lapsus.
Le synopsis du film -qui est annoncé comme appartenant au genre du drame- est bref : Après plusieurs années, un groupe de jeunes adultes se retrouve. L'époque du lycée est révolue, mais les amis tentent d'en raviver l'esprit et les liens. Lors de cet après-midi hors du temps, où les souvenirs et non-dits refont surface, chacun prend conscience de ce qui a changé et que certaines choses ne seront plus jamais comme avant.
Si j’ai beaucoup apprécié Jeunesse mon amour dont les qualités sont très nettes, je vais malgré tout commencer par indiquer ce qui a titillé mes neurones. Démarrons par le visuel de l’affiche. C’est une image du rêve que fait Alban (Yves-Batek Mendy) à propos de Lila (Manon Bresch) dans un flash-back qui intervient au milieu du film et dont on ne saura pas s’il s’agit d’un souvenir réel ou fantasmé. En tout cas, que cette image ne corresponde pas à la réalité me semble symptomatique et ce choix nous renseigne aussi sur l’intention du réalisateur d’accorder une grande importance au passé, peut-être plus qu’au présent. Il apporte une note définitivement mélancolique alors que la bande-annonce du film (très bien faite et fidèle à l’ensemble du film) est plus joyeuse.
Je ne pense pas du tout que l’étoile qui apparaît de la même couleur que le titre soit anecdotique bien que nulle part elle ne soit reprise en tant qu’appartenant à ce titre, ni dans les communication du producteur que dans celle du distributeur Wayna Pitch. Sa présence est interprétable comme étant un astérisque. Placé après un mot, ce signe renvoie à une note de bas de page, ce qui n’a pas de sens ici, sauf à signifier qu’il conviendrait de fournir un commentaire mais ce sera au spectateur de trouver lui-même ce que cet amour a de particulier.
A moins que ce soit une marque pour signaler une information manquante comme il est d’usage de le faire dans les textes juridiques aux Etats-Unis. En tout cas la typographie en capitales, et de couleur jaune, fait référence à un autre couple. Elle est très proche de celle qu’Elio (Victor Bonnel) et Melo (Inas Chanti) vont utiliser pour marquer leur prénom à la bombe sur un muret de pierre au cours de leur promenade dans le bois. Et si vous êtes attentif vous noterez que Melo fait suivre son diminutif d'un astérisque qui là signifie que ce surnom n'est pas entier puisque c'est mélodrame mais on l'appelait aussi la collectionneuse.
La fin ouverte du film à propos de ce qui va advenir au chien de Dim (Dimitri Decaux) est en soit intéressante, mais elle laisse le public démuni. On se raccroche donc à tout ce qui est interprétable. Comme le choix de Johan Heldenbergh, un acteur et directeur de théâtre belge, à la filmographie impressionnante, et dont l’accent ajoute une note d’étrangeté, pour interpréter le promeneur que croise le groupe d’amis. L’histoire qu’il leur raconte est étonnante, et résonne comme un avertissement en rapport avec leur recherche du chien soudainement disparu. Elle apporte aussi une dimension un peu surréaliste, laissant entendre que parfois la passivité peut conduire à une catastrophe.
Léo Fontaine a confié en interview avoir choisi majoritairement des comédiens avec lesquels il avait déjà tourné dans ses courts-métrages précédents et il entretient des liens d’amitié avec la majeure partie de l’équipe de tournage. Deux personnages portent le diminutif de leur propre prénom (Matt et Dim) ce qui renforce, si ce n’est la dimension autobiographique, du moins le fait que ce film se réclame d’une certaine proximité avec ce que peuvent vivre les trentenaires d’aujourd’hui. Outre la participation exceptionnelle de Johan Heldenbergh il a engagé Clémence Boisnard pour interpréter Mami, alias Myriam. Il est amusant de constater qu’il lui a confié un rôle d’outsider. Elle sera la première à partir. En vrai, je suis plus très à l’aise dans le groupe, je suis passée à autre chose, avouera-t-elle avant de s‘éclipser à soit-disant une fête dont elle aurait elle-même été à l’origine.
Avant de partir elle réactive les sentiments d'Alban : Ça crève les yeux que tu la kiffes encore. Au lycée vous étiez le roi et la reine.
Léo Fontaine est bien entendu le maître de l’histoire puisqu’il en a signé seul le scénario (bien qu’il l’ait travaillé avec Yves-Batek Mendy) et loin de moi l’idée de lui reprocher quoi que ce soit. Il a sans doute volontairement souhaité laisser planer plusieurs doutes, à moins que sa volonté de faire un film largement autobiographique n’ait en quelque sorte menotté son imagination. En effet, comment nous raconter ce qui ne s’est pas encore passé ? Le réalisateur, comme les comédiens, ont l’âge de leurs rôles et par moments on frôle le genre documentaire. Heureusement, les personnages de Mami et du promeneur apportent de la fantaisie.
Le réalisateur dit qu'il n’est pas parti d’une réflexion personnelle mais d’une petite phrase lue sur Internet : On commence à perdre ses amis d’enfance à partir de l’âge de 25 ans dont il pensait qu’elle détenait "une part de vérité palpable". Il a voulu démonter que cet adage, un peu créé de toutes pièces, avait sa part de vérité... et en explorer les conséquences. Est-ce que ce serait triste de réaliser que l’on perd nos amis d’enfance en grandissant car ils constituent une base importante de notre vie ? Ou bien est-ce réjouissant d’y penser en se focalisant sur des souvenirs indélébiles ? Le groupe débattra du poids des réseaux sociaux qui pèse sur leurs vies de manière intrusive et qui estiment malsain de chercher à embellir le quotidien. La question de la vérité (des souvenirs, des sentiments …) reviendra régulièrement dans leurs débats qui souvent frôlent le règlement de comptes, ou a minima la mise au point.
On sent aussi nettement encore l’influence du mode de travail familier de Léo Fontaine, habitué à concevoir des courts-métrages. La structure du film est apparente, en chapitres successifs, auxquelles on aurait envie de donner des intertitres. Du coup la fin nous prend de court alors qu’on s’est habitué à ce que l’histoire se soit jusque là déroulée à la manière d’un livre que l’on feuilletait, sur un mode qui évoque par de nombreux aspects le cinéma d’Eric Rohmer.
Entre ces chapitres, des transitions se glissent composées de quelques images d’une réelle beauté montrant l’envol d’un insecte, une pile d'assiettes sales maladroitement empilées composant une nature morte, un plan serré sur un monticule de détritus, quelques brins d’herbe qui se balancent et la bande son est régulièrement ponctuée des cris d’oiseaux et du martèlement d’un pic tels qu’on peut les saisir quand on se balade dans le bois de Verrières-le-Buisson (91). Logique, puisque c’est bien là que la seconde partie a été tournée. Le seul élément fictionnel que j’ai repéré c’est l’emploi de plusieurs voitures pour s’y rendre alors que ce qu’ils désignent sous le nom de "forêt" se trouve à quelques mètres de la maison familiale du réalisateur.
Ayant résidé dans la région, c’est un endroit que je connais par coeur et j’ai retrouvé les carrefours forestiers où je me suis si souvent promenée en famille. Je suis sûre que mes enfants, adolescents les ont arpentés avec leur bande de copains. Si bien que ce film qui pourrait être ressenti comme montrant une "certaine" jeunesse m’est complètement familier.
Par contre, s’agissant du propos qui voudrait que Léo Fontaine signerait un film qui se focalise sur la transition entre adolescence et âge adulte cherchant à démontrer une sorte de rupture d’objectifs de vie, je regrette de ne pas être sociologue pour mieux analyser ce qui ressort de son vécu et ce qui est de l’ordre de l’universel. Je ne peux que juxtaposer son point de vue avec les constatations que je fais avec mes propres enfants. Même milieu, même région, même génération à deux ou trois ans près, même rituel autour du barbecue, mêmes premiers amours à l’intérieur de la bande, mais … et c’est là que ça diverge un peu, je les vois toujours au fil des années avec le même groupe de potes, se marier avec leur amour de jeunesse et commencer à avoir des enfants, tout en continuant à régulièrement faire des soirées … en profitant du jardin d’un de leurs parents. Tous ces éléments m'amènent à penser qu’il n’est pas systématique qu’un groupe d’amis se délite au fil des années mais j’accepte bien entendu que ce soit le propos de Léo Fontaine.
Revenons au scénario. Nous ne sommes en tout cas pas dans une problématique comparable à celle des Petits mouchoirs de Guillaume Canet (sur l’affiche duquel apparaissaient les visages de tous les protagonistes). L’époque du lycée est derrière chacun. Seul Elio, le "petit" frère de Dim, est encore étudiant et reste proche de cet état propice à échafauder un avenir romantique. On le verra dans sa façon de surinterpréter l’intérêt de Mélo à son égard. Il est aussi celui qui a le plus investi dans l'assemblée : Vous étiez le groupe que tout le monde rêverait d'avoir en vrai, hyper soudé, toujours prêt à faire des trucs les uns pour les autres et c'est bien de voir qu'il y a des trucs qui restent même si chacun fait sa vie, que le groupe reste et que j'en fait partie. Groupe idéal peut-être … mais l’ambiance idyllique va se fissurer.
Si on excepte Elio, ils sont entrés dans le monde adulte, en particulier Matt (Matthieu Lucci) et Lila qui vont avoir un enfant. Leur choix de vie n’est cependant pas encore très assuré. Lila n'est pas certaine que ces retrouvailles soient le bon moment pour annoncer cette grossesse bien qu'ils vivent ensemble depuis 5 ans et on verra quels dangers pourraient les faire vaciller. Cet aspect est très intéressant. Il aurait pu être un peu plus étoffé. De la même façon que j’aurais attendu qu’on développe davantage en quoi l’insouciance de l’adolescence a laissé place à d’autres attentes. S’ils ont renoncé à leurs espérances d’exploit sportif, surtout footballistiques pour Alban (sujet que Léo connait très bien), il n’est pas certain qu’ils aient abandonné leurs rêves amoureux. Alban est toujours attiré par Lila, Elio par Melo, quoiqu’aucun des deux garçons ne semble réussir à dépasser une dimension platonique.
Les filles paraissent plus affirmées, se situant en amont dans la progression de leur vie. Mami quitte le groupe dont elle ne partage plus les valeurs. Lila attend un bébé et a ses propres préoccupations. Melo est fermement féministe et indépendante. On lui fait remarquer qu'elle a changé : tu fais plus grande, plus mature. Elle exprimera plus tard son amertume à propos de ses camarades : Si c’étaient vraiment mes amis ils m’auraient empêchée à l’époque (sous-entendu de me jeter à corps perdu dans des relations éphémères). Elio voudrait la réconforter : Arrête de bloquer sur ton passé. T'es une meuf de dingue.
Toutefois ce sont les points de vue masculins qui sont le plus mis en avant. Comme la jalousie de Matt qui apparaît clairement dans la scène de tir à l’arc, le romantisme d’Elio et la nostalgie d’Alban dès les premières images du film, à la faveur d'un montage très soigné, qui ponctue le déroulement d'indices aidant à la compréhension de la dramaturgie.
Les dialogues sont vivants, avec force de "vas-y" et de références au "vrai" comme les jeunes en placent à tout bout de champ. On sent la spontanéité et l'intelligence de la caméra à saisir le poids des regards comme les moments d'improvisation. L'alternance de multiples manière de filmer, en plans larges, resserrés, au ralenti, … en variant les mises au point et les floutages, tout participe à nuancer les actions et à rythmer le récit qui, certes est assez court puisque le film ne dure que 71 minutes, mais qui est marqué par l'énergie comme s'il y avait eu urgence à le faire, et vite.
Le temps qui passe est en tout cas l’axe principal du film. Il s’affirme d’emblée, sans que, encore une fois, Léo Fontaine l’ait sans doute fait intentionnellement. Les premières images montrent le chemin parcouru par la voiture de Lila et Matt longeant le chantier de construction de la ligne 18 du grand Paris Express qui traversera le plateau de Saclay. La voie aérienne est quasiment achevée au moment de la sortie du film. Ensuite, l’arrivée à Châtenay-Malabry (92) se fait par le haut de la Butte rouge en longeant un autre chantier, celui de la reconstruction du groupe scolaire Jean Jaurès qui, depuis est totalement sorti de terre. J’ai cru un instant qu’on allait enjamber le parcours du tramway (lui aussi désormais terminé) pour passer devant le cinéma Le Rex où le film de Léo fut projeté en avant-première, mais c’est là que la réalité est plus forte que la fiction : la caméra bifurque vers la rue où se dresse encore la maison d’enfance du réalisateur qui dédie le film à ses parents.
Le prétexte trouvé par Dim, c'est la vente prochaine de la maison parce que ses parents vont prendre leur retraite à Belle-Ile pour provoquer les retrouvailles. Mais ne serait-ce pas comme il le dit, l'occasion idéale de trinquer au bon vieux temps, à la jeunesse, dont il pressent qu'elle s'est effilochée. Le groupe s'est constitué il y a longtemps, à l'anniversaire de Matt.
J’ai beaucoup apprécié la musique que Léo Fontaine a choisie avec le compositeur Côme Ordas en orientant la perception du spectateur vers quelque chose de sacré, en lien avec l’importance accordée à ce que chaque membre du groupe a vécu dans le passé, même si leurs trajectoires ont évolué.
D’abord les dédicaces qui s'échappent de la radio de la voiture qui, subtilement, annonce avec nostalgie les difficultés à exprimer ses sentiments. Puis la musique sérielle qui donne une impulsion au début du film. Le silence accompagne certains moments clé comme la question de savoir pourquoi Dim les a tous réunis. Comme aussi après la révélation de Matt qui va servir de détonateur : La vie elle avance. Elle suit sa route. On va avoir un bébé. Cette fois Alban encaisse la nouvelle comme un uppercut et quitte le groupe. Il est suivi, filmé caméra à l’épaule comme un documentaire et le silence est de plomb.
La chanson d’Alex Rossi Tutto va bene quando facciamo l’amore (2019) dont les paroles sont un contrepied parce que tout ne va pas si bien que ça. La musique électro qui renforce l'impression de chaleur étouffante de l'après-midi propice à la sieste. Elle sera apaisée lorsque le groupe arrivera dans le bois. La soirée dansante du flash-back (ou du rêve) se déroule sur l’air de Love More de Sharron Van Etten qui s’arrête brutalement quand Myriam interroge : Alban, t’es avec nous ? Nouvelle excellente idée de poser les notes de Resilience de Esoteric Circle sur la course des trois garçons dans le bois filmée au ralenti. D'ajouter le bruit d'une tronçonneuse au loin comme une plainte quand Lila quitte le groupe. Autant que -vers la fin- le piano de Charlie Naked accompagné de quelques choristes avec The Life of Riley alors qu'Alban va sonder les véritables sentiments de Lila. Le moment est très nostalgique quand la camera film cote à cote le A sur la main de Lila, le L sur celle d'Alban, métaphore des lettres qu’on grave sur les troncs d’arbre.
Quand Matt interrogera Lila d'un tu veux rentrer ? elle ne répondra pas par des mots. Alban aura compris le caractère définitif de son choix. La tristesse et la résignation qu'on lit dans ses yeux contraste avec la joie sincère des retrouvailles du début de l'après-midi. Dim avait promis : Vous allez voir. Y a rien qu’a changé. On avait constaté plus tard que les calendriers des Postes des années 2010 étaient toujours punaisés sur le mur. Il émanait quelque chose de l’ordre de la commémoration. Mais, avec le dernier plan on sait que tout a changé.
Léo Fontaine est né à Châtenay-Malabry en 1994. Il est diplômé à 3IS dans le domaine du cinéma et de la réalisation en 2016, année durant laquelle il co-écrira et réalisera son court métrage de fin d’études “Fils De”. Il tourne par la suite en 2017 son deuxième court métrage “L’un pour l’autre”, sur le football et l’adolescence qui sera sélectionné dans des festivals de films de sport comme celui de Barcelone. En 2019, il réalise “Emma Forever” (mot qu’il ré-emploie dans le long métrage) qui raconte une histoire d’amour entre deux adolescents se rencontrant à une soirée d’anniversaire d‘une connaissance commune. En 2021 : “Les cœurs en chien” sort avec notamment Victor Bonnel et Manon Bresch que l’on retrouve aujourd’hui. Outre le long métrage, 2024 est aussi l’année d’un nouveau court métrage “Qu’importe la distance” sélectionné au festival de Clermont-Ferrand.
Enfin je me réjouis d’apprendre qu’il est déjà en train d’écrire un prochain long-métrage pour lequel il affirme l’intention de passer un temps conséquent dans le développement du scénario. Peut-être une suite à son premier long, car on aimerait tant retrouver le groupe à une autre saison. A moins que son admiration pour le cinéma engagé de Ken Loach ne le pousse dans la continuité de son dernier court métrage, Qu’importe la distance avec lequel il s’aventurait dans le film social. Ce film-documentaire raconte le périple d’une femme partant voir son fils en prison pour la première fois.
Jeunesse mon amour, écrit et réalisé par Léo Fontaine
Avec Yves-Batek Mendy, Manon Bresch, Inas Chanti, Matthieu Lucci, Clémence Boisnard, Dimitri Decaux, Victor Bonnel, et la participation exceptionnelle de Johan Heldenbergh.
En salles le 8 mai 2024
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire